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publié par UniverSud en Novembre 2016
Nous aurions pu, dans cet article, vous parler de ces 400 exploitations agricoles qui disparaissent en moyenne en Wallonie chaque année[1]. Nous aurions pu vous faire remarquer que malgré un marché de l’alimentation conséquent —chaque citoyen, ou presque, prend trois repas par jour— les producteurs peinent à gagner leur vie. Pire constat encore, parmi le milliard de personnes souffrant de la faim dans le monde, 750 millions sont des personnes qui travaillent la terre[2]. Nous aurions également pu vous rappeler, si besoin en était, que les fruits et légumes nécessaires à une alimentation équilibrée sont tellement arrosés de pesticides et d’engrais chimiques qu’ils en deviennent risqués pour notre santé et pour l’environnement. Nous aurions tout aussi bien pu vous narrer la concurrence brutale entre les petits agriculteurs et les giga-exploitations, la difficulté d’acquérir des terres pour les fermiers qui souhaitent se lancer, les jardiniers criminalisés sitôt qu’ils utilisent des semences non-brevetées. Nous aurions pu vous expliquer que 75% du commerce international des céréales est entre les mains de cinq grandes entreprises qui contrôlent toute la chaine des semences à la distribution[3], et l’extrême dépendance des systèmes alimentaires à des transnationales qui, loin d’avoir pour objectif de nourrir la planète, cherchent avant tout le profit. Nous aurions pu attirer votre attention sur le fait qu’il est plus facile d’acheter une pomme de Nouvelle-Zélande que du village d’à côté. La liste des aberrations de nos systèmes alimentaires serait longue, certains allant jusqu’à diagnostiquer ces derniers comme au bord de l’effondrement[4]. Ces constats sont certes nécessaires mais nous ne nous y attarderons pas. Ce sont bel et bien les solutions que nous voulons mettre en lumière ici, en nous tournant résolument vers les systèmes alimentaires alternatifs en construction dont un exemple local est celui promut par la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise.
Les jalons de l’utopie
La Ceinture Aliment-Terre Liégeoise commence par un rêve : celui de parvenir à fournir 50% de la demande alimentaire liégeoise avec des aliments produits localement dans les meilleures conditions écologiques et sociales à l’horizon de 25-30 ans. Il s’agit d’un saut quantitatif et qualitatif : les parts de marché pour de tels produits doivent être aujourd’hui inférieures à 5%. La demande pour des produits locaux de qualité différenciée ou bio est bien là, preuve en est le développement important des systèmes de paniers de légumes et autres Groupes d’Achat Commun. De manière générale : le « local », le « bio » et le « de saison » deviennent de bons arguments de vente. La demande potentielle est finalement supérieure à l’offre, et même si de plus en plus d’initiatives de production et de distribution prometteuses voient le jour, il reste de nombreux obstacles à lever.
Afin de réfléchir à ces obstacles et de se munir d’un plan d’action, une grande réunion fut organisée en automne 2013. L’évènement a réuni près de 180 des protagonistes des systèmes alimentaires liégeois, du producteur au consommateur en passant par des distributeurs et des représentants des pouvoirs publics, avec une question clé : comment transforme-t-on les systèmes alimentaires pour arriver à l’objectif d’une consommation la plus locale possible, produite dans de bonnes conditions à l’horizon des 25-30 ans. Sur base d’un forum ouvert, méthodologie de création d’intelligence collective participative et dynamique à l’appui, les différents acteurs ont déterminé les chantiers concrets pour arriver à cet objectif : quel accès à la terre ? Aux semences ? Comment assurer la logistique de distribution sans que celle-ci capte une partie trop importante de la marge ? Comment financer les nouveaux projets ? Quelle sensibilisation du grand public ? Quel est le prix « juste » : accessible pour les consommateurs et viable pour les producteurs ? Pour chaque chantier, des sous-groupes se sont mis à la recherche de pistes d’action. Ils ont identifié les difficultés, les obstacles, les freins, mais aussi les ressources et les opportunités, ainsi que les premières étapes de ces entreprises. En sont sortis des groupes de travail chargés de creuser chaque question.
Principes et intention de la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise
- Favoriser l’accès de tous à une nourriture de qualité, produite dans des conditions écologiquement et socialement décentes.
- Renforcer la souveraineté alimentaire des populations, ici comme ailleurs.
- Soutenir le développement de modèles d’agriculture, d’élevage et de transformations alimentaires moins dépendants des ressources non-renouvelables et plus respectueux des écosystèmes et de la santé humaine.
- Se réapproprier collectivement les enjeux de la filière alimentaire et construire des alternatives crédibles contribuant à récupérer la marge économique captée par les acteurs de la grande distribution via ses centrales d’achat, afin de rendre un véritable pouvoir économique aux producteurs et aux consommateurs. Pour ce faire, privilégier les acteurs de la distribution qui n’ont pas la maximisation du profit pour principale finalité –d’où notre référence à l’économie sociale et au circuit court.
- Contribuer à la redynamisation de l’économie liégeoise et à la création de nombreux emplois autour de projets qui consacrent la primauté du travail sur le capital, en matière de production, de distribution et de transformation alimentaire –ce dernier type d’activité, générateur d’une forte valeur ajoutée, étant particulièrement sous-développé en Wallonie.
- Créer une alliance ville-campagne sur le mode : la campagne nourrit la ville, la ville soutient l’agriculture locale, notamment paysanne et/ou agro-écologique, par ses choix de consommation, d’épargne et d’investissement.
- Favoriser la rencontre entre les acteurs professionnels de la chaîne alimentaire et les consommateurs, ainsi que la reconnaissance de leurs intérêts réciproques. À partir de là, définir ensemble ce qu’est la qualité de l’alimentation dans toutes ses dimensions (organoleptique, gustative, sanitaire, écologique, sociale), accepter collectivement d’en payer le prix, et répartir ce prix de manière juste.
- Construire un réseau d’acteurs et des synergies sur un mode de coordination décentralisé.
- Faire le choix de l’ouverture : nous sommes désireux de travailler/réfléchir avec tous ceux qui partagent globalement les principes et objectifs énoncés ici, qu’ils soient labellisés bio ou pas, qu’ils se réclament de l’économie sociale ou pas, etc.
Avec le temps, ces groupes de travail ont voulu dépasser le simple stade de la réflexion et passer à l’action. L’énergie présente au sein de la ceinture alimentaire s’est alors concentrée sur la réalisation de projets concrets massivement incarnés dans des coopératives.
La coopérative, un vecteur vers l’utopie
Au fil des réflexions, le modèle coopératif est apparu comme le mieux à même d’impulser le modèle alternatif désiré. En effet, la coopérative permet de concentrer à la fois des compétences et de l’énergie en réunissant des individus autour d’un projet. Elle permet également de faire appel à l’épargne citoyenne pour rassembler le capital nécessaire pour le financement. Par ailleurs, une coopérative sous-entend une certaine gouvernance proche des principes démocratiques et inscrite dans des statuts afin de s’organiser. Ce n’est pas un bateau à la dérive mais une organisation avec des objectifs, un plan d’affaire, des règles de fonctionnement et surtout une finalité sociale : de souveraineté alimentaire, par exemple, ou le soutient à l’agriculture porteuse de sens.
Pour toutes ces raisons, sans que cela ait été forcément prévu, les premières initiatives développées au départ de la dynamique ceinture alimentaire sont des coopératives à finalité sociale. Les Compagnons de la Terre est le premier des projets, le plus emblématique, le plus avancé, directement issu de la Ceinture Aliment-Terre. Les meilleures idées des groupes de réflexion ont été capitalisées et injectées dans cette coopérative qui englobe quasiment l’ensemble de la filière : maréchage, culture céréalière, élevage, arboriculture fruitière, transformation. Pendant un an, le projet a été porté uniquement par des coopérateurs bénévoles, qui ont cultivé un demi hectare et commercialisé une quarantaine de paniers par semaine. En 2016, Les Compagnons ont pu engager trois employés et espèrent créer 20 emplois d’ici 2020. Les perspectives sont bonnes : la coopérative a obtenu de la Région Wallonne un financement pour développer des infrastructures qui leur permettra de faire de la fromagerie, de la charcuterie, de la meunerie et de la boulangerie sur le site de production en pays de Herve. En ce qui concerne la gouvernance, lors de l’assemblée générale, aucun actionnaire n’a un pouvoir de vote supérieur à 5% des votes présents représentés. Cela signifie que si un actionnaire achetait 99% des parts des Compagnons de la Terre, il n’aurait que 5 % des voix à l’AG. Le pouvoir de vote de chaque coopérateur est ainsi plafonné, ce qui permet de se rapprocher d’un principe démocratique.
D’autres projets émergent dans la dynamique de la ceinture aliment’terre : la brasserie coopérative liégeoise, la coopérative Rayon9, qui fait du transport urbain en vélo, et Cycle en Terre qui produit des semences locales de variétés biologiques. Dans les mois qui viennent, d’autres coopératives à finalité sociale devraient voir le jour : Fungi Up, qui fait pousser des champignons sur du marc de café récupéré dans l’horeca liégeois. Le Cynorhodon, quant à lui, impulse la création d’une coopérative dont l’objectif sera la transformation de fruits et légumes. On peut également citer la Coopérative ardente qui a rejoint la dynamique de la Ceinture Aliment-Terre et qui distribue des produits locaux, de qualité différenciée et/ou, éthiques avec une volonté de rémunération équitable pour les producteurs.
Dynamiser les circuits courts
La création de projets d’alimentation en circuit court sur le modèle coopératif est une lame de fond. On perçoit bien les perspectives de redéploiement économique que le phénomène laisse présager ainsi que le caractère vertueux de cette tendance : développement d’une agriculture durable et d’emploi, meilleures gouvernances des circuits, diminution de la dépendance et de la vulnérabilité face aux circuits agro-alimentaires planétaires.
Le rôle de la Ceinture Aliment-Terre est de créer du lien entre ce foisonnement d’initiatives, de leur offrir une certaine visibilité, de mettre en relation les projets naissants et l’écosystème déjà en place et enfin, de permettre de faire des économies d’échelle. L’objectif étant de créer un réseau dynamique entre partenaires partageant les mêmes valeurs. Si, pour l’instant, ce réseau a plutôt fonctionné sur l’interconnaissance, les promoteurs de la ceinture alimentaire réfléchissent à se munir d’une charte et à développer un système d’adhésion pour élargir le mouvement.
Cette multiplication d’initiatives qui fonctionnent bien, qui génèrent de l’adhésion, qui arrivent à produire de l’alimentation de bonne qualité en étant de plus en plus viables sur le plan économique et qui ont un potentiel de reproductibilité, nous laissent penser que l’objectif des 50% de l’alimentation produite localement dans de bonnes conditions écologiques et sociales est une utopie réaliste.
Et moi dans tout ca ?
En tant que citoyen, il existe bien sûr la possibilité d’orienter nos achats vers les aliments locaux produits dans de bonnes conditions. Pour cela les lieux d’achats ne manquent pas : vente à la ferme, paniers de légumes, groupes d’achat, vente dans les commerces de proximité et les marchés dont le marché court-circuit, certains restaurants servent également des produits issus de l’agriculture locale[5]. Pour ceux déjà engagés dans ce genre de circuit, partager son expérience peut donner envie à d’autres d’en faire de même. Par ailleurs, en tant qu’étudiant, pourquoi ne pas interpeller les autorités de l’Ulg pour que les repas servis dans les cafétérias de l’université soient composés le plus possible d’aliments locaux produits dans de bonnes conditions écologiques et sociales. Enfin, une bonne connaissance des problématiques liées à la production locale d’alimentation peuvent être précieuses pour renforcer les dynamiques et fournir d’excellents sujets de fin d’études.
Christian Jonet
Coordinateur de la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise
Claire Wiliquet
Permanente chez UniverSud
[1] Direction générale opérationnelle de l’Agriculture, des ressources naturelles et de l’Environnement, Département de l’Etude du Milieu naturel et agricole, Direction de l’Analyse économique agricole, L’agriculture wallonne en chiffres, 2016. : http://www.reseau-pwdr.be/sites/default/files/Complet_FR_2016.pdf
[2]Retour sur la conférence d’Olivier De Schutter ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation et Jean-Jacques Grodent responsable du service information et plaidoyer d’SOS-Faim : Wiliquet C. Le monde a faim. Constats et Solutions, Centre Avec, juillet 2012. http://www.centreavec.be/site/le-monde-faim-constats-et-solutions
[3] ibid
[4] C’est le cas par exemple de Pablo Sevigne et Raphaël Stevens dans Comment tout peut s’effondrer, Seuil, 2015
[5] Vous trouverez des bonnes adresses pour vous fournir en produits locaux dans le guide solidaire (adresse sur le site)