- Belgique
- Analyses et études d'éducation permanente
Cette analyse développée depuis l’expérience d’Eclosio aborde la question de l’inclusivité dans une organisation internationale et propose des pistes pour assurer un degré de participation adéquat, une agilité suffisante et cohérence dans la prise de décision pour une réussite partagée pour une organisation et ses employé·es.
Une analyse de Sophie PASCAL, coordinatrice générale d’Eclosio
Lire l’analyse en version WORD
Eclosio est une organisation non gouvernementale (ONG) internationale, avec des bureaux dans divers pays¹ et des pratiques de travail qui se veulent collaboratives.
Les ONG travaillent dans des contextes de « superdiversité » : au niveau des pays dans lesquels elles agissent ici et là-bas, des populations qu’elles accompagnent, des partenariats avec lesquels elles réalisent leurs actions (société civile, administration publique, université), de ses leurs équipes… Cette superdiversité est un atout et un enjeu. Pour répondre aux défis globaux d’aujourd’hui, les ONG doivent être en capacité de développer des dynamiques évolutives, de surmonter la dichotomie « nord et sud », de mettre en mouvement leurs équipes, les inscrire dans des dynamiques professionnelles, de rendre concret le concept d’organisation apprenante pour chacun et chacune. Ce n’est qu’à ces conditions qu’elles réussiront à impulser des changements durables auprès des publics avec et pour lesquels elles travaillent.
Chez Eclosio, le respect de la diversité fait l’objet du premier engagement de notre charte éthique : « Respect et valorisation de l’autre dans ses différences »².
Cependant, mal « appréhendée », la diversité peut être source de conflits et de paralysation, de conformisme et de frustrations. Des avis et apports diversifiés peuvent ne pas pouvoir s’exprimer (autocensure, et déficit d’espaces adéquats), ne pas être écoutés, confrontés, valorisés (déficit de cadre, d’espaces et de méthodologie) ou ne pas déboucher sur des décisions claires et assumées (mécanismes peu clairs de co-construction, de prise de décision…).
Mettre en mouvement la diversité au cœur de la gestion d’une ONG, en faire le centre de son dynamisme et évolution n’est pas naturel… Cela demande beaucoup de réflexion, ainsi que la définition d’espaces et d’outils. Cela passe par l’inclusivité. L’inclusivité au sein d’une organisation complète celui de diversité³.
Eclosio s’attèle en conséquence à approfondir ce concept d’inclusivité. Cette volonté se retrouve dans notre projet d’Education Permanente autour de l’inclusivité.
Cette analyse a l’objectif de se concentrer sur l’inclusivité au sein de l’organisation, dans sa structure et son fonctionnement⁴.
Une entreprise inclusive est une organisation qui célèbre la diversité (âge, genre, orientation sexuelle, origine culturelle, etc.) et favorise l’acceptation des différences en œuvrant activement contre tout phénomène d’exclusion ou de discrimination. L’inclusivité sur le lieu de travail se caractérise par le fait de s’appuyer sur les qualités individuelles de chacun·e pour faire de cette diversité un atout pour l’organisation. C’est donc permettre à chacun·e d’être qui il/elle est et de donner le meilleur de lui/elle dans un collectif. Une culture partagée se développe, favorisant, l’innovation, le changement et la performance. Chacun·e est amené·e⁵ à contribuer à la réussite du collectif. Tant les individus que l’organisation sont gagnantes.
Mais en quoi consiste une culture d’entreprise inclusive ? Comment assurer que la diversité et l’inclusivité sur le lieu de travail soit une réussite commune pour l’organisation et ses employé·es ? Eclosio a entrepris en 2023 une réflexion sur ce sujet, spécifiquement au sein de son siège.
Selon Scharnitzky et Stone (2021), les quatre piliers de l’inclusivité dans une organisation sont :
- La transversalité des actions (inclusivité systémique), ce qui implique de développer des actions transversales qui parlent et sont accessibles à toutes et tous, et abordent des « sujets »/thématiques plutôt que s’adresser à un groupe/population particulier·e. Il s’agit de lutter contre la stigmatisation et les stéréotypes.
- Le respect de l’unicité de chacun·e tout en préservant le partage (inclusivité identitaire). L’organisation a besoin de faire exister ses valeurs, vision, mission et donc « sa culture ». D’un autre côté, tout·ee salarié·e est singulier·e, unique. Quand la culture partagée rencontre l’unicité de chacune, ces besoins peuvent s’affronter, et c’est dans l’équilibre que nait l’inclusivité.
- L’équité et le sentiment de justice (inclusivité éthique). Elle se vit au quotidien et implique une transparence sur les (processus de) décisions prises, garantissant le sentiment de justice. L’inclusivité doit garantir une comparaison juste entre :
- Au niveau individuel : les contributions (ce que chacun investit) et les rétributions (ce que chacun en retire), et
- Au niveau collectif : l’équité entre les divers membres de l’équipe.
- La coopération intégrative (inclusivité collective). Il s’agit des dynamiques par lesquelles les diversités sont mises en relation et mouvement dans la complémentarité, la confrontation ou encore la solidarité. La question des dynamiques d’équipes, de la co-construction ou des modalités de consultation et de prise de décisions sont au cœur de ce pilier.
Eclosio a réalisé une première étude sur sa gouvernance lors d’une réunion thématique le 6 février 2023. L’équipe a défini sa gouvernance comme étant : « un processus… davantage participative⁶ qu’entièrement horizontale ».
Les principes suivants ont été définis par l’équipe. Ces principes d’une gouvernance participative se retrouvent dans les quatre piliers de l’inclusivité et rejoignent les caractéristiques d’une gouvernance inclusive. Ces principes sont aujourd’hui partiellement réalisés mais la route reste longue pour tous les respecter :
La transversalité des actions : existence de mécanismes de consultation et délibération accessible à toutes les parties concernées par le sujet traité (y compris entre le siège et les terrains); cadre de fonctionnement et procédures valables pour tou·tes, et clairement communiqués.
Le respect de l’unicité de chacun·e tout en préservant le partage :
- Au niveau individuel : encouragement de la curiosité et créativité ; écoute et respect, management de proximité, droit à l’erreur et apprentissage, confiance, reconnaissance.
- Au niveau collectif, co-construction des valeurs et stratégies ; appropriation de l’organisation (valeurs, vision, mission et stratégies) par chacun·e (dans des dynamiques de croisements et d’échanges entre le siège en Belgique et nos équipes dans nos pays d’intervention),
L’équité et le sentiment de justice : l’équitabilité (quantitative et qualitative) – écoute) dans la prise de parole – nécessitant la prise de conscience des inégalités; clarté et communication des règles de fonctionnement, des modalités de prises de décision et de suivi, des décisions et leur justification, du cadre, des responsabilités.
La coopération intégrative : Modalités et espaces de collaboration et débats entre les divers pôles/équipes, en évitant le travail en silo ; anticipation et proactivité ; responsabilités individuelles et collectives, communiquées et légitimées ; prises de décisions efficaces, et suivies (et assumées par chacun quand elle sont prises dans un cadre collectif) ; ouverture et adaptation dans les collaborations avec des équipes ou des organisations ayant des cadres différents.
Lors de son atelier réalisé en mai 2023, Eclosio a poursuivi sa réflexion sur la question de l’inclusivité institutionnelle. Celle-ci complète, concrétise et qualifie l’aspect « participatif » de la gouvernance d’Eclosio, mise en avant en février. Voici pour exemple, les contributions à la nuance et précision apportées à la définition d’inclusivité pour Eclosio :
Des aspects liés à l‘augmentation de la diversité (plus de femmes, notamment dans les équipes béninoises, intégration de personnes moins valides, personnes de différentes cultures et origines au sein d’une même équipe/pays, …) nécessitent une réflexion sur l’accessibilité pour tous et toutes (physique au bureau par exemple) et la non discrimination lors des processus de recrutement par exemple (modalités et contenus des tests et entretiens). Des efforts sont à faire sans tomber dans la « discrimination positive » (favoriser les femmes par exemple), qui facilement peut entrainer une augmentation des stéréotypes et stigmatisation.
D’un côté, la complexité d’Eclosio est croissante : Eclosio est présente dans divers pays, avec des tailles et gestions d’équipes et organigrammes différents dans chaque pays (bien que répondant aux mêmes valeurs et charte éthique), et développe un nombre croissant de projets et d’actions. Eclosio garantit cependant sa cohérence autour de son plan stratégique⁷ et de ses principes éthiques. Sa gouvernance et les prises de décision liées sont donc complexes, fréquentes et diversifiées. Eclosio doit garder un mode de décision agile. Les principes d’inclusivité semblent trouver des limites au niveau des moyens dont l’organisation dispose, en termes financiers (réalisations d’ateliers) et temporels (temps consacrés aux réunions et échanges).
Cependant, ces principes inclusifs, notamment au sein de sa gouvernance et de son fonctionnement sont réaffirmés comme fondamentaux. Les bénéfices individuels et collectifs liés à la capacité de chacun·e de pouvoir s’exprimer et être reconnu ont été mis en avant comme indispensables.
Cette situation est le propre actuellement d’une diversité d’organisations, confrontées aux défis de la complexité, de la nécessité d’évolution et de transformation, de la gouvernance participative et inclusive.
Diverses idées et points d’attention sont alors proposés pour améliorer l’inclusivité dans la gouvernance d’Eclosio de façon spécifique, et pouvant intéresser d’autres organisations rencontrant des défis semblables.
Au niveau global :
- Définir les points d’attention les plus importants en termes d’inclusivité institutionnelle pour l’équipe (tous pays), et construire des indicateurs de suivi de l’inclusivité (éventuellement différents en fonction des sensibilités de chaque pays) et des modalités de suivi de ceux-ci.
Au niveau des espaces :
- Développement d’espaces « libres » (en termes de participation et de sujets traités, sans hiérarchie ni produits attendus) présentiels (au sein d’une zone) ou virtuels (au niveau de l’ensemble de l’organisation). Ces espaces peuvent être ouverts aux administrateur·trices. Ils peuvent aussi se faire dans d’autres lieux ou configurations (tel lors de repas).
- Espaces d’ateliers stratégiques, éventuellement à revoir dans leur fréquence, participation, modalité (ligne/présentiel) pour inclure une plus grande diversité des membres des équipes : ateliers parallèles dans les pays, avec des moments « interpays » virtuels, ateliers présentiels moins nombreux mais élargis en termes de participation, participation tournante, lieux de réalisation tournants, etc.
- Développement d’une Communauté d’Apprentissage de Pratiques virtuelle (ouverte à tous et toutes) autour de la question de l’inclusivité, en charge également de suivi des indicateurs et de leur analyse
- Comités réguliers et multiacteurs stratégiques : comités de coordinations rassemblant des personnes du siège et des terrains, etc.
Au niveau des méthodologies développées dans ces espaces :
- Anticipation et respect des calendriers
- Attention à l’équilibre de la parole et à la considération de la parole de tous et toutes
- Recherche de méthodes et outils de construction participative et alternance de ceux-ci (boite à outils contextualisée)
- Ouverture à l’innovation
Au niveau de l’accompagnement individuel :
- Approche positive, qualité d’écoute
- Identification des tendances à l’autocensure (ne pas oser s’exprimer)
- Mise au point de « tutorats ou binômes », éventuellement inter pays (sur base volontaire)
- Cadrage des procédures d’inclusion des nouveaux collègues
Au niveau des procédures et fonctionnement :
- Clarification quand nécessaire et communication sur les termes de références, sphères d’autonomie et responsabilité individuelles et collectives ;
- Utilisation de l’écriture et communication inclusive (miroir de la diversité)
- Rigueur dans le respect du cadre et des modalités de prise de décision (quel processus, dans quels espaces, par qui ?), soin à la communication et à l’explication (PV archivé, communication orale/écrite systématique)
- Approche d’analyse et d’autoapprentissage personnel et collectif
Au-delà de ces diverses mesures, il y a des fondements qui sont indispensables, et se traduisent davantage par des attitudes inclusives, devant « habiter » chaque employé·e de l’organisation et faire donc partie de cette culture partagée qui s’équilibre avec « l’unicité » de chacun·e. Sans une attention à celles-ci, aucune méthode ou outil ne peut vraiment fonctionner : il s’agit principalement de l’écoute (à toute parole, à tout contexte), la vigilance (à l’équité, …), la rigueur (à la clarté, communication, respect du cadre et des décisions) et l’humilité et flexibilité (l’organisation est et reste dans un processus évolutif et l’inclusion entraine par nature l’émergence de nouvelles idées et améliorations), dans tout espace relationnel et collectif.
Sophie PASCAL, Coordinatrice générale d’Eclosio
Notes
[1] Eclosio est présente en Zone Andine (en Bolivie et au Pérou), en Afrique de l’Ouest (au Sénégal, en Guinée et au Bénin) , en Belgique, et en Asie du Sud-Est (au Cambodge).
[2] Disponible via ce lien : https://www.eclosio.ong/ethique-et-integrite/
[3] « – je respecte l’opinion de ma/mon collègue et écoute jusqu’au bout son argumentation, – je respecte les choix des modes de vie de chacun·e ; si une discussion sur les modes de vie a lieu de manière volontaire, je fais preuve d’ouverture d’esprit et d’une volonté de compréhension de l’autre, – je me concentre sur les forces et sur les contributions de mes collègues et nos partenaires et valorise leurs expériences et compétences, – je promeus la prise en compte des différences comme partie
de la solution et non du problème. »
[4] Les autres aspects liés à l’inclusivité, notamment au niveau du public et des actions, sont traités dans d’autres cadres mais sont tout aussi primordiaux.
[5] Mozaik RH, https://mozaikrh.com, consulté le 5 mars 2024
[6] Bien qu’il n’existe pas une définition univoque de la gouvernance participative, l’Equipe d’Eclosio se retrouve dans les éléments de définition suivants : « … la gouvernance participative trouve ses fondements dans une démarche collaborative basée notamment sur des valeurs et des attentes partagées (…) où le lien social occupe une place centrale (Maffesoli et Perrier, 2012). À travers sa dimension participative, ce type de gouvernance fait appel à un engagement de la part des différentes parties, qui renvoie à un transfert de pouvoir (Wilcox, 2003). Par ailleurs, la gouvernance participative instaure un terrain favorable aux nouveaux mécanismes et pratiques qui garantissent le partage de pouvoir et la prise de décision entre les différents acteurs de l’organisation. Elle met en lumière la complémentarité des parties prenantes et la conciliation de leurs intérêts dans une démarche optimale d’un bien-être commun (Le Loarne-Lemaire et Noël-Lemaître, 2014).
[7] Le plan stratégique d’Eclosio est consultable, ici : Plan stratégique 2022-2026 | Eclosio
Bibliographie
LE LOARNE-LEMAIRE S. et NOËL-LEMAITRE S. (2014). « La coopérative, une organisation favorisant le besoin d’enracinement des salariés. Réflexions à partir d’une lecture de la philosophie de Simone Weil », La Revue des Sciences de Gestion, Vol. 269-270, p.93-100
LESCURE L. (2022), 5 conseils pour créer une culture inclusive sur le lieu de travail. https://www.babbelforbusiness.com/fr/blog/5-conseils-pour-une-culture-inclusive/ : consulté le 15 janvier 2024
MAFFESOLI M. et PERRIER B. (2012). L’homme postmoderne, François Bourin Editeur, Paris.
Manageria (2021), Comment mesurer la diversité et l’inclusion dans votre entreprise?. https://www.manageria.fr/comment-mesurer-la-diversite-et-linclusion-dans-votre-entreprise/ : Consulté le 12 février 2024
Mozaik RH, https://mozaikrh.com/: Consulté le 5 mars 2024
SCHARNITZKY P. et Stone P. (2021)., L’inclusion dans les organisations : de la posture à la pratique. AFMD | L’inclusion dans les organisations : de la posture à la pratique version anglaise: Consulté le 22 janvier 2024
SCHARNITZKY P. et STONE Pete. (2021). Vers l’organisation inclusive : Mesurer pour progresser. Collection Piloter, 2021 | Ouvrage – Site internet : AFMD | Vers l’organisation inclusive : Mesurer pour progresser Consulté le 24 janvier 2024
Boston Consulting Group, Matt Krentz, Ashley Dartnell, Dinesh Khanna, and Susanne Locklair. (2021), Inclusive Cultures Have Healthier and Happier Workers ».Inclusive Cultures Have Healthier and Happier Workers | BCG : Consulté le 11 janvier 2024
WILCOX D. (2003), “The Guide to Effective Participation”, David Wilcox. Partnerships and Participation, http://www.partnerships.org.uk/guide/index.htm.
YOUNES, M., HECHICHE Salah, L. & TOUZANI, M. (2016). Gouvernance participative et nouvelles pratiques managériales dans un contexte postrévolutionnaire : cas des entreprises sociales tunisiennes. Management & Avenir, 90, 175-194. https://doi.org/10.3917/mav.090.0175