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Synopsis
A l’heure où la sortie nucléaire se fait de plus en plus urgente et que le dérèglement climatique devient plus que préoccupant, des citoyens mobilisent leur épargne pour investir dans une énergie plus verte. Exemple avec la coopérative d’énergie Ferréole. Une invitation aux citoyens et aux pouvoirs publics à soutenir ces initiatives.
Publié par UniverSud – Liège en mars 2018
En 2016, sur les 79,8 TWh (Térawatt-heure) produit par la Belgique, la majorité provenait de l’énergie nucléaire (51,7%) et des énergies fossiles (29%). La part du renouvelable dans la production d’électricité n’était que de 19,3% (1). Ainsi, tout semble se passer comme si le nucléaire était une énergie sûre et que le dérèglement climatique n’avait pas lieu. En Belgique, il n’est un secret pour personne que le parc nucléaire vieillit plutôt mal. À Doel 3 et Tihange 2, la détection de milliers de fissures dans les cuves a entraîné la mise à l’arrêt des réacteurs pendant près de deux ans (2). Leur redémarrage a ensuite provoqué l’indignation et l’inquiétude de nos voisins Allemands et Néerlandais. Certains hauts responsables politiques allemands avaient même qualifié de « rafistolage » la gestion des réacteurs par Electrabel quand d’autres décrivaient des réacteurs « tombant en ruine » ou encore considéraient que le gouvernement belge jouait « à la roulette russe » (2). De plus, une récente enquête a mis en lumière les faiblesses de la sécurité nucléaire face aux attaques terroristes : une fois encore, la Belgique s’est illustrée comme étant l’un des plus mauvais élèves (3).
Face à ce constat alarmant, les autorités publiques semblent en dessous des défis à relever. En 2015, la Belgique se présente à la COP21 sans accord climatique (4), les différents ministres en charge de l’environnement n’arrivant pas à s’entendre sur le texte. Plus récemment, le pacte énergétique a donné lieu à un véritable « sketch » : le 11 décembre 2017, les quatre ministres chargés de l’environnement annoncent cette fois un accord sur le pacte énergétique ; le 12 décembre 2017, la N-VA annonce son refus de signer le texte alors même que ce parti est au gouvernement, tant au niveau fédéral que flamand.
Nous pourrions énumérer longuement les turpitudes de la politique belge en matière d’énergie, nous pourrions continuer à dresser ce constat accablant, bref, nous pourrions passer notre temps à dénoncer ce qui nous indigne. Mais pendant ce temps, certains s’organisent, agissent et obtiennent des résultats. En Wallonie, il existe pas moins de 13 coopératives citoyennes investissant dans les énergies renouvelables et permettant actuellement de couvrir la consommation de 8500 ménages (5). Ces coopératives sont regroupées dans une fédération appelée REScoop Wallonie (5), elle-même faisant partie d’une fédération européenne de coopératives regroupant 1250 coopératives : REScoop.eu (6). Cet essor a été permis par la libéralisation du marché de l’énergie voulue par l’Union européenne. Celle-ci n’a pas laissé que de bons souvenirs : 1) hausse des prix de l’électricité alors que la mise en concurrence était supposée les baisser ; 2) complexification de la facture d’électricité, illisible pour la plupart des clients à cause de la multiplication des intermédiaires – producteurs, transporteurs, distributeurs et fournisseurs. Malgré ces inconvénients majeurs, certaines personnes ont su profiter de l’occasion pour fonder des coopératives de production d’énergie et, plus récemment, un fournisseur d’énergie 100% renouvelable et citoyen : COCITER (Comptoir Citoyen des Energies) (7).
L’exemple de Ferréole
Il n’est pas nécessaire d’être une grande entreprise privée ou d’État pour produire de l’électricité. Certains précurseurs ont tenté l’aventure ; il leur a fallu une bonne dose de motivation et de ténacité. Nous retracerons ici l’exemple de Ferréole, une coopérative citoyenne d’énergie créée à Ferrières (8). Il faut tout d’abord distinguer les « coopératives citoyennes » des « coopératives industrielles ». Sur ce point, le président de Ferréole, Jean-François Cornet, nous éclaire : « Une coopérative citoyenne doit être née d’une initiative citoyenne et le pouvoir de décision réel doit être dans les mains des coopérateurs ». Ce critère permet déjà de faire facilement le tri. De manière concrète, les coopératives citoyennes se distinguent des coopératives industrielles par une démocratie interne importante (« un coopérateur, une voix »), pas d’actionnaire prépondérant, un conseil d’administration accessible à tout le monde, une grande transparence, des dividendes limités à 6 %, etc. Grâce à l’ensemble de ces dispositions statutaires, Ferréole est agréée par le CNC (Conseil National de la Coopération). La coopérative a par ailleurs signé la Charte « énergie citoyenne » de l’Alliance coopérative internationale (9).
Ceci étant dit, Jean François Cornet nous raconte l’histoire de Ferréole. Cette coopérative citoyenne est née en 2011 à la suite d’une « réunion d’information préalable » – ou RIP pour les habitués – menée dans le cadre d’un projet éolien se situant dans la commune de Ferrières. L’idée initiale était d’obtenir du promoteur qu’une des quatre éoliennes prévues soit propriété des habitants – qu’elle soit gérée par et pour les habitants. La région Wallonne n’ayant pas octroyé le permis, le projet fut abandonné. Mais le groupe de citoyens était là ; il s’est peu à peu organisé et le 7 décembre 2012, la coopérative Ferréole est née. Dès l’origine, le double objectif poursuivi était de promouvoir la production d’énergie renouvelable en Wallonie et de proposer un mode de production et de fourniture d’énergie géré par les citoyens, dans le souci du bien commun.
À l’heure actuelle, Ferréole compte 301 coopérateurs. Ils sont co-propriétaires (12%) avec deux autres coopératives d’une éolienne citoyenne à Arlon, et se sont portés tiers investisseurs pour l’installation de panneaux photovoltaïques sur une ferme bio. Avec d’autres coopératives, Ferréole a également répondu à un appel à projet de la SOFICO (Société wallonne de financement complémentaire des infrastructures) pour installer des éoliennes sur certaines aires d’autoroute. L’association de coopératives a obtenu la concession pour deux aires. Les coopératives doivent maintenant financer la partie appelée « développement » (faisabilité du projet, étude d’incidences, demande de permis, etc.) qui coûte en moyenne entre 100.000 et 200.000 euros (10). Ceci constitue un investissement à risque car si la Région refuse le permis, alors cet argent sera perdu. Ceci dit, étant donné que cet appel à projet a été lancé par la Région Wallonne via la SOFICO, les coopérateurs espèrent bien l’obtention du permis. Cependant, la route est longue et difficile pour les projets éoliens en Wallonie, ce ne sont pas les coopérateurs de Ferréole qui diront le contraire : Ferréole a déjà suivi trois projets éoliens refusés par la Région Wallonne, et un autre projet est en attente depuis 2015.
Des partenaires publics pas toujours à la hauteur
Malgré une volonté d’indépendance, les coopératives citoyennes restent soumises au bon vouloir des décideurs politiques. À ce sujet, le gouvernement wallon a montré une certaine incapacité à donner un cap clair à l’éolien en Wallonie. Cela s’est traduit par une baisse du nombre d’éoliennes installées par an entre 2010 et 2015 (11), ne permettant pas d’atteindre les objectifs wallons en matière d’éolien (2437 GWh d’ici 2020) (12). Cela avait pourtant bien commencé : en 2013 le Gouvernement wallon avait lancé un Cadre de référence éolien ambitieux. Malheureusement, mystère politique oblige, celui-ci n’a pas été soumis au vote du parlement dans les temps de la législature et n’a donc pas pu être traduit en décret. Par la suite, les gouvernements ont changé et le projet a été enterré. Le Cadre actuel reste un « canard boiteux » : il constitue certes une référence pour les projets éoliens mais il n’est pas contraignant. C’est ce vide juridique qui permet aux organisations d’opposants de déposer des recours quasi systématiques au Conseil d’État, retardant ainsi le développement de l’éolien wallon (11). La situation crée une incertitude et une insécurité dans ce type d’investissement énergétique – cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler le cadre mouvant du photovoltaïque en Belgique. Malgré ces nombreuses difficultés et en accord avec le Cadre de référence éolien actuel, les coopératives de la fédération REScoop Wallonie demandent aux promoteurs de projets éoliens de réserver 24,9 % du parc éolien aux coopératives citoyennes. Même insuffisant, ce texte constitue clairement une aide pour celles-ci, comme en témoigne Jean-François Cornet.
Au vu des risques connus du nucléaire et de la pollution engendrée par les ressources fossiles, il est urgent que les politiques aillent au-delà des demi-solutions et qu’ils soutiennent les initiatives citoyennes. Les indicateurs sont au vert pour le renouvelable. Une étude réalisée par des chercheurs de Standford montre que la Belgique ainsi que 138 autres pays peuvent passer à 100% d’énergie renouvelable d’ici 2050 (13). Le modèle proposé induirait la création nette de 24,3 millions d’emplois à travers le monde (13). En Belgique, les deniers sont là pour la transition énergétique : en 2016, l’épargne atteignait 265 milliards d’euros malgré des taux d’intérêt en dessous de l’inflation (14). Chaque épargnant pourrait mobiliser une partie de ses économies pour investir dans les coopératives citoyennes, et par là devenir acteur de la transition énergétique. Les citoyens qui le peuvent ont donc un grand pouvoir, celui de changer les choses en transformant leur porte-monnaie en acte politique. Attendra-t-on un accident nucléaire ou la récolte des avocats en Wallonie ? Les coopératives citoyennes sont prêtes, elles n’attendent qu’un coup de pouce des politiques et des citoyens pour déployer leurs ailes.
Nicolas Pierre
Bibliographie
- 1-https://www.febeg.be/fr/statistiques-electricite
- 2-http://www.liberation.fr/planete/2016/02/02/pourquoi-le-parc-nucleaire-belge-provoque-t-il-des-inquietudes_1430440
- 3-https://www.arte.tv/fr/videos/067856-000-A/securite-nucleaire-le-grand-mensonge/
- 4-http://www.lalibre.be/actu/planete/la-belgique-debarque-a-la-cop-21-sans-accord-climatique-565c01b135709322e70a529e
- 5-http://www.rescoop-wallonie.be/
- 6-https://www.rescoop.eu/
- 7- http://www.cociter.be/
- 8-http://www.ferreole.be/
- 9-http://www.zonnewindt.be/Rescoop/images/Documents_FR/Charte_REScoopBE_FR.pdf
- 10-http://www.uvcw.be/impressions/toPdf.cfm?urlToPdf=/articles/0,0,0,0,3446.htm
- 11-http://www.renouvelle.be/fr/actualite-belgique/mais-sur-quoi-butte-leolien-wallon
- 12-https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_l-eolien-wallon-loin-du-rythme-de-croissance-poursuivi?id=9506697
- 13- http://www.rewallonia.be/wp-content/uploads/2017/09/CountriesWWS.pdf
- 14-https://www.rtbf.be/info/economie/detail_plus-de-265-milliards-d-euros-places-sur-les-comptes-d-epargne?id=9396460