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Synopsis
La destruction de l’environnement et la malnutrition qui concerne encore plus d’un milliard de personnes amènent à interroger le modèle agricole industriel qui domine depuis les années 50. Et si l’agroécologie pouvait nourrir la planète tout en répondant aux défis environnementaux ? Pour y répondre nous avons invité Marc Dufumier, agro-économiste, professeur émérite à l’Agroparistech et spécialiste des systèmes agraires et de leur évolution.
Publié par UniverSud – Liège en décembre 2018
Retour sur une conférence de Marc Dufumier
Les climatoseptiques ne nous contrediront pas : l’été 2018 a été marqué par deux canicules particulièrement inquiétantes dans toute l’Europe. Les experts sont unanimes, les phénomènes météorologiques extrêmes vont se multiplier dans les années à venir : pluies extrêmes, sécheresses, tempêtes tropicales, etc. Le changement climatique est pointé du doigt comme responsable, nous considérons qu’il n’en est que le symptôme. En effet, c’est bien notre modèle de développement et plus particulièrement nos modes de production et de consommation des denrées alimentaires qui épuisent les ressources naturelles de la planète et font s’accumuler des tonnes de déchets. Pourtant considéré comme très rentable sur le plan économique, ce modèle, très peu soucieux des inégalités écologiques et sociales, nous impose un prix fort à payer : la planète meurt et nous aussi.
Mais comment mieux consommer ? Comment enrayer un phénomène aussi global que le changement climatique ? Comment relever les défis environnementaux, énergétiques et alimentaires d’aujourd’hui ? Nous prenons le pari de croire que l’agroécologie est l’alternative à ces défis. Nous avons donc invité Marc Dufumier, agro-économiste, professeur émérite à l’Agroparistech et spécialiste des systèmes agraires et de leur évolution, il nous a présenté les enjeux de cette science lors d’une conférence.[1]
Une partie du monde se nourrit mal, l’autre ne peut pas se nourrir
Pour Marc Dufumier, la cause profonde des désastres climatiques est la manière de cultiver : « les pesticides – le glyphosate notamment – et les perturbateurs endocriniens qu’ils contiennent amènent de nombreuses maladies ». Il évoque également l’usage de toxines dans le poulet, les antibiotiques dans la viande, les hormones dans le lait, etc. Une grande partie de la planète se nourrit donc mal.
L’autre partie du monde ne peut pas se nourrir. Pourtant, d’après Marc Dufumier, ce n’est certainement pas à cause d’une insuffisance alimentaire dans le monde, au contraire : « pour nourrir un habitant correctement, il faut produire de l’ordre de 200 kilos de céréales par an par habitant et aujourd’hui, la production mondiale est de l’ordre de 350 kg de céréales ». Malheureusement, les 150 kilos excédentaires ne servent pas à nourrir le reste du monde : « ils sont gaspillés, la nourriture est jetée avant la date de péremption, les grandes surfaces font usage de chlore pour éliminer les invendus, la nourriture est destinée à l’alimentation animale, sans doute en nombre excessif, on utilise la nourriture pour en faire du carburant, etc. ».
Si le monde a faim, c’est principalement le fruit de l’inégalité de revenus à l’échelle mondiale : « certaines populations ne parviennent même pas à acheter leur propre production ». En effet, les équipements ultras perfectionnés en Europe permettent de produire en très grande quantité des céréales comme le blé. On pourrait penser qu’en exportant l’excédent de blé à des populations qui ont des difficultés à se nourrir permettrait de faire reculer la fin dans le monde, mais c’est le contraire. L’agro-économiste l’explique : « exporter l’excédent de blé dans ces conditions-là vient concurrencer, sur un même marché mondial, le travail de gens qui sont équipés de leurs mains. Le prix des produits est équivalent alors que le matériel pour produire les équipements est différent (mains versus grosse machine) ». Cette situation contribue à l’exode rural : les paysan·ne·s ne parviennent plus à se nourrir en cultivant, rejoignent dès lors les grandes villes, déjà surpeuplées où ils peinent à trouver un emploi.
L’agroécologie, l’alternative aux défis alimentaires mondiaux ?
Notre modèle de développement basé sur la croissance à tout prix, est très rentable sur le plan économique, est également trop peu centré sur des inégalités écologiques et sociales. Tout comme Marc Dufumier, nous pensons que l’agroécologie est l’alternative à l’agriculture intensive.
« L’agroécologie est l’une des alternatives qui s’est développée à l’origine dans les pays du Sud pour répondre à ce besoin de recentrer l’agriculture autour de l’humain et de la nature. Elle a fait l’objet de différentes études et rapports scientifiques, qui l’envisagent comme une alternative crédible et durable au problème de l’insécurité alimentaire et aux multiples défis environnementaux, sociaux, économiques et démographiques. Elle propose des solutions concrètes face aux changements climatiques et contribue à la préservation des ressources naturelles indispensables à une production agricole durable. Elle favorise le maintien d’un tissu social car elle crée de l’emploi et des opportunités économiques dans des régions fortement touchées par l’exode rural et la pauvreté. Enfin, elle répond aux défis de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition qui sévissent dans les zones rurales car elle favorise une production diversifiée et saine, prioritairement destinée à la consommation locale »[2].
Avant d’arriver à correctement et durablement nourrir la population mondiale, l’agroécologie nous impose un changement de vie profond, en changeant notre manière de cultiver et de nous nourrir. Marc Dufumier nous propose quelques pistes d’actions concrètes :
En tant qu’agriculteur :
- En cultivant localement et donc en renonçant à des subventions destinées à des produits bas de gamme qui contribuent à ruiner la paysannerie du Sud ;
- En privilégiant la qualité à la quantité : cultiver des produits de meilleures qualité et bios et diminuer le rendement, permet d’accroitre la valeur ajoutée et de créer de l’emploi. En effet, les produits labellisés pour leur « bonne » qualité bio comme « Nature et Progrès », « Biodynamie », « Demeter » sont vendus plus chers et dans des circuits plus courts, ces deux caractéristiques augmentent la part et le volume de la valeur ajoutée allant au producteur. De plus, puisqu’ils n’utilisent ni herbicide ni pesticide, ces systèmes sont plus demandeurs en main d’œuvre (surtout en maraîchage).
En tant que politicien·ne, en prenant des décisions politiques, notamment à l’échelle de l’Union européenne, à travers la politique agricole commune :
- En stoppant les aides proportionnelles liées à la surface cultivée et en rémunérant correctement les agriculteurs et agricultrices afin de leur assurer des conditions de travail décentes ;
- En instaurant des droits de douane sur les excédents alimentaires que nous produisons ici et que nous exportons là -bas. Ou plus radicalement, en stoppant l’exportation des excédents agricoles, phénomène qui ruine certain·e·s agriculteur·trice·s du Sud ;
- En choisissant la nourriture labélisée comme seule alternative pour bénéficier d’une alimentation sans pesticides et sans perturbateurs endocriniens dans nos aliments, sans glyphosate dans l’eau du robinet, etc. ;
- En provoquant un changement radical sur l’idée qu’il faut accroitre à tout prix notre production et, pour cela, remplacer les hommes et les femmes par des machines ;
- En résistant aux influences des multinationales telles que Monsanto, Danone, Bayer etc.
Si tous ces efforts étaient mis en place, selon Marc Dufumier, les impacts au Sud seraient également positifs : « Les peuples du Sud, à l’abri de ces droits de douane, pourraient commencer à épargner pour pouvoir s’équiper. Il y aurait moins de mouvements migratoires, moins d’exode rural, les paysans là -bas pourraient travailler dignement dans leur pays et pourraient répondre par eux-mêmes aux besoins alimentaires de leur peuple sans avoir à dépendre de nos céréales ».
Aux pistes d’actions proposées par Marc Dufumier, nous voulions ajouter des pistes d’actions qui nous concernent tous et toutes en tant que consommateurs et consommatrices. Une alimentation à la fois locale, durable, responsable et saine est possible. Pourtant, seul·e, dans un supermarché, il peut être très difficile de s’y retrouver : comment opérer des choix éthiques, écologiques et économiques sur chaque aliment dans des quotidiens souvent déjà surchargés ?
Des alternatives en Belgique existent comme les achats en circuit court, les commerces spécialisés comme efarmz, les groupes d’achat en commun (GAC). Mais elles ont aussi certaines limites et freins comme le prix des aliments ou la gamme limitée de produits. C’est pour cette raison que de nombreuses coopératives voient le jour en Belgique. La Beescoop à Bruxelles en est un exemple. Cette coopérative permet notamment l’accès à l’alimentation durable à un maximum de personnes ; encourage une économie locale en créant des partenariats sur le long terme avec des producteurs de la région ; crée un espace convivial permettant de renforcer la cohésion sociale ; mettre en place une politique du prix juste : un prix le plus accessible possible pour les consommateurs tout en rémunérant correctement le travail du producteur ; propose une politique de transparence de l’information sur les produits et sur le fonctionnement du supermarché.
L’agroécologie, alternative aux défis énergétiques mondiaux ?
L’usage des énergies fossiles joue encore un rôle essentiel dans le changement climatique. Pourtant, en plus d’être polluantes, ces ressources sont de moins en moins disponibles. Mais vivre sans pétrole semble encore être inimaginable en 2018. De plus en plus de productions agricoles ne sont pas destinées à nourrir des humains, mais bien à produire des carburants. Pour Marc Dufumier, le problème réside également dans l’énergie dépensée pour produire les engrais de synthèse et les produits phytosanitaires (soins à donner aux végétaux).
C’est à ce défi que l’agroécologie répond également : l’utilisation intensive des ressources que la nature produit par exemple l’énergie du soleil, l’azote, ou encore le carbone. En plus d’êtres gratuites, ces ressources sont produites en quantité illimitée dans la nature et se renouvellent en permanence.
Par exemple, en ce qui concerne l’énergie solaire, Marc Dufumier nous explique qu’il faut optimiser la capacité de la plante à produire de l’alimentation par le fait qu’elle intercepte les rayons solaires, que nous ne sommes pas en mesure de valoriser directement.
Conclusion
Les constats climatiques sont inéluctables. Les changements se doivent d’être radicaux et collectifs. L’agroécologie permet de contribuer à relever ces défis aussi bien sur le plan agronomique, social, écologique, économique que nutritionnel. Elle permettrait, pour Marc Dufumier, « de nourrir le monde entier sans dommage pour les générations futures et sans dommages pour la planète ».
Mais elle nécessite avant tout de remettre en question notre notion actuelle de progrès basé sur l’efficacité et la rentabilité. Aujourd’hui, le progrès, c’est de tout mettre en place pour qu’un jour chaque personne puisse se nourrir et vivre dignement, tout en respectant les limites de la nature, sans laquelle, nous ne serions rien.
Claire Brouwez
[1] En novembre 2017, à Liège et à Gembloux. Cette conférence était organisée par « Ile de Paix », en collaboration avec Gembloux Agro-Bio Tech – ULiège, Universud, ADG et la Coopération belge au développement.
[2]L’agroécologie : reconnecter l’homme à son écosystème, ADG, novembre 2016, disponible sur www.ong-adg.be/docs/publications/adg-agroy-cologie-vf-ld.pdf