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Voilà quelques semaines déjà qu’une bonne partie de notre planète se trouve bouleversée par une pandémie qui n’a pas dit son dernier mot. Rarement autant de régions différentes du globe auront partagé les mêmes préoccupations – le décompte désespéré des chiffres des victimes, la recherche effrénée de masques et de respirateurs, les scénarios du déconfinement à venir et bien entendu l’attente d’un vaccin ou d’un traitement tant espérés. Une planète qui a aussi pris un autre visage pendant les périodes de confinement : une activité humaine et économique au ralenti, le silence et les chants des oiseaux qui ont remplacé le vacarme habituel des voitures et des avions…
Derrière cette unité apparente, une observation un peu plus attentive révèle de profondes divergences : les pays industrialisés vivent ou ont vécu le confinement dans un calme relatif. Bien sûr la surmortalité est effrayante. Chaque décès est un décès de trop, le deuil étant rendu plus difficile encore en raison des circonstances particulières. Mais pour la majorité qui n’est pas atteinte par la maladie et dont les proches sont en bonne santé, le ralentissement de l’activité et les restrictions se traduisent davantage par un inconfort, parfois réel, que par de véritables drames. Si certains rayons des magasins ont pu être vides par moment, ceci reflétait le comportement d’écureuil adopté par une partie de la population plus qu’un réel problème d’approvisionnement. Que dire des stocks de pommes de terre qui débordent et dont les producteurs ne savent plus que faire : ils sont le signe d’une agriculture dotée d’un savoir-faire important, mais dont le modèle, fondé en grande partie sur l’exportation, demeure très fragile et qui laisse un grand nombre d’agriculteurs en quête de sens et, pour certains d’entre eux, à deux doigts de la paupérisation.
Au Sud et dans beaucoup de pays, la perspective est toute différente. Le confinement a signifié une perte soudaine et parfois totale de revenus pour un grand nombre de personnes, sans pouvoir faire appel à des mécanismes de solidarité étatique qui permettent, en Europe en tout cas, de protéger une grande partie des personnes touchées. Quand on survit au jour le jour d’une activité en marge de l’économie formelle, l’arrêt total de la vie économique et sociale peut faire basculer de la survie au désespoir. Et l’on sait que la malnutrition, déjà si forte dans de trop nombreuses régions du globe, risque d’empirer avec l’assèchement des ressources.
Plus grave encore : l’arrêt des activités, même s’il n’est que partiel, peut avoir de graves conséquences pour l’avenir : des récoltes moins préparées, moins abondantes, d’importantes perturbations dans les chaînes d’approvisionnement des produits alimentaires. Couplée au renchérissement des importations, toujours importantes dans des économies soumises à la prédation extérieure, la crise peut avoir des effets majeurs sur le moyen et long terme. A cela il faudrait ajouter l’impact sur les soins de santé, déjà fragiles, de la détérioration des finances publiques.
On ne mesurera que dans quelques mois, voire dans quelques années les dégâts que cette crise a provoqués et provoquera dans les régions plus fragiles de notre planète. Il faudra rester très attentif à cette évolution qui ne se révélera pas avec la même immédiateté que le confinement : la détérioration des conditions de vie des populations les plus défavorisées doit rester au centre de notre réflexion et de notre action.
Cette crise montre en tout cas l’intérêt d’une réflexion systémique : dans notre monde si complexe, tout est lié. L’interdépendance des systèmes est évidente. On a vu la surprise de certains découvrant la dépendance de l’Europe et du reste du monde aux usines chinoises qui sont progressivement devenues indispensables pour toute une série de produits. On a pu constater la vitesse avec laquelle cette ‘petite grippe’ qui touchait une ville chinoise dont la plupart d’entre nous n’avait jamais entendu parler, s’est répandue dans le monde à la faveur des déplacements de plus en plus fréquents – peut-on oublier que depuis les années 1970, le transport aérien voit le nombre de passagers transportés doubler tous les 15 ans ? Et la crise alimentaire qui s’annonce au Sud sera d’autant plus terrible que la pandémie conduit au Nord à un ralentissement économique qui frappe notamment les diasporas. Or on sait le rôle qu’elles jouent, par les transferts monétaires qu’elles effectuent vers les pays d’origine et qui demeurent bien supérieur aux aides qu’elles soient bilatérales ou multilatérales, pour améliorer le maigre quotidien de nombreuses familles.
Il y a là l’occasion d’une réflexion encore plus importante pour Eclosio : notre rôle est de penser cette complexité, de tenir compte des liens parfois méconnus qui existent entre différents phénomènes, d’adopter une approche fine qui tient compte des interactions entre différents territoires ou différentes composantes d’une même société. C’est sur ces liens qu’il faut orienter nos actions et nos discours. L’approche systémique, qui repense ces interactions pour répondre en profondeur aux enjeux de la durabilité, doit demain être plus encore au centre de nos actions.
Mais la crise que provoque la pandémie et le bouleversement de notre quotidien libèrent aussi l’imagination : tant de certitudes ont volé en éclats, tant de tabous ont sauté que l’on se prend à rêver. Et si cette crise était aussi l’occasion de changer nos habitudes ? De consommer plus local, d’être attentifs à nos voisins, de s’interroger sur l’impact de nos modes de travail sur les travailleurs et leurs familles, de mettre la bienveillance au centre de nos actions. Les nombreuses manifestations de solidarité qui ont fleuri au coin de nos rues, par des gestes simples, nourrissent cette ambition de changement radical.
Ne nous leurrons pas : le « nouveau monde » que certains voient poindre après la crise ressemblera très fort à l’ancien ! Le changement est nécessaire, mais la force des habitudes est grande. Et les conditions pour qu’un changement intervienne ne sont pas nécessairement réunies. Comment, après le confinement, le maraîcher local pourra-t-il louer des terres agricoles qui restent toujours aussi chères parce que transformées en objet de placement ? Comment promouvoir l’allaitement si important pour les premiers mois de la vie lorsque le lait en poudre importé dans de nombreux pays du Sud fait l’objet d’un incessant matraquage publicitaire ? Comment mettre l’humain au centre d’un système fasciné par l’argent et l’accumulation de biens et qui détourne si facilement les yeux devant les inégalités criantes qui sont la règle et non l’exception ? Comment faire en sorte que notre regard ne soit pas systématiquement attiré par nos propres difficultés et puisse s’ouvrir au vécu des populations du Sud, si peu visibles alors qu’elles sont plus touchées encore par les conséquences de la crise ?
Faut-il pour autant baisser les bras ? Non ! Eclosio se veut un acteur du changement. Pour réussir, il faudra continuer à compter sur nos forces : fonder notre action sur une très bonne connaissance des enjeux locaux et systémiques, s’appuyer sur des partenariats solides, être animé d’une volonté forte. Mais il faut aussi choisir ses priorités, demain encore plus qu’hier. C’est un défi pour Eclosio et par extension pour tous les acteurs de la coopération : les effets dévastateurs de la crise doivent nous conduire à réexaminer nos priorités. Pour les projets en cours, le changement ne peut s’opérer qu’à la marge. Pour les actions à venir et singulièrement pour le programme que nous présenterons à la DGD en 2021, il faudra prendre le temps, avec nos partenaires, de mesurer comment inclure au mieux les effets de cette crise de manière à répondre aux défis qu’elle pose.
Nous vivons une période étrange. Pour la première fois depuis la dernière guerre, les frontières se sont fermées en Europe et bien au-delà, condamnant une population habituée aux voyages faciles à vivre à l’intérieur des frontières, une immobilité qu’une grande partie de la population du globe ne connaît. Face à cette crise, on peut hésiter entre la sidération qui paralyse et l’hyperactivité qui épuise. Eclosio fait le choix de la réflexion pour alimenter son action.
Le Conseil d’administration tient à féliciter les équipes d’Eclosio pour l’ensemble du travail réalisé en 2019 : nous sommes fiers de votre entrain, de votre créativité et de vos réalisations ! Même dans les conditions difficiles du confinement, les équipes ont su s’adapter pour poursuivre le travail et rester sur le terrain auprès des populations, parfois au prix de certains sacrifices. Grâce à votre travail nous avons pleinement confiance dans l’avenir d’Eclosio !
Le Conseil d’administration