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La grammaire française traduit bien le nécessaire processus à double sens pour l’intégration: on intègre les nouveaux venus – les nouveaux venus s’intègrent. L’intégration socio-professionnelle prévue dans le dispositif d’accueil des primo-arrivants mis en place par la région Wallonne se conforme-t-elle bien à ce processus à double sens? Analyse par Pascale Felten, Diplômée Uliège, volontaire Eclosio et participante aux ateliers d’écriture d’Eclosio
L’accès au marché du travail constitue un facteur clé pour l’inclusion des personnes primo-arrivantes[1] au sein de leur société d’accueil. En effet, l’emploi mène non seulement à une rémunération, mais permet aussi la construction de l’identité sociale et permet une certaine acquisition d’autonomie (Yakushko, Backhaus, Watson, 2008 ; Stokkink, 2011). Or, nombreuses sont les barrières à l’emploi que rencontre cette population en Wallonie, ce qui provoque des écarts considérables entre le taux d’emploi des autochtones et celui des allochtones (Adam, Van Dijk, 2015).
En Wallonie, la politique d’intégration des primo-arrivants[2] est du ressort de la Région wallonne, qui a instauré dans ce cadre le parcours d’intégration en 2014. Ce dernier, ayant subi plusieurs révisions, dont la dernière réalisée en novembre 2018, se compose de 4 modules : « un module d’accueil personnalisé ; une formation à la citoyenneté ; une formation à la langue française si besoin ; une orientation socio-professionnelle si besoin. » (Décret, 2018). Les primo-arrivants sont dans l’obligation de suivre ce parcours dans un délai de 18 mois à partir de leur inscription à la commune.
Notre recherche s’est intéressée plus particulièrement au dernier module, à savoir le dispositif d’orientation socio-professionnelle[3], en se demandant si ce-dernier répond de façon efficace aux besoins de la population primo-arrivante. De plus, nous avons tenté de savoir si ce dispositif s’inscrit réellement dans une optique de l’intégration comme étant un processus à double sens. Ainsi, le primo-arrivant arrive sur le territoire avec un certain nombre de ressources et de compétences, mais il importe aussi que la société lui accorde les moyens nécessaires pour arriver à une réelle intégration. Afin d’adresser cette question, nous avons mené une recherche qualitative durant laquelle nous avons rencontré 8 professionnels du secteur œuvrant en Province de Liège ainsi que 17 primo-arrivants habitant sur ce territoire, entretiens auxquels s’ajoutent plusieurs observations de terrain au Forem, au CRIPEL et au CRVI[4]. Cette recherche nous a amené à identifier six éléments clés, à leur tour composés de différentes variables, qui influencent l’accès au marché de l’emploi des primo-arrivants, et qu’il importe par conséquent de prendre en considération dans les politiques d’intégration socio-professionnelle de ce public.
Le choix professionnel
Ainsi, le premier constat est que les primo-arrivants manquent de choix quant à leur orientation professionnelle. Des éléments légaux, tels que le titre de séjour, le permis de travail, mais aussi le temps et l’attente liés aux procédures d’asile influencent le projet professionnel et la disponibilité sur le marché du travail de la personne (Yakushko, Backhaus, Watson, 2008). Les primo-arrivants sont ainsi souvent ‘accaparés’ par ces contraintes légales et ne disposent pas réellement du temps pour mettre en place leur projet professionnel. De plus, les procédures de reconnaissance des diplômes et de validation des compétences représentent un obstacle majeur, au vu de leur lourdeur administrative et leur coût considérable. Par ailleurs, cette reconnaissance ne se fait souvent que partiellement, amenant les personnes à devoir se reformer ou se réorienter vers un emploi qui ne correspond pas à leurs véritables compétences (Manço, Gatugu, 2018). À ces difficultés de l’ordre légal s’ajoutent les barrières causées par une éventuelle non-maitrise de la langue française. En effet, même si certains professionnels de l’intégration soulignent la possibilité d’un apprentissage de la langue en travaillant, la maitrise de celle-ci semble quasi indispensable en Wallonie, encore peu ouverte à des dispositifs tels que les cours de langue orientés métier ou dispensés au sein des entreprises. Finalement, nos recherches ont confirmé un manque accru de formations adaptées et accessibles. Ainsi, les primo-arrivants sont régulièrement confrontés à un temps d’attente important pour entamer une formation, par ailleurs pas toujours adaptée[5] aux besoins réels des personnes. Notons en outre que les personnes sont orientées systématiquement vers des métiers dits « en pénurie », ce qui accélère le phénomène d’ethnostratification observable dans certains secteurs tels que la construction ou l’horeca.
Se retrouver dans la nouvelle société
Un autre aspect non-négligeable dans le processus d’intégration est la capacité d’orientation de la personne. Celle-ci dépend bien évidemment des compétences individuelles de chacun, d’où l’importance de proposer un accompagnement plus individualisé, répondant aux besoins réels de la personne. Cependant, à ces compétences s’ajoute l’importance d’un accompagnement concernant la compréhension des codes sociaux du pays d’accueil. Le fait de comprendre les normes du nouveau pays en termes d’interactions sociales et professionnelles est essentiel pour trouver un emploi et pour développer sa carrière professionnelle (Yakushko, Backhaus, Watson, 2008). De plus, il peut être très difficile de comprendre le paysage institutionnel wallon, habité par une multitude d’acteurs différents, ce qui impacte leur accès au marché du travail. En effet, afin d’entrer sur le marché du travail wallon, les personnes doivent souvent contacter un nombre élevé d’acteurs et d’organismes différents, face auxquels les difficultés de pouvoir s’orienter augmente considérablement. Ces difficultés sont, in fine, encore augmentées par un manque accru d’interprètes disponibles au sein des différents services, ce qui freine une bonne compréhension et communication.
Être prédisposé au travail
Un troisième aspect à prendre en considération dans l’analyse du dispositif d’intégration wallon est la prédisposition des primo-arrivants au travail. Tous les primo-arrivants ne sont pas prêts à entrer effectivement sur de marché du travail, et ce pour différentes raisons. Le parcours migratoire peut par exemple impacter leur santé, physique et mentale. À ces expériences traumatisantes peuvent s’ajouter des sentiments d’impuissance ou de mal-être face à ce nouveau pays et les nombreuses barrières que ces personnes peuvent rencontrer. En outre, des besoins en termes de sécurité et de logement peuvent primer, dans un premier temps, sur la volonté d’une mise à l’emploi. Or, ces éléments sont finalement très peu pris en compte par les politiques d’intégration, qui obligent toute personne primo-arrivante à suivre le parcours d’intégration, sans prise en compte des variables individuelles qui peuvent devenir un obstacle à la réalisation de celui-ci. Ceci est par ailleurs en complète contradiction avec l’objectif d’émancipation énoncé dans le décret.
Les obstacles à l’accès au marché de l’emploi
À ces constats s’ajoutent d’autres obstacles à l’accès au marché du travail. Ainsi, la discrimination à l’embauche représente un enjeu structurel majeur, intimement lié à la présence de stéréotypes et de discours populistes au sein de notre société. De plus, nous avons pu constater un manque important de contacts entre les organismes organisant le module d’intégration et le monde des entreprises, ce qui empêche la véritable mise au travail du primo-arrivant à la fin du parcours d’intégration. En outre, les entreprises ne sont pas impliquées dans la création et la mise en œuvre des dispositifs, ce qui pourtant améliorerait l’efficacité de ces pratiques de par une meilleure cohérence entre les besoins des entreprises et l’offre de travailleurs (Samek Lodovici, 2010 ; Birwe, 2018). Par conséquent, un travail de collaboration avec les entreprises ainsi qu’une démarche de sensibilisation aux avantages inhérents à l’emploi des primo-arrivants semble essentiel à leur intégration.
Les inégalités géographiques et de genre
Nous pouvons aussi constater des inégalités géographiques ainsi que de genre. Tout d’abord, il existe une inégalité en termes de services proposés et de nombre d’associations présentes d’un territoire à un autre. Ainsi, les territoires ruraux sont très peu desservis de services d’aide aux primo-arrivants, difficulté à laquelle s’ajoute le fait que ces territoires sont aussi peu desservis en transports publics (Gossiaux, Mescoli, Rivière, 2019). De plus, la non-reconnaissance de nombreux permis de conduire étrangers augmente davantage cette barrière, ce qui mène à une concentration des primo-arrivants dans les grandes villes, là où ils ont le plus de chances de trouver un emploi. En ce qui concerne les inégalités géographiques, ajoutons qu’au sein de la Wallonie, la façon dont le dispositif est mis en place ainsi que la plus ou moins grande qualité de collaboration entre les acteurs de terrain peuvent diverger fortement. Par conséquent, nous pouvons pointer une certaine inégalité de traitement en fonction du lieu de vie du primo-arrivant.
À ces inégalités géographiques viennent s’ajouter des inégalités de genre : les femmes sont souvent victimes de discriminations sur le marché de l’emploi. Par conséquent, les femmes primo-arrivantes doivent faire face à des discriminations multiples, amenant au phénomène de genrostratification (Stokkink, 2012) dans certains secteurs professionnels. A ceci s’ajoutent les contraintes liées à la vie familiale, telle que la garde des enfants. Les femmes primo-arrivantes ayant généralement un réseau de soutien moins développé que les femmes allochtones, le manque de structures de garde pour les enfants pose un problème de taille quant à leur mise à l’emploi, pourtant très peu pris en compte par le dispositif (Gossiaux, Mescoli , Rivière, 2019).
Conclusions
Plusieurs éléments vont donc influencer le processus d’intégration socio-professionnelle des primo-arrivants, et ce à des degrés variables en fonction des individus. Ce constat nous amène à affirmer qu’il faut un dispositif plus individualisé, prenant mieux en compte les difficultés spécifiques et valorisant davantage les compétences de chacun. Ainsi, le dispositif actuel, qui propose une solution unique, trop linéaire, pour tous les primo-arrivants n’est, de facto, pas adapté aux réalités observables sur le terrain. Afin d’arriver à un dispositif plus adéquat, il importe donc d’accorder davantage de moyens aux différents opérateurs de terrain, afin que ceux-ci puissent accorder plus de temps à un accompagnement plus individualisé et basé sur une vision plus humaine et bienveillante. De plus, augmenter les moyens permettrait un dispositif de plus grande qualité, ce qui parait indispensable au vu du caractère obligatoire de celui-ci.
Même si les barrières à l’intégration touchent les niveaux micro, méso et macro de la problématique, nous pouvons constater que le dispositif actuel ne se concentre que sur les aspects micro, c’est-à-dire individuels de la problématique. Ainsi, s’inscrivant dans une certaine logique d’activation, il vise à développer les compétences des individus, tels que la maitrise de la langue et des codes sociaux. Cependant, le dispositif ne se concentre que très peu sur le niveau méso, comme par exemple sur le lien avec le monde des entreprises ou sur le développement du réseau social et professionnel des primo-arrivants. Les barrières structurelles sont, elles aussi, insuffisamment prises en considération par le dispositif car très peu d’initiatives contre la discrimination à l’embauche ou pour une valorisation de la diversité sont finalement soutenues.
Nous pouvons donc constater que le dispositif actuel ne favorise finalement pas réellement une intégration comme étant un processus à double sens, alors qu’une mise à l’emploi rapide des primo-arrivants serait bénéfique, non seulement pour les personnes elles-mêmes, mais aussi pour la société d’accueil.
Pascale Felten
Bibliographie
- Adam Ilke et Martiniello Marco, 2013, « Divergences et convergences des politiques d’intégration dans la Belgique multinationale. Le cas des parcours d’intégration pour les immigrés », Revue européenne des migrations internationales, 29(2), pp. 77-93.
- Adam Ilke, Van Dijk Mathijs, 2015, « Une meilleure insertion professionnelle des personnes issues de l’immigration : allons au mainstreaming », Policy briefs, Institute for European Studies, Bruxelles.
- Adam Ilke et Van Dijk Mathijs, 2015, « Renforcer la coopération institutionnelle pour améliorer l’accès des personnes issues de l’immigration au marché du travail », Koning Boudewijnstichting, Brussels.
- Birwe Habmo, 2018, « Primo-arrivants faiblement qualifiés : dispositifs d’insertion professionnelle dans quelques pays européens », dans Manço Altay et Gatugu Joseph, 2018, Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, éditions de l’Harmattan, collection « Compétences Interculturelles », Paris.
- Cocagne Romuald et Stokkink Denis, 2018, « L’intégration des migrants par le travail », Collection « Notes d’analyse », RSE & Diversité.
- Felten Pascale, 2019, « Dans quelle mesure les dispositifs d’intégration socio-professionnelle en Wallonie favorisent la capacitation des primo-arrivants à l’intégration sur le marché du travail ? », mémoire en sciences de la population et du développement, Université de Liège.
- Gossiaux Axel, Mescoli Elsa, Rivière Mylène, 2019, « Rapport de recherche n°33. Evaluation du parcours d’intégration et du dispositif ISP dédiés aux primo-arrivants en Wallonie », Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique.
- Manço Altay, 2008, Valorisation des compétences et co-développement. African(e)s qualifié(e)s en immigration, l’Harmattan, collection « Compétences Interculturelles », Paris.
- Manço Altay et Felten Pascale, 2018, « Impact sur l’emploi des travailleurs immigrés qualifiés des projets d’insertion : évaluation sur le long terme du projet VITAR II », article accepté pour publication dans un ouvrage de la collection « Compétences Interculturelles » des éditions de l’Harmattan, Paris.
- Manço Altay et Gatugu Joseph, 2018, Insertion des travailleurs migrants. Efficacité des dispositifs, éditions de l’Harmattan, collection « Compétences Interculturelles », Paris.
- Martiniello Marco, Rea Andrea, Timmerman Christiane, Wets Johan, 2009, Nouvelles migrations et nouveaux migrants en Belgique, Academia Press, Gent.
- Pironet Didier, 2018, « L’intégration des demandeurs d’asile sur le marché du travail. Etat de la situation en 2017 », Labour-INT, CEPAG.
- Région Wallonne, 2018, « Décretmodifiant le livre II de la deuxième partie du Code wallon de l’Action sociale et de la Santé relatif à l’intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère ».
- Samek Lodovici Manuela, Centre européen de recherche en politique sociale, 2010, « Réussir l’insertion des immigrés sur le marché du travail. Rapport de synthèse », Rapport de synthèse pour le compte de la Commission européenne, Emploi, affaires sociales et inclusion.
- Stokkink Denis, 2011, « L’intégration des Primo-arrivants en Wallonie et à Bruxelles », Les Cahiers de la Solidarité, n°29.
- Stokkink Denis, 2012, « Les primo-arrivants face à l’emploi en Wallonie et à Bruxelles », Cahiers de la Solidarité, n°30.
- Xhardez Catherine, 2014, « Parcours d’intégration entre soutien et sommation » Agenda Interculturel, n°319, pp. 16-19.
- Yakushko Oksana, Backhaus Autumn, Watson Megan, Ngaruiya Katherine, Gonzalez Jaime, 2008, « Career Development Concerns of Recent Immigrants and Refugees », Journal of Career Development, 35 n°4.
[1] En Wallonie, le décret du 8 novembre 2018 définit les primo-arrivants comme « Les personnes étrangères séjournant légalement en Belgique depuis moins de trois ans et disposant d’un titre de séjour de plus de trois mois, à l’exception des citoyens d’un état membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen, de la Suisse et des membres de leur famille ».
[2] Pour des raisons de lisibilité, nous avons pris la décision de ne pas opter pour l’écriture inclusive. Notons cependant qu’en utilisant le terme ‘primo-arrivant’, nous considérons autant les femmes que les hommes.
[3] Ce module prévoit un accompagnement d’une durée de 4 heures, réalisé conjointement par les Centres Régionaux d’Intégration et le Forem.
[4] Le CRIPEL (Centre Régional pour l’Intégration des personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège) et le CRVI (Centre Régional de Verviers pour l’Intégration) font partie des 8 Centres Régionaux d’Intégration chargés de soutenir la politique d’intégration des personnes d’origine étrangère en Wallonie.
[5] Notons à ce sujet le manque de formations en alternance, de formations rémunérées ainsi que les tests d’entrée en formation qui se déroulent quasi toujours exclusivement en français.