Bienvenus à l’Université. Quand étudier devient un luxe

Bienvenus à l’Université. Quand étudier devient un luxe
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Ce lundi 19 novembre 2018, le Premier Ministre français Edouard Philippe a annoncé une nouvelle stratégie pour attirer les étudiants internationaux dans l’enseignement supérieur français. En effet, les frais d’études pour les étudiants hors Union Européenne seront considérablement augmentés, il en résulte que ces étudiants devront payer dorénavant 2.770 euros en licence et 3.770 euros en master et doctorat[1].

Selon le gouvernement, cette initiative nommée « Bienvenue en France » vise à augmenter les moyens pour proposer un meilleur accueil aux personnes étrangères. Or, cette mesure cache une réalité toute autre ; celle d’une politique discriminatoire qui mettra en difficultés un grand nombre d’étudiants.

…Et en Belgique ?

L’actualité française rejoint la réalité belge. Il s’agit d’une réalité peu connue et pourtant, c’est une réelle entrave à l’équité. La question de l’inégalité du coût de l’enseignement supérieur entre étudiants européens et étudiants hors-UE se doit d’être remise sur la table.

 

Le minerval à payer afin de fréquenter une des Universités francophones en Belgique s’élève, sauf exceptions pour les ménages à revenus modestes, à 835 euros. Ceci ne concerne cependant que les étudiants issus d’un des pays de l’Union Européenne.

Les personnes ressortissantes d’un pays hors Union Européenne doivent quant à elles payer des frais d’inscription majorés.

Le 16 juin 2016, la Fédération Wallonie-Bruxelles a voté le décret « refinancement » de l’enseignement supérieur, qui prévoit que dorénavant l’ARES[2] est libre de demander jusqu’à 15 fois le minerval « normal » aux étudiants étrangers, soit jusqu’à 12.525 euros par an. Les frais d’inscription majorés ont notamment été fixés à 4.175 euros pour les non-ressortissants de l’UE, et ce, pour au moins une durée de 4 ans. Sont exemptés de payer ces frais majorés, en plus de certains cas exceptionnels, les ressortissants des pays les moins avancés, repris sur une liste officielle.

Notons qu’il ne s’agit pas uniquement d’une difficulté au sein des Universités, les Hautes Ecoles, elles aussi, pratiquent des frais d’inscription largement plus élevés pour les étudiants hors-UE.

En réponse à ce décret, des étudiants des différentes Universités ont rapidement commencé à se mobiliser sous le slogan « Non à la hausse du minerval des étudiants hors UE ! ». Dans ce contexte, des étudiants ont occupé l’Université libre de Bruxelles et l’Université Catholique de Louvain en avril 2017 afin de montrer leur désaccord avec ces mesures inégalitaires.

C’est ainsi que s’est mis en place le 2 mai 2017 une rencontre entre les recteurs des Universités, la délégation représentant les étudiants qui occupaient les bâtiments, des représentants du Ministère de l’Enseignement supérieur ainsi que des représentants de l’ARES. Cette rencontre a débouché sur des accords divers.

4175 euros ; cela correspond à 5 fois le prix que doivent payer les étudiants européens. Sachant que les étudiants qui doivent payer le coût « normal » de 835 euros se retrouvent déjà bien souvent en situation de précarité financière, cette inégalité devient encore plus frappante pour les étudiants étrangers.

D’autant plus que pour les personnes d’origine étrangère, des frais administratifs élevés s’ajoutent aux frais d’études. Cette réalité est décrite par un étudiant qui s’est trouvé dans cette situation dans son quotidien : « Ça ne s’arrête pas au minerval, on doit payer pour le renouvellement du séjour. On voit bien, les tarifs ont augmenté […]  Et après il faut vivre, il faut payer un loyer, c’est compliqué. ».

Sachant qu’un étudiant en Belgique a le droit de travailler pendant une durée maximale de 475 heures par an, il devient difficilement envisageable pour un étudiant hors UE, qui vit souvent isolé en Belgique, de pouvoir payer tout cela de façon autonome. C’est d’ailleurs ce que nous confirme l’étudiant interrogé : « Quand j’ai dû payer les 4.175 euros, je t’assure, ma famille a dû payer une partie, parce que c’était énorme je ne pouvais pas payer cela. »

Pourquoi majorer les frais d’inscription pour les non-ressortissants de l’UE ?

Trois arguments phares sont souvent avancés par les défenseurs de cette politique.

Un premier argument, qui a d’ailleurs été utilisé de la même manière en France par Edouard Philippe, consiste à dire que les étudiants concernés par cette majoration ont de toute façon les moyens pour payer un minerval plus conséquent. Cet argument, profondément simpliste, se base sur une vision stéréotypée des étudiants qui viennent faire leurs études en Europe. Certes, il ne s’agit certainement pas des personnes les plus pauvres de leur pays. Cependant, même si on suppose que ce ne sont que les personnes aisées du pays qui viennent, il est scientifiquement prouvé que la part de la population la plus riche dans les pays dits « du Sud » est en moyenne plus pauvre que la part de la population la plus pauvre dans les pays dits « du Nord ». Dans cette optique, cet argument perd entièrement sa valeur. Demander des frais d’inscription majorés mettra dans tous les cas en difficultés financières un grand nombre des étudiants concernés.

Le deuxième argument qui est souvent présenté par les défenseurs des frais majorés est l’argument financier, selon lequel les étudiants hors-UE ne devraient pas être à charge du gouvernement belge. Même en ignorant le fait que les étudiants étrangers européens ne devraient, selon cette logique, pas non plus être financés par la Belgique, cet argument rencontre bien d’autres paradoxes. Il ne faut pas perdre de vue que ces étudiants contribuent également à l’économie du pays car, en vivant en Belgique, ils consomment des biens et services et payent des taxes qui reviennent à l’Etat tout comme les étudiants d’origine belge.

Selon les statistiques de l’ARES, en 2015, 5,5 % des étudiants dans l’enseignement supérieur belge sont issus d’un pays hors UE. Il s’agit donc d’une part minime, qui devient encore moins significative si on retire de ces 5,5 % tous les étudiants venant d’un des PMA[3]. En gardant à l’esprit que l’enseignement supérieur a reçu, en 2016, presque 1,3 milliards d’euros de subsides[4] ; est-ce qu’il est vraiment nécessaire de réclamer des frais majorés au petit nombre d’étudiants hors-UE pour ne pas se mettre en difficultés financières ?

Finalement, un troisième argument consiste à dire que le fait de demander un droit d’inscription faible au niveau international reviendrait à créer un doute sur la qualité de l’enseignement. Cependant, cette vision largement élitiste de l’enseignement supérieur risque de renforcer un enseignement à deux vitesses, où seules les personnes les plus aisées, pourront se former comme elles le souhaitent.

Agir pour plus de solidarité

Il devient donc plus que visible que ces mesures, malheureusement peu connues au sein de la société civile, vont à l’encontre des discours d’ouverture et d’égalité des chances, prônés par les Universités et Hautes Ecoles.

C’est d’ailleurs sans doute un des rôles de l’Université de s’adapter à notre monde de plus en plus globalisé et de montrer aux étudiants l’immense richesse que nous apporte le partage des cultures.

Par conséquent, il importe de s’informer, de porter le débat dans l’espace public, et de montrer notre solidarité.

Finalement, c’est aussi aux décideurs politiques de prendre les mesures législatives nécessaires afin de créer un enseignement sans discrimination.

Pascale Felten, Volontaire Eclosio

Bibliographie :

 

[1] A titre de comparaison, un étudiant européen paiera 170 euros en licence et 243 euros en master.

[2] L’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (ARES) est la fédération des établissements d’enseignement supérieur francophones de Belgique.

[3] Pays les Moins Avancés

[4] Chiffres issus du rapport « La fédération Wallonie Bruxelles en Chiffre 2016 »