Des vaches pour la planète

Des vaches pour la planète
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publié par UniverSud en Septembre 2017

Dans un contexte de réchauffement climatique et d’épuisement des ressources, le secteur de l’élevage, et plus particulièrement celui des bovins, est mis à mal : pollution, compétition alimentaire, effets néfastes pour notre santé… Veaux, vaches et taureaux ont décidément bien mauvaise réputation.

La solution avancée par certains, qui consisterait à repenser l’agriculture sans productions animales, est non seulement simpliste, mais tout aussi dangereuse pour l’environnement que ne le sont les productions intensives. La présence des bovins dans nos paysages est capitale si nous voulons une agriculture durable.

LES MAUVAIS CHIFFRES

Inutile de nier l’évidence : oui, l’élevage bovin tel que nous le connaissons aujourd’hui est polluant et grand consommateur d’eau. Mais quelles données se cachent réellement derrière les chiffres?

Les bovins sont en grande partie responsables des 13% d’émission de Gaz à Effets de Serre (GES) dues à l’élevage. Le rapport de 2013 de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), Tackling climate change through livestock[1], montre que le coût environnemental le plus lourd revient à l’alimentation des animaux : les cultures de soja qui contribuent à la déforestation de la forêt amazonienne, l’utilisation massive d’engrais qui épuisent les sols, et le mauvais épandage des effluents (fumier, lisier) polluent les nappes phréatiques. Le bilan peut sembler sombre mais il contient en lui-même toutes les solutions. De plus en plus d’éleveurs recherchent déjà des alternatives au soja qui, outre son coût écologique, a un coût économique non négligeable. Quant à la gestion des effluents et à l’utilisation des engrais, les pollutions peuvent être réduites voire cessées en renouant le lien qui existe entre les productions végétales et animales. Concernant les rejets de méthane (que l’on désigne souvent par les « rots » des vaches), ils sont inhérents au processus de digestion des ruminants et donc difficiles à contrôler. Des études montrent qu’en augmentant la proportion d’aliments contenants peu de parois végétales (concentrés) aux dépens des fourrages ou encore en complémentant la ration avec du lin extrudé, c’est-à-dire du lin ayant subi un traitement thermomécanique permettant de le compresser, on peut diminuer la quantité de méthane dégagé lors de l’éructation. Il s’agit là de bonnes solutions, mais qui doivent être intégrées à l’ensemble du processus d’élevage. En effet, la distribution de concentrés se fait généralement aux dépends des surfaces enherbées et l’extrusion a un coût énergétique non négligeable. Il ne faut donc pas oublier que les chiffres ne sont que…des chiffres, et les défis environnementaux auxquels l’élevage fait face doivent être abordés dans le contexte d’un système intégré si l’on veut trouver des solutions durables.

L’exemple est encore plus flagrant avec l’empreinte eau. Si l’on reprend les chiffres du Water Footprint Network[2], il faut 15.415 litres d’eau pour produire un kilogramme de viande bovine et 1.020 litres pour produire un litre de lait. Mais à quoi est utilisée toute cette eau ? Pour 90%, il s’agit de la comptabilisation de l’eau de pluie présente dans le sol des terres cultivées et des prairies. Cette eau va être soit absorbée par les plantes, soit s’évaporer du sol et sera alors perdue en tant que ressource. En tenant compte de ce système de calcul, l’empreinte eau n’est donc pas un repère absolu pour définir un système durable. En effet, plus un élevage aura de prairies, plus son empreinte eau sera importante. Au contraire, un élevage où les vaches sont en claustration totale aura une empreinte eau plus faible.

Nous voyons que ces pollutions tiennent plus à notre façon de raisonner l’élevage qu’à la présence même des ruminants dans notre système agricole. Les bovins sont même indispensables à la mise en place d’une agriculture durable.

LA VIE EST UN CYCLE

La vache mange l’herbe, la digère, puis fertilise le sol par ses déjections, permettant ainsi à l’herbe de repousser. Même si la réalité est plus complexe, on peut retenir que ce cycle permet la circulation de l’azote, un élément nécessaire à la fertilité du sol. Sans déjections animales, on doit apporter cet élément d’une autre source, avec des engrais chimiques. Sur le long terme, ces engrais détruisent la flore et la faune des sols, augmentant le risque de désertification lorsque les terres ne sont plus cultivables. Il y a donc aberration à défendre une agriculture durable tout en cherchant à supprimer l’élevage, puisque c’est justement de la rupture du lien entre végétal et animal que sont nés la plupart des problèmes environnementaux que l’on connait.

L’élevage bovin a de plus la particularité de valoriser les prairies. En effet, sans les ruminants, pas de prairies. Ces terres seraient soit des friches soit des cultures, alors que les pâturages sont essentiels dans la lutte contre les émissions de GES et dans la préservation des sols. Les prairies permanentes, c’est-à-dire non labourées, constituent ce que l’on appelle des « puits de carbone », au même titre que les océans ou les forêts, ce qui veut dire qu’il y a plus de dioxyde de carbone atmosphérique capté par les plantes qu’il n’y en a de libéré. Ainsi, selon les élevages, le dioxyde de carbone capté par les prairies peut compenser de 5 à plus de 50% des émissions de méthane dues. Les sols de ces prairies sont également plus riches en biodiversité botanique et animale que les sols cultivés, ils sont préservés de l’érosion et permettent le réapprovisionnement des nappes phréatiques en eau pure.

L’enjeu consiste donc à retrouver un équilibre entre animaux et végétaux, les uns ne pouvant se développer sans les autres.

VACHES OU CEREALES : IL N’EST PAS NECESSAIRE DE CHOISIR

Une autre critique souvent entendue concerne la compétition alimentaire. Ce n’est pas un secret : une vache, ça mange. Et ça mange même beaucoup. Alors faut-il supprimer l’élevage pour que les céréales utilisées dans l’alimentation des animaux soient directement destinées à l’alimentation humaine ?

Depuis les années soixante, les productions mondiales de céréales n’ont fait qu’augmenter (à part ces dernières années, à cause du réchauffement climatique). Malgré cela, il n’y a jamais eu autant de personnes souffrant de la faim, dont la moitié d’entres elles sont des agriculteurs. D’un point de vue planétaire, les problèmes de sécurité alimentaire sont plus dus à une mauvaise répartition des richesses, au gaspillage et à la vulnérabilité des petits producteurs face aux aléas climatiques et géo-politiques plutôt qu’à un manque absolu de nourriture.

Il est d’ailleurs faux de croire que les vaches, même dans les élevages les plus intensifs, ne sont nourries qu’au maïs et au soja. Ces aliments sont utilisés uniquement pour complémenter en énergie et en protéines les animaux avec des besoins importants (comme les vaches en lactation). Même lorsqu’ils constituent une part importante de l’alimentation, plus de 60% de la ration reste des fourrages. En effet, comme nous l’avons dit un peu plus haut, les vaches mangent de l’herbe et c’est même là tout leur intérêt : grâce à leur processus digestif si particulier, elles sont capables de valoriser des aliments non consommables par l’être humain et de les transformer en protéines de haute qualité (entendons ici, lait et viande). C’est par exemple le cas des déchets de l’agro-industrie qui ne pourraient être valorisés autrement : drêches de brasserie, pulpes de betteraves après extraction du sucre, etc.

L’alimentation des bovins peut et doit être repensée pour diminuer son impact écologique, mais la compétition pour les ressources alimentaires n’est pas due à la présence des animaux mais aux inégalités entre les hommes.

LAIT ET VIANDE NE SONT PAS NEFASTES POUR LA SANTE

Dans le domaine de la santé, plusieurs types d’arguments sont avancés.

Basés sur des considérations anthropo-anatomo-physiologiques, les premiers types d’arguments rapportent que notre corps ne serait pas conçu pour digérer le lait ou la viande. Mettons-nous d’accord sur ce point : notre système digestif possède toutes les enzymes et les organes nous permettant, non seulement de digérer ces aliments, mais aussi de les assimiler. S’il est vrai que nous sommes les seuls mammifères à consommer encore du lait à l’âge adulte, c’est que le gène de l’enzyme nous permettant de le digérer, la lactase, a muté chez certaines populations humaines il y a de cela déjà plusieurs milliers d’années. Il est vrai cependant que certaines personnes sont dépourvues de cette enzyme, ou la voient diminuer avec l’âge, ce qui provoque de l’intolérance. De même, certains possèdent l’enzyme mais développent une réaction immunitaire excessive à l’encontre des produits laitiers, causant de l’allergie. Cependant, remet-on en cause la consommation des fruits à coques et leurs effets bénéfiques parce que l’on peut être allergique aux noix?

Concernant les risques pour notre santé, si certains cancérologues condamnent le lait pasteurisé aucun nutritionniste ne conseille pour autant d’arrêter toute consommation de produits laitiers. C’est le processus de pasteurisation qui est mis en cause, non le lait. Quant à la viande de bœuf, elle est source de cholestérol et il faut la considérer avec modération, comme tous les aliments. L’augmentation dans nos sociétés de maladies telles que les problèmes cardio-vasculaires ou l’obésité sont tout autant à mettre en relation avec notre consommation croissante de sucres et de graisses saturées présents dans la nourriture industrielle.

La question des antibiotiques et des hormones véhicule également beaucoup de craintes. Il faut savoir que les antibiotiques ne peuvent être utilisés qu’à des fins médicales et non pour stimuler la croissance des animaux, cette pratique étant interdite dans toute l’Union Européenne depuis 2006[3]. Leur usage est d’ailleurs strictement contrôlé par l’Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaine Alimentaire (AFSCA). Il faut aussi se rassurer sur le fait que les antibiotiques administrés à une vache malade ne se retrouvent pas dans nos assiettes. En effet, l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé a déterminé pour chaque produit utilisé en élevage « le temps à respecter entre la dernière administration du médicament à usage vétérinaire et la collecte des denrées alimentaires, ou la période durant laquelle le lait [et la viande] ne peuvent pas être utilisés pour la consommation humaine. A l’issue de ce temps d’attente, la teneur en substances actives provenant du médicament est suffisamment basse pour être considérée comme inoffensive ». On considère ainsi qu’une personne de 60 kg peut manger 500g de viande et boire 1.5L de lait tous les jours de sa vie sans apercevoir d’effets sur sa santé liés aux résidus d’antibiotiques. De quoi satisfaire les appétits les plus voraces. La transmission d’antibio-résistance de l’animal à l’homme est pourtant une grande source d’inquiétude, bien que les cas recensés restent extrêmement rares. Ces cas ont pour origine l’ingestion ou le contact direct avec une bactérie multi-résistante venant d’un élevage. Il est donc évidemment primordial de pratiquer l’usage raisonné des antibiotiques, mais de même que les résistances qui apparaissent chez les animaux proviennent de l’usage d’antibiotiques en médecine vétérinaire, les résistances qui apparaissent chez l’homme sont dues aux traitements utilisés en médecine humaine. En aucun cas nous ne développons de résistance antibiotique par l’ingestion de résidus de médicaments dans le lait ou la viande.

A propos des hormones, après les scandales des années 1980 pendant lesquelles des éleveurs, des vétérinaires et des pharmaciens ont fait leur beurre en utilisant ces substances pour accroitre artificiellement la croissance des bovins, la législation belge est devenue l’une des plus sévère sur le sujet et l’AFSCA procède à des contrôles fréquents. Pour l’heure, certaines hormones sont encore utilisées en production bovines, notamment pour le traitement des troubles de la reproduction, mais possèdent elles aussi un temps d’attente soumis à la législation européenne[4] pour protéger notre santé.

Avant de nous priver de lait ou de viande, il ne faut pas oublier que ces aliments nous apportent des nutriments essentiels que l’on retrouve difficilement ailleurs, comme la vitamine B12, indispensable au bon fonctionnement cellulaire, ou encore le calcium, la vitamine D, etc. Beaucoup de végétariens/végétaliens doivent se complémenter pour compenser leurs carences alimentaires. Nous devons rééquilibrer nos régimes et non les déséquilibrer en se privant de toute source de protéines animales.

ALORS, QUELLES SOLUTIONS ?

Finalement, entre ce qui est bon pour notre santé, bon pour la planète et bon pour notre porte-monnaie, on ne sait plus vraiment que choisir. Faut-il continuer à consommer de la viande et du lait, même s’ils sont issus de l’élevage conventionnel (sans label) ? Vaut-il mieux privilégier la production locale ou l’agriculture biologique ? Si de la viande « bio » est produite loin de chez nous et qu’il a fallu la transporter sur de longues distances, son impact environnemental est-il meilleur ou pire que celui d’une vache qui a pâturé « conventionnellement » dans la prairie voisine ?

En vérité, il n’existe pas de solution miracle. Acheter local permet de court-circuiter la grande distribution et a un impact social et environnemental positif, et si vous visitez quelques fermes autour de chez vous, je suis même sûre que vous vous rendrez compte qu’il n’est pas nécessaire d’être labélisé « Agriculture biologique » pour garantir de bonnes pratiques d’élevage. Cependant, pour celui qui ne connait pas d’éleveurs, le système de labels est un repère essentiel et celui d’« Agriculture biologique» garantie des pratiques respectueuses des animaux et de l’environnement. La question du coût ne doit pas non plus être négligée : la viande et les produits laitiers transformés coûtent chers, si on les achète à leur juste valeur. Les prix concurrentiels proposés par la grande distribution ne peuvent être maintenus que grâce à un élevage intensif.

Alors, que consommer pour se faire plaisir tout en restant en accord avec nos valeurs ? Je pense qu’il faut commencer par se pardonner d’être des humains faits de contradictions : on peut défendre l’élevage local mais acheter des bananes ou des avocats qui ont fait un sacré long voyage avant d’atterrir dans nos paniers. Il revient à chacun de faire ses choix, tant qu’ils sont éclairés, selon ses moyens et ses envies. Connaissons les opportunités et les limites de chaque mode de consommation pour garder le débat ouvert et éviter les jugements hâtifs.

Pour conclure, il est tout à fait compréhensible que certaines personnes refusent de consommer tous produits d’origine animale lorsque cela va à l’encontre de leur éthique personnelle, mais il ne faut pas tomber dans le piège des justifications scientifiques douteuses pour appuyer ce choix. L’élevage est nécessaire à une agriculture saine et durable.

Enfin, rappelons que l’élevage est un moyen de subsistance pour des milliers d’hommes et de femmes, voisins, amis, connaissances, travaillant dans un contexte difficile : pressions financières exercées par les grands groupes de l’agro-industrie et de la distribution, mondialisation et concurrence internationale, crises sanitaires, etc. Certains s’en sortent bien, mais d’autres y laissent des plumes. De nombreuses solutions adaptées aux problématiques individuelles existent déjà : circuits courts, autonomie fourragère, etc. A nous de soutenir ces initiatives en privilégiant leurs produits et non en les délaissant.

 

 Laure HAELEWYN

 

[1] http://www.fao.org/docrep/018/i3437e/i3437e00.htm

[2] http://waterfootprint.org/en/water-footprint/product-water-footprint/water-footprint-crop-and-animal-products/ et http://waterfootprint.org/en/water-footprint/what-is-water-footprint/

[3] Directive 96/22/CE modifiée par les Directives 2003/74/CE et 2008/97/CE

 

[4] Règlement (CE) n° 470/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2006 établissant des procédures communautaires pour la fixation des limites de résidus des substances pharmacologiquement actives dans les aliments d’origine animale et Règlement (UE) n° 37/2010 de la Commission du 22 décembre 2009 relatif aux substances pharmacologiquement actives et à leur classification en ce qui concerne les limites maximales de résidus dans les aliments d’origine animale