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Des étudiant·es amené·es sur le terrain de l’interdisciplinarité et de la mise en récit pour une santé globale !
De l’aurore à l’aube, étudiant·es, artistes et universitaires se sont réuni·es autour d’un concept appelé « One Health ». Arpentage, pièce de théâtre, atelier collaboratif et conférence : une créativité méthodologique pour stimuler l’échange et les réflexions croisées tout au long de la journée. Il s’agissait d’une occasion pour l’équipe organisatrice – coordonnée par Marjorie Bardiau, scientifique et responsable disciplinaire à ULiège Library dans la bibliothèque Santé – de tester une journée thématique autour du concept de « Une Seule Santé », en utilisant des techniques pédagogiques actives. Cette journée thématique sera intégrée dès l’année prochaine dans le crédit à option (2 ECTS) pour le module Développement Durable de la faculté de Médecine.
« Il s’agit d’un cadre de travail transdisciplinaire qui questionne habilement la santé comme objet à l’intersection de trois mondes intrinsèquement liés : le monde humain, le monde animal et les écosystèmes. »
Apparu au début des années 2000, le One Health a, tristement néanmoins, bénéficié de la pandémie de covid-19 en termes de visibilité. Il est alors devenu une véritable grille de lecture pour l’analyse de cette période troublée. En effet, il s’agit d’un cadre de travail transdisciplinaire qui questionne habilement la santé comme objet à l’intersection de trois mondes intrinsèquement liés : le monde humain, le monde animal et les écosystèmes.
« Illustration un peu trop parfaite de l’interdépendance entre santé animale, santé humaine et santé environnementale, la pandémie a joué le rôle de spectaculaire piqûre de rappel : les humains n’habitent pas dans un décor – la nature – avec des personnages secondaires, les animaux, les plantes ou les micro-organismes. Au contraire, nous évoluons dans un monde interconnecté qui rassemble tous les êtres vivants. » (Luong, 2024)
Ainsi, au deuxième jour du festival Rêve général, près de 135 étudiant·es de plusieurs facultés (Faculté de Médecine, Faculté des Sciences appliquées et Faculté de Droit, Sciences Politiques et Criminologie) ont été invité·es à découvrir et à s’approprier le One Health, accompagné·es par Eclosio et le centre de recherche Spiral. La matinée fut dédiée à une « première phase d’expérimentation », sous les mots de la dynamique Pr. Céline Parotte (Département de science politique), durant laquelle un arpentage du livre « La fabrique des pandémies » permis une analyse collective de l’ouvrage.
Un arpentage est un exercice collectif qui consiste à découper un livre, à se partager les parties entre participant·es et, après une lecture individuelle, à s’expliquer entre lecteur·ices les extraits. On arrive alors à lire rapidement un ouvrage.
En se basant sur la technique du Graphic Medicine, les étudiant·es furent au préalable invité·es à lire aussi le manga «Contamination» permettant de personnifier la problématique et ainsi de la comprendre de manière plus intime.
Graphic Medicine est l’utilisation de bandes dessinées pour raconter des histoires personnelles de maladie et de santé. Le langage combiné de mots et d’images qu’est la bande dessinée rend ces histoires personnelles accessibles et leur confère un impact émotionnel, de même qu’aux données cliniques qu’elles contiennent parfois.
Lors de la restitution collective sur ces deux ouvrages, un récit commun sembla alors émerger. Furent soulignés communément l’importance de sortir de la logique de travail en silos et de renforcer les dynamiques d’interdisciplinarité, la déconstruction des soubassements anthropocentrés de la médecine occidentale, les limites socio-économiques auxquelles le système de santé fait face, l’importance de valeurs telles que l’empathie et la coopération, ou encore la nécessité d’amener plus d’interdisciplinarité au sein des cursus universitaires.
Après une pause bien méritée, autour d’une tasse de soupe et de tranches de pain tartinées à la betterave et aux houmous colorés, le programme fit place à la Compagnie Adoc qui émut le grand chapiteau et les étudiant·es avec son spectacle « Urgences ». Résultat de 2 années de travail d’immersion et d’un véritable travail journalistique dans le secteur hospitalier, les répliques avaient pour particularité de venir directement de la bouche des soignants et des soignantes rencontré⸱es par la troupe. Plus de 4 ans après le premier confinement, cette dernière réussit à raviver nos souvenirs, notre mémoire collective pourrait-on dire, en rappelant sans détour mais avec poésie les difficultés quotidiennes du travail hospitalier. Elle a également su proposer des idées pour un futur désirable, que nous allons nous garder de vous dévoiler ici puisque plusieurs représentations sont encore au programme du festival !
En guise de « discussion de clôture », messieurs Nicolas Neysen (professeur à HEC Liège) et Marc De Paoli (administrateur-délégué du CHU de Liège) ont été invités à réagir à chaud après la représentation d’Urgences . Monsieur De Paoli a entre autres exprimé ses craintes pour l’avenir du système hospitalier, en soutenant l’idée de supprimer ou d’ouvrir les numérus clausus à l’instar de la France. Il a également partagé les conflits de valeur auquel il fait face dans son travail quotidien : entre rentabilité et amour de l’humain, l’administrateur-délégué nous qu’il est « torturé » . Il trouve néanmoins du bonheur dans la mise en place de démarches consultatives auprès du personnel hospitalier pour les prises de décision.
L’émotion ambiante fut alors invitée à être canalisée dans un atelier de mise en récit organisé par Eclosio, animé par notre collègue Claire Wiliquet, atelier directement inspiré de la méthodologie de la fresque des nouveaux récits.
« Ainsi, la « sombreur » du chapiteau laissa place à la lumière du dôme, comme si la clarté de l’espoir inspiré par les récits chassait l’obscurité des problèmes soulevés. »
La première étape consista alors, après qu’ils et elles se soient attablé·es par groupe, à ce que chaque étudiant·e confie les forces et faiblesses qu’il ou elle identifie en lui ou en elle face au changement. La deuxième étape les invitait à créer un récit pour changer un morceau de société collectivement désigné.
Iels choisirent des sujets hétéroclites bien qu’ils se recoupent finalement autour des questions du sens de notre vie, allant du vivre ensemble à la cohésion sociale (« Et si on créait collectivement des espaces publics ? »), de la mobilité douce (« Et si on vivait plus simplement ? ») à la prise en compte des non-humains dans notre aménagement de l’espace et d’une agriculture plus juste et plus végétale (« Et si on arrêtait les traités de libre-échange insoutenables pour les agriculteurs belges ? »), etc. Nous découvrîmes lors la restitution en commun de véritables talents d’orateurice ! Ou plutôt, de conteureuses. Ce fut réellement le point d’orgue de la journée. Ainsi, la « sombreur » du chapiteau laissa place à la lumière du dôme, comme si la clarté de l’espoir inspiré par les récits chassait l’obscurité des problèmes soulevés.
Dans ce type d’atelier, vous remarquerez l’influence de philosophes des futurs désirables, tels que Rob Hopkins, avec une invitation au « Et si… ? ». Cette invitation, née dans le milieu associatif, est proposées ici dans le milieu académique pour ouvrir le champ des possibles, et décloisonner la créativité des étudiant·es…
La journée One Health s’est officiellement conclue avec cet atelier de création de récits. Néanmoins, une conférence-débat facultative pour nos étudiant·es, fort sollicité·es pour l’occasion, a officieusement poursuivit le débat pour les plus enthousiastes. Une conférence-débat toujours autour de ce fameux concept du « One Health », à nouveau orchestrée par l’équipe du centre de recherche Spiral. Ainsi, 5 questions, véritables agglomérats des interrogations soulevées par les étudiant·es durant l’arpentage de la matinée, ont été élaborées par les chercheur·euses du centre et soumises à 5 autres chercheur·euses d’horizons disciplinaires variés. Etaient membres du panel : Nolwenn Bühler (anthropologue de la santé, Université de Neuchâtel (Suisse)), Maxime Pauwels (écologue, Université de Lille), Barbara Stiegler (philosophe, Université Bordeaux Montaigne), Evelyne De Leeuw (politologue de la santé, Université de Montréal (Canada)) et Kim Hendrickx (sociologue, Université de Liège). Les discussions ont (à nouveau) abordé la transdisciplinarité (sur sa mise en application), sur la nature même du One Health (peut-on le définir ? comment le traduire ?), sur comment ils et elles perçoivent ce concept (ont été discutées les faiblesses des concepts dits « parapluie », la perception qu’ils et elles avaient de ce qu’est un écosystème, leur relation à la complexité), ou encore les enjeux d’un pilotage démocratique de la science (qui était communément considérée dans le panel comme loin d’être aussi neutre qu’on le pense habituellement). Barbara Stiegler, marraine du festival Rêve Général, soutint alors : « Il faut assumer la dimension politique et démocratique de la science. [Les citoyens devraient] donc être acteurs du processus, sans pour autant [basculer dans une posture] de donneurs d’ordre. »
« Il faut assumer la dimension politique et démocratique de la science. [Les citoyens devraient] donc être acteurs du processus, sans pour autant [basculer dans une posture] de donneurs d’ordre. » Barbara Stiegler
C’est sur une invitation à poursuivre les discussions sous le Dôme du festival Rêve Général, festival hôte ayant posé ses chapiteaux sur la plaine du Département de géographie, que le rythme de cette journée commença à ralentir… Espérons, rêvons, que se poursuive ce chemin vers un décloisonnement des connaissances, vers plus d’échange entre disciplines, ainsi que vers une démocratisation globale et générale afin de pouvoir affronter de manière résiliente les défis actuels et futurs hérités du passé. Après cette rencontre conciliant « art, sciences et démocratie » au service d’une seule santé, humaine, animale et planétaire, nos étudiants et étudiantes sont reparti·es, nous l’espérons, avec des idées et des rêves porteurs d’un avenir meilleur !
Personnes à l’initiative de la journée
Marjorie Bardiau Nicolas Antoine-Moussiaux et Catherine Delguste, Céline Parotte, Hélène Dodion, Pierre Delvenne, François Thoreau, Kim Hendrickx, Mathias Sabbe, Lucas Bechoux, Valentine Meens, Sacha Frenay, Sarah Delvaux, Claire Wiliquet, Aurore Gaspar, Gilles Henrard
Bibliographie
Acato, A., & Simon, P. (2018). Contamination. Kana.
Luong, J. (2024). Dialogue avec le vivant. Le Quinzième Jour.
Robin, M.-M., Morand, S. (2022). La fabrique des pandémies : préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire. Pocket.
Rédaction : Jennifer Buxant, assistante communication chez Eclosio