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publié par UniverSud en 2018
Le premier cas d’Ebola en Guinée a été localisé le 6 décembre 2013 dans la préfecture de Guéckédou, dans le sud-est, où un garçon de deux ans a été atteint par une maladie « inconnue ». C’est seulement plus de trois mois après que les autorités guinéennes, avec l’aide de Médecins Sans Frontières (MSF), confirmèrent la présence du virus Ebola en Guinée, laissant ainsi le temps à la maladie de se propager à l’intérieur du pays et dans les pays voisins, notamment en Sierra Leone et au Liberia. À la fin du mois de juin 2014, la maladie à virus Ebola (MVE) était confirmée dans 60 endroits en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia. Le 8 août 2014, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) déclara la MVE comme une « urgence de santé publique de portée mondiale ». Entre juillet et décembre 2014, la MVE fut confirmée dans cinq autres pays : le Nigeria, le Sénégal, le Mali, les États-Unis d’Amérique ainsi que le Royaume-Uni. La MVE a touché 31 districts sanitaires en Guinée, où vivent environ neuf millions d’habitants. Elle y a causé 2544 décès sur 3814 cas enregistrés. Pour l’ensemble des pays touchés, il y eut au total 28 616 cas confirmés, probables ou soupçonnés, plus de 11 310 décès et 23 588 orphelins. La transmission du virus prit fin le 1er juin 2016.
Les conséquences de l’épidémie
Au-delà du nombre de personnes décédées, la maladie à virus Ebola (MVE) a eu des conséquences sur le secteur sanitaire guinéen. L’un des tous premiers effets, selon nous, a été d’avoir mis à nu l’état déplorable dans lequel il se trouvait. En effet, au moment de la survenue de la MVE en Guinée, l’État consacrait à peine 3% de son budget à la santé ; le secteur comptait 1,3 médecin généraliste et trois lits d’hôpitaux pour 10 000 habitants, et seulement 17% des agents de santé couvraient près de 70% de la population. Ebola, en utilisant les rares ressources dont disposait encore le secteur de la santé guinéen, a accéléré la détérioration rapide d’un système qui avait déjà été sérieusement mis à mal par les différentes crises socio-politiques qu’avait connues le pays depuis 2007, ainsi que par la crise économique mondiale de 2008. Toutefois, si la MVE a accéléré la détérioration du système de santé guinéen, elle a néanmoins permis à la communauté internationale de prendre conscience du danger qu’il y a à laisser se détériorer les systèmes de santé des pays pauvres créant des risques au-delà des frontières nationales.
Graphique 1
Source: World Health Organization Global Health Expenditure database
Plus spécifiquement, Ebola a eu des répercussions sur l’ensemble des éléments constitutifs du système de santé guinéen (cf. encadré système de santé). Dans un premier temps, ses effets ont été essentiellement négatifs. Par exemple, au début de la lutte contre l’épidémie d’Ebola en Guinée[1], les autorités nationales ont dû allouer à cette cause des fonds ainsi que des infrastructures a priori destinés à d’autres programmes de santé plus ou moins urgents. Ce fut le cas notamment des ambulances utilisées pour transporter les premiers cas d’Ebola, initialement destinées au programme de santé maternelle et infantile. Ensuite, les décès[2] et désertions du personnel soignant à cause de l’épidémie d’Ebola, ont entrainé des problèmes à la fois opérationnels et de sûreté, comme la fermeture de certains établissements. Une psychose généralisée s’est installée dans tout le pays, menant notamment au refus des populations de fréquenter les lieux de soins publics. Par effet de ricochet, cela a entraîné une diminution des dépenses privées en santé (cf. graphique 1) ainsi que d’énormes lacunes au niveau du Système National d’Information Sanitaire (SNIS).
Dans un second temps, concomitamment à l’intervention de la communauté internationale, les effets d’Ebola ont été bénéfiques pour le système de santé guinéen. Par exemple, la lutte contre Ebola a permis de mettre en place un mécanisme de réponse nationale rapide, grâce notamment au renforcement des capacités de surveillance des maladies. La lutte contre la maladie a aussi permis l’établissement de lieux de prise en charge des malades en cas d’épidémie, le recrutement et la formation de nombreux agents de santé au niveau des districts sanitaires, ainsi que le renforcement de la logistique humanitaire. Elle a également donné lieu à la mise à jour du système national de détection des maladies grâce à la construction – et/ou la reconstruction – de nombreux laboratoires, et à la mise en place de partenariats scientifiques pour le développement de vaccins et d’autres activités de recherches cliniques entre l’Institut National de Santé Publique (INSP) et certains partenaires au développement.
Ebola et la coopération au développement
Nous avons relevé à la fois des effets négatifs et positifs de la lutte contre l’épidémie d’Ebola sur la coopération dans le domaine de la santé. Ainsi, au niveau de la gestion des finances publiques[3], peu de partenaires avaient inscrit leur financement dans le budget de l’État, nonobstant les fonds importants alloués au titre de l’aide humanitaire en 2014[4]. Mentionnons également, en tant qu’effet négatif, la mise en place d’un organisme ad hoc (la Cellule Nationale de Coordination contre Ebola) afin de coordonner les différents partenaires au développement, mettant ainsi à l’écart le Ministère de la santé pendant toute la lutte contre Ebola.
Graphique 2
Source: World Health Organization Global Health Expenditure database
A contrario, on retrouve des effets positifs de la maladie à virus Ebola en ce qui concerne l’apport d’aide publique au développement (cf. graphiques 2 et 3) et d’aide humanitaire[5], qui ont atteint des chiffres extraordinaires en 2014. Ce fut également le cas en matière d’alignement sur les priorités nationales, où l’essentiel des partenaires au développement se sont conformés au Plan de Relance et de Résilience du Système de Santé (PRRSS) pour la période 2015-2017. Celui-ci constituait le premier plan triennal de mise en œuvre du Plan National de développement Sanitaire (PNDS) pour la période 2015-2024. Avec ses trois objectifs spécifiques[6], le PRRSS a permis de renforcer l’ensemble des piliers du système de santé guinéen. Il a notamment permis de financer adéquatement le système de santé pendant la mise en œuvre dudit plan par le biais de l’aide publique au développement ainsi que du financement de l’État ; d’améliorer la fourniture en médicaments, vaccins, équipements et autres technologies de santé de qualité ; de renforcer le leadership du Ministère de la Santé, notamment en matière de coordination des partenaires au développement[7] ; de renforcer les ressources humaines par le biais de la formation et du recrutement de 6000 agents de santé sur trois ans[8]; de renforcer le système national d’information sanitaire ainsi que la recherche nationale en santé.
Graphique 3
Source: World Health Organization Global Health Expenditure database
En dernier lieu, Ebola a permis de mettre au jour la défiance qui existait entre d’une part le personnel soignant et d’autre part la population. Avant la survenue de l’épidémie d’Ebola en Guinée, les communautés n’étaient pas prises en compte dans l’élaboration et/ou la mise en œuvre des politiques et stratégies de santé nationale. Leur participation dans le système de santé se limitait au financement et à l’utilisation des services de soins. En outre, les premières interventions dans la lutte contre Ebola étaient essentiellement médicalisées et ne tenaient compte d’aucun aspect socio-culturel. De ce fait, les communautés n’avaient pas l’habitude d’être en contact rapproché avec les autorités sanitaires. Ceci a sans doute facilité la circulation de rumeurs et de fausses informations pendant la lutte contre Ebola en Guinée. Cela pourrait aussi expliquer les difficultés qu’ont rencontrées les autorités à faire s’impliquer davantage les communautés dans la lutte contre Ebola, surtout dans les zones relativement enclavées. Imaginez une petite communauté de quelques centaines de personnes qui voit pour la première fois des personnes habillées comme des extraterrestres, descendant dans des voitures « 4X4 » et pulvérisant leur village à cause du décès de deux enfants. En réaction, en Guinée Forestière, certaines communautés cachaient leurs malades, estimant que le pouvoir en place avait importé le virus afin d’exterminer « les leurs ». D’autres ne voulaient pas que les corps de leurs proches soient enterrés de façon sécurisée, d’aucuns attaquaient des convois d’agents sanitaires, voire même commettaient des homicides. Il a fallu faire appel à des anthropologues, des sociologues et des assistants sociaux pour comprendre la situation afin d’y apporter une solution.
Conclusion
Au-delà du drame de l’épidémie Ebola en lui-même, la maladie a permis à la fois de mettre en lumière les dysfonctionnements du système et d’en améliorer certains aspects. Il reste, certes, encore beaucoup à faire pour améliorer la santé des Guinéens et pour favoriser une meilleure efficacité de l’aide dans le secteur de la santé. Toutefois, parmi tout ce qui reste à faire pour aller dans ce sens, il faut, selon nous, d’abord mettre la priorité sur quatre réformes : le renforcement du leadership et la gouvernance du Ministère de la Santé (chargé de définir les modalités de financement du système de santé, les services de soins à prester ainsi que les modalités dans lesquelles ces prestations vont se tenir) ; l’augmentation des dépenses publiques en santé (avec comme objectif de consacrer 15% du budget national au secteur sanitaire, conformément à l’engagement d’Abuja en 2000) ; une meilleure harmonisation des partenaires au développement dans le secteur de la santé ; une utilisation accrue, par les partenaires au développement, des institutions et des systèmes nationaux de gestion financière.
Système de santé Selon l’OMS (2000)
Le système de santé d’un pays donné représente l’ensemble des organisations, des institutions et des ressources consacrées à améliorer la santé de sa population. Tout système de santé est constitué de sept éléments essentiels, à savoir : le leadership et la gouvernance (c’est à ce niveau qu’on élabore la politique et les stratégies sanitaires du pays, qu’on clarifie les rôles des acteurs public-privé et qu’on gère les demandes conflictuelles) ; les ressources humaines ; l’information (celle-ci permet, d’une part, de faire remonter aux responsables politiques les informations sur la réalité du terrain et, d’autre part, de définir la politique et les stratégies sanitaires spécifiques au pays) ; le financement du système de santé ; l’apport en médicaments, vaccins et technologies ; la prestation des services de soins ; et enfin la population. Les systèmes de santé sont des entités complexes et évolutives. Elles ont la capacité de s’auto-organiser, de s’adapter et d’évoluer dans le temps. Leur complexité résulte de l’interrelation entre leurs éléments constitutifs. Leur aspect évolutif et leur adaptabilité pourraient être liés au fait que toute intervention qui vise l’un des éléments constitutifs d’un système de santé a aussi des effets sur d’autres de ses éléments constitutifs. Compte tenu de cette complexité et du caractère évolutif qui leur sont propres, l’approche systémique semble être la plus adéquate pour mieux saisir les systèmes de santé.
Salim Ly
[1] Plus précisément entre mars 2014 et août 2014, soit bien avant la mobilisation internationale pour endiguer l’épidémie du virus Ebola.
[2] 115 au total.
[3] Selon la Banque mondiale, la gestion des finances publiques couvre toutes les phases du cycle budgétaire, à savoir : la préparation du budget, le contrôle interne et l’audit, les marchés, les mécanismes de suivi et d’établissement de rapports ainsi que les audits externes.
[4] Plus de 350 millions USD, selon l’OMS, qui n’ont pas été inscrits dans le budget de l’État.
[5] Plus de 350 millions USD, selon l’OMS.
[6] À savoir : l’élimination de la maladie à virus Ebola en Guinée, l’amélioration de la performance du système de santé guinéen de district, ainsi que l’amélioration de la gouvernance globale dans le secteur de la santé guinéen.
[7] Par exemple, la Cellule Nationale de Coordination contre Ebola a été transformée en Agence Nationale de Sécurité Sanitaire et intégrée au sein du Ministère de la Santé.
[8] Soit 2000 agents de santé engagés chaque année au niveau des districts sanitaires entre 2015 et 2017.