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publié par UniverSud en Mai 2017
La xénophobie, le repli sur soi, la peur de l’autre montent un peu partout. Nous en avons beaucoup entendu parler en France lors des élections présidentielles avec le score historiquement haut du Front National, mais la Belgique, malgré sa réputation de nation chaleureuse et accueillante, n’y échappe pas. C’est en tout cas ce que montre l’enquête « Noir Jaune Blues »[1] publiée en janvier dernier par la RTBF. Cette enquête acte l’échec de la construction du vivre ensemble en Belgique. En effet, pour reprendre quelques chiffres deux tiers de la population considèrent qu’il y a trop d’immigrés, que nous sommes envahis, que cela constitue une menace pour notre société, son identité et ses valeurs et que cela représente une concurrence dans l’accès au travail et/ou à la protection sociale[2]. Les musulmans, trop souvent associés à l’islam radical et au terrorisme, sont en particuliers visés par cette peur et ce rejet. Le corollaire de cela est que 69% des musulmans se sentent regardés comme des étrangers alors qu’ils sont de nationalité belge. Ces quelques chiffres laissent poindre une spirale infernale de défiance et de rejet des uns et des autres.
Et pourtant ! Si cette enquête met en lumière une xénophobie exacerbée par les multiples crises en cours, elle n’en contient pas moins des signes d’espoir. En effet, un quart des répondants croient qu’une société meilleure est possible et veulent plus que jamais s’ouvrir à l’autre. Avec eux, nous pensons qu’il est possible de briser le cercle vicieux de la méfiance en multipliant les espaces de rencontre. Dans ce qui suit, je raconterai l’un de ces moments d’échange : le Forum Alternatif pour Bâtir une Rencontre Interculturelle et Citoyenne (FABRIC) auquel j’ai eu la chance de participer.
Qu’est-ce que la FABRIC ?
La FABRIC est une initiative organisée en été 2016 née de l’association entre trois associations actives dans trois pays différents : UniverSud-Liège en Belgique, Étudiants et Développement en France et Carrefour Associatif au Maroc. Ce projet avait pour but de tisser des liens et de construire une vision commune de la citoyenneté entre des jeunes de cultures différentes. Cet évènement organisé en deux voyages de 5 jours au cœur de la capitale française a permis à 8 étudiants de chaque pays d’échanger sur leur vision de l’Éducation à la Citoyenneté et la Solidarité Internationale (ECSI).
Qu’est-ce que la FABRIC nous a apporté ?
Des outils pédagogiques à exporter sans restriction
Pédagogiquement parlant, la FABRIC a été conçue dans le but de transmettre certaines compétences aux participants telles que l’expression en public, le développement de l’esprit critique et la pédagogie de l’éducation non-formelle.
Pour acquérir ces compétences, rien de mieux que de les appliquer dans un projet réel. Pour cela, nous avons formé des sous-groupes pour élaborer dans chacun d’eux un outil de sensibilisation à la citoyenneté mondiale et solidaire. Celui dont je faisais partie était en charge de créer un jeu de grande ampleur potentiellement transposable dans chacun des trois pays représentés. Après plusieurs sessions de brainstorming et d’organisation, nous avons créé un jeu haut en couleur, amusant et éducatif.
Notre idée est de proposer à des groupes de tous âges un grand jeu sur le thème du voyage dans le temps. Les participants sont envoyés dans un futur où le monde va mal, leur mission est alors de sauver la terre. Par équipe, ils passent de poste en poste où ils réalisent des épreuves. Chaque épreuve, en fonction de la réussite ou de l’échec, rapporte un cadeau ou un fardeau. Par exemple, mal réalisée l’épreuve sur l’environnement oblige l’équipe à porter deux couches de vêtements supplémentaires jusqu’à la fin du jeu – pour rappeler le réchauffement climatique. On le comprend donc, les épreuves sont en fait des moments de réflexion sur différentes thématiques telles que l’interculturalité, les problématiques liées à l’environnement et à la surconsommation.
Au-delà de ce grand jeu d’animation ludique et pédagogique, un deuxième sous-groupe a créé un théâtre-image : un outil qui par une mise en scène figée dénonce une situation et suscite la discussion alors qu’un troisième sous-groupe participait à un atelier d’écriture.
La réelle richesse : abondance interculturelle
Au-delà des nouvelles compétences acquises durant les deux sessions du forum, la formation nous a permis de nous rendre compte de la situation citoyenne dans les pays représentés et d’avoir accès à des points de vue inédits de personnes vivant au jour le jour certaines réalités, différentes des nôtres. Comment les jeunes au Maroc engagent-ils les personnes vivant dans les villages : principalement en marocain ou en français ? Les Belges arrivent-ils à toucher les trois parties linguistiques de leur pays ? Comment, en France, fait-on pour engager les citoyens dans des activités prônant l’interculturalité en dépit de la xénophobie montante suite aux multiples attentats terroristes ?
Ces questionnements, posés dans un espace multiculturel, donnent des clés précieuses pour comprendre l’autre. J’ai ainsi pu créer des liens forts malgré les kilomètres, et je peux désormais continuer à collaborer sur des projets d’ECSI avec les personnes rencontrées à la formation. En somme, je me sens grandie grâce à l’expérience vécue à la FABRIC.
Mais surtout, en ces périodes d’accroissement du repli identitaire, pouvoir rentrer chez soi et témoigner d’expériences positives contrecarre cette tendance au renferment. C’est ainsi que je peux raconter aujourd’hui comment une « simple » formation de dix jours m’a permis d’en apprendre plus sur la religion musulmane, d’évoluer par rapport au « clivage franco-belge » et de rencontrer des personnes de ma ville qui partagent mes idées sur le monde. En effet, j’ai eu l’occasion d’échanger avec plusieurs femmes musulmanes à propos de sujets qui m’étaient totalement étrangers : pourquoi portent-elles le voile ? Leur mariage et leur vie au Maroc, leur relation avec Dieu… Et leurs réponses aussi étaient teintées de diversité ! Une jeune femme à peine plus âgée que moi m’expliquait les désaccords qu’elle vivait avec ses parents sur le mariage alors que la coordinatrice de notre projet en sous-groupe, une femme mariée dynamique, m’expliquait à quel point elle chérissait sa relation avec son mari et celle avec son Dieu. En tant qu’agnostique, j’ai aussi pu discuter avec elles du lien entre la religion et la science et ai été surprise d’apprendre que de grands noms de la théologie musulmane étaient aussi des scientifiques.
Ensuite, il est vrai que, même si ce n’est pas ma plus grande fierté, j’ai toujours ressenti une sorte de « compétition » avec les français. Ayant déjà participé à des formations en France (même si celles-ci n’avaient rien à voir avec l’ESCI), j’ai déjà vécu des rencontres qui s’étaient moins bien passées, revenant toujours sur un schéma « les belges contre les français ». Pendant la FABRIC, cette rivalité s’est plutôt transformée en camaraderie.
Finalement, je chérirai longtemps la rencontre de plusieurs personnes de ma ville qui, pour la plupart, ont suivi leurs études dans la même université que moi. Sans cette initiative, je ne les aurais probablement jamais rencontrés et pourtant, deux semaines après notre retour en juillet, nous organisions déjà des week-ends ensemble pour visiter la capitale et souper les uns chez les autres, de véritables amitiés sont nées.
Bien sûr, comme dans toutes expériences, il y a aussi eu des désaccords. En mettant 24 jeunes personnes d’horizons différents dans une pièce et en leur demandant de débattre, il ne peut y avoir consensus immédiatement. En guise d’exemple, nous avons eu des désagréments pour construire l’outil pédagogique dont j’ai parlé plus haut. Nous n’étions pas toujours d’accord, principalement car nos expériences respectives de l’éducation à la citoyenneté dans nos pays étaient différentes. Ceci était d’autant plus enrichissant car, par la suite, quand nous arrivions à nous mettre d’accord, la solution choisie était un compromis, imprimé des expériences de chacun et par conséquent qui pouvait convenir à toutes sortes de publics ; ce qui n’aurait pas forcément été le cas si nous n’avions travaillé qu’avec des personnes venant du même milieu culturel.
Des espaces de dialogue à multiplier
Le projet de la FABRIC est un exemple, il y en a bien d’autres qui permettent de confronter nos diversités et de construire un dialogue.
Au-delà des compétences qu’ils permettent d’acquérir, ces projets de rencontres entre personnes de différents horizons créent des expériences interculturelles positives dont les participants peuvent ensuite témoigner. Ils deviennent alors porteurs d’un message d’espoir vis-à-vis du reste de la société : la diversité culturelle est une richesse, pas une menace. C’est en multipliant ce type d’échanges et de rencontres pour apprendre à connaitre l’autre et le comprendre que l’on luttera contre mettra fin à la spirale infernal de la peur et que l’on construira une société plus ouverte.
[1] Noir-Jaune-Blues est une enquête menée par l’lnstitut Survey&Action, dirigé Benoît Scheuer, sur commande de la Fondation Ceci n’est pas une crise avec pour objectif mesurer des représentations sociales des perceptions des Belges. Enquête complete: http://www.cecinestpasunecrise.org/content/uploads/2017/01/Noir-Jaune-Blues-Rapport-denquete-complet-Dec-2016-.pdf
[2] Il s’agit ici de perceptions qui en réalité sont biaisés. Par exemple, la proportion de musulmans dans la société est généralement très sur-évaluée : elle est estimée à 30% alors qu’elle n’est en réalité que de 5,8%. (Cfr enquête Noir Jaune Blues p.46). Pour une déconstruction des préjugés sur les migrants voir Amnesty : 10 préjugés sur la migration : https://www.amnesty.be/camp/asile/prejuges/nimportequoi