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Témoignage : Mon expérience de stage chez Eclosio, dans le cadre du projet Systèmes Alimentaires, Marché et Eau (SAMA)
Je m’appelle Anie Moras, je suis diplômée en ingénierie de gestion de l’UNALM et j’ai effectué mon stage pré-professionnel auprès de l’ONG belge ECLOSIO. Dans les lignes qui suivent, je décrirai mon expérience en tant que stagiaire dans la composante marchés du projet Systèmes alimentaires, eau et marchés.
Le projet SAMA est développé depuis 2021 dans les districts de La Merced et les communautés périphériques de la province d’Aija, département d’Ancash, sur le flanc ouest de la Cordillère Noire. Il s’agit d’une zone andine élevée, les deux districts (La Merced et Aija) sont situés à plus de 3000 m au-dessus du niveau de la mer et ont un climat classé entre froid et glacial. Une partie de la question de recherche du projet était : Comment la gestion de l’eau et le renforcement des marchés dans les systèmes alimentaires contribuent-ils à la mise à l’échelle de l’agroécologie ?
Pendant mon stage, j’ai participé à des réunions participatives au cours desquelles la communauté intéressée par le monde agroécologique a partagé son expérience (le public était composé d’étudiant.es universitaires, d’agriculteurs.trices-chercheurs, d’enseignant.es, de spécialistes, de fonctionnaires locaux et de chercheur.euses). Les réunions ont permis d’identifier les besoins ou les difficultés rencontrés par les agriculteur.trices intéressé.es par l’agroécologie, la diversité des perspectives invitant :
- à la réflexion de tous les participant.es : sur les canaux de commercialisation existants, les techniques de collecte de l’eau, les conditions d’accès au financement,…)
- à l’autonomisation des agriculteur.trices chercheurs : les composantes eau et marché ont été invitées à partager leurs expériences et leurs résultats avec le public).
- à la formation de solutions comme la résilience face à certaines difficultés (formation d’associations, stages pour motiver la communauté).
En outre, dans le cadre de mes activités au sein du projet, j’ai formulé un projet de thèse intitulé « Développement des canaux de commercialisation des œufs de poules heureuses dans les marchés agroécologiques de la province de Huaraz – Ancash », dont l’objectif était d’identifier les caractéristiques fondamentales et d’analyser les complexités des processus de commercialisation, à travers l’étude de cas de l’entreprise de Liz Arévalo (Turmanyé Happy Hens Farm). Cette jeune femme du centre du village de Quihuán a mis en lumière les aspects clés d’une entreprise rurale dirigée par une jeune femme.
Par conséquent, afin de développer le projet de thèse, je me suis installée dans la région et j’ai vécu avec les agriculteur.trices qui participaient à la recherche. Cela m’a permis d’instaurer un climat de confiance et de mener des entretiens approfondis ou de participer à des ateliers plus confortablement.
Voici quelques-uns des résultats obtenus : les réseaux sociaux ont servi de plateforme de visibilité et ont généré une plus grande fiabilité des produits proposés, ils ont été un allié pour le développement de boîtes à lunch saines et ont une niche de marché très spécialisée qui valorise la qualité par rapport au prix.
En complément, j’ai également pu contribuer au domaine créatif (design pour le merchandising) qui a soutenu le I Encuentro de Investigación Acción Participativa « Construyendo saberes juntos desde el campo y la universidad » (Rencontre de recherche sur l’action participative) à l’UNASAM. Cela m’a permis de renforcer mes compétences en matière de communication par le biais de pièces visuelles.
J’ai également accompagné l’équipe organisatrice du système de garantie participatif – Ancash 2023 et de la réunion des jeunes – Huaraz 2024. Lors de cette dernière, les jeunes ont compris tout ce qu’implique l’entrepreneuriat agroécologique et la permanence de la production agroécologique, parce qu’ils sont motivés par un bien commun et qu’ils ont besoin de beaucoup de volonté. J’ai pu apprécier que la prise en compte des références au début de la vie des jeunes a une influence notable sur le développement de stratégies de résilience et l’apprentissage du leadership, comme le mentionnent Huaman, Herrera, Garcia, Azañedo, Mendoza et Perez dans leur article intitulé « Rural youth leadership : territories, life trajectories and youth participation ».
Cette expérience a renforcé mon point de vue sur l’agroécologie dans les territoires andins, la contribution des agriculteur.trices aux systèmes alimentaires et les problèmes de renouvellement intergénérationnel auxquels ils et elles sont confronté.es. Elle m’a également aidée à comprendre que nous avons besoin d’actions qui favorisent la présence des jeunes dans la région afin qu’ils prennent les devants sur le terrain.
Enfin, j’aimerais inviter la communauté intéressée par l’agriculture durable à participer à ces espaces, dans le but de continuer à partager les connaissances sur cette approche de la production agricole, mais aussi de servir de point de départ à la réflexion pour prendre des mesures qui contribuent au développement durable de l’ensemble de la communauté.
Migration et alimentation, au carrefour pour penser la durabilité de nos futurs systèmes alimentaires ? – Analyse
Une analyse de Jennifer BUXANT, étudiante en M2 du master en agroécologie (ULiège/ULB/Université Paris-Saclay)
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N’hésitez pas à contacter son autrice à l’adresse jennifer_buxant@hotmail.com
Crédit image : Illustration sur la paysannerie de Amanda Priebe pour Common Ecologies
« Si tu devais garder cinquante aliments pour les vingt prochaines années, lesquels choisirais-tu? »
Voilà une question intéressante à poser à la population belge qui permettrait de dévoiler la diversité des régimes alimentaires et des préférences individuelles en son sein.
L’origine de notre nourriture est double : ce que l’on produit et ce que l’on importe. D’une part, les espèces et variétés cultivées et la façon de les produire (considérant la période des semis et des récoltes, et les technologies utilisées) vont être impactés par les changements climatiques. Cela pose des défis actuels et futurs qu’il est nécessaire d’affronter. Dans ce contexte, la transition agroécologique propose des manières de produire qui peuvent aider à faire face à ces défis. D’autre part, l’importation et l’exportation de produits alimentaires et les enjeux économiques qui y sont liés lient historiquement les populations de différentes parties du monde entre elles. Par exemple, les pays industrialisés sont dépendants des pays en voie d’industrialisation pour compléter leur offre alimentaire à moindre coût, alors que ces derniers dépendent à leur tour de leurs « clients » pour se doter des moyens économiques nécessaires pour développer leur économie et in fine nourrir leur population. Ces dynamiques d’interdépendance se sont largement développées au XIXème siècle pour l’échelle globale (Davis, 2003). Elles se reflètent aujourd’hui fortement à l’échelle locale, où une partie des citoyen·nes se pose la question de “ comment produire et consommer de manière plus durable ET juste? “ A l’heure où l’accord du Mercosur vient d’être signé par Ursula von der Leyen, en sa qualité de présidente de la Commission européenne, ces questionnements et ces envies de changement sont plus que jamais légitimes.
L’analyse proposée dans cet article réfléchit sur cette question en essayant d’inclure le vécu des populations immigrées à un exercice qu’on pourrait qualifier de démocratie alimentaire. Il suggère des points d’attention à garder à l’esprit et des pistes d’action pour répondre aux enjeux soulevés lorsque l’on pense et construit des « systèmes alimentaires durables » ayant pour ambition d’inclure les populations immigrées.
L’article que vous vous apprêtez à lire souhaite ouvrir des pistes de réflexion pour penser les systèmes alimentaires durables de demain en prenant en compte les enjeux d’inclusion, en particulier le vécu des populations immigrées. Son point de départ est la question suivante : « Comment choisir ce que l’on produit et ce que l’on importe pour une transition alimentaire qui respecte à la fois les limites planétaires et les besoins socio-culturels des populations, tant natives que celles issues de l’immigration[1] ? ».
L’analyse propose des points d’attention et des pistes d’action pour inclure le point de vue de personnes immigrées lorsque l’on s’essaye à penser des systèmes alimentaires durables.
Elle le fait au départ d’un exercice de pensée, car peu de ressources existent encore sur le sujet. Vous comprendrez donc, cher lecteur, chère lectrice, la portée quelque fois exploratoire de cette analyse. Les propos soutenus n’engagent que son autrice.
Notes de l’autrice : Vous remarquerez que certains extraits de l’analyse sont mis au format italique. Ceux-ci visent à distinguer l’avis de l’autrice de propos plus analytiques.
Introduction
« Si tu devais garder cinquante aliments pour les vingt prochaines années, lesquels choisirais-tu ? » Voilà une question intéressante à poser à la population belge qui permettrait de dévoiler la diversité des régimes alimentaires et des préférences individuelles en son sein.
L’origine de notre nourriture est double : ce que l’on produit et ce que l’on importe. D’une part, les espèces et variétés cultivées et la façon de les produire (considérant la période des semis et des récoltes, et les technologies utilisées) vont être impactés par les changements climatiques. Cela pose des défis actuels et futurs qu’il est nécessaire d’affronter. Dans ce contexte, la transition agroécologique propose des manières de produire qui peuvent aider à faire face à ces défis. D’autre part, l’importation et l’exportation de produits alimentaires et les enjeux économiques qui y sont liés lient historiquement les populations de différentes parties du monde entre elles. Par exemple, les pays industrialisés sont dépendants des pays en voie d’industrialisation pour compléter leur offre alimentaire à moindre coût, alors que ces derniers dépendent à leur tour de leurs « clients » pour se doter des moyens économiques nécessaires pour développer leur économie et in fine nourrir leur population.
Ces dynamiques d’interdépendance se sont largement développées au XIXème siècle pour l’échelle globale (Davis, 2003). Elles se reflètent aujourd’hui fortement à l’échelle locale, où une partie des citoyen·nes se pose la question de » comment produire et consommer de manière plus durable ET juste? » A l’heure où l’accord du Mercosur vient d’être signé par Ursula von der Leyen, en sa qualité de présidente de la Commission européenne, ces questionnements et ces envies de changement sont plus que jamais légitimes.
L’analyse proposée se penche sur cette dernière question en essayant d’inclure le vécu des populations immigrées à un exercice qu’on pourrait qualifier de démocratie alimentaire. Elle pose des jalons pour mieux répondre aux défis soulevés lorsque l’on pense et construit des systèmes alimentaires durables et inclusifs, qui, espérons-le, seront ceux de demain !
Avant tout de chose, voici un tour d’horizon pour voir où nous en sommes, en tant que société, dans la mise en place de cet idéal à atteindre.
Alimentation et durabilité : une première reconnaissance en COP
A l’heure où la vingt-huitième Conférence des Parties[2] (COP) – dont la Belgique est membre, s’achève à Dubaï (Emirats Arabes Unis), 159 pays ont signé la « Déclaration sur l’agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l’action climatique » (COP28 UAE Declaration on Sustainable Agriculture, Resilient Food Systems, and Climate Action, 2023). Le texte montre une certaine entente des pays signataires autour d’une vision commune de l’agriculture et des systèmes alimentaires.
Il s’agit de la première fois de l’histoire des COP que le lien entre climat et alimentation est discuté et que des décisions sont prises en la matière. Sachant que près de 30% des émissions carbones annuelles sont liées au secteur de l’alimentation[3], voire 50% selon d’autres estimations, « il était grand temps » de le faire (Bauck, 2023 ; GRAIN, 2012).
Parmi les positionnements pris par les pays signataires dans cette déclaration, l’un d’eux attire notre attention : « [nous soulignons] le besoin de réaliser progressivement le droit à une alimentation adéquate dans le contexte d’une sécurité alimentaire nationale, ainsi que le besoin d’assurer l’accès à une nourriture saine, suffisante, abordable, nutritive et pour tous·tes ».
Cette version de la déclaration, telle que publiée au moment de la rédaction de cet article, apparaît plutôt imprécise. Qu’est-ce qu’une alimentation « adéquate », « saine », « suffisante » et « nutritive » ? Que signifie le pour « tous et toutes » ? Comment définit-on la sécurité alimentaire à l’échelle nationale ? A l’heure où ces 159 pays de la COP28 enclenchent une réflexion sérieuse sur l’alimentation tant à échelle nationale qu’internationale, il s’agirait de pouvoir se positionner en parallèle tant que société sur ces questions. Ceci implique, dans un souci de démocratie, de pouvoir inclure l’ensemble des populations concernées dans les décisions prises, et ce afin d’assurer des contre-pouvoirs citoyens qui permettraient de garder la main sur notre avenir. Le flou qui caractérise habituellement les déclarations internationales peut être vu ici comme une opportunité, une souplesse, permettant aux différents états et à leur population de s’approprier les termes posés pour décider comment les développer, et donc, dans ce cas, de construire des visions collectives du droit à une alimentation adéquate pour tous·tes.
Dans l’idée d’un exercice de ce droit à une alimentation adéquate pour tous·tes, encore à définir, quelles seraient donc les dimensions incontournables à prendre en compte ?
Ce que l’on peut trouver dans les rayons des supermarchés n’est pas le fruit d’un marché libre et éclairé, où les acteur·ices de la chaîne alimentaire s’accorderaient par magie au gré de leur bien-pensance et de leur bienveillance respective, de sorte à nous fournir les biens alimentaires dont nous avons exactement besoin, et ce, en des quantités adéquates à notre consommation réelle tout en adressant la crise environnementale actuelle.
I. Produire et importer : des choix avant tout politiques
D’un côté, la production alimentaire d’un pays ou d’une région est le résultat combiné de conditions pédoclimatiques[4] et de traditions séculaires. Néanmoins, en raison des conditions environnementales changeant du fait du réchauffement climatique, chaque région devra adapter sa production à ce que la nature nous imposera (Thinkerview & Zaka, 2023). L’agriculture n’est pas dépendante que de conditions naturelles. Le social, le politique, influence ce qui est produit. En effet, on ne peut nier que la production alimentaire dépend largement de choix politiques, que ce soit par des mesures publiques dédiées – on pense à la Politique Agricole Commune de l’Union européenne, ou PAC -, ou par des orientations politiques plus larges, à l’instar de la position de la région wallonne considérant les exportations comme plus que désirables, dans le but d’obtenir une balance commerciale positive (SPW, 2023). On s’interroge alors sur la place des exportations alimentaires dans ces approches, ainsi que sur les considérations éthiques qui y sont liées. Certains exemples parlants démontrent que l’exportation a ses limites : (1) exporter des frites surgelées Lutosa[5] au Pérou alors que ce pays entretient des traditions fortes et séculaires avec la pomme de terre apparaît comme inutile (De Mulenaere, 2020), (2) exporter des chips belges en Corée du Sud alors que nous produisons trop de pommes de terre à l’échelle de la Wallonie interroge sur l’usage que l’on fait des terres nourricières (Wu, 2023), et, enfin, (3) exporter de la poudre de lait au Sénégal – qui déforce la sécurité alimentaire du pays et entraine une concurrence déloyale entre le lait local et son ersatz le lait en poudre importé – comme une troisième absurdité permise par les politiques d’exportation actuelles (Humundi, 2020). Alors, que produit-on ? Pour qui ? Comment ? Et pourquoi?
D’un autre côté, ce que l’on ne sait pas (ou plus[6]) produire, nous devons l’importer. Les questions se posent alors de ce que l’on importe et ce que l’on souhaite privilégier, notamment en allégeant les taxes de douane de certains produits ou encore en passant des accords de libre-échange avec des pays producteurs, tel que le Mercosur cité précédemment.
Sachant que la Belgique est depuis au moins un siècle un pays dont la sécurité alimentaire repose fortement sur les importations[7], l’Etat belge et ses régions (la compétence agricole ayant été régionalisée il y a 20 ans) devraient être habitués à penser la planification à moyen et long terme de l’approvisionnement alimentaire des personnes vivant en Belgique.
Alimentation, choix politiques et balance import-export apparaissent donc difficilement dissociables de notre réflexion, à moins de prouver la potentielle autosuffisance alimentaire de la Belgique[8].
II. Produire et importer : vers plus de durabilité
Importer moins et différemment
Pour un monde écologiquement durable et socialement juste, on pourrait défendre que réduire les importations est une stratégie sur laquelle il faudrait se concentrer, notamment car cela permettrait de réduire la pollution liée au transport. Or, là n’est apparemment pas la question. De fait, les émissions liées à l’importation de nos aliments ne représentent qu’un faible pourcentage de l’empreinte carbone (6%) (Ritchie, 2020). En revanche, la dépendance aux énergies fossiles qui permet de soutenir ce commerce international hyperactif[9] questionne notre résilience. Dans un autre registre, celui des inégalités économiques et sociales, on ne peut ignorer le désavantage global que les populations des pays appauvris retirent de la marchandisation mondiale de certains produits agricoles (on peut citer à nouveau le cas de la poudre de lait). Il serait donc intéressant que ces pays s’émancipent des dominations économiques afin de pouvoir créer des conditions favorables au développement d‘autonomies agricoles régionales, plus résilientes en cas de fluctuation de prix et/ou de réactions en chaîne, telle que l’inflation terrassante dont les produits alimentaires ont fait l’objet depuis la guerre en Ukraine. Bien que l’on pourrait nuancer l’influence qu’a la géopolitique sur l’ampleur de la montée des prix, notamment si l’on constate les monopoles commerciaux dont le secteur agroalimentaire fait l’objet[10].
Réduire les importations, oui. Les stopper ? Difficilement envisageable. Du moins, pas de manière précipitée. Il semble difficile à l’heure actuelle d’imaginer de décider d’arrêter tout échange avec d’autres pays. Ne serait-ce qu’au vu de la dépendance réciproque de pays les uns envers les autres, mentionnées plus haut. De fait, l’Union européenne ne peut pas du jour au lendemain abandonner le soja latino-américain sans risquer de multiples crises dans le secteur de l’élevage qui mettraient à mal des milliers de travailleur·euses (Gérard, 2019), que ce soient nos éleveurs et éleveuses ou ceux et celles d’ailleurs. Il en va de même pour les pays exportateurs en voie d’industrialisation où les choix passés et actuels favorisant l’hyperspécialisation des cultures – typiquement avec le choix pour une ferme de ne produire que du soja – mettent à mal à court terme l’autonomie, la sécurité et la souveraineté alimentaires de leur pays au bénéfice des pays importateurs… Si arrêt il doit y avoir, on imagine qu’il s’agirait soit d’un effort mondial d’ampleur significative, soit le résultat d’une série de crises graves et répétées[11]. Aller à l’encontre d’une tendance au commerce et à l’échange observée tout au long de l’épopée humaine semble être un exercice compliqué voire impossible, mais mesurer ces flux dans une optique d’un monde soutenable, par des partenariats ambitieux et sensés, ne peut être une option à exclure.
Mais dès lors, comment délimiter ces importations « incompressibles », ces importations « minimales » du fait de nos envies et de nos dépendances historiques mutuelles ? Doit-on les prioriser selon le caractère « sain » ou « nutritif » des denrées – pour reprendre les mots de la COP28 en introduction de ce texte – en cherchant par exemple à combler un nombre insuffisant de calories ou de nutriments (protéines, glucides, lipides) ? Doit-on travailler en choisissant les exportateurs sur base de critères de qualité de leur production ou le respect de normes environnementales ou sociales ? Ou bien sur base de la résilience des productions aux crises climatiques ? Nous verrons dans la dernière section de cet article quelques réflexions qui illustrent ce que l’immigration a à nous offrir pour répondre ces questions.
Produire mieux, différemment
Avant d’entrer dans le vif du sujet, reprenons le tableau que dépeint Statbel de l’agriculture en Belgique. Pour rappel, 44% des terres belges sont considérées comme des surfaces agricoles (FIAN, 2022). L’office belge de la statistique dit ceci : « Le paysage agricole belge se segmente entre le nord et le sud du pays. Au nord, les exploitations sont plus spécialisées dans l’élevage, l’horticulture et la culture de pommes de terre (…) » (Statbel & SPF Economie, 2021). Au sud du pays, la densité agricole est moins forte mais les terres agricoles permettent d’accueillir des cultures céréalières et betteravières et de vastes superficies enherbées, essentiellement dédiées à l’élevage bovin. En termes de valeur de production, l’élevage domine l’agriculture belge. Parmi les différentes filières d’élevage, la filière bovine, grâce à la double valorisation viandeuse et laitière, arrive en tête, suivie par la filière porcine. En comparant les valeurs de productions actuelles à celles d’il y a quarante ans, on remarque que ce sont, cependant, les cultures de pommes de terre et de fruits qui ont connu la plus forte croissance au sein de la branche agricole. » (Statbel & SPF Economie, 2021).
Ceci présenté, on comprend que l’élevage occupe une place importante dans la production alimentaire du pays. En effet, 44,1% des exploitations y sont spécialisées bien qu’il existe une tendance à la baisse du nombre de bêtes, causée pour des questions de rentabilité de la viande bovine… (Plus d’un chef d’exploitation agricole sur deux en Belgique est âgé de 55 ans ou plus !, 2023 ; Collège des Producteurs, 2024). « Notre pays n’est devancé sur ce point dans l’Union européenne que par les Pays-Bas (53,1%), l’Autriche (55%), le Grand-Duché de Luxembourg (62,8%) et l’Irlande (88,4%). », rapporte le Sillon Belge dans un article publié en 2023.
Nous pouvons ajouter qu’au vu du nombre de plus en plus restreint d’agriculteur·ices, il n’est pas étonnant que notre agriculture continue sur un modèle conventionnel[12]. En effet, la course aux grandes surfaces encouragées par les subventions de la fameuse PAC et la diminution, voir disparition, des travailleur·euses agricoles (68% des exploitations ont disparu pour une moyenne d’hectares par ferme qui a triplé en 40 ans) favorisent le choix de la monoculture intensive, destructrice des sols et de la biodiversité, et de pratiques agroindustrielles, du moins dans le paradigme économique actuel (Cellule Manger Demain, 2018).
Ce tableau actuel entre quelque peu en dissonance avec le souhait d’une agriculture responsable. En effet, l’agriculture a une responsabilité non négligeable pour la préservation d’un environnement viable pour les générations actuelles et futures : pollution et érosion des sols, utilisation de matériaux polluants, émissions de gaz à effets de serre… Comme le rappellent ainsi Audrey Glass et Noémie Malléjac (2023) : « Le lien entre secteur agricole et limites planétaires est double. (…) Le secteur agricole est donc à la fois le principal responsable du dépassement des limites planétaires, mais également la première victime des conséquences qui en découlent. » Il n’est pas encore clair si ce que l’on cultive aujourd’hui sera cultivable demain.
L’inquiétude est présente chez les agriculteur·ices, conscient·es des impacts du dérèglement climatique sur leurs productions. Une étude commandée par CBC banque[13] à l’IPSOS[14] auprès de producteur·ices wallon·nes rapporte ceci : « Près de 8 agriculteur·ices wallons sur 10 rencontrent des difficultés liées aux changements climatiques et plus de 9 agriculteur·ices wallons sur 10 estiment que ces difficultés se reproduiront dans les années à venir. » (CBC, 2024). Paradoxalement, 3 agriculteur·ices sur 4 estiment que le modèle actuel de production n’a pas d’impact sur le réchauffement climatique, ce qui pose question sur la perception différenciée que peuvent avoir différent·es acteur·ices du monde agricole…
L’optimisme est également présent dans les discours, renforçant une impression d’ambivalence de perception de la problématique agricole. Le journal L’Echo rapporte : « Ce qu’on cultive aujourd’hui, on le cultivera encore demain, les agriculteur·ices sont confiant·es. Et de nouvelles plantes font leur apparition en Wallonie : le tournesol, le maïs grain, le sorgho, le blé dur, le pois chiche ou encore le silphe. Des cultures qui résistent aux températures plus élevées, mais pour lesquelles il faut trouver la variété la plus adaptée au climat wallon actuel. Patience… » (Leroy, 2022). Serge Zaka, agroclimatologue[15] français évoqué plus haut, se montre optimiste quant à la résilience de la production agricole belge en comparaison à d’autres régions qui feront face à des situations climatiques plus extrêmes, notamment celles en voie de désertification (ex : l’Espagne) ou qui subiront des sécheresses de grande ampleur (ex : le sud de la France). Néanmoins, il avertit à raison qu’il est important que cette question du changement climatique soit prise au sérieux dès aujourd’hui car développer des filières (production-transformation-distribution) ne se fait pas en un claquement de doigts et doit être un minimum planifié (Zaka, 2024).
Alors, quelles trajectoires pourraient prendre les filières agricoles au vu de la situation actuelle ? Sachant que les conditions climatiques futures pourront mettre à mal certaines productions, ne devrait-on pas dès maintenant réfléchir sur quoi produire à l’avenir, et comment, ceci afin de construire des systèmes alimentaires durables, résilients et éthiques en Belgique.
Vous remarquerez que la présente réflexion essaye de se frayer un chemin au sein du système capitaliste actuel régissant les échanges mondiaux et les politiques nationales, régionales et internationales… Tout changement de système économique étant souhaitable, mais pas encore à l’ordre du jour actuellement, la présente analyse joue le jeu de ce système « de référence » en utilisant ses systèmes législatifs, politiques et économiques pour penser l’inclusion dans les systèmes alimentaires. Comment pourrait-on dès lors approfondir ces réflexions, en repensant plus en profondeur notre système économique?
Ensuite, et en réponse à ces premiers enjeux et tentatives d’analyse, quelles solutions pourraient naitre si nous prenions aussi le temps d’être curieux et curieuses vis-à-vis des connaissances et savoir-faire des populations immigrées ? Comment ces populations pourraient contribuer au futur de notre système alimentaire belge, tant du côté de la production – si l’on pouvait transformer nos pratiques agricoles, comment choisir que cultiver demain ? – que du côté de l’importation – si l’on pouvait choisir ce que l’on importe, comment diriger nos choix éthiquement ?
Imaginons que l’on arrive à un consensus à l’échelle nationale, régionale et internationale sur la nécessité d’opter pour une gestion durable des exportations-importations et de la production agricole. Soyons encore plus fous d’imagination en pensant qu’un processus démocratique inclusif régisse les actions à entreprendre pour mettre en œuvre cette gestion. De nombreuses idées peuvent émerger de cet exercice de pensée si la question de l’inclusion du public des personnes immigrées est prise à bras-le-corps, et croisée aux enjeux de transition alimentaire.
III. Produire et importer : la diversité culturelle comme opportunité ?
Ce qui suit a pour but non seulement de souligner l’importance de ne pas omettre le public immigré des réflexions sur nos systèmes alimentaires durables, mais aussi de souligner la richesse des apprentissages que nous pourrions retirer de l’échange avec ces femmes et hommes.
Voici quelques questions pour vous inviter à ouvrir les yeux sur nos pratiques alimentaires immigrées et métissées, avant de nous plonger dans ce sujet passionnant :
- Quelles sont les habitudes culinaires et d’achat de denrées alimentaires des populations immigrées ?
- Quelle est la part d’alimentation importée consommée par les belges? Ceux-ci la considèrent-elle même comme tel (importée) ? (exemple : le chocolat)
- Quelles sont les denrées considérées comme essentielles tant pour les personnes natives qu’immigrées ? Comment confronter ce que chacun·e qualifie d’essentiel ?
- Comment garder un contrôle sur la qualité de la production des denrées que nous importons, en nous émancipant de logiques de dominations économiques et post-coloniales ?
- Au vu des flux migratoires actuels et futurs, à quel genre de transformation pouvons-nous nous attendre ?
Piqûre de rappel sur l’état actuel et le futur de la migration
Des années 1960 aux années 2010, les migrations internationales n’ont cessé d’augmenter fortement, et ce, de plus en plus vite chaque année (Hien Dao et al., 2018). En 2020, il est estimé que 281 millions de personnes, soit une personne sur 30, ne vivaient pas dans leur pays d’origine (McAuliffe & Trianadafyllidou, 2022). Les modèles de prédiction démographique semblent confirmer le maintien de cette tendance pour les décennies suivantes, dont les causes principales sont les déséquilibres démographiques, les inégalités économiques, la mondialisation accrue, l’instabilité politique et les changements climatiques (Hien Dao et al., 2018).
Quant aux migrations internes, soit les personnes migrant au sein d’un même pays, elles ne sont pas en reste. On estimait à 740 millions de personnes ayant fait l’objet d’une telle migration en 2009 (McAuliffe & Trianadafyllidou, 2022). Ce type de migration est le plus sensible au facteur climatique, a reconnu les Nations unies en 2018.
Il est intéressant de souligner, que ce soit pour des migrations internes ou internationales, que l’étude d’un statut juridique de « migrant climatique » est en cours de construction dans différents pays et à l’échelle internationale (Climat.be, 2019).
Cet état des lieux de la migration laisse à penser que la portion de population immigrée ne va cesser d’augmenter dans les pays du monde, notamment du fait que les facteurs de la migration ne vont cesser de se renforcer dans les décennies à venir, pour rappel : les déséquilibres démographiques, les inégalités économiques, la mondialisation accrue, l’instabilité politique et les changements climatiques.
Nous pouvons donc sans doute nous attendre à une société future de l’”hyper-métissage”, une société aux assiettes hétérogènes, composées au carrefour de différentes identités et cultures en mutation constante.
Vers une migration culinaire et alimentaire
Il y aura donc plus de diversité parmi les mangeurs et les mangeuses des pays accueillants. On pourrait dire que l’on sera plus nombreux à manger, mais, au vu des tendances démographiques actuelles des pays européens qui tendent vers une stagnation de la population d’ici 2050, il ne serait pas correct de situer la problématique à ce niveau, un problème d’excédent d’individus (Adveev et al., 2011). Cette analyse défend que notre regard doit davantage être porté sur la considération que les pratiques alimentaires vont être probablement encore plus diverses qu’aujourd’hui, avec des produits plus variés (légumes, féculents, épices…) puisque l’on sait que des « migrations culinaires et alimentaires » accompagnent les mouvements de population.
Mais, à nouveau, qui mangera quoi ? Et ce, d’autant plus si les problèmes climatiques à venir vont nous amener à opter pour une alimentation différente, de gré ou de force. Cette question semble importante du fait qu’on ne puisse ignorer l’ancrage local de pratiques alimentaires « importées » et déjà métissées avec celles des pays d’accueil.
Des pratiques alimentaires entretenues et métissées : une réalité qu’on ne peut ignorer
La « migration culinaire et alimentaire », formulation proposée dans ce texte, s’opère au sein des foyers, par un maintien des habitudes liées à l’alimentation par les familles à titre privé, mais pas seulement. « Pour l’immigré, les métiers de l’alimentation constituent souvent une première ressource pour assurer sa survie dans le lieu où il vient d’arriver. Des activités comme la distribution de denrées de base offrent un accès rapide à un travail rémunéré. », nombreux sont donc les établissements de restauration rapide et restaurants dits « du monde » (cuisine indienne, italienne, chinoise, grecque, …) et même traditionnels participant à matérialiser cette migration des aliments en proposant leur cuisine au pays d’accueil (Barou, 2010).
Le projet Diaspora en action, mené par Eclosio en Belgique, en échange avec la diaspora sénégalaise, a notamment mis en lumière cette réalité. Dans « Tekki »[16], une fiction co-écrite par des membres du secteur associatif sénégalais, on retrouve un personnage nommé Sélim, qui ne pouvant pas exercer comme professeur, se retrouve à travailler dans l’horeca à Matonge, secteur visiblement plus facile d’accès quand on n’a pas les moyens d’obtenir des équivalences de diplôme. Un autre témoignage anonyme d’un sénégalais non-documenté interrogé par Eclosio a aussi révélé l’horeca comme moyen de subsistance informelle : sans accès au travail légal, ce jeune homme cuisinait et livrait des plats sénégalais à vélo au sein de son réseau social, en faisant appel à la solidarité communautaire.
L’activité commerciale sous forme d’épiceries ou de supermarchés plus ou moins spécialisés dans la vente de produits « exotiques[17] » contribue également à ce que les populations immigrées transmettent leur culture alimentaire, tenant des magasins explicitement labellisés comme asiatique, africain et autres.
On pourrait ajouter à cela que les populations métissent leurs pratiques culinaires avec le temps, ce que certains appellent des pratiques alimentaires transnationales, une construction active de leurs pratiques alimentaires allant puiser dans leurs traditions, celles du pays d’accueil voire de celles d’autres communautés migrantes (Cardon et al., 2023). Les échanges et partages de pratiques entre personnes immigrées et natives s’observent tant à l’extérieur (restaurant, événements culturels, établissements scolaires, …) qu’à l’intérieur des foyers (demande des enfants, repas partagés, …) (Bouly de Lesdain, 2002 ; Morin, 2018 ; Osei-Kwasi, 2020). Les travaux de Silhouette-Dercourt illustrent ce métissage : « [ce] sont des lieux de création, où migrants et descendants de migrants nourrissent, renouvellent, élargissent les codes et les pratiques de consommation nationaux ». Les rayons de supermarchés traditionnels et leur rayon « Saveurs du monde » semblent faire écho à ce métissage des pratiques, permettant d’avoir à portée de mains des produits japonais, chinois, espagnols, italiens, américains… Le journaliste Mustapha Harzoune illustre également ce métissage par cet exemple sur l’arrivée du couscous royal France : « Le couscous était déjà sur les tables des cafés kabyles dans les années 1920. Sa notoriété viendra avec l’arrivée des rapatriés en 1962. Si traditionnellement il se décline à toutes les sauces, il devient « royal » et affublé d’une merguez dans sa version hexagonale et commerciale. »
De plus en plus de travaux de recherche sont réalisés sur ces questions liant migration et alimentation, tant en Belgique qu’ailleurs, bien que ce domaine ne semble pas avoir atteint une maturité suffisante (Barou, 2010). Virginie Silhouette-Dercourt a par exemple étudié les « quartiers de consommation exotiques » qui peuvent émerger suite à l’arrivée de populations immigrées. Elle analyse notamment le développement d’épiceries « africaines » dans les quartiers de Château-Rouge et Château d’Eau de Paris comme une réponse « aux besoins d’une population immigrée croissante ». Cette notion de « besoin » est intéressante. Nous allons l’aborder plus en profondeur plus loin. On peut également citer les travaux d’Essomba et al. qui ont étudié l’effet de la migration sur les pratiques alimentaires de migrants intra-frontaliers au Cameroun : « Les migrants s’affirment et affirment leur culture d‘appartenance à travers la cuisine et le repas partagé, parce que les plats traditionnels sont perçus comme une “nourriture de l’âme”. (…) l’héritage culinaire est soumis à l’épreuve de la diversification culturelle et de l’ouverture à la mobilité. Dès lors, on comprend pourquoi les pratiques culinaires se transmettent de moins en moins chez les migrants, comme l’ont aussi observé Poulain et Corbeau dans le cadre d’études similaires en Europe. ».
Ces phénomènes de migration des pratiques culinaires (par contacts, transferts ou confrontations) au sein des foyers et des tissus socio-économiques sont sans doute aussi vieux que les migrations elles-mêmes… (Cardon et al., 2023) Il est aussi intéressant de mentionner des vecteurs modernes de diffusion de ces pratiques permettant la découverte et la reproduction des mets, on pensera notamment aux émissions de télévision et aux contenus partagés sur les réseaux sociaux.
Des pratiques alimentaires contribuant à l’équilibre des individus
Cette continuité des pratiques du pays d’origine au pays d’immigration n’est pas anodine. A une époque, le mal du pays était bien considéré comme une maladie… (Jovicic, 2016). Conçoit-on assez l’importance de l’alimentation pour les personnes immigrées depuis une ou plusieurs générations, dont le bien-être et l’identité passent par une reconnexion culturelle au départ de leur assiette ?
En effet, de manière générale, l’alimentation n’est pas anodine dans la construction des dimensions de notre identité – appartenance nationale ou ethnique, classe, genre ou encore âge (Cardon et al., 2023). Des conditions de vie difficiles liées à un changement de pays de résidence peut la rendre essentielle :
« (…) l’alimentation est souvent au cœur de leur vie. (…) On se rend compte que la nourriture est centrale pour la construction de la famille et la construction d’un chez-soi » (Morin, 2018).
À travers les repas partagés, de nouveaux souvenirs se créent, de nouveaux liens se tissent et des racines se ravivent… En même temps, la nourriture a un effet réconfortant, où plaisir et nostalgie se mêlent (Calderon-Bony, 2012 ; Fehling, 2023). Selon l’anthropologue Jacques Barou elle peut être (1) un facteur d’inclusion dans les communautés ethniques de la diaspora, (2) un facteur d’exclusion face à la xénophobie de la population locale face aux odeurs des nouveaux condiments par exemple, ou encore (3) un facteur d’intégration. La restauration est un bon exemple de « voie de réussite sociale » pour de nombreux·ses migrant·es (Calderon-Bony, 2012), comme évoqué plus haut.
Nous pouvons nuancer ces éléments en rappelant que le métissage s’accompagne au fil du temps d’un oubli transgénérationnel des pratiques culinaires d’origine, qui, on peut le supposer, atténuera la demande de certains produits dans le temps (Durand, 2015). A contrario, on peut imaginer qu’une société plus ouverte et inclusive amènerait à un perpétuel cumul des nouveaux mets entrant en son sein…
Les dynamiques d’apparition, de disparition et d’évolution des pratiques culinaires à travers le temps apparaissent comme des phénomènes complexes qui mériterait une étude approfondie, ce n’est néanmoins pas l’objet de cette analyse. Qu’importe ces dynamiques, l’important ici pour moi est de se concentrer sur comment accueillir et respecter ces nouvelles pratiques, tout en respectant aussi ce que l’environnement peut pourvoir et supporter avec nos activités humaines[18].
Penser la durabilité des systèmes en incluant les métissages alimentaires
Ces réalités doivent être prises en compte pour penser nos systèmes actuels et futurs. Un premier écueil à éviter serait l’adoption (involontaire) d’une vision assimilatrice[19] de l’immigration à travers nos choix alimentaires, par exemple en décidant d’interdire des importations de tel ou tel produits jugés « non nécessaires » dans un contexte de crise climatique. Il sera important de s’accorder sur « qui » détermine ce « non nécessaire » pour que « ce qui est importé et produit » soit représentatif des besoins réels de tous·tes les citoyen·nes en contexte de crise. En prenant en compte aussi que l’interdit d’une denrée alimentaire aura sans doute le double effet de créer un sentiment d‘exclusion chez le public qui la consommait initialement, ou bien de renforcer son attractivité et donc sa vente pas d’autres réseaux commerciaux plus clandestins.
A l’heure où près d’une personne sur cinq est belge d’origine étrangère, ces questions ne peuvent être mises de côté (Statbel, 2024). Comment limiter les importations de tilapia ou de cardamone ? Pour des raisons de production excédentaire d’émissions de CO2, peut-on augmenter les taxes d’importation sur des épices ? Est-ce même souhaitable ?
Notons que même les épiceries engagées en circuit-court continue à vendre des bananes importées (souvent du Pérou), parfois même à perte, car elles sont un véritable produit d’appel pour le ou la belge qui ne semble pas prêt·e à abandonner ce produit d’importation bien assimilé à son régime alimentaire.
Dans un souci d’aller vers un vivre-ensemble souhaitable, tout·e mangeur·euse doit avoir droit au chapitre. Ce sujet si intime qu’est la nourriture ne doit en aucun cas devenir un facteur d’exclusion.
Apprendre des autres pour penser l’alimentation de demain : richesse des savoirs et des pratiques
« Avec le changement climatique il y a un besoin d’autres savoir-faire, et ceux des personnes migrantes adaptés à d’autres climats sont une richesse pour le pays d’arrivée. »
Idriss Yousif Abdalla Abaker, co-fondateur de l’association française A4 (Association d’Accueil en Agriculture et en Artisanat)
Qu’impliquerait une volonté d’assimilation des habitudes culinaires des personnes immigrées ou une omission de ce que peut apporter leurs pratiques agricoles à nos sociétés ? L’avis de cette analyse est que, dans les deux cas, nous aurions beaucoup à perdre de les ignorer, que ce soit volontairement ou involontairement.
D’une part, les connaissances apportées par la migration peuvent nous inspirer sur le « que produire? », nous mettre sur la piste d’aliments que nous pourrions non seulement apprécier sur les plans gustatif et nutritif mais aussi pour leur compatibilité avec les conditions climatiques actuelles ou futures, représentant un enjeu majeur pour le XXIème siècle.
Il est intéressant de constater que l’intégration des sujets « climat » et « immigration », à travers le thème de l’alimentation, se pratique de plus en plus au niveau associatif et au-delà. La FAO a par exemple décrété l’année 2023 « l’année internationale des mils » pour porter l’attention des politiques et du grand public sur le potentiel de cette famille de céréales (aux espèces consommées relativement connues, comme le sorgho, le fonio, le teff, le millet, …) comme denrée à produire et consommer en contexte climatique instable et changeant (FAO, 2023a). Ces dernières années, le festival Nourrir l’Humanité organisé en dans plusieurs villes de la Fédération Wallonie-Bruxelles[20] se fait le théâtre de l’intrication récente de ces différentes thématiques. Nourrir Liège a par exemple organisé une activité de dégustation et de sensibilisation pour porter la double question de la migration et du réchauffement climatique (FAO, 2023b). En 2024, au programme du festival Nourrir Bruxelles, une série d’ateliers « cuisine-discussion » avait précisément pour défi de traiter les questions d’alimentation, de climat et d’immigration (Alimentation, climat : un lien avec les diasporas?, s.d.).
La même année, l’événement « les Tables Paysannes[21] », organisé par Eclosio, La Ceinture Aliment-terre Liegeoise et le collectif Pot’ingé, sous la triple coupole des festivals Nourrir Liège, Nourrir les Campus et Rêve Général[22], posait explicitement la question que l’on se pose dans cette analyse : « Quel rapport as-tu avec ton assiette ? Comment valoriser les personnes qui sont au cœur de notre alimentation ? Quelle est l’agriculture d’aujourd’hui et de demain ? ». L’événement étant organisé comme un World café, une des tables de discussion où les invité·es étaient amené·es à discuter portait justement la question de l’inclusion : « Pallier aux inégalités entre consommateurs et entre producteurs avec l’intervention des pouvoirs publics ». Quelques mois plus tard, à Seraing, cette formule est renouvelée, mais déjà on sent un glissement sur les thématiques, et une volonté d’amener un regard plus interculturel.
“Cinq tables thématiques de discussion étaient proposées. La première sur l’alimentation et la migration était animée par Elsa Mescoli, anthropologue des migrations à l’université de Liège. L’objectif était de savoir si une éventuelle Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA)[23] pourrait prendre en compte les différences socioculturelles et intégrer les personnes les plus exclues de la société, à savoir les sans-papiers. »
Le constat de cette rencontre est que le public présent n’est pas encore celui concerné par les thématiques, mais les organisateur·ices en sont conscient·es. Il faudra encore du temps pour développer une formule d’activité démocratie alimentaire qui soit attractive pour un public multiculturel.
En début de cette analyse je vous invitais à imaginer que l’on arrive à un consensus à l’échelle nationale, régionale et internationale sur la nécessité d’opter pour une gestion durable des exportations-importations et de la production agricole. Et qu’un processus démocratique inclusif pourrait régir les actions à entreprendre pour mettre en œuvre cette gestion. Ici dans le cadre des tables paysannes sérésiennes, cette table sur l’inclusion autour d’un système de Sécurité Sociale de l’Alimentation pourrait être considérée comme une sorte d’embryon de ce futur désirable ! Et oui la SSA étant un projet visant l’accès à une “alimentation durable et de qualité pour toutes et tous”, comme on accède aux soins de santé en Belgique, réalité qui semble maintenant acquise mais qu’il était toutefois difficile d’imaginer à une autre époque ! Continuons à rêver donc, que cette SSA prenne forme de la manière la plus inclusive qui soit, et que la créativité locale et citoyenne permette d’’imaginer des solutions innovantes pour croiser alimentation, durabilité et inclusion !
Notons que d‘autres associations abordent conjointement les sujets de l’immigration et de « l’alimentation durable » comme le collectif « Cuisine métissée », qui agit à Liège (Action Vivre Ensemble, 2018), ou l’ASBL bruxelloise « Rencontre des continents » (Rencontre des Continents, s.d.), il est important de souligner que le monde associatif regorge d’expérimentations inspirantes !
D’autre part, nous avons également à apprendre du « comment produire? », que ce soit pour les denrées (animales ou végétales) endémiques ou introduites. De fait, les personnes immigrées, qu’elles soient issues de communautés urbaines ou rurales, pourraient être source d’apprentissages et d’échanges bénéfiques. En ce qui concerne les urbain·es plus ou moins récemment installé·es en ville dans leur pays d’origine, on pourrait s’intéresser aux souvenirs des savoirs et pratiques détenus par les agriculteur·ices des membres de leur famille et leurs communautés, que ce soit sur leur expérience actuelle ou celle de leurs ancêtres. Idriss Abdalla Abaker, cité en ouverture de ce chapitre, interviewé par le journal de l’organisation belge d’éducation permanente « Cultures et Démocratie », peut nous éclairer de son expérience :
« Beaucoup de gens qui arrivent ici savent travailler la terre. Moi-même j’étais agriculteur au pays, et ma famille aussi. La plupart des Africain·es que j’ai rencontré·es ont au moins des connaissances rudimentaires en agriculture : chez nous, l’agriculture, ce n’est pas tant un métier qu’un savoir de base. Mais pour une personne exilée qui arrive ici, même avec un titre de séjour, l’accès à la terre reste difficile. Le plus souvent, elle est embauchée pour un travail répétitif comme la récolte ou la cueillette, mais on ne lui propose pas d’apprendre. Pourtant, avec le changement climatique dont on voit déjà les impacts ici, il y a de quoi faire. Les paysans et les paysannes sont en galère aujourd’hui à cause du climat : la terre commence à donner moins. On parle de baisse de production de jusqu’à 30%. Et nous, on sait par exemple que certains légumes de chez nous pourraient être cultivés ici. Au pays ça commence à être problématique parce que l’eau manque, mais ici ça pourrait pousser. Il faut imaginer des échanges entre différents types d’agriculture qui soient un peu ouverts et ne pas rester sur le discours : « Moi je suis agriculteur·ice, j’ai fait des études, je sais faire et je vais te montrer. » Il existe des savoir-faire différents qui peuvent aider les agriculteur·ices d’ici. Même chose dans l’artisanat. Notre four à pain mobile a été construit par un artisan soudanais qui en a construit plus de deux cents en France. »
(Abdalla Abaker, 2024)
Concernant les populations immigrées plutôt d’origine rurale, soyons prudents à ne pas créer une image romantique de la personne immigrée dotée d’une myriade de savoir-faire agricoles. La réalité est sans doute moins caricaturale au vu de l’impact du parcours migratoire et des différentes trajectoires. Des solutions à ce manque de connaissances seront abordées dans le dernier chapitre de cette analyse.
IV. Pistes de solution et d’action
Au vu des problématiques relevées et des questions soulevées tout au long de cette analyse, il est peut-être temps d’aborder des pistes d’action afin d’encourager une meilleure inclusion des personnes immigrées dans la construction de nos futurs systèmes alimentaires.
Acquérir des connaissances des savoirs agricoles – approches socio-anthropologiques
Un premier levier d’action serait le développement des connaissances sur ces questions d’immigration et de savoirs agricoles. Il s’agirait d’aller à la rencontre de ces femmes et de ces hommes pour comprendre ce qu’ils et elles ont à nous apprendre – qu’ils ou elles habitent ou travaillent à la campagne ou en ville, qu’ils ou elles soient immigré·es de milieux urbains ou ruraux, et ce depuis une ou plusieurs générations.
De nombreuses études ont été réalisées sur la situation des ouvriers agricoles saisonniers, dont nous dépendons d’ailleurs de plus en plus, mais il est presque impossible de trouver des éléments de connaissance sur leurs savoirs (Chouin, 2020 ; Filhol, 2013 ; Michalon & Weber, 2022 ; Roux, 2006).
Il serait souhaitable que la recherche investigue cette question des compétences agricoles des personnes immigrées, en particulier par des approches socio-anthropologiques, bien que cela puisse représenter un réel défi d’aller à la rencontre de ces publics et d’explorer leur passé quelque fois bien douloureux (Castagnone & Termine, 2018).
Voici quelques pistes de questions de recherche à explorer : Quels types de savoirs détiennent-ils, détiennent-elles ? Comment ces savoirs sont-ils mobilisés dans leur vie quotidienne ? Comment ont évolué leurs savoirs au fil de leur parcours migratoire ? Comment ces savoirs circulent ? Comment interagissent-ils avec les pratiques agricoles du pays d’arrivée ? Comment pourraient-ils bénéficier à l’agriculture locale du pays en question ? Un genre de « traque à l’innovation » revisitée auprès d’acteur·ices qui ne sont pas agriculteur·ices mais détiennent potentiellement des savoirs très utiles (Salembier et al., 2021).
Développer l’expérimentation et l’implémentation de solutions – approches agronomiques
Des espaces d’échange et de co-construction devraient voir le jour pour que ces savoirs circulent et s’hybrident avec la connaissance agronomique des pays tempérés afin de pouvoir trouver des solutions aux enjeux de production alimentaire du siècle, menacée en l’état par les conséquences du changement climatique.
Des projets de recherche-action mêlant plusieurs disciplines (agronomiques et sciences sociales) pourraient être le berceau d’une hybridation plus que souhaitable des savoirs. Ils pourraient se concentrer sur le « que » et sur le « comment » produire. Au vu de la proportion élevée des populations immigrées et du nombre d’organismes œuvrant avec/pour elles en Belgique, il semblerait que la réalisation de ce type d’étude soit loin d’être inenvisageable avec des partenariats pertinents avec des organismes de terrain (voir point suivant).
La question de l’éthique derrière la mise en œuvre des recherches, de même que la restitution et la circulation des résultats de ces recherches devra impérativement être traitée, afin de ne pas léser le public immigré dans les processus entrepris, comme c’est le cas[24].
Soutenir les réseaux et associations existants qui appuie la recherche et l’expérimentation
Que ce soit pour des partenariats de recherche ou un accompagnement sur la création des projets de recherche (méthodologie, questions éthiques, trouver des publics), la société civile et son tissu de bénévoles, d’associations et d’ONG doit être considérée comme un partenaire de choix pour creuser ce triptyque alimentation-immigration-durabilité. La Belgique est riche de son histoire associative et il est fort à parier que de nombreuses organisations peuvent apporter un éclairage intéressant sur ces sujets.
L’association française A4[25], évoquée plus haut dans cette analyse, n’a pas attendu que la recherche vienne à elle pour expérimenter :
« Il existe des savoir-faire différents qui peuvent aider les agriculteur·ices d’ici. Même chose dans l’artisanat. Notre four à pain mobile a été construit par un artisan soudanais qui en a construit plus de deux cents en France.
Ça se traduit aussi par des cultures qu’on expérimente. À Lannion on a essayé de faire monter des graines issues de la coopérative agricole de Somankidi Coura, cofondée par Bouba Touré au Mali [en 1977] qui a vécu en France où il a eu une expérience comme la nôtre, et on expérimente la culture du millet. Je cultive aussi un peu de plantes médicinales, certaines locales et d’autres moins, comme le gingembre ou les arachides… » (Abdalla Abaker, 2024)
Un travail de prospective devra être réalisé pour trouver les associations pertinentes avec lesquelles travailler en fonction de la recherche à mener.
Réfléchir les enjeux de représentation
Il serait également intéressant d’identifier les instances de réflexion et de prise de décision où des groupes de conseil sur la question de prise en compte de l’expérience et des besoins des personnes immigrées pourraient prendre part aux processus d’élaboration de projets de recherche, de groupes de travail ou de création de comités consultatifs et/ou d’experts. Le mieux serait néanmoins que le public concerné intègre directement ces instances.
A Liège, territoire où la démocratie alimentaire s’expérimente avec dynamisme, il serait intéressant d’examiner si le principe d’équité sociale[26] du Conseil Politique Alimentaire de Liège Métropole[27] arrive à s’appliquer lors des nombreuses consultations publiques et dynamiques de participation mises en place. Il serait intéressant d’identifier comment des populations immigrées perçoivent la vision d’une agriculture durable telle que proposée par ce genre d’instance. L’expérience d’acteurs de terrain[28] au contact de ces acteur·ices devrait aider à apporter de la lumière sur les enjeux d’inclusion, que ce soit pour revoir les mécanismes de participation – en identifiant des freins et leviers à la participation – ou pour être intégrés dans ces instances de gouvernance.
Sur un pas de temps plus long, il serait souhaitable qu’une veille à l’inclusion soit maintenue pour toute création d’instance visant à agir sur la question de l’alimentation et de la durabilité : pourquoi pas lors de la création d’un « observatoire moral et éthique de l’import-export » ?
Conclusion
L’alimentation est de plus en plus reconnue comme un levier d’action pour façonner des sociétés plus durables. Derrière ce que l’on mange, des inégalités se dessinent à de nombreux niveaux et permettent d’illustrer le rapport que nous, humains, entretenons avec nos pairs ou les non-humains. Les dérèglements climatiques nous amèneront à devoir effectuer des choix, que ce soit sur ce que l’on décide de produire ou d’importer pour compléter ce qu’on ne peut. Il nous faut espérer que ces choix se réaliseront de manière démocratique, au vu de respecter les besoins de l’ensemble de la population.
Cette analyse permet de poser les jalons pour trouver ces solutions en intégrant de manière générale les populations concernées qui doivent décider d’elles-même dans une idée d’exercice de son droit à l’alimentation et son pouvoir de démocratie alimentaire. Elle permet de souligner plusieurs choses : (1) l’importance de ne pas délaisser le vécu des personnes immigrées dans nos réflexions sur les systèmes alimentaires durables, (2) on aurait beaucoup à gagner à s’enrichir de leurs expériences afin de nourrir nos réflexions, (3) de véritables trous de connaissances existent sur ce triptyque alimentation-durabilité-immigration, qu’il serait intéressant d’investiguer à travers des recherches interdisciplinaires menées avec des acteurs de terrain et, (4) la représentativité des publics immigrés, qu’elle soit directe ou indirecte, au sein de tout organisme traitant de questions d’alimentation durable doit être pensée dans un soucis d’inclusivité.
Répondre à cette interrogation initiale « Comment réfléchir sur nos productions et importations tout en respectant les besoins des populations immigrées et les limites planétaires ? » s’est avéré complexe, résultant sur une absence de réponse unique et définitive. Néanmoins, trouver une réponse ne pourra qu’être réalisé en faisant le choix de l’inclusion des personnes concernées et de leurs savoirs dans l’élaboration de notre avenir alimentaire.
Notes :
[1] L’expression « population immigrées » inclut les primo-arrivant·es et les populations issues de l’immigration, présentes depuis plus longtemps sur le territoire.
[2] Organe principal visant à mettre en application la CCNUCC (convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques), texte signé et ratifié par plus de 190 pays.
[3] On entend les émissions liées à la production d’aliments, à leur transformation et à leur distribution.
[4] « pédo-» est un préfixe signifiant « sol ». Les conditions pédoclimatiques sont l’ensemble des caractères du climat local et des caractères des sols d’une exploitation ou d’une parcelle (type de sol, plus ou moins argileux,…), servant de cadre à la production agricole (Baize, 2004).
[5] Lutosa est une entreprise belge spécialisée dans la transformation industrielle de pommes de terre (frites surgelées, purée…). Ils ont deux sites de production : un à Leuze-en-Haînaut (province du Haînaut) et un autre à Vive-Saint-Eloi (province de la Flandre Occidentale). La société appartient aujourd’hui au groupe canadien McCain, mais le siège social se situe toujours en Belgique.
[6] Rappelons que le dérèglement climatique va bouleverser nos habitudes de production. En effet, chaque plante a besoin d’un environnement particulier pour pousser (température, disponibilité en eau et en nutriments) et son rendement dépend également de ces conditions. Aujourd’hui, c’est le rendement qui conditionne si on continue ou non de produire telle ou telle espèces (blé ? maïs ? épeautre ?), de même pour les variétés d’une même espèce (blé dur ? blé tendre ?).
[7] Déjà en 1939, un agronome de l’Université Catholique de Louvain rapportait que la moitié des calories consommées en Belgique étaient importées (Baudhuin, 1939).
[8] Question sur laquelle l’ASBL Terre-en-Vue se penche avec d’autres acteur·ices du mouvement paysan belge (https://terre-en-vue.be/).
[9] Une idée de grandeur peut être trouvée sur les sites MarineTraffic.com et FlightRadar24.com, même si l’on ne peut distinguer les navires et les vols commerciaux des autres utilités.
[10] Lire à ce propos la tribune de l’économiste Xavier Dupret « Aujourd’hui, cinq entreprises – ADM, Bunge, Cofco, Cargill et Louis Dreyfus Company – dominent la quasi-totalité de l’approvisionnement alimentaire dans le monde » : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/07/22/aujourd-hui-cinq-entreprises-adm-bunge-cofco-cargill-et-louis-dreyfus-company-dominent-la-quasi-totalite-de-l-approvisionnement-alimentaire-dans-le-monde_6255170_3232.html
[11] Telles qu’évoquées par les penseurs Raphaël Stevens et Pablo Servigne et sur lesquelles ils essayent d’alerter, lire « Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie à destination des générations présentes », éditions du Seuil, publié en 2015.
[12] L’agriculture dite « conventionnelle » est le modèle agricole dominant des pays industrialisés, produit de l’intégration de diverses révolutions technologiques au secteur agricole (génétique – variétés plus efficientes, chimique – élimination radicale des « ravageurs » et des « mauvaises herbes » pour donner des conditions optimales de croissance aux plantes, mécanique – tracteurs et outils plus puissants). Ce type d’agriculture permet de produire plus de nourriture (plus et sur de plus grandes surfaces) à bas prix par unité de travail. On oppose en général ce modèle à l’agriculture dite « paysanne » où d’autres principes de production sont d’application : autonomie, artisanat, bien-être,… Lire à ce propos le rapport d’Oxfam « L’agriculture paysanne peut nourrir le monde et refroidir la planète » et le livre du sociologue agraire Douwe van der Ploeg « Les Paysans du XXIème siècle ».
[13] La filiale francophone de la banque flamande KBC, CBC banque, a organisé en 2023 son cinquième « Observatoire agricole », soit une enquête thématique (cette année, le réchauffement climatique) visant à sonder les agriculteur·ices sur leur secteur.
[14] L’IPSOS est une entreprise de sondage française de bonne renommée.
[15] Chercheur étudiant l’influence du climat sur la production agricole. Serge Zaka s’intéresse plus précisément aux impacts de l’évolution du climat sur la rentabilité des cultures.
[16] Tekki, une œuvre d‘éducation permanente qui porte un regard collectif sur différentes réalités des parcours migratoires entre Europe et Sénégal – 2021 – https://www.youtube.com/watch?v=K8k_vL5kcKM
[17] C’est-à-dire « à la fois autre et désirable » (Cardon et al., 2023)
[18] La théorie du donut se cache discrètement derrière cette phrase. Cette théorie situe ce qui est souhaitable pour notre humanité entre un plafond écologique (les « limites planétaires ») à ne pas dépasser et un plancher social sous lequel on ne peut pas faire du concession (pouvant être illustre par l’idée des 17 objectifs du développement durable de l’ONU).
[19] Reposant sur la logique de l’intégration, remise maintes fois en cause dans sa dimension unilatérale, tant la diversité est porteuse de richesses économique et culturelle.
[20] Il existe une pléthore de festivals « Nourrir » en Belgique organisés chaque année. Ils sont rassemblés sous un mouvement nommé « Nourrir l’humanité, les festivals de la transition alimentaire » en hommage à une pièce de théâtre quasi-éponyme « Nourrir l’humanité, c’est un métier » (par la compagnie Adoc), connue pour avoir porté la question de la détresse agricole auprès du grand public. Consulter : https://nourrir-humanite.org/
[21] Rencontre proposée par l’ONG Eclosio, la CATL (Ceinture Aliment-Terre Liégeoise), le MAP (Mouvement d’Action Paysanne) et le Pot’Ingé
[22] Festival ayant pour ambition de mélanger « l’art, la science et la démocratie » (https://revegeneral.be/)
[23] Voir l’étude 2024 de la CATL : La Sécurité Sociale de l’Alimentation. Origines, enjeux et perspectives,
2024, disponible sur : https://www.catl.be/la-catl/publications/
[24] Voir à ce propos les débats autour de l’appropriation abusive des savoirs autochtones, dont cet article peut être une porte d’entrée : https://theconversation.com/debat-la-biopiraterie-ou-le-vol-des-savoirs-ancestraux-92780
[25] Pour consulter leur site internet : https://a4asso.org/
[26] Défini dans leur cadre stratégique comme « tous les acteurs doivent bénéficier de la transition et être capables d’y prendre part »
[27] Pour en savoir plus : https://www.catl.be/le-cpa/
[28] On peut citer la MadIL (Maison de l’Alimentation Durable et Inclusive de Liège) (https://www.madil.be/charte-activite-madil-mise-en-page-a4.pdf)
Bibliographie
Abdalla Abaker, I. Y. (2024). « Ceux qui traversent la mer connaissent la terre ». Culture & Démocratie. Consulté le 8 décembre 2024, à l’adresse https://www.cultureetdemocratie.be/articles/ceux-qui-traversent/
Action Vivre Ensemble. (2018). Atelier cuisine métissée et durable. Consulté le 7 mars 2024, à l’adresse https://vivre-ensemble.be/association/atelier-cuisine-metissee-et-durable/
Alimentation, climat: un lien avec les diasporas? (n.d.). Nourrir L’Humanité. https://nourrir-humanite.org/event/alimentation-climat-un-lien-avec-les-diasporas-2/
Avdeev, A., Eremenko, T., Festy, P., Gaymu, J., Le Bouteillec, N. et Springer, S. (2011) . Populations et tendances démographiques des pays européens (1980-2010). Population, 66(1), 9-133. https://doi.org/10.3917/popu.1101.0009
Baize, A. (2004). Pédoclimatique. Les Mots de L’agronomie. Consulté le 4 décembre 2024, à l’adresse https://mots-agronomie.inra.fr/index.php/P%C3%A9doclimatique
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Rêver et investir le territoire : de l’inclusivité aux pouvoirs partagés – Etude
“Tout territoire social est un produit de l’imaginaire humain” Y. Barel
Cette étude est une production collective Eclosio écrite par différentes auteures : Déborah Chantrie (Chapitre sur le Sénégal), Mariel Engels (Chapitre sur la Belgique). Leur travail a été enrichi et appuyé par Romane Marchal, Aliénor Pirlet et Claire Wiliquet sous la coordination de Déborah Chantrie et Olfa Chedli.
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Table des matières
1.2. Dimensions du Territoire : Interactions et dynamiques de pouvoir
1.3. Les Piliers du Territoire : Matériel et Idéel
1.4. Une Grille de lecture Systémique
1.5. Des territoires multiscalaires.
1.6. Territorialité et pouvoir
1.7. Vers une approche inclusive
2.1.1. Gouvernance des terres : le droit foncier au prisme des règles coutumières
2.1.2. Colonisation et décolonisation : repenser les rapports à la terre
2.1.3. Femmes, terre et transition agroécologique
2.1.4. De quoi s’inspirer pour nos territoires
“Appren-tissages” à travers des projets de potagers
B. Le Pot’Ingé, un projet tout aussi inspirant !
3. Repenser les territoires à travers le prisme de l’inclusivité
3.1 En Belgique, les terres publiques comme piste d’action
3.2 Le budget participatif comme leviers d’action
1. Introduction
1.1. Territoires et pouvoirs
En janvier 2024, de fortes mobilisations agricoles éclatent, révélant les tensions profondes entre territoire et pouvoir. Ces mouvements mettent en lumière les difficultés croissantes pour les agriculteurs et agricultrices d’accéder aux terres qu’iels cultivent. À bout de souffle, ces derniers tirent la sonnette d’alarme face à un contexte néolibéral qui les étouffe : l’accès à la terre devient de plus en plus difficile, la pression sur les prix ne cesse d’augmenter, et les accords de libre-échange menacent à la fois leurs revenus et la qualité des produits.
Ces mobilisations soulignent un enjeu central : le lien intrinsèque entre le territoire – la terre cultivée par les agriculteur·ices – et le pouvoir qu’ils·elles peuvent encore exercer sur celle-ci. Cette situation remet en question le concept de souveraineté alimentaire, une thématique fondamentale pour Eclosio. Un point de tension majeur réside dans la dépossession progressive des terres et des savoir-faire agricoles : les agriculteur·ices perdent peu à peu le contrôle non seulement sur leurs terres, mais aussi sur les décisions qui concernent leur exploitation. Ces luttes résonnent avec les enjeux globaux que nous abordons dans d’autres régions, comme le Sénégal, où l’accès au foncier est souvent encadré par des droits coutumiers.
Face à ce constat, une question essentielle se pose : comment les acteurs et actrices d’un territoire peuvent-ils·elles accéder à leurs ressources et participer aux décisions qui les concernent ? À travers cette étude, nous analysons des exemples concrets appuyés par Eclosio, en identifiant des pistes pour renforcer l’inclusivité et la résilience dans les territoires.
En tant qu’ONG universitaire, Eclosio place les dynamiques de pouvoir au cœur de ses réflexions, en tenant compte des réalités propres aux territoires où elle agit. Nous avons pour vision un monde où les générations actuelles et futures exercent ensemble leurs droits à vivre dignement, en interaction harmonieuse avec leur environnement. Présente en Belgique, au Sénégal, au Cambodge, en Bolivie, et dans d’autres pays, Eclosio œuvre sur des thématiques variées. Avec la communauté universitaire et la société civile organisée, nous nous sommes fixés pour mission d’impulser la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées par l’exclusion et les inégalités et l’engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques actuels. Pour ce faire, nous mettons en œuvre des dynamiques d’inclusion, en créant ensemble des compétences, des savoirs et des solutions innovantes ainsi qu’en suscitant l’engagement des secteurs public et privé. Que ce soit dans les villages sénégalais, les montagnes boliviennes[1] ou les campus universitaires belges, nous collaborons avec des acteurs et actrices engagé·es à rendre le monde plus viable. Ces personnes, qu’elles plantent des arbres, préservent des semences locales ou participent à des actions collectives, contribuent toutes, à leur échelle, à construire un avenir durable. Nous travaillons également sur un territoire mental, en encourageant des changements de mentalité à travers des projets concrets et des méthodologies participatives. Ces initiatives invitent à repenser les rapports entre les humains et la Terre, à imaginer des alternatives et à se décentrer du modèle occidental dominant.
Pour ce faire, nous envisageons le territoire au-delà de sa dimension matérielle. En effet, le territoire n’est pas seulement un espace géographique délimité par des frontières ; il est également un espace mental et social. Il reflète les relations entre les humains et leur environnement, mais aussi entre les individus eux-mêmes, traversées par des logiques de pouvoir. Travailler sur les territoires implique donc de penser ces interactions complexes, qu’il s’agisse des liens avec la nature ou des rapports sociaux marqués par des inégalités.
Adopter une approche territoriale, c’est considérer les ressources naturelles, les cultures et les organisations sociales qui façonnent un lieu. Ce regard nous permet de mieux comprendre les enjeux locaux et globaux, tout en questionnant les relations de pouvoir qui s’y jouent.
Cette étude propose une exploration de la thématique “territoires/pouvoirs” à travers les continents et les échelles, mettant en perspective les relations qui se tissent au sein des territoires. Elle explore des concepts tels que la réappropriation de l’espace, la gouvernance locale et la souveraineté alimentaire. En passant de projets agroécologiques au Sénégal à des initiatives étudiantes sur le campus de Liège, nous cherchons à dégager des solutions inspirantes pour un avenir inclusif.
Comprendre les relations entre humains et territoire, c’est aussi s’ouvrir à d’autres manières de penser, de vivre et d’interagir avec la Terre. En nous intéressant aux pratiques d’autres cultures, nous pouvons sortir de nos cadres habituels, enrichir nos perspectives et imaginer des réponses collectives face aux défis actuels. Comme le souligne Hamant[2] (2024), pour passer du pouvoir à la puissance et bâtir une société plus robuste et solidaire, il faut savoir s’arrêter, réfléchir et rêver.
Par cette étude, nous invitons à rêver le territoire de demain. Mais avant de se plonger dans les analyses de cas, un détour théorique est important, afin de comprendre la méthodologie qui sous-tend cette étude.

Photo Pixabay (Crédit johnNaturePhotos)
1.2. Dimensions du Territoire : Interactions et dynamiques de pouvoir
Le territoire est un objet d’étude complexe, révélant des interactions profondes entre ses dimensions matérielles, sociales et idéelles, ainsi qu’avec les dynamiques de pouvoir qui les traversent. Alors que le territoire peut être envisagé comme un espace physique et symbolique, le pouvoir incarne les dynamiques d’autorégulation et de contrôle exercées sur cet espace. Ce lien est complexe entre territoire et pouvoir. La territorialité comme le souligne Georgia Kourtessi-Philippakis (2011), traduit la tentative par un individu ou un groupe d’affecter, d’influencer ou de contrôler d’autres personnes, phénomènes ou relations, et d’imposer leur contrôle sur une aire géographique donnée, un territoire.
Ainsi, le comportement territorial est un système cognitif et comportemental qui a pour objectif l’optimisation de l’accès d’un individu ou d’un groupe aux ressources de manière temporaire ou permanente (Kourtessi-Philippakis, 2011). Ainsi, le processus d’organisation territoriale doit s’analyser à deux niveaux distincts : celui de l’action des hommes sur les supports matériels de leur existence et celui des systèmes de représentations (P. Bonte, M. Izard, Dictionnaire de l’ethnologie). Le territoire est à la fois objectivement organisé et culturellement inventé. A ce propos, Georgia Kourtessi-Philippakis dit “C’est peut-être là, dans l’intersection des frontières physiques et mentales, que se trouve la difficulté de définir les territoires”.
1.3. Les Piliers du Territoire : Matériel et Idéel
Le territoire repose sur deux piliers fondamentaux – le matériel et l’idéel – qui forment ensemble un système complexe, à la fois objectif et culturellement inventé (P. Bonte, M. Izard). La dimension matérielle englobe les caractéristiques physiques et biophysiques de l’espace, telles que la propriété foncière et les infrastructures, tandis que la dimension idéelle concerne les représentations symboliques, philosophiques et politiques que les acteurs projettent sur le territoire.
Comme l’explique Alexandre Germain, ces deux dimensions sont interdépendantes : « Le rapport de l’homme à l’espace concret relève d’un processus culturel, d’une qualification de la matérialité du monde par le sens que produisent les sociétés. » Cette interaction est visible dans la manière dont les frontières matérielles – chemins, bâtiments, postes-frontières – sont investies d’une dimension idéelle pour structurer les relations sociales et politiques.
1.4. Une Grille de lecture Systémique
Pour appréhender le territoire dans toute sa complexité, il est utile de mobiliser une grille de lecture systémique qui articule trois dimensions distinctes mais complémentaires (Laganier et al., 2002 ; Moine, 2006) :
- Dimension matérielle Le territoire, conçu comme support physique, est doté de propriétés biophysiques qui définissent des opportunités ou des contraintes pour le développement des systèmes anthropiques. Par exemple, au Sénégal, l’accès à la terre pour les pratiques agroécologiques met en lumière des enjeux de propriété foncière et de gestion durable des ressources.
- Dimension organisationnelle Cette dimension concerne les interactions entre acteurs sociaux et institutionnels. Ces derniers se structurent en organisation pour orienter les stratégies de développement. Les collectivités territoriales et la société civile jouent un rôle clé dans l’inclusivité des processus décisionnels, notamment en garantissant une représentation équitable des groupes marginalisés dans la gestion des territoires.
- Dimension identitaire Le territoire reflète également l’identité collective des acteurs sociaux et institutionnels se représentent l’identité, se l’approprient et le font exister par la mise en œuvre d’action pour son développement. Cette dimension idéelle ou identitaire se manifeste dans les représentations culturelles, spirituelles et historiques que les communautés projettent sur leurs espaces de vie.
Pour chacun des cas que nous explorons dans cette étude, nous mobilisons cette grille de lecture.
La question du rapport au territoire peut être abordée sous plusieurs angles. La majorité des géographes s’accordent pour dire que le territoire est avant tout un espace. Cependant, cette notion dépasse largement la simple conception d’un espace clos et se rapproche davantage d’un système complexe et dynamique créé par les acteurs et actrices. Le territoire est donc un produit culturel basé sur la relation que les humains entretiennent avec l’espace physique dans lequel ils vivent (Germain, 2012). Cette dimension est cruciale pour comprendre un territoire à travers ses aspects matériels, c’est-à-dire physiques, et idéels, c’est-à-dire les perceptions et représentations associées au territoire. En d’autres termes, les humains habitent la Terre dans des espaces physiques, composés par exemple de frontières et de limites administratives, matérialisées par les entrées et sorties des territoires. Mais d’autres espaces existent et constituent d’autres territoires : ceux de la culture et du sacré, qui revêtent une dimension symbolique et spirituelle importante. Bien entendu, les liens entre territorialité idéelle et matérielle sont très forts, l’une influençant constamment l’autre. Pourtant, cette distinction est primordiale car il faut bien comprendre que très peu de sociétés ont été fondées sur des frontières fixes (Germain, 2012). Même si, nous sommes tous et toutes profondément attaché·es à l’espace physique qui nous apporte sécurité, et souvent, cet espace est aussi celui où l’on crée et conserver des liens (Moine, 2006). La territorialité est donc une pratique, car elle repose sur le sens que les humains attribuent à l’espace physique qu’iels habitent.
1.5. Des territoires multiscalaires.
En outre, les territoires existent à travers leurs dimensions matérielles et idéelles, mais ils sont aussi multiscalaires (Germain, 2012), ce qui signifie que le territoire peut être appréhendé à différentes échelles, allant de l’échelle locale à l’échelle globale. Il est assez intuitif de penser le territoire à l’échelle locale. D’ailleurs, comme nous allons le voir à travers l’exemple de deux potagers communautaires dans l’enceinte de l’université de Liège, les personnes ont tendance à s’impliquer facilement dans des espaces fréquentés quotidiennement. Pourtant, dans un monde globalisé, nous ne pouvons ignorer les dérèglements climatiques qui touchent de manière disproportionnée les populations vulnérables. Alors que les pays les plus pollueurs sont encore très peu touchés par les impacts du dérèglement climatique, les agriculteur·ices du Sahel, d’Inde ou du Pakistan sont touchés de plein fouet par les vagues de chaleur, dépassant parfois les 50°C, et les laissant dans l’impossibilité de cultiver. Il est donc nécessaire de conceptualiser le territoire à une échelle globale, en tenant compte des équilibres terrestres qui maintiennent la vie sur terre afin de comprendre les interdépendances entre les pays. Actuellement, tant au niveau global que local des relations de pouvoir et d’exclusion sont à l’œuvre.
1.6. Territorialité et pouvoir
Enfin, outre ses dimensions matérielle et idéelle, le territoire est caractérisé par son aspect social. En effet, les humains sont au cœur des territoires, car ce sont eux qui les créent à travers l’ensemble des interactions dynamiques entre les acteurs et l’environnement (Moine, 2006). Ces interactions ne se réalisent pas sans rapports de domination, car chaque acteur va chercher à exercer son pouvoir sur un territoire. Comme le rappelle Georgia Kourtessi-Philippakis, le territoire est un espace de domination où les acteurs cherchent à optimiser leur accès aux ressources. Ces dynamiques de pouvoir influencent la manière dont les décisions sont prises et les ressources partagées.
Le territoire a donc une dimension sociale importante car il est l’espace physique que les humains s’approprient à travers les systèmes de représentation. Il a donc un aspect culturel et historique, et le sentiment d’appartenance à un territoire est le résultat d’un vécu, mais il est ancré dans le présent car c’est le lieu de constitution de la société et de la possibilité de vivre ensemble.
Plusieurs catégories d’acteurs (Moine, 2006) gravitent autour d’un territoire et, comme nous le verrons, ont des logiques et des intérêts différents :
- L’État, en tant qu’État-nation,
- Les collectivités territoriales,
- La société civile et les multiples groupes existants,
- Les intercommunalités,
- Les entreprises.
1.7. Vers une approche inclusive
Ces groupes d’acteurs entretiennent des relations parfois inégalitaires.
C’est le cas, par exemple, au Sénégal, lorsque les entreprises privées accaparent les terres des paysans. Cette pensée, qui complexifie le territoire à travers les relations qu’entretiennent les personnes habitant ce territoire, rend cruciale la question de l’inclusivité afin que toutes les communautés, y compris les groupes marginalisés, aient la possibilité de participer aux processus décisionnels concernant la gestion des territoires. Pour cela, il est important d’adopter une représentation équitable des différents groupes dans les instances de décision.
Enfin, la dimension idéelle ou idéologique est importante car elle soulève une question existentielle : quel(s) rapport(s) souhaitons-nous entretenir avec le territoire et à quelles fins ? Réfléchir sur le territoire est aussi un terreau pour amorcer d’autres réflexions plus larges sur la démocratie, la justice et l’égalité. Une fois la multiplicité des relations au sein d’un territoire exposée, comment penser nos rapports à ce dernier pour favoriser l’inclusivité et la diversité ? Alors que le discours politique actuel tend vers une exclusion de l’Autre, et que les discours d’extrême droite visent à instrumentaliser les différences pour exclure, n’est-il pas temps d’appréhender la diversité à travers le prisme de la richesse plutôt que de celui de l’exclusion ? N’est-il pas temps de revoir nos rapports à la Terre, aux autres et à nous-mêmes à travers le paradigme du soin plutôt que celui de l’exploitation ? Finalement, comme se le demande Alexandre Germain, comment « gérer la concurrence des légitimités territoriales dans un même espace » ?
Réfléchir au territoire implique de dépasser les logiques exclusives et les rapports de domination. Comme le souligne Alexandre Germain, « penser le territoire comme un espace clos constitue un obstacle à la justice et à l’égalité. » Une approche inclusive requiert :
- Une participation équitable : garantir que toutes les voix, y compris celles des groupes marginalisés, soient entendues.
- Un accès aux ressources : notamment l’accès à la terre, indispensable pour les pratiques agricoles.
- Une reconnaissance des diversités : valoriser les représentations culturelles et les savoirs locaux dans la gestion des territoires.
Dans cette étude, Eclosio propose d’approfondir les réflexions sur les liens entre territoire et inclusivité à travers plusieurs études de cas dans différent pays. De cette manière nous allons revenir de manière concrète sur des exemples à travers le monde afin de questionner l’inclusivité au sein des territoires. L’accès équitable aux ressources, dont la ressource foncière nécessaire aux pratiques agricoles, ainsi que la reconnaissance et le respect des diversité au sein des territoires sera questionnée. Enfin les questions d’équité et de justice sociale, au cœur de notre travail quotidien seront abordée.
En somme, la territorialité, et l’inclusivité sont profondément interconnectées. Un territoire inclusif est celui qui reconnaît et valorise la diversité de ses habitants, qui garantit une participation équitable aux processus décisionnels et qui lutte activement contre les inégalités. En repensant nos rapports au territoire à travers le prisme de l’inclusion et de l’inclusivité, nous pouvons créer des espaces plus justes, équitables et harmonieux pour tous. En repensant nos rapports au territoire, nous pouvons créer des espaces plus équitables et durables, en résonance avec les enjeux globaux du XXIe siècle.
2. Territoires en transition
2.1. Sénégal
A. Gouvernance des terres : le droit foncier au prisme des règles coutumières
La question foncière, c’est-à-dire, « l’ensemble des rapports sociaux entre les humains à propos de l’accès à la terre et aux ressources naturelles qu’elle porte, et du contrôle de cet usage » (Colin J.Ph & Co, 2022) sont centrales parce qu’elles cristallisent des rapports de domination dans les sociétés. La terre et les ressources naturelles présentes sur un territoire sont liées au pouvoir économique, étant donné leur fonction productive. En effet, accéder à la terre c’est avoir les moyens de produire des denrées alimentaires pour nourrir sa famille et générer des revenus ; un accès sécurisé est donc primordial pour assureur sa propre subsistance, ou celle de sa population. En Afrique de l’Ouest, environ la moitié des habitant·es vivent des activités agricoles, et aujourd’hui face aux conséquences du dérèglement climatique (sècheresse, désertification, salinisation des sols, et autres), les conditions de vie des populations dépendantes de l’agriculture ne font que se dégrader. Mais, la terre ne se limite pas aux activités d’agriculture ou d’élevage, c’est aussi l’espace où se marquent les liens entre les générations et entre les communautés, entre les humains et les divinités. Elle revêt une importance sociale et culturelle très importante car elle abrite l’histoire et la mémoire des personnes qui y habitent. La terre est le lieu « d’enracinement » intrinsèquement lié à l’identité d’une personne : à l’instar d’un arbre dont les racines s’étendent profondément dans le sol, l’humain est aussi attaché au lieu, à la culture, aux coutumes, à sa langue et sa religion, à son groupe culturel.
Aujourd’hui, la gouvernance de la terre et des ressources naturelles est au cœur des politiques de développement des pays d’Afrique de l’Ouest qui actuellement font face à plusieurs phénomènes concomitants aggravant la pression sur les terres : la démographie galopante, le manque de fertilité des sols à cause de l’utilisation excessive des produits phytosanitaires dans l’agriculture, les stress climatiques, et la monétarisation des terres. Ce dernier phénomène est criant depuis la crise alimentaire et financière de 2008, où les entreprises privées se sont ruées sur les terres disponibles afin de les privatiser dans un but commercial ou pour la production de biocarburant (Sarr, 2014). Elles se sont donc accaparées à grande échelle des terres qui étaient auparavant gérées par des communautés locales. Cette expropriation est possible car la question de savoir à qui appartient la terre reste sans réponse à l’heure actuelle. Effectivement, il y a une majorité écrasante de producteur·ices qui ne disposent pas de droits fonciers sécurisés, c’est-à-dire, qu’ils·elles exploitent une terre, parfois depuis des années, mais sans reconnaissance par l’Etat du statut de propriétaire. Dans ce cas, ce sont les autorités coutumières villageoises qui sont garantes de la gestion des terres au niveau local, mais avec peu de légitimité au niveau étatique, et presque aucune face aux entreprises privées venues pour accaparer des terres à bas prix.
En effet, il existe un dualisme entre la régulation de l’Etat qui constitue un régime juridique souvent hérité de l’histoire coloniale, et les droits de propriété coutumiers régis par les autorités locales. La terre est donc, historiquement et traditionnellement gérée localement, sur base des coutumes. En Afrique de l’Ouest, la terre a toujours été une propriété collective et concrètement, cela signifie qu’elle ne se vend pas (Sarr, 2014). Ce mode de gouvernance du foncier repose donc sur le droit coutumier qui constitue l’ensemble des règles d’une communauté qui sont liées à la coutume, c’est-à-dire à leurs habitudes de vie. Les autorités coutumières, les chefs de village, les chefs religieux puisent leur légitimité de gouvernance dans leur lignage. Ces personnes sont issues de famille qui ont un lien avec des entités supranaturelles et qui sont chargées de préserver l’ordre social ainsi que les rapports entre les humains et la terre à travers des rituels (Colin J.-Ph & Co, 2022). Ce sont des principes fondamentaux d’organisation de la société, constitutifs de l’histoire des communautés et de l’organisation actuelle, souvent vivant et évoluant de manière autonome par rapport à l’état. Mais, aujourd’hui, les coutumes ne suffisent plus à réguler le foncier rural, face aux pressions sur les terres, les chefs coutumiers et autres leaders anciennement garant de l’ordre social ne sont plus en mesure de le garantir (Mingar, 2015).
B. Colonisation et décolonisation : repenser les rapports à la terre
Depuis les indépendances dans les années 60, les états africains croulent sous les défis liés à la gestion foncière car des années de domination coloniale ont laissé en héritage des structures complexes et inadaptées aux contextes locaux. Au XIXème siècle, les puissances européennes ont entamé une compétition pour conquérir les territoires africains. L’Afrique a été le théâtre de ces rivalités où les états européens ont établi des administrations coloniales, et imposé leurs lois, et surtout, ils ont revendiqué la propriété des terres en ignorant les droits coutumiers des populations locales. Enfin, ils ont exploité les terres pour leur propre intérêt, au détriment des populations locales. L’accaparement des terres qui a eu lieu pendant cette période a encore des conséquences sur l’économie et les sociétés africaines. En effet, les systèmes fonciers coloniaux, imposés par l’occident, ont privilégié la propriété individuelle et la vente des terres au détriment des droits fonciers collectifs.
Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, les Etats ont donc un rôle à jouer dans l’organisation du territoire avec, entre autres, un arsenal juridique qui encadre l’accès et l’utilisation des terres. Et, bien souvent, le droit, c’est-à-dire l’ensemble des règles imposées par le cadre législatif étatique, entre en contradiction avec le droit coutumier. En d’autres termes, les règles édictées par les Etats ne sont pas en adéquation avec les règles appliquées par les communautés locales. Cette pluralité de normes s’explique par l’histoire et l’imposition des normes issues de la colonisation qui ne reflètent pas la complexité de fonctionnement liés aux coutumes locales. Alors qu’en Europe, le droit est le fruit d’une lente incorporation des normes sociales, dans le droit, en Afrique c’est l’issue d’une domination violente à travers la colonisation. De plus, les Etats africains sont encouragés à réformer le droit foncier afin de favoriser l’investissement privé. Par exemple, le Sénégal, depuis quelques années s’est engagé dans des réformes foncières de taille, avec une volonté d’établir des règles claires qui encadrent l’accès au foncier. Le « Pacte avec l’Afrique » du G20 met l’accent sur l’importance de l’investissement du secteur privé (Lagarde, 2018) pour contribuer au développement économique du pays. Seulement, pour favoriser ces investissements privés, il serait nécessaire de réformer le foncier. Mais la réalité est plus complexe car les investisseurs privés pensent d’abord à leur profit. Alors qu’au Sénégal 95 % des terres appartiennent au « domaine national » donc à l’état, la population avec l’appui de la société civile plaide pour une gestion foncière qui se fasse au profit des exploitations familiales afin de promouvoir un développement rural intégré. Les organisations paysannes et la société civile veulent répondre à l’enjeu de souveraineté alimentaire par le développement d’une agriculture respectueuse de l’environnement.
Outre l’aspect de production agricole, ces processus de réforme foncière ignorent totalement l’importance sociale que constituent les terres. Elles revêtent aussi un caractère sacré et divin pour les populations locales. En effet, dans les cultures animistes[3], les divinités sont liées à un endroit. Au Bénin par exemple, les divinités locales ont des temples dans lesquels les personnes viennent réaliser des offrandes. Et, lors de la construction d’une route, le temple de la divinité n’est pas déplacé, c’est la route qui est déviée. Cela souligne la prégnance des croyances et leur place dans la société où la terre est beaucoup plus qu’un simple facteur de production. C’est un lieu sacré, qui constitue à la fois un lien avec les ancêtres, des espaces spirituels, une entité sacrée porteuse d’énergie vitale. C’est donc un rapport très complexe qu’entretiennent les populations locales avec la terre. Cela nous amène à penser qu’il est nécessaire de tenir compte des dynamiques coutumières, et de construire des réformes foncières qui prennent en considération les forces sociales locales mais aussi les inégalités structurelles existantes dans la société. Un bel exemple, en 2023, le droit collectif a été pris en compte dans le régime juridique foncier au Sénégal. Grâce au plaidoyer des organisations de la société civile, la terre peut appartenir à une collectivité, donc à plusieurs personnes, une famille ou encore un groupement d’intérêt économique. A l’opposé de la propriété individuelle, la propriété collective remet en cause l’option néo-libérale, traduite par une appropriation individuelle extrême des terres, afin de protéger les droits d’accès et d’usage des terres par les populations locales. Les terres peuvent alors être affectées à plusieurs personnes d’une même famille ou à un groupe de personnes. C’est un exemple de prise en compte des revendications des communautés rurales et des coutumes en application. Mais, le droit coutumier, loin d’être parfait, occulte complètement la place des femmes dans l’accès, l’usage, et la gestion des terres.
C. Femmes, terre et transition agroécologique
Dans le secteur agricole, les femmes représentent une grande part de la main d’œuvre. Pourtant, elles sont de simples usagères, et elles n’ont pas de pouvoir décisionnaire. Cela s’explique par plusieurs facteurs : les dispositifs coutumiers qui participent au maintien des relations patriarcales, l’analphabétisme et le manque de formation ou d’information sur leurs droits. Mais comment penser une évolution foncière favorable aux droits des femmes en adéquation avec les coutumes ? Les systèmes patriarcaux excluent les femmes de l’héritage. Les femmes n’existent que par leur appartenance à un homme, à travers le mariage, et ce sont eux qui gèrent les moyens d’existence. Les femmes accèdent donc à la terre par une faveur, ou une tolérance de leurs époux, frères, ou un autre homme, qui lui, possède la terre. La femme n’aura alors que la possibilité de l’exploiter, mais sans avoir un accès sécurisé à long terme. Pourtant, dans les milieux ruraux, les femmes exercent des responsabilités importantes concernant la sécurité alimentaire et la bonne nutrition du foyer. De même qu’elles sont des actrices du changement, elles participent activement à la reproduction de la société, ce qui signifie qu’elles sont centrales dans le développement d’un territoire.
Les femmes représentent la moitié de la population, et, même si elles ne constituent pas un groupe social homogène, et qu’il y a autant de réalités que de femmes, elles ont en commun, à échelle variable, de détenir moins de privilèges et de pouvoir que les hommes. C’est pourquoi les programmes de coopération au développement soulignent l’importance d’avoir une approche genre. Pour remédier à la répulsion du concept « genre » qui est souvent mal compris et associé à l’imposition des normes de l’occident, il est plus intéressant de parler d’approche Leave No One Behind (en français, ne laisser personne de côté) ainsi que de, cibler des actions spécifiques pour réduire les inégalités identifiées.

Projet Yessal Sunu Mbay (Eclosio- Sénégal)
En Afrique de l’Ouest, même si les contextes sont différents en fonction des pays et des régions, il existe d’importantes inégalités en matière de droits fonciers entre les hommes et les femmes. Au Sénégal par exemple, le droits foncier, promulgué par l’état, est le même pour tous les citoyens et citoyennes. Mais dans la pratique, les femmes ne jouissent pas de leurs droits. Elles font l’usage des terres que les hommes veulent bien leur prêter. Souvent des plus petites parcelles, pas très bien situées (loin du village), et pour la plupart, peu fertiles. En somme, les hommes gardent les meilleures terres pour eux et ils y pratiquent des cultures de rente. Les femmes vont travailler dans le champ du mari, mais elles n’ont pas de contrôle sur la terre, encore moins sur le revenu issu de la vente des céréales produites dans le champ.
Pourtant, la terre est indispensable pour penser une transition agroécologique et promouvoir des systèmes alimentaires durables, et les femmes ont un rôle important à jouer dans cette transition qui doit contribuer au bien-être de tous et toutes. Il ne s’agit pas d’exclure les hommes, mais plutôt de chercher un équilibre en questionnant les rapports de pouvoir, et les privilèges dans une société, pour entrainer les hommes et les femmes, ensemble, dans un projet de société durable et inclusif. En pratique, dans les interventions des programmes de coopération internationale, il est possible d’utiliser plusieurs stratégies. D’abord, les femmes constituent souvent le public cible des interventions, la majorité des activités du programme visera donc directement les femmes. Au Sénégal par exemple, c’est le cas des activités de maraîchage, de transformation de produits et techniques culinaires et la promotion d’activités génératrices de revenus. Dans d’autres activités, il est plus compliqué de mobiliser les femmes, c’est le cas de l’apiculture, qui est traditionnellement une activité réservée aux hommes. Dans ces cas, il faut entamer d’abord un travail de sensibilisation et de déconstruction des stéréotypes pour garantir le succès de l’activité. Mais, en ce qui concerne les activités agricoles, l’accès à la terre est déterminant.
Comment alors optimiser le potentiel des femmes à renforcer la résilience de leur ménage et à accélérer la transition agroécologique ? Comment tendre à neutraliser ces rapports de domination ? Actuellement, c’est la méthodologie de l’empowerment (autonomisation) qui constitue une démarche de travail utile pour renforcer le pouvoir des femmes. En corolaire, les hommes privilégiés sont impliqués dans le processus à travers la notion de co-responsabilité car ils devront renoncer à leurs privilèges au profit du bien commun.
L’empowerment recouvre 3 dimensions : (1) le pouvoir intérieur qui est le socle, la base de notre identité. C’est la confiance que nous portons en nous même, la « confiance en soi », l’estime de soi. (2) acquérir des compétences et les connaissances. Et enfin c’est (3) créer des réseaux parce « qu’ensemble on est plus fortes » ! Finalement, l’ensemble de ce processus d’empowerment veut donner aux femmes la capacité de décider. Cette méthodologie émancipatrice est intéressante, mais pas toujours facile à appliquer. Car elle revêt des dimensions diverses, et il est compliqué d’agir sur les trois « pouvoirs ». Et, ce qu’il est important de comprendre, c’est que ce processus ne peut se faire sans intégrer les hommes, car sinon il risque de créer des décalages, et in fine, encore plus de violence envers les femmes. C’est pourquoi, il est important de travailler avec les organisations de la société civile locales, qui connaissent la culture, les normes et représentations des populations locales. Elles sont des actrices de choix pour dérouler une telle méthodologie en mettant en place diverses stratégies pour accompagner les communautés dans ce processus.
En effet, l’accès à la terre sécurisé est déterminant si on veut faire de l’agroécologie car c’est un processus à long terme. L’agroécologie, comme socle pour construire des systèmes alimentaires durables, implique un changement de pratiques agricoles, sur base de connaissances locales, mais aussi d’un renforcement de capacités des producteur·ices. C’est donc un processus graduel qui vise à renforcer la sécurité alimentaire des ménages.
Donc, notre choix est d’accompagner les femmes, ce qui nécessite un accès sécurisé et pérenne à la terre. Concrètement, cela implique que les hommes du village doivent accepter de mettre à disposition, sur une longue durée, des terres destinées exclusivement à l’exploitation et à la gestion par les femmes. Cette approche vise à éviter la reproduction des rapports de genre inégalitaires. De plus, ces terres doivent être situées à proximité du village pour réduire la pénibilité du travail des femmes. Cela nécessite que les hommes partagent leurs privilèges liés à la possession foncière en cédant ces terres aux femmes. Avant tout investissement ou aménagement en vue d’activités de maraîchage, il est crucial que ces terres soient sécurisées afin de garantir qu’elles ne puissent pas être reprises aux femmes une fois le site opérationnel.
En effet, les aménagements sur les sites sont conséquents. Sont nécessaires un accès à l’eau sécurisé tout au long de l’année avec des forages solaires, des bassins pour faciliter l’arrosage, des clôtures en fer pour éviter l’entrée des animaux dans le site, ainsi que la reforestation du site. C’est pourquoi il est important d’avoir l’aval des chefs coutumiers et des hommes du village, pour ensuite avoir une délibération au niveau des autorités étatiques. Selon le droit foncier sénégalais, ce sont les autorités communales, les mairies, qui délibèrent afin d’attribuer la terre aux personnes. La terre ne s’achète donc pas, elle appartient à l’état, mais les personnes peuvent l’utiliser pour autant qu’ils·elles la mettent en valeur.
Il y a donc plusieurs niveaux de pouvoir qu’il faut convaincre et pour cela, les OSC (organisations de la société civile) locales ont des stratégies qui se basent sur, une connaissance fine des us et coutumes locales et une capacité à s’entretenir et à convaincre les chefs villages où les propriétaires terrains.
Cela permet de développer un argumentaire pertinent et de les convaincre :
- L’importance pour les femmes de disposer d’une terre proche du village pour diminuer la pénibilité du travail et pouvoir assurer ses autres tâches ;
- L’autonomie économique des femmes, qui avec l’argent lié à la vente des légumes pourront moins dépendre de l’homme, qui verra la charge du ménage qui traditionnellement pèse sur lui diminuer ;
- Une meilleure alimentation du ménage et des enfants, avec les légumes disponibles toutes l’année assuré par l’accès à l’eau productive.
Les OSC vont donc entamer un processus de sensibilisation des hommes de pouvoir dans les villages. Cette sensibilisation peut prendre plusieurs formes. Elle peut être formalisée autour d’une activité, par exemple, l’horloge du temps. C’est une activité qui se fait avec les hommes et les femmes pour que les hommes se rendent compte de toutes les tâches que font les femmes pendant une journée. De cette manière, les hommes prennent conscience des réalités des femmes, et cela débouche sur des discussions sur les inégalités entre les hommes et femmes. Ou bien simplement de manière informelle, par un processus de négociation entre les autorités locales et les organisations de la société civile. Une fois que les chefs au niveau village ont accepté de céder une partie de leur terre, alors le processus continue mais cette fois au niveau des mairies. Il faut donc accentuer le plaidoyer auprès des mairies pour que les institutions communales délibèrent au nom des femmes. Aujourd’hui, il n’y a pas encore de délibération au nom d’une femme en tant qu’individu mais plutôt au nom de groupement de femmes qui exploitent une même parcelle. Un premier pas vers plus d’égalité…
D. De quoi s’inspirer pour nos territoires
Les éléments mentionnés ci-dessus révèlent divers points de tension et des enjeux de répartition du pouvoir. L’une des principales tensions réside entre les droits coutumiers et le système juridique hérité de la colonisation, une dualité qui persiste même après les indépendances. En effet, les États africains ont conservé en grande partie les structures juridiques et administratives coloniales. Rappelons que les frontières des pays africains ont été tracées au XXᵉ siècle par les puissances coloniales, sans tenir compte des cultures, des organisations sociales des populations locales et, bien sûr, sans consultation des habitant·es concerné·es. Ces frontières arbitraires constituent aujourd’hui les limites politiques des États. L’organisation et la répartition du pouvoir à l’intérieur des territoires sont aussi intimement liés à l’organisation du pouvoir colonisateur. Ce ne sont pas simplement des bribes du passé que nous retrouvons aujourd’hui, c’est tout un système qui a été imposé par la violence, et avec lequel les populations locales doivent composer aujourd’hui.
En plus de cela, les états africains doivent composer avec des politiques publiques néocoloniales qui offrent sur un plateau d’argent les terres aux grandes entreprises privées qui achètent à très bas prix des terres pour produire en grande quantité des produits d’exportation avec des méthodes destructrices pour l’environnement. Ce phénomène est une nouvelle forme de colonisation, souvent appelée, néocolonialisme, car cela entretient les rapports de domination mondiaux dans lesquels les peuples d’Afrique se voient arracher leur terre, sous prétexte de logique économique. Sortir de ce paradigme capitaliste, qui accentue les relations de pouvoir au détriment des plus pauvres est nécessaire pour actionner les changements vers une société solidaire.
Enfin, l’agroécologie en tant que mouvement sociopolitique amène les personnes à redéfinir leur relation à l’environnement, tout en tenant compte de l’importance des droits humains et de la dignité humaine. Identifier les logiques de domination dans la gouvernance foncière nous invite aussi à dépasser ces logiques et à identifier les possibles. C’est à travers le rêve et les utopies que les changements sont possibles. Rêvons notre territoire grâce aux organisations de la société civile qui se mobilisent pour être au cœur de la gouvernance des terres. Pour que les entreprises ne puissent pas accaparer des terres. Pour que la gestion foncière se fasse au profit des petites exploitations familiales, de la souveraineté alimentaire et de la transition agroécologique. Les terres sont aussi des lieux autant matériels qu’immatériels. Parce que la terre c’est le lien à sa culture et aux ancêtres. La terre et les ressources qui y sont présentes sont des lieux de culture. La sacralisation est importante et contribue à la reproduction des sociétés, au maintien de l’ordre social, mais aussi à la préservation de l’environnement.
Enfin, que cela soit en Afrique ou en Europe, il est urgent de remettre la Terre, les terres au centre des questions pour construire un monde plus juste et durable. Les exemples sénégalais nous le montrent, imaginer la terre comme un bien commun est possible et matérialiser cela dans le droit l’est également. Il est aussi possible de renoncer à ses privilèges, de redistribuer le pouvoir, de penser à la communauté au-delà des intérêts individuels. Nous devons nous nourrir des exemples des autres, qui montrent qu’un autre monde est possible. Nous devons visibiliser d’autres possibles, d’autres schémas de pensée pour créer un monde solidaire.
2.2. Belgique : Investir le territoire universitaire pour une sensibilisation collective à l’écologie
Après avoir zoomé sur les spécificités des territoires sénégalais, analysons deux initiatives étudiantes sur le territoire de l’Université de Liège. Cette section pose plus largement la question du rapport au territoire, dans ses dimensions matérielles – à qui appartient la terre, qui peut en jouir, avec quelles ressources, etc. – sociales – comment le rapport au groupe influence-t-il le rapport à la terre, comment engendre-t-il un sentiment d’appartenance tant à un territoire qu’à un groupe, quel(s) mode(s) organisationnel(s) se tisse(nt) et prospère(nt) au sein d’initiatives telles que celles présentées ici-, et enfin idéologiques – quel rapports souhaitons-nous entretenir au territoire et à quelles fins ?
“Appren-tissages” à travers des projets de potagers
Les enjeux liés aux changements climatiques et à la transition écologique ne sont pas nouveaux. Déjà en 1970, le rapport du club de Rome aussi appelé le Rapport Meadows[4] tire la sonnette d’alarme et invite les États à prendre des mesures pour qu’ils mettent en place des stratégies afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quelques décennies plus tard, en 1988, le GIEC[5] fait le constat du rôle inédit de l’humain dans la transformation de notre planète, et en 1995 apparaît un organe suprême, au sein des Nations Unies, chargé de définir des mesures communes et d’acter la manière de mettre en œuvre ces solutions aux changements climatiques, la Conférence des Partis (COP). En 2015, avec la COP21 de Paris, la thématique environnementale semble plus importante dans les consciences citoyennes. En effet, 194 pays s’engagent en signant pour la première fois un accord universel sur le climat afin de maintenir le réchauffement climatique sous la barre de 2°C. Outre cet accord largement médiatisé, le film documentaire “Demain” bat des records d’audience et semble avoir contribué à donner aux citoyens et citoyennes envie de s’engager dans cette transition écologique. Ce dernier fait le pari de présenter des pistes d’actions réalisables à échelle individuelle et locale à partir d’une réflexion reposant sur cinq piliers constitutifs de la société : l’agriculture, l’énergie, l’économie, l’éducation et la gouvernance.
Le film “Demain” a engendré une vague de sensibilisation et de conscientisation, et a sans doute mis un coup de projecteur et amplifié des mouvements de transition locale. A Liège par exemple, en 2012, un congrès avait été organisé par des étudiant·es de HEC Liège pour réfléchir à la transition environnementale et rassemblait des entrepreneurs sociaux et des membres de Liège en Transition. De ces échanges naît officiellement la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL) dont l’un des objectifs est de contribuer à la souveraineté alimentaire liégeoise[6].
Des initiatives individuelles naissent, de nombreux citoyens et citoyennes commencent à modifier leurs habitudes alimentaires, tentent de diminuer leurs déchets, se lancent dans des ateliers « do it yourselves »[7] (DIY), entre autres choses. De nombreux·ses jeunes s’inspirent et se mobilisent, notamment à la suite des prises de parole de Greta Thunberg militante écologiste suédoise et de Adélaïde Charlier, une jeune namuroise. Iels participent à la marche pour le climat de 2019 et œuvrent à la création du mouvement Youth for Climate Change, organisant des manifestations régulières. En parallèle, émergent dans les médias d’autres figures de la lutte climatique de par le monde. Peu à peu, la jeunesse marque sa préoccupation pour son avenir, désire modifier son rapport à l’environnement, retrouver du sens et créer du lien autour d’un objectif commun : assurer un avenir résilient et respectueux du vivant en agissant face aux bouleversements des équilibres qui maintiennent la vie sur terre et à l’urgence d’un monde qui change.
C’est dans ce contexte que des jeunes décident d’investir le territoire du campus du Sart-Tilman de l’Université de Liège (autrement qu’en y étudiant ou en y travaillant), en créant des projets de potagers collectifs. A partir des exemples d’Uni-Vert et du Pot’Ingé, dont nous avons rencontré les membres, ce chapitre explore les dynamiques occasionnées sur ce territoire et les liens créés autour d’une co-sensibilisation à l’écologie. Ces différentes expériences permettent de souligner l’importance de l’ancrage à un territoire, les attachements qui y sont reliés, l’engagement qui en découle, ainsi que le rôle des rapports sociaux et du sentiment d’appartenance dans la pérennité dans ce type de projet.
Comment ces projets ont-ils été rêvés et continuent-ils de l’être ? Comment les personnes à l’origine de ces initiatives se sont-elles organisées ? Comment ont-elles mobilisé d’autres jeunes autour d’un territoire qui ne leur appartient pas mais qu’ils souhaitent investir?
A. Uni-Vert, un premier potager collectif au carrefour de plusieurs facultés du campus du Sart-Tilman
Le projet a été initié pendant l’année académique 2016-2017 par Kate[8], une ancienne étudiante de l’ULiège qui avait terminé ses études et qui s’était formée au sein de la ferme Larock, un établissement en biodynamie situé à Neupré, dans la province de Liège. Suite à cette formation, elle désire poursuivre son apprentissage tout en partageant le plaisir de cultiver avec d’autres personnes. Pour cela, elle se met en quête d’un terrain disponible. Elle apprend par l’intermédiaire de Marie, responsable de l’Administration des Ressources Immobilières (ARI) du département Planification stratégique : Energie – Environnement, que l’ULiège est favorable à accueillir des projets de potagers sur le campus du Sart-Tilman.
Rapidement deux ancien·nes étudiant·es de l’ULiège rejoignent Kate dans le projet. A la suite d’une rencontre avec Maurice et Léo, gestionnaire des espaces verts ULiège, le groupe choisit un terrain qui se situe au carrefour de plusieurs bâtiments et facultés de l’Université, dans l’allée du 6 août. Il est visible et ouvert à tout·e un·e chacun·e et se fait surnommer Uni-Vert. Le choix du nom se veut rassembleur : “uni” à la fois pour “université” et à la fois pour “union”, ouvert à toutes et tous. Il est créé autour d’un objectif commun : prendre soin de son environnement, apprendre à cultiver ensemble, à créer et tisser des liens en se nourrissant autrement au contact de la terre.
En plus de la mise à disposition du terrain, le collectif reçoit une aide financière pour l’achat de matériel ainsi que des aides logistiques telles que la mise à disposition de terre et de fumier de la faculté Vétérinaire, de même que du broyat et du soutien in situ – tonte par exemple – de la part du service des espaces verts.
Le groupe initialement constitué de trois personnes passe à dix grâce à l’organisation de journées portes ouvertes et est renforcé par la participation de certain·nes étudiant·es déjà investi·es par ailleurs dans un projet en agro-écologie (les Compagnons de la Terre situé à Blegny). Il est alors constitué d’étudiant·es issus de facultés différentes, de jeunes travailleurs·euses et est rejoint plus tard par Colette, une habitante retraitée du Sart-Tilman – que nous retrouverons plus tard investie également dans le projet du Pot’Ingé.
Les décisions concernant le terrain et son aménagement sont prises en intelligence collective, sous le mode d’une organisation autogérée et horizontale. Au cœur du projet, la volonté de participer à la création d’un écosystème, de favoriser la biodiversité d’un lieu, de tisser des liens avec des personnes tout en étant proches de la terre, de partager des moments de convivialité en apprenant, en découvrant et en expérimentant ensemble autour d’un projet concret. Au-delà du potager, lors de chantiers collectifs, iels plantent des haies, des arbres fruitiers, aménagent une mare, des espaces de détente, entre autres choses.
Au fil des années, les participant·es ont progressivement quitté le projet, principalement en raison de contraintes de temps et de distance. Ne fréquentant plus le campus, le territoire investi par le projet Uni-Vert est devenu géographiquement éloigné de leurs activités quotidiennes. En 2024, Colette continue néanmoins de prendre soin de cet espace et de sa biodiversité. La proximité apparaît donc comme un facteur déterminant pour l’investissement dans un territoire.
Les personnes à l’initiative de ce projet laissent derrière eux et elles un territoire de rêve, ou rêvé, conçu, aménagé en intelligence collective et autogérée pendant presque deux ans. Aujourd’hui, ce terrain continue de vivre grâce à Colette qui prend soin de conserver cette oasis de biodiversité (composée de haies fruitières, de chemins de passage, d’arbre, de zone de détente, d’une mare, d’un potager).

L’espace Uni-Vert
B. Le Pot’Ingé, un projet tout aussi inspirant !
Deux années plus tard, en 2019, se lance le Pot’Ingé dans le Quartier Polytech. Le projet provient de l’envie d’investir un lieu où l’on étudie, on vit, on travaille, un lieu qui soit au sein de l’Université bien que restant en dehors d’un cadre universitaire (cours, cercles, travail, recherche). Les personnes qui initient ce projet sont des doctorant·es issues du ReD (réseau des doctorants) et principalement des sciences appliquées (ingénieurs civils). La plupart sont déjà sensibilisé·es et touché·es par la dimension environnementale., et effectuent, pour une partie, leurs achats en circuit-court.
Leur envie ? Mener un projet concret et collectif pour (se) sensibiliser et (se) conscientiser aux thématiques environnementales, en apprenant à cultiver ensemble et en se rassemblant autour des questions liées à l’alimentation, le tout en se rapprochant de la terre et du vivant. Après une demande officielle, le groupe reçoit l’avis favorable du doyen pour occuper le terrain proposé par le service espaces verts de l’Université, proche de leur lieu de passage.
Ensemble, iels réfléchissent à l’aménagement de cette parcelle sur laquelle iels seront présent·es le temps de leur thèse. Iels cherchent à encourager la participation des étudiant·es en organisant notamment des descentes dans les amphis de la faculté de Sciences Appliquées. Dans le but de réaliser une application concrète pouvant servir à l’aménagement du territoire, iels proposent à des professeur·es de relier les cours qu’iels donnent avec le projet. C’est ainsi qu’ont été réalisés des panneaux solaires, ou encore un test pour créer du béton recyclé. Bref, de quoi allier une volonté de prendre soin de l’environnement avec ses études/recherches ; combiner sensibilisation et action au sein de la société civile.
De cette façon, iels investissent autrement ce territoire universitaire, le décloisonnent en (s’) invitant à sortir du cadre des cours et des connaissances uniquement liées à leur domaine d’expertise. Ensemble, tel un laboratoire expérimental, iels apprennent à cultiver une terre, se renseignent et font parfois appel à des connaissances, dont Maxime, le maraîcher de la ferme Beauregard (situé près de Boncelles). Certain·nes suivent la formation en maraîchage donnée par Stéphane, conseiller des Services Agricoles de la Province de Liège. Iels s’inspirent du modèle de la permaculture, ont envie de porter soin et attention au vivant tout en produisant de bons légumes et fruits qu’iels se répartissent selon leur temps d’implication, ou vendent en cas de surplus.
Au-delà de la mise à disposition de terrains, et d’une aide financière pour l’achat d’une serre et de matériaux, la faculté met également à disposition un local ainsi que certains espaces (par exemple, les appuis de fenêtres lors de la période des semis). De manière globale, les membres du Pot’Ingé ont des échanges fluides et avancent en confiance avec les responsables des bâtiments, les gestionnaires des espaces verts et le doyen de la faculté.
Outre le potager et l’organisation de chantiers participatifs qui se clôturent toujours par un apéro convivial, iels organisent parfois des ateliers de cuisine, et des événements pour sensibiliser un plus large public. A titre d’exemple, l’envie de présenter le rôle de l’Université dans la transition écologique les a mené·es à organiser l’Expot’Ingé en 2023. Cet événement grand public – accueillant marché de producteurs·rices locaux – visait à présenter le projet, inaugurer le second terrain caractérisé de “vitrine” pour sa visibilité et sa visée pédagogique, et informer les participant·es par le biais de séminaires thématiques et d’une conférence portant sur le rôle de l’Université dans la transition alimentaire.
Plus largement, le Pot’ingé a créé un partenariat avec la CATL, Ceinture Aliment-Terre Liégeoise en participant régulièrement au festival Nourrir Liège. Ce dernier s’ancre pleinement dans le tissu associatif liégeois par le biais d’une mise en réseau d’acteur·ices œuvrant à la transition écologique localement, et plus particulièrement, à la souveraineté alimentaire. Ainsi il n’est pas étonnant de les voir obtenir une reconnaissance en recevant, en 2021, le Prix des Acteurs de la Transition Écologique et Alimentaire de la Province de Liège.

Le Pot’Ingé (© Credit Alexis Fleutry)
C. Appren-tissages potagers
Pour Uni-Vert comme pour Pot’Ingé, l’initiative démarre d’une envie de s’investir concrètement et collectivement au sein de son environnement de vie. Il s’agit de cultiver un potager commun situé sur le territoire de l’Université de Liège, là où les participant·es passent une grande partie de leur temps quotidien pour des raisons multiples, bien que majoritairement liées à des cursus académiques. Quoique tous deux fondés sur une implication de groupe au sein d’un espace foncier prêté, les deux projets se distinguent sur différents plans et en particulier, leur pérennité. Alors que le Pot’Ingé se développe et se révèle particulièrement fécond, Uni-Vert s’est vu transformé par le départ de ses membres et assigné à l’état de “zone de biodiversité” désormais entretenue par Colette.
- Proximité, attachement et engagement
L’une des hypothèses envisagées dans ce chapitre est que la proximité géographique entretenue avec le lieu, son attachement, voire son ancrage[9], peut impliquer ou non l’investissement physique et moral des individus au sein de cet espace.
L’anthropologue Laura Centimeri (2015) définit l’attachement au lieu comme suit :
Une matérialité qui nous est familière, qui répond à des besoins physiologiques de base (se reposer, manger, dormir, etc.). Une matérialité qu’on adapte ou ajuste, mais aussi à laquelle on s’accommode, à partir de la répétition au quotidien des usages qui deviennent des habitudes. Ce sont les lieux de tous les jours, les lieux « ordinaires » de notre vie. Loin d’être un simple arrière-plan de notre agir, ces lieux participent de manière active au maintien de nos capacités de faire avec les autres et avec nous-mêmes. L’attachement est alors à comprendre comme la (inter)dépendance à une matérialité que l’on façonne autant qu’on en est façonnés, par les processus d’usage et de familiarisation s’inscrivant dans la durée.
Dans le cas du Pot’Ingé, le premier terrain se situe à proximité d’un bâtiment, attaché à la faculté des Sciences Appliquées et reçoit le soutien direct de son doyen, menant probablement à un sentiment d’appartenance pour les personnes faisant partie de cette faculté. Le lieu est visible – tout en étant caché des visiteurs externes et protégé par des clôtures – par celles et ceux qui y passent pour travailler, étudier, effectuer des recherches. Dès lors, il s’agit d’un espace fréquenté de manière répétitive et quotidienne par ses membres, qui s’y impliquent et le voient évoluer au cours du temps. Par cette dimension ordinaire de l’expérience du lieu, proche d’autres espaces d’usage et de familiarisation journaliers, on peut supposer que les membres du Pot’Ingé disposent d’un attachement au lieu particulier.
A l’inverse, le potager Uni-Vert, au carrefour de plusieurs facultés, n’est finalement attaché à “rien”, n’ayant aucun bâtiment en lien direct avec lui. Si le projet reçoit bien un soutien de l’Administration des Ressources Immobilières (ARI) et du service des espaces verts, il ne reçoit l’appui d’aucune faculté spécifique, il révèle une identité plus discrète. D’ailleurs, l’une des difficultés pointées par Kate était l’impossibilité d’aménager des infrastructures du type cabane ou abris en cas de pluie, ou encore le manque d’accès à l’eau. Cette difficulté n’a pas été rencontrée par le Pot’Ingé puisqu’iels ont pu installer des serres, des cabanes, entre autres choses. Ainsi, la présence du collectif Uni-Vert avait une dimension “précaire” et la possibilité de s’y sentir “chez soi” était sans doute amoindrie par le manque de potentialités et de libertés d’aménagement. De plus, selon Colette le terrain a pâti de plusieurs dégradations dues notamment au passage des sangliers ainsi que plusieurs vols de légumes. Ces éléments ont sans doute joué un rôle dans l’essoufflement du projet. Finalement, seule Colette, cette habitante du Sart Tilman, a maintenu son engagement sur le lieu et reçoit de temps à autre le soutien du Pot’Ingé, qui a permis notamment l’obtention d’une bâche neuve pour la mare d’Uni-Vert lors d’un appel à subventions.
Dans le même ordre d’idée, les étudiant·es qui se situent au centre-ville (et n’ayant pas cours au Sart-Tilman) s’impliquent rarement dans les projets de type potager. Si la mobilité est présentée comme frein à l’implication, le fait de ne pas être en lien avec le lieu pourrait également être évoqué. Pourquoi s’investir sur un terrain que l’on ne connaît pas, ou l’on ne passe pas, auquel on n’est pas attaché·es ni par proximité au lieu, ni par un sentiment d’appartenance à un groupe ?
- Temps ou sentiment d’appartenance à un groupe ?
De même que la notion de lieu et d’accès à celui-ci, un frein à la participation souligné par Kate d’Uni-Vert et par Evelyne du Pot’Ingé est le facteur temps dans les difficultés rencontrées. En effet, le temps se divise selon les cours, le blocus, les examens, les jobs étudiant·es, la famille, les relations sociales, les fêtes, le sport, etc. Il n’est pas si simple de consacrer du temps à soi dans un projet qui demande un investissement régulier et quotidien, notamment en été lors de la phase de récolte. Là aussi et à nouveau se pose la question de la présence et du rapport au territoire puisque c’est une période où les étudiant·es ne vont a priori pas sur leur campus (étant en vacances, de retour dans leur famille, ou travaillant pendant l’été, …). Iels ne sont ainsi plus en lien direct avec l’espace investi.
Néanmoins, la proximité au lieu (physique) ne peut pas être la seule source de réussite du maintien du projet Pot’Ingé puisque dans les deux cas, la majorité des personnes impliquées sont a priori de passage (temps des études, de la thèse, de la recherche), et n’ont par conséquent, pas d’attache au territoire dans le temps que cela soit en tant que propriétaire ou habitant·e. Il semble que la réussite du renouvellement de la participation et de l’implication de nouvelles personnes au sein du Pot’Ingé s’explique par une meilleure capacité à créer un sentiment d’appartenance et/ou à l’entretenir.
En effet, le fait d’être identifié et relié à une faculté, permet sans doute une fluidité dans les échanges, puisqu’il y a un partage de valeurs et de repères communs. Au sein du Pot’Ingé, on cultive la cohésion sociale du groupe, en prenant soin d’y apporter des moments conviviaux qui permettent d’aller un cran plus loin dans le tissage de liens sociaux. Même si le groupe est bien ouvert à toute personne le souhaitant, Evelyne interviewée dans le cadre de l’article, reconnaît le fait que des personnes issues d’autres facultés viennent une fois le temps d’un chantier sans pour autant s’y investir par après et rejoindre le groupe.
- Organisation et communication
Le mode organisationnel du Pot’Ingé est également à souligner dans les points qui pourraient expliquer un renouvellement des forces vives au sein du collectif. En effet, chaque année une Assemblée Générale est organisée pour élire des membres responsables. Chaque membre élu à la responsabilité d’une tâche bien définie pendant la durée de son mandat et approuve également la charte présentant les valeurs et les missions du Pot’Ingé. Le fait d’organiser des AG met en évidence leur attention et leur conscience de la nécessité de renouveler les membres et de (se) responsabiliser autour du projet pour le faire vivre et durer. A l’inverse, le projet Uni-Vert avait pour ambition d’être dans le mode de l’auto-gestion, visant à responsabiliser tout un chacun·e, mais dans les faits, Kate reconnaît que le collectif avait du mal à s’impliquer au même titre qu’elle, bien que ça ait été son intention et sa volonté dès le départ.
Enfin, le Pot’Ingé a également une communication efficace qui suscite une envie de s’engager et de se joindre à cette dynamique porteuse ; une capacité d’autonomie financière car iels répondent à des appels à projets en dehors du financement de l’Université, mais surtout iels tissent des liens au sein de l’Université et en dehors avec des acteurs et actrices investies dans la souveraineté alimentaire, parmi lesquels : la CATL, Eclosio au travers d’une implication dans les festivals Nourrir Liège qui leur confère une légitimité et une solidité.
D. Que retenir ?
Ce chapitre met en lumière deux initiatives étudiantes écologiques sur le campus de l’Université de Liège : Uni-Vert et Pot’Ingé, qui montrent différentes dynamiques d’engagement collectif et d’appropriation de l’espace universitaire dans une démarche de sensibilisation écologique.
A travers deux exemples similaires et pourtant très différents sur le campus de l’Université de Liège, ce chapitre a pu mettre en évidence des rapports au territoire particuliers, facilités ou non par la proximité géographique, l’attachement, la temporalité, l’appartenance sociale ou encore, l’organisation et la gestion d’un groupe. Ces projets, très ancrés localement, sur des portions de territoire souvent assez étroit, rassemblent souvent des personnes déjà engagées personnellement, et sensibilisées aux enjeux environnementaux. Pour répondre aux enjeux globaux, parfois inquiétant et déstabilisant, ces personnes ont décidé de se mettre en action, localement et concrètement. Les exemples Uni-Vert et Pot’Ingé se révèlent être des projets concrets qui partent d’une envie de rêver des territoires communs, en s’y investissant, en y repensant nos modes de consommation et d’organisation et enfin, en y tissant des liens de solidarité entre humain·es tout en se reliant avec le vivant. En prenant part à ces initiatives, les participant·es s’impliquent dans un espace local – le campus – où leur présence éphémère est attestée, et pourtant, où iels acquièrent des appren-tissages ensemble au sein d’un territoire incertain mais profondément vivant.
Les deux projets partagent une motivation commune : sensibiliser et agir concrètement pour la transition écologique dans un espace de vie quotidien. Ils montrent également que la proximité géographique, l’attachement au lieu, et le soutien institutionnel sont des facteurs cruciaux pour œuvrer à la pérennité de telles initiatives. Dans ces exemples, même si les personnes qui s’investissent dans le projet ne sont pas propriétaires, car la terre cultivée est prêtée par l’université, les personnes s’y investissent. La dimension collective prime donc sur la dimension privée, ce genre d’initiative inspirantes montrent que le tissu social, l’envie d’apprendre et de partager sont aussi des moteurs d’un engagement territorial qui grâce aux soutiens de l’université, s’est transformé en projet concret.
Au-delà de la pérennité des projets eux-mêmes, ce qui importe le plus – et qui résonne particulièrement avec notre travail chez Eclosio – c’est l’impact profond de ces expériences collectives sur les personnes impliquées. Ces projets génèrent un déclic, ou une succession de déclics, qui renforcent un engagement durable en faveur du climat et de la société. En participant aux projets Uni-Vert et Pot’Ingé, les participant·es s’approprient des valeurs essentielles telles que le vivre ensemble, fondé sur le collectif plutôt que sur l’individualisme, et le rapprochement avec le monde vivant. La nature est au cœur des préoccupations, incitant à en prendre soin plutôt qu’à la dominer ou à l’ignorer. Ces projets créent aussi un sentiment d’appartenance et forgent une identité commune. Les liens tissés au sein du groupe permettent l’émergence de visions partagées, qui, bien que modestes, contribuent significativement à la transformation sociale. Ce processus collectif s’inscrit dans un mouvement plus large, permettant aux participant·es de contribuer activement à la construction d’une société plus solidaire et respectueuse de l’environnement. Les transformations intérieures vécues laissent une trace durable dans les consciences individuelles et collectives, avec un impact qui dépasse la durée d’un projet. Comme une graine portée par le vent – une fois le territoire universitaire quitté -, ces transformations peuvent fleurir ailleurs et plus tard – dans d’autres espaces qu’ils soient liés au travail ou à leur propre quotidien.
Quant au rôle d’une ONG comme Eclosio dans ces projets, il s’agit avant tout de mettre en lumière ces expériences, de favoriser les collaborations et les partenariats[10], mais aussi d’accompagner les collectifs dans leur capacité à mobiliser de nouveaux·elles étudiant·es, tout en promouvant l’inclusion et la diversité des profils. Eclosio réfléchit à des moyens durables de maintenir une dynamique de participation collective, en s’appuyant sur les compétences uniques de chaque membre, afin que les étudiant·es puissent agir sur d’autres territoires. Nous explorons comment s’engager, s’approprier et s’investir dans un territoire, en le rêvant et en le questionnant. Nous encourageons notre public à imaginer ce territoire collectivement, et à créer des outils permettant de comprendre les rapports de pouvoir qui y existent, dans le but de passer à l’action. Ce qui nous importe, c’est de susciter un sens de l’engagement auprès de notre public qu’ils et elles pourront ensuite incarner dans leur vie et essaiment autour d’elles et eux !
3. Repenser les territoires à travers le prisme de l’inclusivité
Après avoir exploré les dimensions du territoire à travers des exemples concrets, nous poursuivons notre réflexion en mettant en avant des initiatives inspirantes. Dans les sections suivantes, nous examinons la question des terres publiques en Belgique ainsi que la gestion coopérative des terres agricoles, tout en interrogeant des actions d’occupation du territoire, comme les ZAD (zones à défendre). Nous mettons également en avant des pistes concrètes, telles que le budget participatif, déjà mis en place dans plusieurs communes belges.
L’échelle retenue sera locale, car il est primordial de relier les enjeux mondiaux à des leviers d’action concrets, directement au service des populations. Ces leviers se déploient au niveau des territoires de vie, ces espaces vécus au quotidien, où les expérimentations prennent tout leur sens.
3.1 En Belgique, les terres publiques comme piste d’action
Actuellement, en Belgique, le prix des terres agricoles connaît une hausse significative, passant de 27 205 €/ha en 2017 à 36 368 €/ha en 2022, soit une augmentation de 33,7 % en seulement six ans. Cette flambée des prix limite fortement l’accès à ce facteur de production essentiel pour de nombreux agriculteur·rices. Pourtant, comme évoqué dans le cas du Sénégal, l’accès à la terre constitue un enjeu crucial pour le secteur agricole.
Face à cette inflation, l’acquisition de nouvelles parcelles devient de plus en plus difficile, empêchant de nombreux jeunes de se lancer dans l’agriculture et freinant l’expansion des petites exploitations durables, qui peinent à se développer.
Un levier d’action prometteur réside dans les « terres publiques ». Ces terres, appartenant aux pouvoirs publics tels que les communes ou les Centres Publics d’Action Sociale (CPAS), offrent l’opportunité de repenser la notion de propriété privée. Elles peuvent être envisagées comme un support pour des projets bénéficiant à la collectivité, tout en répondant partiellement aux défis environnementaux et sociaux d’un territoire. Bien qu’il n’existe pas encore de cartographie précise, les terres publiques représenteraient entre 8 et 10 % des surfaces agricoles utiles.
Cependant, de nombreuses autorités préfèrent vendre ces terres, souvent perçues comme une source de financement pour renflouer les caisses de l’État. D’ailleurs, certains grands projets de vente de terres publiques ont suscité l’émoi et la mobilisation de plusieurs agriculteur·ices. Ces ventes suscitent parfois des controverses, comme en témoigne le cas de Gand. Le CPAS de la ville a vendu une parcelle de 450 hectares à un milliardaire, bien qu’elle aurait pu être utilisée pour des projets nourriciers. Cette décision s’explique par l’impossibilité de diviser ce terrain en plus petites parcelles, rendant son acquisition inaccessible aux petits exploitants dépourvus des ressources financières nécessaires. En conséquence, ces terres tombent souvent entre les mains de grandes entreprises agro-industrielles ou de spéculateurs fonciers.
Face à cet événement, une forte mobilisation citoyenne a émergé, aboutissant à l’adoption d’un moratoire par la ville de Gand sur la vente des terres de son CPAS. Ce moratoire, instauré pour réfléchir à une vision d’avenir pour ces terres, a été prolongé jusqu’en 2025 (Tchak, L’effet colibri, ça suffit ! Au boulot les politiques, 2024).
Et si on changeait de logique ? Et si ces surfaces de territoire étaient mises à disposition de projets nourriciers ? Cela permettrait d’assurer l’accès à la terre pour les plus petites exploitations, les collectifs citoyens, les personnes non issues du milieu agricole qui voudraient se lancer… pour contribuer à l’approvisionnement en nourriture pour la commune. Face à l’enjeu majeur d’accès à la terre pour les agriculteur·ices, la gestion des terres publiques autour de projets nourriciers est une piste d’action explorée par le mouvement « Terre-en-vue ». L’une des missions que s’est donnée cette organisation est de faciliter l’accès à la terre aux agriculteur·ices et porteur·euses de projets agroécologiques. Terre-en-vue va donc s’emparer de l’enjeu foncier en Belgique, en achetant des terres pour qu’elles ne soient plus sujettes à spéculation, et en impulsant des dynamiques pour protéger l’environnement et le vivant sur ces territoires. Cette coopérative insiste sur l’importance de préserver les terres agricoles en tant que ressource naturelle, pour réconcilier l’agriculture, l’environnement (Mémorandum pour les élections régionales, législatives, européennes et communales, 2024). Pour ce faire, l’organisation réfléchit le territoire en termes de bien commun. Dans cette optique, la terre est une ressource partagée, gérée en commun par plusieurs individus. La gestion collective et la notion de bien commun s’inscrivent dans un idéal politique qui consiste à réfléchir le monde hors de la logique de propriété, dans une perspective de partage et de collaboration. In fine, un groupe de coopérateur·ices gère les terres de manière collective, sur un socle de valeurs communes, à savoir la préservation du vivant et du monde paysan. C’est donc pour cela, et afin d’éviter une compétition grandissante entre les agriculteur·ices que Terre-en-vue propose dans son mémorandum, la mise à disposition des terres publiques pour soutenir des projets nourriciers. Dès lors, le lien à la terre ne serait plus inscrit dans une optique individualiste de propriété mais bien dans une optique collective et nourricière. Les terres publiques serviraient à nourrir le territoire en étant à disposition des agriculteur·ices de la commune qui y développeraient des projets agricoles durables et respectueux du vivant. Les bénéficies d’une approche en termes de bien commun et d’une approche de gestion collective sont nombreux, outres la problématique d’accès au foncier en raison des prix élevés, cela permet de renforcer la solidarité entre les agriculteur·ices et les citoyen·nes mais de contribuer à l’autonomie alimentaire de la commune et à l’économie sociale et circulaire.
Ces initiatives inspirantes ont débouché sur l’organisation d’une conférence, en avril 2024 par Eclosio, membre du comité d’animation de « Tchak, la revue paysanne et citoyenne qui tranche ! » en collaboration avec la coopérative. L’objectif de la conférence était de faire
- connaitre ce levier d’action que sont les terres publiques, et de proposer aux citoyen·nes des moyens d’action concrets pour habiter leur territoire. L’accès à la terre est un sujet politique, et comme nous l’avons vu les manières de le penser sont multiples. Nous l’avons vu à travers le cas du Sénégal, c’est l’Etat qui a la lourde responsabilité de gérer son territoire et donc les terres. Mais comment organiser un système de gestion inclusif et durable ? Aujourd’hui, des collectifs se créent autour de la gestion des biens communs pour réinventer, imaginer, et créer d’autres possibles, d’autres modes de gestion plus inclusifs justement. Ces collectifs, groupement de producteur·ices, association locales, coopératives, veulent répondre à un besoin urgent : l’accès au facteur de production terre, pour promouvoir un modèle de développement territorial durable basé sur une agriculture respectueuse du vivant. C’est dans ce cadre qu’un courrier d’interpellation des pouvoirs communaux a été rédigé par les étudiant·es de la faculté d’agronomie de Gembloux, co-organisateur.rice.s de la conférence et Françoise Ansay, employée dans la coopérative, pour que chaque citoyen·ne, à son échelle puisse se questionner sur l’usage des terres de sa commune.
« Par la présente, nous souhaiterions vous exprimer notre inquiétude face aux évolutions de l’agriculture en Wallonie et, plus précisément, vous soumettre des propositions sur la politique de gestion des terres publiques de votre commune […] Nous vous demandons dès lors d’inscrire la préservation de la fonction nourricière des terres publiques et l’aide à l’installation des jeunes agriculteur·rices comme objectif stratégique de votre politique de gestion des terres communales. »
Ce courrier d’interpellation politique des communes a été un moyen de réfléchir à la dimension idéelle du territoire et de nous poser la question : « Quel territoire pour l’avenir ? ». Et, il est important d’articuler ce travail de plaidoyer à l’échelle locale avec des actions concrètes. Au-delà du territoire rêvé et du travail de plaidoyer Terre-en-vue agit très concrètement du côté des petites exploitations en soutenant des projets paysans durables, en agriculture biologique. Par exemple, une de leur grande levée de fonds en 2023, a servi à financer le déploiement de la Ferme des Arondes dans la commune de Profondeville. C’est une ferme collective qui regroupe des producteur·ices et dont l’objectif est de nourrir les habitant·es de la région. Magasin à la ferme, accueil de bénévoles, production maraichère, pépinière d’arbres, transformation artisanale en bocaux, poule pondeuses, champignons, cultures céréalières et pain, les productions et les activités sont diversifiées mais complémentaires. Et ce, tournée vers la préservation de l’environnement : restauration de la biodiversité, préservation des sols mais aussi sur l’entraide.
Toutes ces actions nous amènent à repenser l’articulation entre le territoire et le pouvoir. En effet, cela nous questionne sur la notion de propriété privée, et l’importance que nous y attachons, tout en invitant les pouvoirs publics à se saisir de l’enjeu nourricier. Se nourrir à un prix abordable tout en garantissant un revenu juste pour les agriculteurs et agricultrices est une question publique et une problématique plus qu’urgente à régler. « Au-delà de l’agriculture, la façon dont on utilise et répartit les terres agricoles influence directement sur l’accès à une alimentation saine, nutritive et cultivée durablement, la protection des écosystèmes, la création d’emplois, une articulation équilibrée entre zones rurales et urbaines, le renforcement des communautés locales, et la lutte contre l’urgence climatique. Peser sur l’usage des terres est une question qui nous concerne tous et toutes, et affirmer la nature politique de cet usage est urgent » (Nyéléni, 2020). Terre-en-vue s’attèle à mettre en liens le public, le privé, des membres du secteur associatif, des syndicats agricoles, des universités pour réfléchir collectivement sur nos territoires. Les terres agricoles doivent pouvoir sortir de la marchandisation. Nous devons les considérer comme un patrimoine commun et non plus comme de simples capitaux privés.
3.2 Le budget participatif comme leviers d’action
Comment penser l’avenir d’un territoire et favoriser l’implication des citoyen·nes dans la gestion de celui-ci ? Certaines communes en Belgique ont testé un outil intéressant : le budget participatif. Inspiré de l’exemple de Porto Allegre au Brésil, la forme que peut prendre un budget participatif sur le continent européen est multiple, dépendant des réalités et contraintes du contexte politique au départ duquel il se situe.
En effet, il s’agit : « de faire participer les habitant·es volontaires aux discussions et aux décisions concernant l’allocation du budget communal, soit de manière globale, soit sur une thématique parti culière (l’aménagement d’un quartier, par exemple), soit sur les décisions d’investissement ». Néanmoins et dans tous les cas, l’initiative émane de l’envie des élu·es de partager une partie de leur pouvoir décisionnel en impliquant les citoyen·nes dans la réflexion et la prise de décision concernant la gestion du territoire.
À Liège, par exemple, le projet « Ville de Liège 2025 » lancé en 2019 a permis aux Liégois·es de soumettre des idées de projets, via une plateforme, des courriers, ou lors de soirées, et de voter pour leurs préférés. Cependant, iels n’ont pas été directement impliqué·es dans la mise en œuvre des projets. La commune a ensuite priorisé et intégré les propositions ayant recueilli le plus de voix dans un plan stratégique.
En revanche, à Namur la participation des citoyen·nes va plus loin, car ils et elles peuvent, non seulement proposer des projets mais aussi les porter et les réaliser eux-mêmes. Outre certains aménagements publics tels que des plaines de jeux, ou de grandes infrastructures, qui restent sous la responsabilité de la commune, les habitant·es peuvent proposer des initiatives liées à l’environnement, au cadre de vie, au social. Potager urbain, aménagements de l’espace public, de nombreux projets ont ainsi vu le jour. Le processus, est encadré par la commune qui accompagne la réflexion et s’assure de la faisabilité des projets. Une fois les projets validés par le collège et le conseil communal, les citoyen·nes votent pour ceux qu’ils souhaitent voir réaliser selon la disponibilité du budget communal alloué, puis ils les mettent en œuvre en signant une convention avec la Ville.
Le budget participatif repose sur l’idée d’une gestion partagée du territoire, où les citoyen·nes, bien que non propriétaires des espaces publics, participent activement à la définition et à la gestion des ressources collectives. Ce modèle de réappropriation s’inspire des communs, des ressources partagées qui échappent à la privatisation ou au contrôle exclusif de l’État ou d’acteurs privés, et qui sont co-gérées par la collectivité.
Ainsi, le budget participatif permet aux citoyen·nes de s’engager dans des décisions affectant leur quotidien : aménagement du territoire, choix d’investissements ou projets communautaires. À travers des initiatives comme les potagers urbains ou les réaménagements de l’espace public, elles et ils redéfinissent leur rapport à l’espace, non pas comme des propriétaires, mais comme des acteurs d’une gestion collective et éphémère des communs.
Cette participation dépasse la simple consommation d’espace public, comme étant un produit banal alors qu’il est le lieu d’activités mais aussi condition d’existence pour faire de chacun·e un acteur·ice conscient·e de son rôle dans l’entretien et l’évolution de l’environnement urbain. Elle invite aussi à repenser la place de l’individu dans l’espace public, au-delà de la propriété, en introduisant des liens de responsabilité et d’engagement envers les lieux fréquentés. Les citoyen·nes peuvent être motivé·es par l’envie de contribuer à une amélioration de la qualité de vie collective et de construire une société plus juste et solidaire.
Le modèle de Liège se distingue par un processus de participation simple : soumettre des idées, voter et laisser les autorités locales décider de leur intégration dans un plan stratégique. Sur le papier, ce processus garantit une large participation, accessible à tou·tes grâce à des canaux variés (plateformes en ligne, courriers, réunions publiques). Il semble particulièrement adapté aux personnes ayant des contraintes de temps ou familiales, car il permet de proposer des idées de manière flexible, à distance ou lors de soirées ponctuelles.
Cependant, bien qu’inclusif en apparence, ce modèle reste une participation symbolique, où la décision finale revient aux autorités locales. Si la participation est ouverte, les citoyen·nes n’ont cependant qu’un pouvoir limité sur la mise en œuvre des projets. Ce système consultatif peut donc donner l’illusion d’une ouverture démocratique, mais le véritable pouvoir décisionnel, et de mise en œuvre, demeure entre les mains des autorités. De plus, en filtrant les propositions, ce modèle risque d’éliminer des projets moins « mainstream », qui ne cadrent pas avec les orientations politiques, réduisant ainsi la diversité des initiatives.
En revanche, Namur propose un modèle plus engageant, où les citoyen·nes participent activement à la conception et à la mise en œuvre des projets, en signant des conventions avec la ville pour réaliser des projets collectifs. Ce modèle offre une participation plus profonde, car il permet de passer de l’idée à l’action.
Cependant, bien que ce processus soit plus impliquant, il présente également des limites subtiles en termes d’inclusivité. Participer activement à la conception et la réalisation des projets exige un investissement en temps et en compétences. Il faut pouvoir consacrer plusieurs heures à la réflexion, assister aux réunions et disposer des connaissances et compétences nécessaires pour structurer une proposition viable. Paradoxalement, ce modèle, qui semble plus démocratique, peut exclure les personnes les plus vulnérables, déjà privées de ressources personnelles (temps, compétences, réseaux). Ainsi, cette forme de participation peut créer une dynamique où les minorités sont laissées de côté, rendant la démocratie participative inaccessible à une partie de la population.
Ces deux modèles mettent en lumière deux pièges des processus participatifs. À Liège, bien que l’accessibilité soit assurée, l’implication réelle des citoyen·nes reste limitée. Les autorités gardent un contrôle étroit sur les projets, ce qui peut nuire à la prise en compte des préoccupations des citoyen·nes moins influents.
À Namur, le modèle plus direct peut au contraire exclure celles et ceux qui manquent de temps ou de ressources pour s’engager pleinement. La participation active, bien que plus concrète, peut devenir une forme d’inclusivité de façade.
Une solution pourrait résider dans un compromis entre ces deux modèles, qui concilie l’accessibilité de Liège avec la profondeur d’engagement de Namur. Pour cela, il serait nécessaire de prendre en compte les contraintes de chacun·e tout en offrant des moyens d’implication réels. Ce modèle pourrait allier flexibilité et engagement concret, tout en veillant à inclure les groupes marginalisés grâce à un accompagnement adapté, des formations ou des aménagements spécifiques.
Finalement, une véritable participation citoyenne doit permettre à tou·tes de s’engager dans la construction de leur territoire et de leur quotidien, indépendamment de leurs ressources.
Une autre dimension clé du budget participatif est la connexion sociale qu’il favorise. Participer à la gestion collective de l’espace public peut renforcer les liens communautaires, créer un sentiment d’appartenance et permettre la rencontre de citoyen·nes issus·es de différents horizons sociaux. Les citoyen·nes qui se sentent connectées à leur quartier ou à leur ville sont souvent plus enclins à s’investir pour améliorer leur cadre de vie. À travers la réflexion et la mise en œuvre de projets communs au service du bien collectif, une identité locale peut se construire, nourrissant la solidarité communautaire.
Pour certain·es, l’action collective sur l’espace urbain devient un moyen de réaffirmer une identité partagée et de renforcer la cohésion sociale. La participation à ces projets peut aussi être perçue comme une forme de reconnaissance sociale. Elle peut offrir une visibilité positive au sein de la communauté, ainsi qu’une légitimité ou une reconnaissance de la part des autorités locales ou des pairs. Pour d’autres, s’impliquer dans ces processus permet d’affirmer leur expertise dans des domaines tels que l’urbanisme, l’écologie ou la gestion des espaces publics.
Dans certains quartiers défavorisés, la participation à des projets collectifs peut constituer un moyen de lutter contre l’isolement social ou l’exclusion. En s’engageant, les individu·es tissent des liens, développent des réseaux et gagnent en visibilité, devenant ainsi des acteurs à part entière de leur territoire. Ces projets participatifs jouent alors un rôle essentiel dans l’inclusion sociale, permettant aux participant·es de sortir de l’isolement et de renforcer leur légitimité dans la société.
Enfin, les budgets participatifs tentent de répondre à la crise de la démocratie représentative en réinventant le lien entre les citoyen·nes et les institutions publiques. Plutôt que de se limiter à un vote tous les cinq ans, ils encouragent un engagement continu, en invitant les citoyen·nes à agir dans la gestion du bien commun.
Idéologiquement, ces dispositifs reposent sur l’idée d’une démocratie active et inclusive, où tous et toutes peuvent participer à la décision collective, indépendamment de leur classe sociale ou statut. Ils incarnent une forme de démocratie délibérative, où la gestion d’un espace public, d’un quartier ou d’un projet, est décidée par celles et ceux qui l’utilisent. Le budget participatif permet aussi une redistribution du pouvoir : en impliquant les citoyen·nes dans les décisions, il rapproche la politique de leur quotidien.
Ce processus redéfinit ce qu’est être citoyen·ne. Ce n’est pas seulement jouir de droits civiques ou voter, mais aussi penser et gérer son territoire comme un bien commun. Le citoyen devient un acteur de la transformation collective de l’espace, sans nécessairement en être le propriétaire. Le territoire appartient ainsi à ceux qui l’habitent et le façonnent.
Le budget participatif permet aux citoyens de rêver et de réinventer leur espace. Même sans en être propriétaire, chacun peut contribuer à l’imaginer et à le créer collectivement. C’est une manière de penser et de vivre ensemble un territoire, comme un commun à gérer de façon partagée.
Conclusion générale
Dans cette étude nous avons fait voyager le·a lecteur·ice à travers des frontières physiques et dans des territoires lointains, comme au Sénégal, ou plus proche, sur le Campus de l’université de Liège. Nous avons exploré les manières de penser le territoire, et comment les organisations de la société civile peuvent jouer un rôle de catalyseur pour déconstruire les rapports de domination construire l’inclusivité des territoires. La notion d’inclusivité a donc été centrale pour analyser les rapports entre les personnes ainsi que les processus de gouvernance à l’œuvre dans les territoires. Matérialité, idéologie et tissus social, ont été la grille d’analyse des territoires et dans chacun des trois axes, l’accent a été mis sur les rapports de pouvoir existant.
Il est enrichissant de se pencher sur les cas étudiés au Sénégal pour se décentrer et parvenir à imaginer nos territoires dans des cadres différents. Bien sûr, une nouvelle dynamique a peu de chance d’aboutir et d’être pérenne si elle n’est pas ancrée sur le territoire où elle prend pieds. A Liège aussi, car la place accordée aux projets de potagers sur le campus n’aurait probablement pas été telle si la société civile ne visibilisait pas tant l’importance des initiatives de transition sur la place publique liégeoise. A Liège par exemple, la CATL (Ceinture AlimenTerre Liégeoise) est un partenaire important du Pot’Ingé. En l’incluant dans des réflexions collectives et en renforçant sa présence et visibilité sur des évènements, la CATL accorde une reconnaissance et légitimité supplémentaire au Pot’Ingé, ce qui renforce le sentiment d’appartenance de ses membres et donc sa pérennité.
On ne peut outrepasser par ailleurs l’importance de la culture et des savoirs sur les territoires. Comme le chapitre sur le cas sénégalais le montre, c’est grâce à la reconnaissance des règles coutumières, à l’histoire et l’organisation des communautés locales que l’inadéquation avec les lois nationales a pu être admise. Sans cela, davantage de cas d’expulsions et d’exploitation au détriment de la population auraient lieu.
Il faut également tenir compte des défis auxquels ces projets font face. Offrir un espace d’engagement ne suffit pas pour inclure la population. Il faut que cet espace soit reconnu et bénéficie d’une certaine autonomie institutionnelle, politique et économico-financière pour permettre à ses membres de s’y projeter dans la longueur et de croire dans son succès. Ces membres ont également besoin de temps, de formation, d’informations, d’énergie et de moyens pour s’y investir, ainsi que de valeurs communes pour s’y sentir à leur place. Un système solide de gouvernance participative semble aussi nécessaire pour ne pas détourner le projet de son objectif et ses valeurs, pour assurer la représentativité de chacune et chacun, et pour porter justement les responsabilités. Une lutte continue, aux côtés de la société civile, contre les inégalités structurelles est complémentaire à la création de ces nouveaux mécanismes pour leur permettre d’évoluer et de durer dans un climat plus équitable. Par ailleurs, les coutumes et construction identitaires pouvant aussi être un frein à l’inclusion, par exemple des femmes ou des nouveaux membres, le dialogue ouvert à toutes et tous, l’invitation ciblée à participer et le renforcement du pouvoir des personnes dominées sont encore et toujours des éléments primordiaux pour une occupation et gestion inclusive du territoire.
En somme, la territorialité, et l’inclusivité sont profondément interconnectées. Un territoire inclusif est celui qui reconnaît et valorise la diversité de ses habitants, qui garantit une participation équitable aux processus décisionnels et qui lutte activement contre les inégalités. En repensant nos rapports au territoire à travers le prisme de l’inclusion et de l’inclusivité, nous pouvons créer des espaces plus justes, équitables et harmonieux pour tous. C’est la mission de travail que s’est donné Eclosio. Finalement, l’enjeu des territoires, de leur aménagement, des liens qui se tissent en son sien, des politiques qui encadrent sa gestion sont primordial car c’est un lieu de vie, de la reproduction de la vie et du rapport vivant. C’est le tissu social, lieu d’échange, de proximité, de création, de partage. C’est le lieu matériel, réel, physique, mais c’est aussi l’espace identitaire et rêvé. Le territoire est visible et invisible, il est concret et pensé. Il traduit notre rapport au monde, au vivant, aux autres. Il matérialise nos rêves et notre relation au vivant.

Le Pot’Ingé (© Credit Alexis Fleutry)
Notes de bas de page
- Comme première production d’éducation permanente sur la question Territoires/pouvoirs, découvrez l’analyse “Bolivie: une expérience de gouvernance territoriale autonome qui dynamise la démocratie” de Pierre Rouschop, Marco Antonio Herbas Justiniano et Walter Chamochumbi ici : Bolivie: une expérience de gouvernance territoriale autonome qui dynamise la démocratie | Eclosio
- https://www.thinkerview.com/olivier-hamant-survie-dans-le-chaos-la-robustesse-a-lepreuve/ consulté le 15 novembre 2024
- Animisme — Géoconfluences « C’est une forme de religiosité qui imprègne la vie quotidienne, transcende les appartenances religieuses, y compris musulmanes et chrétiennes, sous la forme d’une culture commune, d’un attachement aux traditions et sert de référent à l’identité collective. Il est difficile par conséquent de compter le nombre d’animistes. ». Au Sénégal, l’islam est la religion majoritaire, pratiquée par environ 95 % de la population, principalement sous des formes soufies comme les confréries tidjane et mouride. Le christianisme, notamment catholique, représente une minorité significative et coexiste harmonieusement avec d’autres croyances. L’animisme, bien que moins visible, reste présent dans certaines communautés, où les pratiques ancestrales et les cultes des esprits continuent d’influencer les traditions et les rites, souvent intégrés dans les autres religions dominantes. Cette cohabitation pacifique est un pilier de l’identité sénégalaise.
- Donella Meadows, Dennis Meadows, Jørgen Randers et William W. Behrens, « The Limits to Growth », Universe Books, 1972
- Jean Jouzel, Michel Petit, Valérie Masson-Delmotte. Trente ans d’histoire du Giec. La Météorologie, 2018, 100 Spécial Anniversaire 25 ans, pp.117-124
- URL : https://www.catl.be/moments-cles/, consulté le 9 mai 2024.
- Tr. Faites-le-vous même
- Nous avons utilisé des prénoms fictifs pour anonymiser le texte
- Sur le concept d’ancrage et de désancrage, lire notamment l’ouvrage L’écologie pirate de Fatima Ouassak
- Dans le cadre du festival Rêve Général ayant eu lieu sur le campus du Sart Tilman en avril 2024, le Pot’Ingé prête main forte à Eclosio, à la CATL et à la ferme Larock en participant à la co-organisation des “ tables paysannes” qui visait à repenser le métier de paysan·ne autour d’une soirée repas sur le mode adapté du World Café. Cela n’était pas la première collaboration entre Pot’Ingé et Eclosio qui avaient déjà unis leur force en 2023 lors de L’ExPot’Ingé, évènement au cours duquel Eclosio animait le séminaire “ une ONG universitaire pour trouver des complémentarités et faciliter le dialogue entre des projets de terrain, les études et la recherche«
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Pour aller plus loin…
Sur le concept d’ancrage et de désancrage, lire notamment l’ouvrage L’écologie pirate de Fatima Ouassak, 2023.
Face aux discriminations à l’embauche, comment favoriser l’employabilité de populations d’origine étrangère ? L’intermédiation active comme méthode d’accompagnement – Analyse
Face aux discriminations à l’embauche, comment favoriser l’employabilité de populations d’origine étrangère ? L’intermédiation active comme méthode d’accompagnement [1]
Une analyse de Natacha PIWOWAROW, étudiante diplômée en Master en Sciences du Travail à l’UCLouvain et de Thierry Dock, Professeur à la FOPES , au Master en Sciences du Travail à l’UCLouvain, ainsi que dans le MIAS Louvain-la-Neuve/Namur.
Lire l’analyse en version word
Introduction
Comme préalable à la présentation des différentes parties de cette production, relevons que selon Jacques Toubon, en qualité de Défenseur des droits[2], « les personnes d’origine étrangère ou perçues comme telles sont confrontées à des discriminations dans tous les domaines de la vie quotidienne et à différentes étapes de leur existence » (Toubon, 2020, p.3). Ainsi, les discriminations liées à l’origine représentent « un problème systémique qui défigure l’ensemble de la société » (Gemenne, 2020, p.17). Cette dimension, qualifiée par ces auteurs de systémique, est essentielle. En référence à cette logique, « les discriminations et inégalités vécues dans un domaine renforcent celles subies dans d’autres sphères » (Toubon, 2020, p.21).
Toutefois, le domaine de « l’emploi reste le secteur de la vie sociale où les discriminations en raison de l’origine apparaissent les plus aiguës, que cela soit dans l’accès à l’emploi ou au cours de la carrière » (Toubon, 2020, p. 14).
Cet article a pour objet de questionner comment le dispositif d’intermédiation active pourrait être de nature à favoriser l’employabilité de populations d’origine étrangère sujettes à des discriminations à l’embauche.
À cette fin, nous commencerons par présenter une cartographie du marché du travail en fonction de l’origine. Nous lierons également certaines données à des témoignages de personnes ayant vécu des situations de discriminations à l’embauche. Ces derniers seront issus des entretiens semi-directifs réalisés lors du travail de recherche qui a inspiré cette production, la finalité étant de « révéler le vécu des personnes » (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.56), et de proposer cette source comme étant « complémentaire aux autres » (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.56). Précisons dès à présent, que l’accent a volontairement été mis sur les individus victimes de discriminations à l’embauche dans le dessein de mettre en lumière les mécanismes et en vue de proposer des pistes d’action. Néanmoins, elle ne peut être considérée comme systématique. Mentionnons également, qu’en référence à la problématique abordée, la discrimination est vécue par le sujet cible, à savoir la population d’origine étrangère sujette à des discriminations fondées sur l’origine. Mais, les croyances stéréotypées « d’une minorité envers la majorité » existent et elles nécessitent « la même attention empirique que leur contrepartie qui, elle, a été plus largement étudiée » (Yzerbyt et Demoulin, 2013, p.33).
Ensuite, comme le dit si bien Toubon (2020), « la discrimination n’est pas une opinion, un sentiment ou une revendication ». Ipso facto, elle renvoie à un cadre juridique permettant « l’identification des inégalités de traitement afin de mettre en œuvre un droit fondamental : celui de ne pas être discriminé » (Toubon, 2020, p.4). Par conséquent, tout en maintenant l’axe de l’accès à l’emploi, un cadre juridique visant à identifier certaines situations discriminatoires sera proposé, et ainsi permettra d’ancrer les normes légales théoriques dans la pratique de terrain avec le recours à des exemples concrets.
Juste après, nous chercherons à mettre en exergue les mécanismes qui sous-tendent ce comportement par l’intermédiaire des concepts de la psychologie sociale dont l’objet est de s’intéresser à autrui d’un triple point de vue : « sa connaissance, les influences réciproques entre soi et autrui, et les interactions sociales » (Leyens et Yzerbyt, 1997, p.10). Ces concepts permettront également de justifier la pertinence du dispositif d’intermédiation active proposé comme levier d’action de l’employabilité à un niveau sociétal.
En sa dernière partie, cet article sera axé sur les « actions qui visent l’appariement » (i.e. une meilleure rencontre entre l’offre et la demande de travail) (Erhel, 2014, citée dans Dock 2020, p.5). Plus précisément sera présentée l’intermédiation active à travers la méthode dite IOD.
Venons-en à présent à la cartographie du marché du travail en fonction de l’origine.
La cartographie du marché du travail en fonction de l’origine
Malgré l’adoption de lois ambitieuses visant à lutter contre les discriminations (Ringelheim et Wautelet, 2022), de manière non-exhaustive, différentes recherches, enquêtes et statistiques soulignent la persistance et l’ampleur de ces dernières dont sont victimes les personnes d’origine étrangère.
Les personnes d’origine étrangère sont confrontées à des discriminations « dans tous les domaines de la vie quotidienne et à différentes étapes de leur existence[3] : de l’école à la vie professionnelle, dans l’accès à un logement […] » (Toubon, 2020, p.3).
Plus spécifiquement dans le domaine de l’accès à un emploi, selon le Baromètre de la diversité – Emploi (2012) réalisé par Unia[4] – institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination et défend l’égalité en Belgique -, les personnes d’origine étrangère, rencontrent une différence de traitement lorsqu’il s’agit d’être invitées à un entretien d’embauche.
Selon le Baromètre social de la Wallonie[5] (2017), six Wallons sur dix (60%) considèrent que c’est dans l’accès à l’emploi que les discriminations sont les plus importantes (à titre de comparaison, les pourcentages sont de 19% pour l’accès au logement et 3% pour l’accès aux soins de santé). Par ailleurs, 55% des Wallons estiment qu’à compétences et qualifications égales, les employeurs·ses doivent en priorité embaucher des travailleurs·ses non-immigrés·es. Ipso facto, ce rapport met en exergue que les Wallons ne sont pas opposés à la discrimination à l’égard des immigrés[6].
Plus récemment en France, le domaine de « l’emploi reste le secteur de la vie sociale où les discriminations en raison de l’origine apparaissent les plus aiguës, que cela soit dans l’accès à l’emploi ou au cours de la carrière[7] » (Toubon, 2020, p.14).
Concernant la Belgique, Unia (2024) mentionne l’ouverture de 670 dossiers en lien avec les critères raciaux pour l’année 2023. Parmi ces derniers, près d’un tiers couvrent le domaine de l’emploi. Plus spécifiquement dans le champ de l’accès à un travail, Unia (2024) cite le cas d’une personne avec un nom « étranger » ayant reçu une réponse à sa candidature seulement après avoir renvoyé la même candidature avec un nom « belge » (Unia, 2024, p.1). Autre situation, après de nombreux essais, Hélène[8] – de nationalité belge, âgée de 39 ans, originaire d’Afrique subsaharienne, ayant notamment étudié la gestion des ressources humaines – explique avoir reçu des réponses l’invitant à se présenter à des entretiens d’embauche suite à la suppression de sa photo sur son curriculum vitae. Cette dernière mentionne également avoir la chance de posséder un nom de famille à consonance méditerranéenne ne la défavorisant pas. Soulignons qu’Hélène est d’origine ethnique mixte. Elle confie : « on allait consulter les offres sur un ordinateur à notre disposition et on pouvait postuler on-line. Et je n’ai jamais reçu de réponse, mais de personne. Et donc, je me demandais pourquoi je n’avais pas de réponse. Comme je sortais de GRH et qu’on nous avait drillé sur le sujet, c’est-à-dire photo, présentation, etc., je me suis dit, il y a quelque chose qui ne va pas et j’ai enlevé ma photo. J’ai de la chance, car mon nom est à consonance méditerranéenne, et quand je me présentais en personne on me faisait oh ! ». Autre situation encore, Mahatma – de nationalité belge, âgé de 25 ans, originaire d’Océanie/Extrême-Orient, détenteur de formations dans le domaine commercial et de la gestion – mentionne : « les stéréotypes passent par les prénoms quand on envoie un curriculum vitae. Je l’ai vécu ».
Chaque situation de discrimination n’étant pas systématiquement signalée (e.g. suite à un sentiment d’inutilité), ce qui précède nous invite à souligner le fait que « les incidents de discrimination restent en partie invisibles pour les institutions qui ont l’obligation légale de répondre aux plaintes en la matière » (FRA, 2017, p.42 ; Ringelheim et Wautelet, 2022, p.58 ).
De surcroit, les victimes ne savent parfois pas à qui s’adresser afin de dénoncer ces comportements (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.58 ). Afin d’éventuellement pallier ces questionnements, l’encadré suivant vise à informer en la matière.
Pourquoi signaler une discrimination[9] ?
Le rapportage permet :
- À Unia de formuler des avis et des recommandations politiques.
- Notamment aux organisations, aux journalistes, au monde académique d’utiliser ces chiffres pour des études et des recommandations.
- D’élaborer une nouvelle législation ou de nouvelles politiques (Unia, 2024).
Signaliser une discrimination :
- Signalez une discrimination en ligne via ce lien (https://www.signalement.unia.be/fr/signale-le) ou appelez le 0800 12 800 les jours ouvrables entre 9h30 et 13h. Un signalement est toujours gratuit et confidentiel (Unia, 2024).
Pour une information exhaustive en la matière, cliquez ici.
Les taux d’emploi[10] wallon
Comme préalable, mentionnons que « ‘les statistiques ne décrivent pas des actes, elles enregistrent des états. Tout ce qu’elles permettent donc de faire, c’est de contester ou de conforter l’hypothèse que certains états peuvent être liés à certains actes, qu’il s’agit de décrire par ailleurs’ » (Simon, 2000, cité dans Dhume et Sagnard-Haddaoui, 2006, p.26). Ce qui précède nous invite à faire le lien suivant : chaque méthode recèle des « intérêts » et des « limites ». Elles sont donc « complémentaires » (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.42).
Que nous renseigne le taux d’emploi wallon selon l’origine ?
Par exemple, l’écart de taux d’emploi entre les personnes d’origine belge et d’Afrique subsaharienne est de plus de 20%.
Datawarehouse marché du travail et protection sociale, BCSS. Calculs et traitement : SPF ETCS [11]
Soulignons de surcroît que les individus peuvent être sujets à des formes particulières de discrimination (e.g. une femme[12] d’origine étrangère[13]). Des notions qui seront plus amplement explorées par après.
Écart du taux d’emploi entre les femmes et les hommes d’origine belge et d’origine étrangère (26-64 ans)[14]
|
2019 (Points de pourcentage) |
Femmes d’origine étrangère et hommes d’origine belge | 26,1 |
Femmes d’origine étrangère et hommes d’origine étrangère | 11,1 |
Hommes d’origine étrangère et hommes d’origine belge | 15,1 |
Femmes d’origine étrangère et femmes d’origine belge | 21,8 |
Femmes d’origine belge et hommes d’origine belge | 4,3 |
Datawarehouse marché du travail et protection sociale, BCSS. Calculs et traitement : SPF ETCS[15]
L’écart le plus significatif se présente entre une femme d’origine étrangère et un homme d’origine belge (26,1 points de pourcentage). Une femme d’origine étrangère semble plus que doublement pénalisée du fait d’être concernée par deux critères protégés.
Comme suite à cette première partie, venons-en au cadre juridique.
Le cadre juridique des discriminations à l’embauche
En préambule, précisons que cette section vise à permettre de déceler une situation de discrimination selon la formation « eDiv[16] » proposée par Unia, et ainsi d’ancrer les normes légales théoriques dans la pratique de terrain.
« eDiv est une plateforme d’apprentissage en ligne gratuite d’Unia pour un environnement de travail plus diversifié, plus inclusif et exempt de discrimination » (Unia, 2024) : https://www.ediv.be/
Rappelons que « la discrimination n’est pas une opinion, un sentiment ou une revendication ». Ipso facto, elle renvoie à un cadre juridique permettant « l’identification des inégalités de traitement afin de mettre en œuvre un droit fondamental : celui de ne pas être discriminé » (Toubon, 2020, p.4).
Depuis le mois de juin 2023, la législation fédérale anti-discrimination a évolué.[17]
Il existe trois lois fédérales belges qui constituent la législation de lutte contre les discriminations. Ces lois définissent non seulement les différentes formes de discrimination, mais aussi les motifs[18] protégés. Notons que le champ d’application de ces lois concerne toutes les relations de travail,[19] et ces dernières incluent entre autres les conditions d’accès à l’emploi.[20]
Parler de discrimination requiert tout d’abord de déterminer s’il y a un lien avec les critères protégés. En dehors de ces derniers, il sera plutôt fait référence à la notion d’injustice ou inégalité.[21] Plus précisément, la loi définit 19 motifs protégés.[22]
Avant d’aborder les motifs visés par les trois lois de 2007, mentionnons qu’au-delà d’une volonté de la transposition des directives européennes[23], le législateur belge a voulu dépasser ses obligations. Notamment, « la liste des critères prohibés de discrimination a été notablement étendue, allant au-delà des exigences européennes » (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.21)
Les lois fédérales
- La loi du 30 juillet 1981, dite la loi anti-racisme, tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, modifiée par la loi du 10 mai 2007. Les critères[24] visés par cette loi sont les suivants : la nationalité, une prétendue race[25], la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.
- La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. La loi anti-discrimination vise les motifs[26] suivants : l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la conviction syndicale, la langue, l’état de santé, un handicap, une caractéristique physique ou génétique et l’origine ou la condition sociale.
- La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes. La loi genre comprend les critères[27] suivants : le sexe, la grossesse, la procréation médicalement assistée, l’accouchement, l’allaitement, la maternité, les responsabilités familiales, l’identité de genre, l’expression de genre, les caractéristiques sexuelles et la transition médicale ou sociale.
- Ajoutons le décret wallon du 14/08/2019 faisant référence à la composition de ménage[28].
Pour qu’il y ait discrimination aux termes de la loi, il est également nécessaire de déterminer s’il s’agit d’un comportement interdit.[29] Les trois lois de 2007 interdisent notamment la discrimination directe, la discrimination indirecte et l’injonction de discriminer (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.21).
- La discrimination directe suppose une « distinction[30] directe ». À savoir, une « situation qui se produit lorsque sur la base d’un ou plusieurs des critères protégés, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre personne ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable[31]». Autrement dit, ces conditions doivent être réunies pour parler de discrimination directe.
Si c’est le cas, se pose ensuite la question de savoir si la distinction est légalement justifiée. Si la différence de traitement est justifiée, alors elle échappe à la qualification de discrimination (Behrendt, 2021, p.13). Plus précisément, une discrimination directe comprend « toute distinction directe, fondée sur un ou plusieurs des critères protégés, qui ne peut être justifiée sur la base des dispositions du titre II[32] ». Les dispositions du titre II (c’est-à-dire, la justification des distinctions directes) reprennent notamment la notion de l’exigence professionnelle essentielle et déterminante.[33]
Par exemple[34], dans le domaine de l’accès à l’emploi, « un [·e] employeur [·se] qui refuse d’embaucher un [·e] candidat [·e] suffisamment qualifié [·e] au seul motif de sa couleur de peau », serait qualifié·e d’auteur·e de discrimination directe (Behrendt, 2021, p.14). Mais encore, selon Unia (2024), un·e employeur·se qui souhaite engager une personne d’origine étrangère afin de travailler avec un public d’origine étrangère serait également qualifié·e d’auteur·e de discrimination directe.[35] Par contre, un·e réalisateur·rice peut exiger un homme de couleur de peau noire pour interpréter le rôle de Mohamed Ali suite à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante […] ».
- La discrimination indirecte suppose quant à elle une « distinction[36] indirecte » qui fait référence « à la situation qui se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner, par rapport à d’autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par un ou plusieurs des critères protégés[37]». Ainsi, une discrimination indirecte comprend « toute distinction indirecte fondée sur un ou plusieurs des critères protégés, qui ne peut être justifiée sur la base des dispositions du titre II [38]». Les dispositions du titre II (à savoir, la justification des distinctions indirectes) reprennent notamment les notions « d’objectif légitime », de « moyens appropriés » et de « mesures nécessaires »[39].
Dans le domaine de l’emploi, un exemple serait un règlement de travail interdisant le port d’un couvre-chef sans justification rationnelle, notamment une règle d’hygiène (l’objectif n’est pas légitime). De cette manière, cette norme d’apparence neutre a, par exemple, pour conséquence d’exclure les Juifs·ves portant la kippa (Behrendt, 2021, p.14). En prolongement, nous pourrions imaginer que cette norme interne à l’entreprise pourrait se répercuter sur les conditions d’accès à l’emploi formulées et exigées par les employeurs·ses.
- L’injonction de discriminer comprend « tout comportement consistant à enjoindre à quiconque de pratiquer une discrimination, sur la base d’un ou plusieurs des critères protégés, à l’encontre d’une personne, d’un groupe, d’une communauté ou de l’un de leurs membres [40]».
Selon Unia (2024), dans le domaine de l’embauche, un exemple serait un·e employeur·se qui chercherait à enjoindre un intermédiaire du marché du travail afin que les personnes d’origine étrangère soient exclues du processus de recrutement[41]. Céder à une injonction de discriminer sur le motif de l’origine ethnique revient à commettre une discrimination directe.
Voici un résumé des étapes à suivre dans le dessein de détecter une situation de discrimination[42]:
- La discrimination multiple
À présent, le cadre fédéral belge envisage la discrimination multiple, c’est-à-dire « la discrimination résultant de plusieurs critères de discrimination » (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.83). Cette forme particulière de discrimination peut prendre deux formes distinctes dites : « cumulée » ou « intersectionnelle » (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.83).
La loi définit la discrimination cumulée comme étant une « situation qui se produit lorsqu’une personne subit une discrimination suite à une distinction fondée sur plusieurs critères protégés qui s’additionnent, tout en restant dissociables[43] ». À titre d’exemple, « un individu est, dans un même contexte et de la part du même auteur, victime de deux discriminations distinctes liées chacune à une caractéristique qu’il présente. Ainsi, il pourrait être discriminé en tant qu’homosexuel et en raison de son état de santé » (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.83). Les discriminations se cumulent.
Quant à la discrimination intersectionnelle, elle se définit comme une « situation qui se produit lorsqu’une personne subit une discrimination suite à une distinction fondée sur plusieurs critères protégés qui interagissent et deviennent indissociables[44] ». Ici, il y a la combinaison des caractéristiques, comme par exemple dans la situation d’une personne handicapée d’origine étrangère. (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.83). Ou encore une jeune femme d’origine étrangère discriminée lors d’une sélection d’embauche. Ici les critères de l’âge, du sexe et de l’origine ethnique se combinent.
Suite à ces deux premières parties, venons-en aux théories de la psychologie sociale qui sous-tendent le comportement discriminatoire.
La discrimination selon la psychologie sociale
La discrimination fondée sur l’origine « […] repose sur la mise en œuvre de stéréotypes associés aux individus en fonction de signes extérieurs sur lesquels ils n’ont pas de prise (i.e., couleur de peau, traits du visage, texture des cheveux, patronyme, prénom, accent) ou de caractéristiques socio-culturelles (religion, lieu de résidence) […] » (Toubon, 2020, p.4).
La catégorisation, les préjugés et les stéréotypes sociaux.
Quel est l’impact de ces concepts dans notre vie quotidienne ? Est-ce que nos décisions sont toujours rationnelles ? Comme nous l’avons mentionné par avant, la catégorisation sociale, les stéréotypes et les préjugés sociaux touchent tous les domaines de la vie quotidienne. Les décisions que nous prenons peuvent être, à notre insu, irrationnelles. Dans une perspective psychosociale, « les stéréotypes correspondent aux traits descriptifs ou définitoires [e.g. n’est pas ponctuelle] associés à la catégorie [e.g. une personne d’origine étrangère] » (Salès – Wuillemin, 2006, p.21). Quant aux préjugés, ils incarnent les valeurs positives ou négatives attachées à la catégorie visée (dans cet exemple, nous pourrions considérer qu’elle est plutôt négative). Par suite, un·e recruteur·se pourrait involontairement écarter une personne candidate à un emploi, en étant persuadé·e d’avoir pris la meilleure décision, car la fonction requiert une ponctualité sans faille. Elif, interrogée dans le cadre de notre recherche – âgée de 35 ans, originaire de l’Afrique Subsaharienne et détentrice d’un graduat en comptabilité obtenu au Togo – explique: « je suis africaine, j’aime être à l’heure et je suis toujours dix minutes avant à mon rendez-vous ou même plus. Mais c’est vrai que les Africains ont cette habitude d’être toujours en retard. Mais pas tout le monde, il y a toujours des exceptions, mais la plupart du temps, ils sont en retard ». « Mais pas tout le monde », dit-elle. Ipso facto, le témoignage d’Elif renforce la pertinence d’un accompagnement visant à permettre l’accès à une information plus individualisante[45] de la part du·de la recruteur·se. C’est une des clés de l’intermédiation active que nous aborderons par après. Mais avant, différents concepts méritent d’être précisés.
- La catégorisation :
À l’origine, ce concept appartient au domaine de la « psychologie cognitive de la perception » qui traite de l’activité mentale des individus. Il consiste à organiser et à ranger des « données » (i.e. visuelles, tactiles, auditives, olfactives) issues du monde qui nous entoure. Ces dernières sont regroupées en « classes » qui partagent un certain nombre de caractéristiques communes. Par exemple, une lampe et un lit pourraient appartenir à la catégorie « mobilier de chambre » (Salès – Wuillemin, 2006, p.11). La psychologie sociale analyse la manière dont le sujet classe, non plus des « accessoires », mais des « objets sociaux », à savoir des individus (Salès – Wuillemin, 2006, p.12).
- Les préjugés :
Cependant, les objets sociaux ne sont pas perçus « objectivement » par le sujet, mais à travers le filtre d’« attitudes » (i.e. préjugés) que ce dernier entretient à l’égard de ces objets à caractères sociaux. Ajoutons que la valeur de l’attitude est soit positive, soit négative, mais ne peut être neutre (Salès – Wuillemin, 2006, p.16). Ne peut être neutre, car elle n’est pas objective étant donné que l’attitude d’une personne comporte une dimension évaluative qui a pour but d’établir une différentiation sociale. (Fischer, 1987, p.104, cité dans Salès – Wuillemin, 2006, p.15). Pour aller plus loin, cette différentiation sociale est opérante, car le sujet qui catégorise « est lui-même directement impliqué dans l’opération de catégorisation ». E.g. si je catégorise un·e médecin, je me positionne automatiquement comme « semblable » (si je suis un·e autre médecin) ou « différent[·e ] » (si je suis un·e aide-soignant·e) (Salès – Wuillemin, 2006, p.13). La conséquence est alors la possibilité de l’altération des rapports interindividuels en vertu de cette implication. Plus précisément, « selon que les catégories dans lesquelles sont affectés les individus source et cible de la catégorisation se trouvent être semblables ou différentes » comme expliqué par avant (Salès – Wuillemin, 2006, p.13).
Le concept d’attitude
Dans une perspective en relation avec le débat social, le concept d’attitude a été formulé par Allport (1954) qui a mis en saillance le lien entre attitude et préjugé. Selon cet auteur, le préjugé correspond à « une attitude négative, une prédisposition qui pousserait les sujets à afficher un comportement discriminant envers certains groupes sociaux et leurs membres » (Allport, 1954, cité dans Salès – Wuillemin, 2006, p.15). Par après, une définition plus précise a été proposée par Fischer (1987), qui renvoie ce concept à « ‘une attitude de l’individu comportant une dimension évaluative, souvent négative, à l’égard de types de personnes ou de groupes, en fonction de sa propre appartenance sociale. C’est donc une disposition acquise dont le but est d’établir une différenciation sociale’ » (Fischer, 1987, p. 104, cité dans Salès – Wuillemin, 2006, p.15).
- Les stéréotypes :
Les préjugés et les stéréotypes sont liés. À l’origine, le terme stéréotype vient du monde de l’imprimerie et représente « une forme métallique qui sert à l’impression de clichés typographiques » (Ndobo, 2010, p.30). Le journaliste Walter Lippmann (1922)[46] utilise ce terme par analogie pour insister sur le caractère « stable et rigide » des images que nous avons du monde qui nous entoure, et en particulier des groupes sociaux. Il « sanctuarise ainsi la métaphore des stéréotypes comme des « images dans nos têtes » » (Ndobo, 2010, p.30; Salès – Wuillemin, 2006, p.16).
Ce mécanisme cognitif de base permet aux individus de traiter les nombreuses informations provenant d’un environnement « trop vaste et complexe » en le simplifiant. Il est indispensable dans le dessein d’éviter une surcharge mentale, car notre système cognitif ne serait pas « équipé pour faire face à autant de subtilité et de diversité […] » (Salès – Wuillemin, 2006, p.78). Dans cette optique, les stéréotypes représentent un « mode de fonctionnement « normal » des individus » (Salès – Wuillemin, 2006, p.17). En ce sens, la stéréotypisation est vue comme étant un « processus adaptatif » dans la perspective d’une optimisation des capacités mentales « et non comme on a pu trop souvent le dire, un processus réducteur qui appauvrirait les indices environnementaux » (Salès – Wuillemin, 2006, p.17). Cependant, si ces raccourcis cognitifs sont indispensables, ils peuvent aussi être à l’origine de préjugés et de discriminations dans les relations « interindividuelles et intergroupes » (Ndobo, 2010, pp.30-31 ; Yzerbyt et Demoulin, 2013, p.30).
« Le concept de stéréotype a connu un développement important en psychologie sociale » (Salès – Wuillemin, 2006, p.78). Ce concept a notamment permis la mise en saillance des conséquences négatives[47] de la discrimination. Dans cette optique, « la discrimination est un comportement négatif visant un exogroupe[48] […] » (Leyens et Yzerbyt, 1997, p.296). C’est ainsi qu’en psychologie sociale, les recherches sont en relation avec « les réflexions éthiques qui alimentent le débat social à propos de la lutte contre les discriminations » (Salès – Wuillemin, 2006, p.78). Les discriminations sont fonction des relations et conflits intergroupes, qui eux-mêmes s’inscrivent dans une réalité sociale, économique et juridique des sociétés contemporaines.
La recherche a également mis en évidence qu’il est possible d’identifier les conditions de l’amplification ou de l’inhibition des préjugés en s’attardant sur les raisons qui poussent les individus à catégoriser. Ndobo (2010) s’appuie sur les travaux de Marilynn Brewer. Cette psychologue sociale explique que le recours aux préjugés peut être amplifié quand « les individus ont une conception exclusive de l’appartenance » (Ndobo, 2010, p.130). Ces personnes se différencient par un fort besoin de « certitude » et de « simplification cognitive » ; par le fait d’être dans des conditions de vie menacées (à savoir, une menace causée par des difficultés « psychologiques, économiques et politiques ») ; par le fait de se trouver dans une situation « de confusion identitaire qui ne favorise pas une distinctivité identitaire optimale » ; et par le fait d’avoir un statut valorisé ou dévalorisé qui favorise des réflexes de protection » (Ndobo, 2010, p.130). A contrario, les individus avec une personnalité de type « inclusive » sont plus en accord avec l’objectif d’inhibition des préjugés. Ce dernier profil se distingue par : « sa tolérance face à l’incertitude, son humeur positive, sa tendance à la mobilité sociale et une propension à la mixité dans les relations sociales » (Ndobo, 2010, p.130). Par conséquent, ces individus sont mieux disposés à « valoriser la diversité culturelle des groupes et l’inclusion des autres plutôt que leur exclusion » (Ndobo, 2010, p.130). De la même manière, leur propension à la pluralité des normes culturelles accroît « leur tolérance, leur ouverture et la propension à vouloir modifier leurs croyances[49] concernant les individus qui ne leur ressemblent pas » (Ndobo, 2010, p.130).
Ces dernières affirmations soulèvent deux questions : les individus avec une personnalité de type inclusive pourraient-elles discriminer ? A contrario, les personnes ayant une conception exclusive de l’appartenance pourraient-elles éviter des comportements discriminatoires ? La recherche a mis en saillance que cette relation n’est pas nécessairement automatique. Autrement dit, il est possible d’entretenir des préjugés vis-à-vis d’un groupe donné et de décider de ne pas adopter un comportement discriminatoire. À l’inverse, la société peut amener des personnes sans préjugés à discriminer (Leyens et Yzerbyt, 1997, p.295 ; Yzerbyt et Demoulin, 2013, p.424 ; Ndobo, 2010, p.52). En effet, les comportements des individus sont aussi bien déterminés par « des convictions personnelles que par certains facteurs extra-personnels sur lesquels ils n’ont pas de prise » (Ndobo, 2010, p.52). Ces nuances attestent de la complexité des relations, des conflits entre les individus, les groupes sociaux.
Nous venons de mettre en exergue la complexité du comportement discriminatoire. Comment pourrait se manifester la discrimination dans le champ de l’accès à un emploi ?
Un type de justification[50] est la « couverture » où l’attention de l’individu est focalisée sur des informations autres que « la catégorie sociale », à savoir l’ensemble des motifs visés par les normes légales pré-citées.
Plus précisément, « la couverture est le processus par lequel le préjugé est dissimulé par la focalisation de l’attention sur une dimension considérée comme acceptable sur le plan personnel et social et non liée à la catégorie sociale de l’individu stigmatisé » (Crandall & Eshleman, 2003 ; Dovidio & Gaertner, 1998 ; Gaertner & Dovidio 1986 ; Norton et al., 2004 cités dans Delroisse et al., p.78 )
Concrètement, en référence à l’inadéquation au travail (à savoir, les aptitudes et motivations selon les exigences du poste à pourvoir), la discrimination n’apparaît que quand le candidat·e affiche une qualification dite « ambiguë » pour le poste souhaité (c’est-à-dire à compétences égales). Dans cette perspective, « les candidats [·es] du groupe minoritaire sont moins souvent engagés [·ées] que ceux [·celles] du groupe majoritaire » (Dovidio et Gaertner, 2000, cités dans Delroisse, Herman et Yzerbyt, 2012, p.81). Ainsi, si le·la candidat·e faisant partie du groupe minoritaire est plus qualifié·e que le·la candidat·e du groupe majoritaire, il·elle sera préféré·ée, car le·la recruteur·se priorisera les compétences de ce·cette dernier·ère sur ses éventuels préjugés. A contrario, s’il· si elle est faiblement qualifié·e, il·elle ne sera pas recruté·e. Ainsi, si le·la recruteur·se ressent des préjugés à son encontre, il·elle n’aura pas besoin d’avoir recours à la justification pour l’écarter (Delroisse, Herman et Yzerbyt, 2012).
Pour comprendre ce mécanisme, il nécessite de se projeter dans une situation où les candidatures sont évaluées à travers des écrits (e.g. curriculum vitae), par conséquent, toutes choses étant égales par ailleurs, en présence de nombreux concurrents·es, sans contact direct. Notons que l’absence de concurrence est également une des clés principales de l’intermédiation active. Souvenons-nous également que nous avons relevé que 55% des Wallons estiment qu’à compétences et qualifications égales, les employeurs·ses· doivent en priorité embaucher des travailleurs·ses non-immigrés·es. Ce processus soulève une question : comment alors éviter les discriminations à l’embauche ?
Nous venons d’aborder un certain nombre d’approches explicatives des discriminations à l’embauche. Quelles pourraient être les moyens de sa réduction ?
L’intermédiation active : une méthode progressiste
Le constat actuel de la persistance des discriminations lors de l’accès à l’emploi nous a menée à répondre à la question suivante: comment un dispositif d’intermédiation active[51] pourrait-il être de nature à favoriser l’employabilité de populations d’origine étrangère sujettes à des discriminations à l’embauche ? Ainsi que de mettre en exergue l’utilité d’un dispositif de nature préventive.
Comme préalable, mentionnons que « pour rencontrer l’objectif d’insertion, différents instruments sont mobilisés en matière de politiques de l’emploi[52] » (Dock, 2020, p.5). Christine Erhel (2020) distingue trois types de politiques de l’emploi « dites actives » :
- le premier type concerne « les actions qui visent à augmenter le nombre de postes de travail potentiels » (i.e. la demande de travail des entreprises) (Erhel, 2020, p.12). Ces dernières visent par exemple « la réduction du coût du travail, à travers la baisse des cotisations sociales » et sont « principalement orientées vers les employeur·ses » (Dock, 2020, p.5).
- Comme deuxième type, cette auteure cite les « actions qui visent l’appariement » (i.e. une meilleure rencontre entre l’offre et la demande de travail) (Dock 2020, p.5). Ici, notamment les services proposés par le « Forem[53] » (Dock, 2020, p.5) qui est un des « intermédiaires publics du marché du travail[54] » (Orianne et Maroy, 2008, p.22). L’intermédiation active fait également partie de cette catégorie.
- Enfin, le dernier type de politique de l’emploi consiste à augmenter l’offre de travail potentielle (e.g. via la dégressivité des allocations de chômage comme incitation au travail) (Erhel, 2014, citée dans Dock, 2020, p.5).
Passif versus actif
« Dans une distinction classique (et discutable) établie notamment par l’OCDE, les politiques passives (principalement, l’indemnisation du chômage) sont distinguées des politiques cataloguées comme actives ». Les politiques dites ‘actives du marché du travail’ visent à favoriser l’insertion sur le marché du travail et augmenter le taux d’emploi » (Dock, 2020, p.9). Cependant, cette frontière est « artificielle » étant donné que par exemple, les « politiques d’indemnisation du chômage sont accompagnées d’incitations au retour à l’emploi (dégressivité des allocations […]) » (Erhel, 2020, p.10).
L’intermédiation active
Venons-en à l’intermédiation active qui « s’inscrit résolument dans une rupture avec les canevas façonnés à partir des références de l’État social actif[55][…] avec une référence forte aux politiques d’activation » (Dock, 2020, p.7). Ainsi, l’intermédiation active propose un changement de perspective et peut être définie comme le déploiement de dispositifs « de médiation et de soutien orientés à la fois vers le.la chercheur·se d’emploi, mais aussi l’entreprise » (Noël, 1999, p.15 ; Dock, 2020 p.7). Un dispositif d’intermédiation active est la méthode dite IOD : intervention sur l’offre et la demande. Concrètement, avec la méthode IOD, « 90% des mises en relation [entre la personne demandeuse d’emploi et le·la recruteur·se] se font sans transmission de CV, ni mise en concurrence[56] ». Elles se réalisent en privilégiant un contact direct favorisant une information individualisante de la part du·de la recruteur·se. Un·e médiateur·rice participe à l’entrevue entre la personne candidate et l’employeur·se afin « d’orienter les échanges à partir de la présentation du poste, de l’équipe de travail et d’inciter à d’éventuels ajustements[57] ».
Le·la médiateur·rice a donc un rôle central. Concrètement, il·elle peut être un jobcoach dans des structures d’accompagnement et d’insertion socioprofessionnelle, telles que les Missions régionales pour l’emploi[58] (MIRES) en Wallonie.
Selon Noël (1999), un tel type de méthode ne laisse « aucune place à l’arbitraire et à la subjectivité » : elle « occulte les facteurs exogènes aux modalités de recrutement », dont la discrimination raciale, en se centrant sur la seule notion de compétence professionnelle (Noël, 1999, p.11).
L’intermédiation active vise notamment à combler l’éventuel déficit de réseau professionnel en privilégiant une relation directe des entreprises et des chercheurs·ses d’emploi. Une des clés principales dans ce type d’accompagnement est la proposition d’opportunités d’emploi (Dock, 2020, p.7). Différentes personnes migrantes, à la recherche d’un travail, nous l’ont confirmé. Selon Nelson – de nationalité belge, âgé de 25 ans, originaire de l’Afrique subsaharienne et notamment formé en boulangerie via une formation en alternance – : « si tu n’as pas un bon réseau, tu es foutu. Et donc un[·e] médiateur[·rice] qui comble ce déficit c’est précieux ! ». Quant à Éric - de nationalité belge, âgé de 45 ans, originaire d’Afrique subsaharienne et détenteur d’un diplôme universitaire en gestion des ressources humaines et en sciences du travail, – il identifie l’accompagnement qui lui a été proposé comme étant « un service de renseignements » et ajoute qu’« on ne nous accompagne pas dans le sens de trouver un travail ».
Ce dernier témoignage soulève la problématique de la « déconnexion entre le travail sur l’employabilité et la mise à l’emploi » par certains intermédiaires publics du marché du travail (Orianne et Maroy, 2008, p.2). Ces auteurs ont recueilli les propos de certains intermédiaires, et citent : « on n’est pas là pour parler en termes de solution (…) le sens de notre travail n’est pas forcément que les gens travaillent, (…) ce n’est pas la mise à l’emploi » (Oriane et Maroy, 2008, p.2). Selon Orianne et Beuker (2019), le travail des « conseillers [·ères] emploi » ne consiste ni à « placer », ni à « contrôler » les chômeurs [·ses], mais il vise plutôt le développement de leur « employabilité[59] » dans le cadre de « dispositifs d’accompagnement » (e.g. « l’accompagnement individualisé au FOREM ») (Orianne et Beuker, 2019, p.13). Or, les personnes bénéficiaires souhaiteraient également une meilleure adéquation entre leurs qualifications et/ou leur contexte de vie, et les emplois proposés par les intermédiaires publics du marché du travail. Toujours selon Éric, certains « poussent à trouver du travail, mais alors n’importe quel travail ».
Conclusion
La persistance des discriminations, lors de l’accès à l’emploi, nous a menée à questionner comment le dispositif d’intermédiation active pourrait-il être de nature à favoriser l’employabilité de populations d’origine étrangère sujettes à des discriminations à l’embauche.
Un des éléments-clés pour favoriser l’employabilité des personnes d’origine étrangère consiste en une méthode de recrutement visant une mise en relation directe du·de la candidat·e avec le·la recruteur·se, c’est-à-dire sans passer par une candidature évaluée à travers des écrits et dans un contexte où le·la chercheur·se d’emploi n’est pas en la présence de candidats·es concurrents·es afin de permettre au·à la recruteur·se l’accès à une information individualisante en ce qui concerne ce·cette dernier·ère. Bien entendu, d’autres mesures doivent également être déployées. Citons par exemple, l’importance de sensibiliser les employeurs·ses à la diversité, la collaboration des intermédiaires du marché du travail avec une structure indépendante qui lutte contre les discriminations ou encore la reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger.
Par ailleurs, si nous devions prolonger cet article, nous pourrions envisager la possibilité suivante. Cette perspective nous mène au concept d’employabilité durable qui consiste en « la capacité d’un individu, à tout moment de sa vie professionnelle, de conserver, […] un emploi dans des délais raisonnables tenant compte de la situation économique » (Bricler, 2009, p.99).
Par conséquent, au-delà du placement, qu’en est-il de la durabilité de l’intégration à l’emploi des personnes d’origine étrangère ? Dans cette perspective, la méthode IOD vise la pérennité de la relation d’emploi. Ainsi, bien au-delà d’un objectif de rapprochement, le·la salarié·e et l’entreprise sont « accompagnés·es post recrutement ».[60] En effet, le contact intergroupe est le modèle qui permet le mieux de favoriser la diminution des stéréotypes, car « lorsque l’incohérence porte sur de nombreuses dimensions et touche l’ensemble du groupe, il devient plus de plus en plus difficile de soutenir [que le groupe cible possède les caractéristiques stéréotypiques attribuées au départ] » (Leyens et Yzerbyt, 1997, p.314).
Pour aller plus loin
→ Pour une revue de la littérature plus exhaustive, consultez la publication de Thierry Dock, « L’insertion des personnes fragilisées au cœur du travail des Missions régionales pour l’emploi » (2023):
https://www.intermire.be/blog/2023/02/23/thierry-dock-mire-observatoire/
→ Découvrez-en plus sur la méthode «IOD» (Intervention Offres et Demandes), sur le site web dédié : https://transfer-iod.org/public/methode-iod/
Notes de bas de pages
- Le présent article est une production originale inspirée d’un travail de recherche, mené en 2023, dans le cadre de la réalisation d’un mémoire en sciences du travail à l’UCLouvain : « comment le dispositif d’intermédiation active pourrait-il être de nature à favoriser l’employabilité de populations d’origine étrangère sujettes à des discriminations à l’embauche » dont l’auteure est Natacha Piwowarow et le promoteur Thierry Dock. Les sources utilisées varient également du travail de recherche initial.
- Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante chargée de lutter contre les discriminations et de promouvoir l’égalité en France. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.defenseurdesdroits.fr/
- D’après une enquête réalisée par l’European Agency for Fundamental Rights (FRA), ce constat est également vécu à l’échelle de l’Union européenne. S’ajoute à ce constat que la discrimination en raison de l’origine ethnique est le plus souvent vécue lors de la recherche d’un emploi (FRA, 2017, p.3).
- Selon Unia (2024), le Baromètre de la diversité est un « instrument de mesure structurel qui dresse de manière scientifique un état des lieux de la gestion de la diversité en Belgique […] ». Consulté le 05/11/2024 sur https://www.unia.be/fr/connaissances-recommandations/barometre-de-la-diversite-emploi
- « Le Baromètre social de la Wallonie est une enquête en face à face récurrente réalisée depuis de nombreuses années par l’Institut Wallon de l’Évaluation, de la Prospective et de la Statistique (IWEPS) auprès d’un échantillon représentatif de Wallons. L’objectif de cette enquête est de capter les opinions des personnes sur toute une série de thématiques » (IWEPS, 2017, p.2). Dans notre cas : « la discrimination liée à l’origine ethnique à travers les perceptions des Wallons » (IWEPS, 2017, p.1).
- Le Baromètre social de la Wallonie (2017) entend par le terme « immigré » les « immigrés primo-arrivants dans le cadre d’un parcours d’intégration » (IWEPS, 2017, p.2).
- Selon Toubon (2020), « parmi l’ensemble des saisines reçues en 2019 pour discrimination en raison de l’origine, l’emploi est le premier domaine invoqué, avec 35,5 % des saisines reçues relevant de l’emploi privé et 24,4 % de l’emploi public » (p.14). Par ailleurs, à titre de comparaison, « 9,20% » en ce qui concerne le logement (Toubon 2020, p.14).
- Les personnes citées dans cette production ont été rencontrées lors d’un entretien semi-directif individuel dans le cadre du travail de recherche initial. Ces personnes ont toutes bénéficié d’un accompagnement par un intermédiaire public du marché du travail en Wallonie ou en Flandre. Tous les prénoms sont des noms d’emprunt dans une visée de préserver l’anonymat des personnes interviewées. Par ailleurs, les origines mentionnées correspondent à la répartition géographique du Monitoring socioéconomique de 2022.
- Consulté le 05/11/2024 sur https://www.unia.be/fr/signaler-discrimination#:~:text=Pourquoi%20est%2Dil%20important%20de,la%20discrimination%20dans%20notre%20société
- Les écarts de taux d’emploi mis en évidence ne signifient pas automatiquement la présence de discriminations.
- Les graphiques sont issus des données statistiques disponibles sur le site du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale à la rubrique annexes du monitoring socio-économique de 2022. Consulté le 05/11/2024 sur https://emploi.belgique.be/fr/statistiques Selon Unia (2024) « Le monitoring socio-économique cartographie le marché du travail en fonction de l’origine et l’historique migratoire. Il est le résultat d’une coopération […] entre Unia et le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale. Le rapport est basé sur des données statistiques provenant du Datawarehouse marché du travail et protection sociale et de la Banque Carrefour de la Sécurité sociale ». Consulté le 05/11/2024 sur https://www.unia.be/fr/connaissances-recommandations/monitoring-socioeconomique-2022-marche-du-travail#:~:text=La%20nouvelle%20édition%202022%20du,en%20Belgique%20s’est%20améliorée « Le Datawarehouse marché du travail et protection sociale (DWH MT&PS) vise l’agrégation de données socio-économiques provenant des institutions belges de sécurité sociale et d’autres organismes publics ». Consulté le 05/11/2024 sur https://dwh.ksz-bcss.fgov.be/fr/dwh_page/content/websites/datawarehouse/about/mission.html
- Motif visé par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.
- Motif visé par la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie modifiée par la loi du 10 mai 2007.
- Op. Cit. 10.
- Op. Cit. 11.
- Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/?lang=fr
- Pour une revue de la littérature plus exhaustive, voyez Unia (2024). La loi évolue, les victimes de discriminations sont mieux protégées. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.unia.be/fr/actua/loi-victimes-de-discriminations-mieux-protegees; voir également la loi du 28 juin 2023 portant modification de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, M.B. 20 juillet 2023, p.60609. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ejustice.just.fgov.be/eli/loi/2023/06/28/2023043712/moniteur;
- Nous rencontrerons dans la littérature tant le terme critère que motif.
- Art. 5, 5° de la loi anti-racisme ; art. 5, 5° de la loi anti-discrimination ; art. 6, 5° de la loi genre.
- Art. 4, 1° de la loi anti-racisme ; art. 4, 1° de la loi anti-discrimination ; art. 5, 1° de la loi genre.
- Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/fullarticle.php?custompage=155
- Pour une définition de tous les critères protégés, voy. Unia (2024). Glossaire. Consulté le 5/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/library.php?id=8&lang=fr
- Dans le cadre d’une première tentative de transposition, « la Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ; la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.20).
- Art.4,4° de la loi anti-racisme.
- Le terme « race » a été remplacé dans la loi anti-racisme par les termes « prétendue race » afin « d’indiquer clairement qu’il ne s’agit pas là d’une réalité objective, mais d’une construction sociale » (Ringelheim et Wautelet, 2022, p.55).
- Art. 4°4 de la loi anti-discrimination.
- Art.4 de la loi genre
- Art. 3,3° du décret modifiant le décret du 6 novembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination et le Code judiciaire. Consulté le 05/11/2024 sur https://wallex.wallonie.be/eli/loi-decret/2008/11/06/2008204573
- Art. 12 de la loi anti-racisme ; art. 14 de la loi anti-discrimination ; art. 19 de la loi genre.
- Étant donné que la loi prévoit des exceptions, à ce stade nous parlerons de distinction et non de discrimination. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/fullarticle.php?custompage=155#critere_protege
- Art. 4, 6° de la loi anti-racisme ; art. 4, 6°de la loi anti-discrimination ; art. 5, 5° de la loi genre.
- Art. 4,7° de la loi anti-racisme ; art. 4,7 de la anti-discrimination ; art. 5,6°de la loi genre.
- Art. 8 de la loi anti-racisme ; art. 8 de la loi anti-discrimination ; art. 13 de la loi genre. Dans une visée de mieux appréhender la notion de l’exigence professionnelle essentielle et déterminante voy. Unia (2024). Glossaire. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/library.php?id=28
- Unia propose une banque de situations dans le dessein de permettre de déterminer si une pratique est discriminatoire au regard de la loi. Unia (2024). Situations et conseil. Consulté à le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/situations_advices.php
- Pour une revue de la littérature plus exhaustive, voy. Unia (2024). Travailleur d’origine étrangère pour un public d’origine étrangère ?. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/situation_tool.php?id=156
- Op. Cit. 30.
- Art. 4, 8° de la loi anti-racisme ; art. 4, 8° de la loi anti-discrimination ; art. 5, 7° de la loi genre.
- Art. 4, 9° de la loi anti-racisme ; art. 4, 9° de la loi anti-discrimination ; art. 5, 8° de la loi genre.
- Art. 9 de la loi anti-racisme ; art. 9 de la loi anti-discrimination ; art. 15 de la loi genre. Dans une visée de mieux appréhender les notions d’objectif légitime, de moyens appropriés, et de mesures voy. Unia (2024). Glossaire. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/library.php?id=28
- Art. 4, 13° de la loi anti-discrimination ; art. 4, 12° de la loi anti-racisme ; art. 5, 12° de la loi genre.
- Pour une revue de la littérature plus exhaustive, voy. Unia (2024). Cédez à l’injonction de discriminer ?. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/situation_tool.php?id=108
- Inspiré d’Unia. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/mod/quiz/attempt.php?attempt=37975&page=14&cmid=170 Par ailleurs, Unia propose une brochure plus exhaustive sous la forme d’un tableau et ainsi qu’un explication écrite. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/library.php?id=10&lang=fr
- Art. 4, 9°/1 de la loi anti-discrimination ; art.4, 9°/1 de la loi anti-racisme ; art. 5, 8°/1 de la loi genre.
- Art. 4, 9°/2 de la loi anti-discrimination : art.4, 9°/2 de la loi anti-racisme ; art. 5, 8°/2 de la loi genre.
- « L’information spécifique à la personne, indépendamment de son caractère stéréotypique par rapport au groupe auquel il appartient » (Yzerbyt et Demoulin, 2013, p.149).
- « Walter Lippmann est connu pour avoir introduit le terme de stéréotype dans le vocabulaire des sciences sociales […] et son travail a anticipé la plupart des recherches psychologiques sur les stéréotypes et les préjugés » (Yzerbyt et Demoulin, 1997, p.30 ; Salès – Wuillemin, 2006, p.16).
- Notons que la discrimination peut également être positive. Selon Unia (2024) « pour garantir l’égalité de tous sur le marché du travail, la législation anti-discrimination permet aux employeurs de prendre des mesures particulières pour prévenir ou compenser les désavantages subis par certains groupes de travailleurs. Ces mesures sont appelées des actions positives ». Pour une revue de la littérature plus exhaustive, voy. Unia (2024). L’action positive. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.ediv.be/theme/unia2019/fullarticle.php?custompage=112
- L’endogroupe représente le « groupe d’appartenance » par opposition à l’exogroupe qui est « l’outgroup » (Leyens et Yzerbyt, 1997, p.232).
- Le terme croyance signifie ici stéréotype.
- La justification concerne « tout processus psychologique ou social qui permet l’expression des préjugés authentiques sans pour autant souffrir de sanctions internes comme la honte ou la culpabilité, ou externes comme un jugement réprobateur de la part d’autrui ». (Delroisse et al., p.77). Pour une revue de la littérature plus exhaustive voy. Delroisse, S., Herman, G. & Yzerbyt, V. (2012). La justification au cœur de la discrimination : vers une articulation des processus motivationnels et cognitifs. Revue internationale de psychologie sociale.
- Pour une revue de la littérature plus exhaustive, voir Dock, T., (2023). L’insertion des personnes fragilisées au cœur du travail des Missions régionales pour l’emploi. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.intermire.be/blog/2023/02/23/thierry-dock-mire-observatoire/
- « La définition des politiques de l’emploi ne va pas de soi : en première analyse, on peut considérer qu’elles comprennent l’ensemble des interventions publiques sur le marché du travail, visant à en corriger les éventuels déséquilibres et/ou à limiter les effets néfastes de ces derniers » (Barbier, Gautié, 1998, cités dans Erhel, 2020, p.7).
- « Le FOREM est l’office de la formation professionnelle et de l’emploi. Il constitue le service public d’emploi en région wallonne » (Orianne et Maroy, 2008, p.24).
- Selon Gélot et Nivolle (2000), ces intermédiaires sont également appelés des « politiques publiques de l’emploi » (cités dans Orianne et Maroy, 2008, p.22).
- Concernant le concept d’État social actif notons que ce dernier « prétendant transcender le clivage traditionnel entre la gauche social-démocrate et la droite néolibérale, un nouveau courant de pensée a affirmé la possibilité d’une ‘Troisième Voie’. Ce courant est parti des États-Unis et fut théorisé en Grande- Bretagne par Anthony Giddens, […]. Sa traduction en matière économique et sociale par le concept d’État social actif’ a largement été reprise au niveau européen, d’où elle a influencé de nombreux pays, dont la Belgique » (Matagne, 2001, p.5).
- Voy. Transfert-iod (2024). Comment déjouer la sélectivité et les discriminations à l’embauche. Consulté le 05/11/2024 sur https://transfer-iod.org/public/methode-iod/
- Ibid.
- « Parmi les acteurs du secteur de l’insertion en Wallonie, les missions régionales pour l’emploi (Mires) […] s’adressent à un public spécifique, celui des personnes considérées comme éloignées de l’emploi. A cette appellation lourde à porter, nous préférons celles de personnes fragilisées » (Dock 2023). Consulté le 05/11/2024 sur https://www.intermire.be/blog/2023/02/23/thierry-dock-mire-observatoire/
- Il n’existe pas une « approche claire et unique de l’employabilité » (Antoine et al., 201, p.1). Nous avons pris dans le cadre de cet article la définition suivante : les « compétences du salarié et les conditions de gestion des ressources humaines, nécessaires et suffisantes, lui permettant à tout moment de trouver un emploi, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise, dans des délais et des conditions raisonnables » (Bricler, 2009, p.99).
- Voy. Transfert-iod (2024). Au-delà du placement, quelle durabilité de l’intégration en emploi. Consulté le 05/11/2024 sur https://transfer-iod.org/public/methode-iod/
BIBLIOGRAPHIE
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Delroisse, S., Herman, G. & Yzerbyt, V. (2012). La justification au cœur de la discrimination : vers une articulation des processus motivationnels et cognitifs (pp.77 ; 81). Revue internationale de psychologie sociale. Consulté le 05/11/2024 sur https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2012-2-page-73.htm
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Whitley, B et Kite, M., traduit par T. Arciszewski, révision scientifique de Yzerbyt, V. et Demoulin, S. (2013). Psychologie des préjugés et de la discrimination (pp. 33 ; 149 ; 424). De Boeck Supérieur.
Transfert-iod (2024). La méthode IOD. Consulté le 05/11/2024 sur https://transfer-iod.org/public/methode-iod/
Natacha Piwowarow, étudiante diplômée. Master en Sciences du Travail à l’UCLouvain et Thierry Dock, Professeur à la FOPES , au Master en Sciences du Travail à l’UCLouvain, ainsi que dans le MIAS Louvain-la-Neuve/Namur.
Pour citer cette analyse : Piwowarow, N. et Dock, T. « Face aux discriminations à l’embauche, comment favoriser l’employabilité de populations d’origine étrangère ? L’intermédiation active comme méthode d’accompagnement ». Analyse d’Eclosio, 2024
Pour l’existence de solidarités féministes par-delà les divisions culturelles et confessionnelles – Analyse
Une analyse de Léa Lomba, diplômée d’un double master en Anthropologie et en Sciences Sociales, obtenu respectivement à l’Université de Liège et à l’Université Paris Cité.
Le 16 septembre 2022, à Téhéran, l’arrestation suivie du meurtre de la jeune Mahsa Amini par la police des moeurs, sous prétexte d’un « port du voile non conforme à la loi », a déclenché une vague d’indignation et une insurrection sans précédent. Porté par le cri de ralliement « Femmes, vie, liberté » dans l’espace national, ce soulèvement spontané a rapidement gagné la scène internationale, où il a suscité de nombreuses marques de soutien invoquant la nécessité de « libérer » ces femmes.
En Europe, plus précisément, cet événement tragique a d’emblée relancé le débat sur la condition des femmes musulmanes, débat qui, depuis les années 90, s’est progressivement cristallisé autour du rejet du port du voile dans l’espace public au nom de leur « adaptation à la modernité » (Benhadjoudja, 2018). « On ne peut en même temps être pour le voile à Paris et défendre celles qui brûlent leur voile à Téhéran. » a ainsi affirmé Claude Malhuret, homme politique français de droite libérale, dans une intervention au Sénat peu de temps après la disparition de Mahsa Amini. « On ne peut être à la fois communautariste et universaliste. Il faut choisir. »[1], a-t-il ajouté. Ces propos traduisent l’idée, largement dominante dans les sociétés occidentales, que la laïcité serait fondamentalement incompatible avec l’Islam, et plus spécifiquement, que le port du foulard représenterait une négation des valeurs libérales liées au « libre choix ». Mais de quelle liberté parle-t-on exactement ?
La notion de « libre choix », comme le souligne l’anthropologue Abu-Lughod (2018), bien que souvent érigée en critère moral universel, porte en elle une forte charge idéologique, coloniale et sexiste. Cette notion, mobilisée dans les discours occidentaux et séculiers[2], contribue à perpétuer une vision binaire du monde : un Occident émancipateur face à un Orient oppresseur, la résistance au voile contre la soumission à celui-ci, en somme, le Bien contre le Mal. Appliquée à la question de la condition des femmes, cette catégorisation tend à opposer la figure de la femme occidentale libérée, autonome et émancipée, à celle de la femme musulmane contrainte, soumise et dépourvue de capacité d’agir.
Il est dès lors légitime – et même nécessaire – de s’interroger : qui détient le pouvoir d’imposer une telle simplification, et surtout comment ? Le libre choix des femmes musulmanes est-il toujours limité par la religion ? Inversement, celui des femmes occidentales n’est-il jamais fantasmé ? Enfin, comme le rappelait déjà Abu-Lughod en 2002, les femmes musulmanes ont-elles vraiment besoin d’être « sauvées » ?
Féminisme musulman versus féminisme libéral
Les féminismes musulman et libéral représentent deux courants de pensée et mouvements sociaux majeurs souvent mis en opposition dans la pensée féministe contemporaine. Bien qu’ils ne soient pas les seuls à structurer le débats, leur antagonisme met en évidence des conceptions divergentes de l’égalité, de la liberté et d’autonomie, et permet ainsi une meilleure compréhension du caractère pluriel des féminismes à l’échelle mondiale.
Le féminisme musulman, dit aussi « féminisme islamique », revendique l’égalité entre les hommes et les femmes à partir d’une critique des sources religieuses de l’Islam (Coran, Sunna, fiqh), et sur la valorisation des principes fondamentaux de justice, d’égalité et de dignité inhérents à la foi musulmane. Ce courant cherche à déconstruire les interprétations patriarcales traditionnelles et réinterpréter les textes sacrés à l’aune des droits humains universels et d’une lecture contextualisée des réalités sociales contemporaines. Bien que souvent associé aux femmes racisées en Europe, ce féminisme est un mouvement global qui s’enracine dans des contextes variés : des sociétés majoritairement musulmanes en Afrique, au Moyen-Orient en Asie, mais aussi dans les diasporas à travers le monde. Pluriel dans ses approches, il entend articuler la lutte contre les oppressions multiples auxquelles les femmes musulmanes sont confrontées, telles que le sexisme, le racisme, l’islamophobie et le néocolonialisme.
En contraste, le féminisme libéral, appelé aussi « féminisme séculier » ou « laïque », revendique l’égalité entre les hommes et les femmes en se fondant sur des principes issus de la philosophie des Lumières, tels que la liberté individuelle, la rationalité et la justice. Ce courant se caractérise par sa conception de la liberté centrée sur l’autonomie personnelle, souvent perçue comme universelle et valable pour toutes les cultures. Toutefois, ce féminisme a été critiqué pour son approche « civilisatrice » et « impérialiste», en raison de sa tendance à marginaliser les femmes racisées et/ou religieuses ne se conformant pas aux idéaux de liberté et de résistance associés à la modernité occidentale, ainsi que pour sa volonté d’imposer un modèle de société basé sur des valeurs liées à la laïcité et à la rationalité, pouvant exclure des pratiques religieuses et culturelles comme le voile.
À partir d’une revue non exhaustive de la littérature académique et militante féministe sur le sujet, cet article s’intéresse à la notion de subjectivation politique[3] des femmes maghrébines et musulmanes, c’est-à-dire au processus par lequel ces femmes, en particulier celles issues de minorités culturelles et confessionnelles, se réapproprient leur capacité d’agir et de construire leur subjectivité dans des contextes sociaux marqués par des inégalités et des injonctions contradictoires. Il s’agit de montrer comment ces femmes, loin de se réduire aux stéréotypes qui les enferment dans des postures figées de soumission ou de révolte, élaborent activement des pratiques éthiques et politiques qui transcendent les dichotomies entre la tradition et la modernité.
Cet article plaide finalement pour la création urgente d’une solidarité féministe éthique et politique, fondée sur la reconnaissance de la pluralité des vécus des femmes et ancrée dans une lutte commune contre les oppressions systémiques qui traversent les frontières culturelles, confessionnelles et géographiques.

Illustration : Claire Vo (Unsplash)
1. Les femmes musulmanes dans le prisme des images
La question des femmes musulmanes dans la pensée libérale et séculière
Pour saisir comment les femmes musulmanes sont souvent l’objet de projections et de spéculations dans les discours occidentaux, il est nécessaire de replacer cette perception dominante dans un cadre historique et politique plus vaste. Selon Abu-Lughod (2002), ces représentations, empreintes de colonialisme et de sexisme, prennent racine dans une prétendue « supériorité civilisationnelle » associée à la vision « orientaliste » du monde, décrite par Edward Saïd dans son ouvrage majeur de 1978. L’orientalisme, ou « l’Orient créé par l’Occident », repose sur une construction symbolique et culturelle – un ensemble d’idées et de représentations – forgée par l’Occident pour définir l’« Orient » comme un monde radicalement différent et inférieur. Sur le plan symbolique, cela signifie réduire l’Orient à des stéréotypes, comme l’irrationalité, l’arriération ou la soumission des femmes, dans le but de justifier la domination coloniale. Sur le plan culturel, cette construction reflète une vision de l’Occident comme le modèle universel de progrès et de rationalité, par opposition à un Orient considéré comme statique et archaïque. Cette idéologie n’est pas neutre : elle a été utilisée pour légitimer l’exploitation coloniale et des interventions prétendument destinées à « civiliser » ou « libérer » les populations dominées, et notamment les femmes.
Bien que mis en évidence il y a presque un demi-siècle, ce « style occidental de domination, de restructuration et d’autorité » (Saïd, 1978, p. 32), est loin d’avoir disparu. Au contraire, il se fait plus que jamais ressentir depuis que la tragédie du 11 septembre qui a amplifié la rhétorique d’une « guerre légitime contre le terrorisme » et fait de l’Islam et des musulman·es les ennemis de la modernité occidentale et des valeurs libérales et séculières qui lui sont associées (Geisser, 2003). Cette « tendance islamophobe » (ibid.) a, depuis lors, alimenté une hégémonie culturelle occidentale qui sous-entend implicitement l’impossibilité de concilier la religion islamique avec les valeurs démocratiques (Amiraux, 2003), et fait plus particulièrement de la pratique du voile une démarche de radicalisation (Fadil, 2016) qui menace directement les acquis du féminisme libéral et occidental.
La femme musulmane réduite à son voile
Dans la pensée dominante occidentale, le foulard est donc considéré comme l’instrument d’une oppression et d’un assujettissement imposés par un discours religieux patriarcal. À l’inverse, son retrait y est interprété comme le signe de l’adaptation progressive des femmes musulmanes aux normes laïques et séculières (Fadil, 2016). En revanche, les partisan·es du droit de le porter, bien que relativement marginalisé·es dans l’espace public, reprennent ce même argument de la liberté. Ces derniers·ères lisent en effet dans le port du voile un choix personnel et identitaire, qui permet aux femmes musulmanes de se réapproprier positivement une identité souvent stigmatisée, tout en dénonçant les multiples formes de contrôle exercées sur le corps féminin, qu’il s’agisse de pressions sociales, patriarcales ou économiques, au-delà des frontières religieuses. Ces contrôles prennent des formes diverses : des normes esthétiques imposées par les médias, qui dictent comment les femmes doivent se vêtir ; des lois restrictives, qui interdisent ou réglementent l’habillement ; ou encore des injonctions patriarcales, ; qui limitent leur liberté en définissant leur comportement et leur apparence selon des attentes genrées.
La comparaison « classique » entre la mini-jupe et le voile illustre bien cette double injonction : alors que certains espaces sociaux valorisent la mini-jupe comme un symbole de libération féminine et rejettent le voile comme une pratique conservatrice, d’autres contextes culturels perçoivent la mini-jupe peut être perçue comme un signe d’indignité, tandis que le voile incarne un moyen de protéger l’intégrité. Partout, ces deux vêtements reflètent les pressions contradictoires exercées sur les femmes, dont les corps sont continuellement jugés et contrôlés selon les normes sociales extérieures.
Au départ de ce positionnement favorable au port du voile, certain·es chercheur·es des sciences sociales, souvent dans une visée politique, ont tenté de classifier les motivations susceptibles de pousser une femme à se voiler : par conviction religieuse, pour rechercher une forme de protection, sous l’effet de contraintes, comme outil d’émancipation face à un modèle patriarcal, en réaction aux préjugés, ou encore en tant qu’accessoire de mode (cf. Yardim, 2015). Bien que l’idée d’un rapport à l’islam en accord avec un choix personnel puisse y être décelé, Benhadjoudja (2018) insiste sur le fait que chaque femme musulmane porte une histoire singulière, ce qui rend ces catégorisations rigides inadaptées. Mahmood (2005), va encore plus loin, en affirmant que ce ne sont pas tant les motivations elles-mêmes qui importent, que les formes de langage et d’action que les femmes expriment. Ainsi, le port du voile ne se limite pas à être un simple reflet de l’identité religieuse, mais devient un acte constitutif de cette identité, dans lequel les dimensions personnelle et politique se mêlent pour redéfinir les rapports de pouvoir et les normes sociales qui encadrent l’individu (Mahmood, 2005).
Par conséquent, quel que soit le camp idéologique à propos du (dé)voilement, les femmes musulmanes se retrouvent enfermées dans des représentations figées qui entravent leur reconnaissance comme sujets politiques à part entière. Elles sont en réalité prises « dans le piège des images »[4] : fréquemment évoquées mais rarement écoutées, les femmes racisées[5], deviennent des incarnations de la femme du tiers-monde, une figure subalterne aussi bien manipulée, en tant que victime d’une oppression systémique ou d’un patriarcat religieux, que manipulatrice, accusée de se livrer à un “repli identitaire” perçu comme une menace pour les valeurs démocratiques et laïques (Yardim, 2015). L’imaginaire occidental la dépeint ainsi bien comme la victime du système culturel agressif, religieux et à dominance masculine que serait l’Islam (Sehlikoglu, 2017), que comme le symbole visible de cette islamité perçue comme une menace à la laïcité, à la démocratie et aux droits des femmes (Mekki-Berrada, 2018).
2. L’islam comme expérience vécue
Reconnaître le féminisme musulman
Sans jamais perdre de vue qu’il y a autant de façons d’être une femme musulmane qu’il n’existe d’individualités pour s’en revendiquer, il est toutefois pertinent d’aborder la pluralité de ces relations à l’Islam comme un ensemble de « techniques du soi », conceptualisé par le philosophe Michel Foucault (2001) et repris par Saba Mahmood (2005) dans son étude des femmes musulmanes. Ces « techniques de soi », selon Mahmood (2005), désignent des pratiques éthiques et politiques qui permettent à l’individu, tout en restant ancré dans sa foi musulmane, de se façonner, d’agir sur soi-même et sur la société. Loin de constituer un simple conformisme religieux, ces pratiques incarnent une forme d’agentivité – entendue en sciences sociales comme la capacité de l’individu à entreprendre des actions impactant aussi bien ses relations à lui-même, aux autres, qu’à son environnement – , qui participe activement à la construction d’une subjectivité féministe musulmane.
En plus de reconnaître l’existence d’un féminisme musulman, il est impératif de concevoir que celui-ci se construit au-delà d’un simple choix entre l’adoption ou le rejet d’un islam en « bloc » alors qu’il existe une diversité des préceptes qui composent l’Islam. Cette conscience féministe se matérialise ainsi, entre autres, dans la liberté que ces femmes se réapproprient lorsqu’elles choisissent certains principes religieux plutôt que d’autres, avec l’objectif de se constituer ce que Foucault (2001) désigne la « culture de soi », autrement dit un espace en adéquation avec la construction de leur identité Par ailleurs, le champ d’action des féministes musulmanes réside aussi dans le sens qu’elles donnent à ces normes religieuses et à la manière dont elles se les réapproprient pour elles-mêmes. Le cas du foulard est un exemple significatif à plus d’un titre : en faisant personnellement le choix de se voiler ou de se dévoiler, les femmes musulmanes exercent un pouvoir sur elles-mêmes, qui se fait critique de toutes les dominations (Benhadjoudja, 2018), qu’elles proviennent d’injonctions faites au nom de la religion ou de pressions laïques. L’autonomie, dans ce contexte, se définit par le passage d’une « identité assignée » à une « identité choisie », processus qui passe par la réappropriation de sa propre signification (Djelloul, 2014).
Avant de faire son entrée dans l’espace public et politique, le féminisme musulman a d’abord suscité débats et analyses dans les milieux académiques et militants. En effet, les chercheur·es et féministes occidentaux·ales ont généralement considéré ce mouvement comme paradoxal, l’expression même de « féminisme musulman” relevant selon eux·elles du registre de l’oxymore (Djelloul, 2014). Malgré une volonté initiale de s’intéresser aux expériences et revendications des femmes musulmanes, notamment en se rendant dans les espaces féminins jusque-là négligés par la recherche en raison d’un biais colonial masculin ayant longtemps invisibilisé le rôle crucial des femmes dans le tissu social (Sehlikoglu, 2017), ces approches ont peiné à s’extraire du prisme libéral. Ainsi, l’analyse de cette agentivité nouvellement reconnue des femmes musulmanes s’est souvent développée dans la persistance du paradigme occidental, qui oppose la subordination à la résistance, réduisant ce faisant leur capacité d’agir à une simple contestation du pouvoir. C’est à partir de cette conception réductrice[6] de la subjectivation politique de ces femmes que Saba Mahmood a cherché, dès le début des années 2000, à reconsidérer ce concept d’agentivité à l’aune de ce qu’elle a nommé le « mouvement de la piété », qu’elle décrit comme une quête intime et personnelle d’alignement avec des principes religieux islamiques de vertu, de modestie et de dévotion. Sans renoncer à la notion d’agentivité, Mahmood (2005) en redéfinit les contours et prend le contre-pied de sa version dominante occidentale en montrant qu’elle ne passe pas nécessairement par le rejet de structures religieuses traditionnelles. La notion d’agentivité, ainsi reformulée, sert alors à appréhender une capacité d’action qui dépasse la simple rébellion contre l’autorité religieuse ou patriarcale, et laisse entrevoir la possibilité d’une subjectivité et une autonomie féministes à travers la réappropriation des concepts religieux et leur déploiement dans la relation à Dieu.
Parler d’elles, mais plus sans elles
« Je suis une femme. Le racisme empêche de le voir parce qu’une femme, dans l’imaginaire commun en Occident, c’est une femme blanche. Moi, je suis avant tout perçue comme une Arabe, une Maghrébine, voire une musulmane, en tout cas un corps étranger à la nation française.». Dans cet extrait de son essai récemment publié sur la condition des femmes maghrébines en France, la journaliste franco-marocaine Nesrine Slaoui (2024) exprime avec force la manière dont ces femmes continuent d’être perçues à travers le biais d’une altérité racisée. Une problématique qui n’est pas propre à la France puisqu’un collectif de citoyennes belges musulmanes témoignait déjà, dans une carte blanche publiée par le journal La Libre en 2016[7], de leur assignation à une identité fantasmée et du risque de repli communautaire pesant sur elles en raison des mesures discriminatoires cherchant à exclure les femmes voilées de la vie publique et sociale. Ces expériences croisées de femmes racisées en Belgique et en France traduisent la double condamnation qu’elles subissent à l’intersection du sexisme et du racisme.
L’image la plus emblématique de ce phénomène est sans doute celle de la « beurette émancipée » (Hamel 2005), un stéréotype de l’imaginaire collectif qui érige les jeunes femmes issues de l’immigration maghrébine en symboles d’une incarnation d’une « intégration réussie » lorsqu’elles rejettent les oppressions patriarcales et religieuses de leur communauté d’origine – typiquement lorsqu’elles se dévoilent. La sociologue Christelle Hamel souligne avec justesse que cette construction sociale et médiatique, sous couvert de valorisation, reconduit en réalité des logiques racistes et culturalistes, à travers une instrumentalisation des luttes féministes qui divisent les revendications des communautés immigrées et renforce les stéréotypes de genre et de race.
Confrontées à la mystification et l’érotisation dont elles sont communément l’objet, les féministes musulmanes dénoncent la prévalence d’un « solipsisme blanc » (Rich, 1979), c’est-à-dire la tendance du groupe majoritaire – les femmes blanches occidentales – à penser sa propre expérience comme une vérité universelle. En raison de ce manque d’écoute et de représentativité dans des sociétés laïcisées qu’elles jugent fondées sur des stéréotypes racistes et sexistes, elles appellent à la mise en place d’une véritable solidarité féministe et politique (Mohanty, 2010). Cette solidarité, fondée sur la reconnaissance de la diversité des expériences et subjectivités, reposerait sur une lutte collective aux objectifs communs, et qui tiendrait aussi compte des rapports qui existent aussi entre les femmes elles-mêmes. Inscrites dans une démarche antiraciste, ces femmes insistent sur la nécessité que de telles alliances dépassent une vision de l’émancipation se limitant à des principes séculiers et libéraux, et incluent impérativement les conditions de vie et les voix des femmes maghrébines et musulmanes (Slaoui, 2024).
Conclusion: Décoloniser et déconfessionnaliser les droits des femmes
Si l’on peut se réjouir de l’attention croissante portée à la pluralité des subjectivités féminines, notamment à travers les luttes féministes musulmanes, il est impératif de questionner de manière critique la manière dont le registre religieux est souvent mobilisé pour fragmenter les revendications féministes. En faisant de l’adjectif « musulman » une catégorie diférenciatrice dans le féminisme, le risque est de renforcer une frontière artificielle entre les femmes selon leur confession ou leur appartenance culturelle, plutôt que de construire une solidarité autour de luttes leurs communes contre des systèmes d’oppression structuels, qui sévissent aussi bien en Orient qu’en Occident.
Dans la perspective critique de la sociologue Simona Tersigni (2009), ce texte plaide pour une déconfessionnalisation des droits des femmes, un processus qui permettrait d’ancrer les combats féministes dans une solidarité politique déployée au-delà des dichotomies entre l’Occident et l’Islam, la sécularité et la religion. Reconnaître les femmes comme des sujets politiques autonomes, capables de négocier et de construire leur identité au croisement de leurs expériences locales et globales, implique de refuser d’emblée leur enfermement dans des catégories hégémoniques et essentialistes (Benhadjoudja, 2018). L’objectif n’est pas de défendre uniquement des pratiques de soi, comme le port ou le rejet du voile, mais de transcender les débats polarisant qui les opposent, afin de repositionner les revendications féministes dans une sphère qui dépasse les prismes religieux ou culturels. Comme le souligne pertinemment Mekki-Berrada (2018), les femmes sont « bafouées et prisées » du fait même qu’elles sont des femmes, et non en raison de leur islamité. Ce constat invite à réorienter les postures féministes vers une compréhension des inégalités structurelles considérées comme moins liées à des spécialités confessionnelles qu’à des enjeux sociaux, économiques et politiques globaux.
Les femmes du monde auraient tout intérêt, de ce point de vue, à constituer de véritables alliances féministes qui, loin de constituer des expressions d’empathie ou de souffrance partagée (Benhadjoudja, 2018), s’attachent à forger des luttes communes autour d’objectifs universels, tels que la justice sociale, la dignité humaine l’émancipation de toutes formes de domination. Pour ce faire, ces revendications doivent être déployées au-delà d’une division entre origines, identités, classes et croyances (Mohanty, 2010), en tenant compte des multiples intersections du sexisme et du racisme, et en s’adaptant aux réalités vécues par les femmes du monde dans leur diversité.
En définitive, cet article entend poser les bases d’une réflexion politique fondamentale : seul un féminisme pleinement inclusif, ancré dans la reconnaissance des expériences plurielles, intersectionnelles, ainsi que des spécificités historiques, sociales et culturelles, peut répondre aux défis des inégalités systémiques qui touchent toutes les femmes du monde. Pour voir le jour, ce processus de transformation implique un élargissement de la conscience collective, où chacun·e est invité·e à participer au déploiement d’un féminisme pluriel et solidaire. Enfin, il n’y a qu’à travers l’adoption d’une approche décoloniale et intersectionnelle, que ces combats peuvent espérer un jour s’affranchir des cadres raciaux et patriarcaux dominants pour devenir véritablement transformateurs et universellement émancipateurs.
Dans une démarche qui vise à promouvoir la justice cognitive et la reconnaissance des savoirs situés, cet article mobilise les travaux d’auteur et d’autrices dont les recherches abordent le féminisme musulman et la pluralité des perspectives féministes. En donnant une place de première importance aux contributions issues des pensées postcoloniales et intersectionnelles, il s’agit de donner la parole à celles et ceux directement concerné·es par les questions de genre, de race, de religion et de pouvoir. La liste présente les auteurs et autrices dans l’ordre de leur mention dans le texte.
- Leïla Benhadjoudja est professeure à l’Institut d’études féministes et de genre de l’université d’Ottawa (Canada). Ses champs d’intérêt portent sur le racisme et l’islamophobie au Québec.
- Lila Abu-Lughod est une anthropologue palestino-américaine spécialiste des questions de genres, de culture et de politique du monde arabe et musulman. Elle est une figure majeure des débats en anthropologie du genre, de la critique des discours impérialistes et des études postcoloniales.
- Vincent Geisser est un sociologue et politologue français spécialisé dans l’étude des phénomènes sociaux liés à l’islamophobie comme forme de racisme ancrée dans des racines coloniales.
- Valérie Amiraux est une sociologue d’origine française, professeure à l’Université de Montréal. Ses recherches portent principalement sur l’islam en Europe, les questions de laïcité, de diversité et d’intégration.
- Nadia Fadil est une sociologue et anthropologue belge d’origine marocaine. Elle est spécialisée dans les transformations de la religion et de la race en lien avec des questions de régulation, de subjectivité, de pouvoir et d’identité.
- Müşerref Yardım est professeure associée au Département de Sociologie de l’Université Necmettin Erbakan, en Turquie. Ses recherches portent sur des sujets tels que l’Islam et la démocratie, le rôle politique des islamistes pré-républicains, et les expériences des étudiants internationaux en Turquie.
- Saba Mahmood (1962-2018) était professeure émérite d’anthropologie à l’Université de Californie à Berkeley. Spécialiste de l’Égypte moderne, du genre et du sécularisme, elle a été une figure intellectuelle majeure dans son domaine, en contribuant notamment à l’initiative Berkeley Pakistan pour l’étude de l’histoire, de la politique et de la culture du Pakistan.
- Sertaç Sehlikoglu est une anthropologue sociale d’origine turque spécialisée dans les études de genre et de transformation politique. Elle a étudié à l’Université de Cambridge et à l’University College London, où elle dirige un projet sur les aspirations islamistes populistes.
- Abdelwahed Mekki-Berrada est professeur d’anthropologie d’origine marocaine, spécialisé dans la question du refuge, de l’immigration clandestine et de la santé mentale.
- Ghaliya Djelloul est une sociologue belge spécialisée dans l’évolution des rapports de genre au sein des sociétés musulmanes, qui a mené des recherches sur les féministes musulmanes en Belgique et sur la mobilité spatiale des femmes vivant dans la périphérie d’Alger.
- Nesrine Slaoui est une éditorialiste et créatrice de contenu franco-marocaine. Elle a publié plusieurs ouvrages, dont Illégitimes (2021) et Seule (2023), qui abordent les thèmes des violences sexistes et racistes.
- Christelle Hamel est une sociologue française chargée de recherche à l’Ined, spécialisée sur le croisement des questions migratoires et de genre (violences contre les femmes, la sexualité, la conjugalité, le racisme et les discriminations raciales).
- Adrienne Rich (1929-2012) était une poétesse et essayiste féministe américaine, dont l’œuvre a exploré les thèmes de la féminité, de la sexualité et de la politique. Elle a été une voix majeure du féminisme et de la lutte pour les droits des lesbiennes.
- Chandra Talpade Mohanty est une théoricienne féministe postcoloniale et transnationale d’origine indienne. Elle est connue pour ses travaux sur la solidarité féministe décoloniale, les luttes anti-capitalistes et la politique de connaissance, notamment à travers son célèbre essai Under Western Eyes, où elle critique la vision homogénéisante des femmes du Tiers-Monde par le féminisme occidental.
Bibliographie
Abu-Lughod, L. (2018). Les femmes musulmanes et le « droit de choisir librement », Anthropologie et Sociétés, 42(1), 35–56. https://doi.org/10.7202/1045123ar
Abu-Lughod, L. (2002). Do Muslim Women Really Need Saving? Anthropological Reflections on Cultural Relativism and Its Others, American Anthropologist, 104(3), 783–790. http://www.jstor.org/stable/3567256
Amiraux, V. (2003). « Discours voilés sur les musulmanes en Europe » : comment les musulmans sont-ils devenus des musulmanes ?, Social Compass, 50(1), 85-96.
Benhadjoudja, L. (2018). « Les femmes musulmanes peuvent-elles parler ? », Anthropologie et Sociétés, 42(1), 113–133. https://doi.org/10.7202/1045126ar
Djelloul, G. (2018). Dépasser l’horizon postcolonial pour envisager un féminisme pluriversel ?. Association la Revue nouvelle, 18(1), 58-64.
Fadil, N. (2016). Le non-voile et/ou le dévoilement comme pratique éthique, Comment S’en Sortir ?, n° 3, automne 2016, p. 55-71.
Geisser, V. (2003). La nouvelle islamophobie. Paris, Éditions La Découverte.
Hamel, C. (2005). De la racialisation du sexisme au sexisme identitaire. Migrations société, 17(99-100), 91-104.
Mahmood, S. (2005). Politics of Piety. The Islamic Revival and the Feminist Subject. Princeton, Princeton University Press.
Mekki-Berrada, A. (2018). Présentation : femmes et subjectivations musulmanes : prolégomènes, Anthropologie et Sociétés, 42(1), 9–33. https://doi.org/10.7202/1045122ar
Mohanty, C. (2010). « Sous les yeux de l’Occident » revisité : la solidarité féministe par les luttes anticapitalistes. In Verschuur, C. (Ed.), Genre, postcolonialisme et diversité de mouvements de femmes (vol. 7, p. 203-214). Graduate Institute Publications.
Rich, A. (1979). « Disloyal to Civilization. Feminism, Racism, Gynephobia » : 275-310, in A. Rich, On Lies, Secrets and Silence. Selected Prose 1966-1978. New York, Norton.
Saïd, E.W. (1978). Orientalism. New York, Pantheon Books.
Sehlikoglu, S. (2017). Revisited: Muslim Women’s agency and feminist anthropology of the Middle East, Contemporary Islam, pp. 73-92. 10.1007/s11562-017-0404-8
Slaoui, N. (2024). Notre dignité: Un féminisme pour les Maghrébines en milieux hostiles. Les essais stock.
Yardim, M. (2015). La femme musulmane européenne, catégorisée « Autre », The Journal of Academic Social Science Studies, 39, 307-315. http://dx.doi.org/10.9761/JASSS2899
Notes de bas de page
[1] Pour le discours complet, voir « Claude MALHURET : Atteintes aux droits des femmes et aux droits de l’homme en Iran », publié le 5 octobre 2022 par Les Indépendants. République et territoires, https://www.independants-senat.fr/post/claude-malhuret-atteintes-aux-droits-des-femmes-et-aux-droits-de-l-homme-en-iran
[2] La pensée séculière, dite plus communément « pensée libérale » ou « libéralisme », fait référence à la tradition intellectuelle, politique et économique qui place au centre de ses préoccupations la liberté individuelle, l’égalité devant la loi et le respect des droits fondamentaux. L’adjectif « séculier » sert à préciser l’idée que les institutions publiques doivent être séparées des institutions religieuses, et que les décisions publiques doivent être fondées sur des principes de rationalité et d’universalité, plutôt que sur des dogmes religieux. Dans cette conception, la « laïcité » désigne précisément ce principe de séparation de l’État de la société civile et de la société religieuse.
[3] Le terme « politique » ne renvoie pas dans ce contexte à l’engagement partisan ni aux institutions de pouvoir au sens traditionnel, mais à la manière dont les individus, dans leur vie quotidienne, exercent une capacité d’agir pour revendiquer leur place dans la société et redéfinir leur identité et leur subjectivité. Dans le cas des femmes maghrébines et/ou musulmanes, cette subjectivation se construit par des pratiques éthiques et politiques, autrement dit un ensemble d’actions et de choix fondé sur des principes moraux, et ayant une dimension collective, publique et transformatrice. Le port du voile peut être considéré comme une telle pratique : il peut non seulement incarner une observance religieuse, mais aussi une manière de contester les stéréotypes, de réaffirmer une dignité individuelle et collective, et de redéfinir les frontières de la citoyenneté dans des contextes souvent marqués par l’islamophobie.
[4] Source : Sahar Khalifa, écrivaine palestinienne, « Femmes arabes dans le piège des images » (2015), Le Monde diplomatique
[5] La racisation est le processus social et historique par lequel des individus ou des groupes sont catégorisés, différenciés et traités en fonction de leur appartenance à une race ou à une ethnie spécifique. Cela implique la construction sociale de la « race » et la hiérarchisation des individus sur la base de caractéristiques physiques, telles que la couleur de peau, et d’autres éléments perçus comme distinctifs.
[6] En sciences sociales, les adjectifs « réducteur » ou « essentialisant » sont utilisés pour critiquer des conceptions qui simplifient une réalité de manière excessive ou homogénéiser des groupes sociaux ou des catégories de personnes. Ils présupposent que certaines caractéristiques complexes d’une culture, d’un groupe social ou d’un individu soient réduites à un seul aspect ou une seule dimension. Précisément l’essentialisme appliqué aux femmes consiste à réduire leur identité à des rôles ou des caractéristiques perçues comme « naturelles », comme la maternité ou le soin. Cette conception peut limiter l’accès des femmes à certains espaces sociaux, culturels et/ou professionnels, en les enfermant dans des attentes et des comportements traditionnels.
[7] La Libre, consulté le 14 décembre 2024.
Sans-papier au féminin : entre invisibilité, vulnérabilité et résilience – Analyse
Une analyse de HASNA TAOUS KHAMMOUME, titulaire d’un Master en sociologie, à finalité spécialisée en migration and ethnic studies, Université de Liège.
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Être sans-papiers[1] s’apparente souvent à une condamnation silencieuse. Privées de reconnaissance légale et administrative, les « sans-papiers » vivent sous la menace constante d’expulsion, dans un système qui les isole socialement, limite leur accès aux services essentiels, et leur impose différentes formes de vulnérabilités.
En Belgique, comme ailleurs, les femmes migrantes sans-papiers en particulier se retrouvent à l’intersection de multiples formes d’injustice. À cela s’ajoutent les stigmates[2] d’une société qui les perçoit soit comme une menace ou comme des victimes. Mais loin de se plier à cette fatalité, ces femmes expriment une résilience remarquable. Elles s’organisent, apprennent, travaillent et contribuent activement à la société. Cette résilience, bien que peu mise en lumière, constitue pour beaucoup d’entre elles un acte de défiance face un système qui les invisibilise de plus en plus. Dans ce sens, il est donc essentiel de comprendre non seulement les défis auxquels elles font face, mais aussi les mécanismes qu’elles mettent en œuvre pour y répondre. Dans cet article, nous nous inscrivons dans une démarche de compréhension et d’intégration de cette dimension de résistance et de résilience des femmes migrantes sans-papier, en espérant porter le lecteur vers une réflexion plus large et nuancée sur leur parcours.
Intersectionnalité : un prisme pour analyser les oppressions multiples
Avant de pouvoir comprendre les différentes vulnérabilités et obstacles auxquels les femmes migrantes sans-papiers peuvent être confrontées, il est essentiel de présenter et de contextualiser le concept d’intersectionnalité. Ce cadre théorique, développé par Kimberlé Crenshaw[3] (1989, 1991), fournit une grille d’analyse qui nous permet de saisir la manière dont diverses formes d’inégalités qu’elles soient fondées sur le genre, la race, la classe sociale, ou encore le statut migratoire interagissent pour produire des situations spécifiques de marginalisation et d’oppression. Ce concept a été fondé sur la critique de Kimberlé Crenshaw (1991) des approches antiracistes et féministes qui, selon elle, ont failli à aborder les différentes formes de discriminations auxquelles les femmes noires sont confrontées. Elle illustre les limitations de ces deux approches et souligne que la ségrégation des identités dans l’analyse des oppressions invisibilise les groupes qui subissent simultanément plusieurs formes de discrimination. Appliqué aux femmes migrantes sans-papiers, ce concept met en lumière une « matrice de domination » (Andersen & Collins, 2001), où les systèmes de pouvoir comme les politiques migratoires interagissent pour maintenir ces femmes dans une position de vulnérabilité et de domination.
De ce fait, nous prendrons l’exemple belge pour illustrer la manière dont les politiques migratoires et les cadres institutionnels façonnent ces vulnérabilités. En Belgique, les femmes sans-papiers subissent une vulnérabilité accrue en raison de la complexité des procédures de régularisation. De plus, elles sont souvent perçues avec suspicion lors des démarches administratives, comme le mariage ou la reconnaissance de leur enfant par un partenaire belge ou étranger en séjour régulier.
Sur le marché du travail, elles sont confinées dans des secteurs précaires, comme le nettoyage et le travail domestique où les abus et l’exploitation sont fréquents. Cette situation est aggravée par l’absence de protection sociale et la peur d’être dénoncées (Toure & Hublau, 2023 ; FRA, 2011). En matière de santé, bien que le système d’aide médicale d’urgence (AMU)[4] offre un accès théorique aux soins, il impose une complexité administrative comme la nécessité de renouveler régulièrement la carte médicale (Lafaut & Coene, 2023). L’absence de définition légale claire de « l’urgence médicale » peut également entraîner des disparités dans l’accès aux soins, certains soins peuvent être considérés comme non urgents et par conséquent non pris en charge (Lafaut & Coene, 2023).
Enfin, en raison de la criminalisation du séjour irrégulier, les interactions avec les forces de l’ordre représentent un risque élevé pour ces femmes. En effet, l’obligation légale pour la police de signaler les personnes sans-papiers aux autorités migratoires dissuade par exemple de nombreuses femmes sans-papiers victime de violence ou d’abus de porter plainte, par peur d’être arrêtées ou expulsées. Dans ce contexte, Le rapport The Law Was Against Me (la loi était contre moi) de Human Rights Watch (2012), a mis en lumière des cas où la police, informée de situations de violence domestique, s’est focalisée sur la vérification du statut migratoire des victimes, plutôt que sur leur protection. De plus, l’absence d’accès garanti à des structures de soutien, telles que les refuges pour victimes de violences, aggravent l’isolement des femmes sans-papiers. Certains refuges sont souvent réticents à les accueillir en raison d’un manque de financement ou d’une crainte de sanctions administratives (HRW,2012). Cela compromet gravement la sécurité de ces femmes les contraignant à choisir entre retourner dans un foyer marqué par la violence ou se retrouver sans-abri.
Cependant, malgré les différentes vulnérabilités auxquelles ces femmes sont confrontées, il convient de souligner qu’elles parviennent à trouver des moyens de les affronter, et c’est ce que nous essayerons d’explorer dans la prochaine section de notre article.
Changer de paradigme : de la vulnérabilité au développement de la résilience
Tout d’abord, nous proposerons une définition non exhaustive de la résilience et de l’évolution du concept. La résilience, comme l’ont souligné de nombreux chercheurs, est un concept complexe et fluide, dont la définition varie selon les contextes (Southwick et al., 2014). Initialement la résilience était largement associée à des caractéristiques personnelles qui permettent aux individus d’avoir la capacité à rebondir après être confronté à une adversité (Seccombe, 2002). Cette approche monodimensionnelle, se concentrait principalement sur les ressources internes permettant de résister aux chocs extérieurs.
Cependant, cette vision a été critiquée pour son incapacité à intégrer les influences environnementales externes sur le processus de résilience. Selon cette approche, la résilience n’est pas seulement un trait inné ou un état statique, mais plutôt un processus dynamique, façonné par des interactions entre les individus et leur environnement. Ce passage d’une perspective individuelle à une perspective d’interaction a donné lieu à l’émergence du concept de « résilience sociale » (Qamar, 2023). Cette approche prend en compte des facteurs tels que les ressources disponibles, les structures sociales, et les impacts des politiques ou des lois. En ce qui concerne le développement de la résilience chez les femmes migrantes sans-papier, de nombreuses études ont démontré cette approche multidimensionnelle. Dans le contexte belge, Khammoume (2024)[5] met en évidence les stratégies de résilience multidimensionnelles adoptées par les femmes migrantes sans-papiers. Sur le plan individuel, la foi et la spiritualité apparaissent comme l’une des ressources internes essentielles à leur résilience car elles leur procurent un sentiment de réconfort et de force face aux épreuves quotidiennes. En outre, l’expression d’agency constitue aussi une dimension importante dans leur résilience. En effet, la notion d’agency fait référence à la capacité d’une personne à agir de manière autonome et à prendre des décisions qui influencent sa propre trajectoire de vie. Elle désigne la faculté à faire des choix et à entreprendre des actions en fonction de ses propres objectifs et valeurs, plutôt que d’être uniquement influencée par des facteurs externes. Ce concept souligne l’importance de l’autonomie dans la construction de son avenir (Rydzik & Anitha, 2020). « Agency » est également envisagée comme un processus évolutif, par lequel les individus mobilisent les ressources qui leur sont disponibles pour les transformer en capacités d’action (Bazzani, 2023).
Pour les femmes sans-papiers, l’agency se manifeste à travers la création de projets créatifs comme la cuisine, la fabrication de bijoux ou l’organisation d’exposition artistique. D’autres participent dans des actions plus engagées comme l’élaboration de travaux académiques visant à améliorer la protection des femmes migrantes sans papiers victimes de violence. Sur le plan social, les organisations de la société civile s’avèrent être l’une des ressources majeures dans le processus de résilience des femmes sans-papiers. Ces institutions offrent non seulement une assistance juridique, matérielle et sociale (ex. accès à la formation et apprentissage des langues) mais aussi un soutien moral. Elles réduisent leur isolement, en leur offrant des espaces d’expression, et en renforçant leur sentiment d’appartenance et de bien-être. D’autres formes de résilience se manifestent aussi à travers la mobilisation collective et le militantisme. A titre d’exemple, des femmes sans-papiers ont occupé un ancien hôtel à Bruxelles avec leurs enfants pour attirer l’attention sur leurs conditions de vie précaires[6]. Ces occupations visaient à sensibiliser le public. À Liège, durant la pandémie de COVID-19, un collectif de femmes sans-papiers a lancé le projet “Les Masques Solidaires”, produisant plus de 7000 masques[7]. Ce projet répondait non seulement à une urgence sanitaire, mais servait également à donner une visibilité à leur cause et à souligner leur utilité et contribution positive malgré leur exclusion sociale.
Conclusion
L’approche souvent adoptée quand on parle des femmes migrantes sans-papiers est de se focaliser sur leur vulnérabilité, les considérant comme des victimes impuissantes. Bien que cet aspect ne peut et ne doit pas être ignoré, se concentrer uniquement sur leurs souffrances occulte leur capacité à résister et à se réinventer. Il est donc essentiel de changer de perspective et de donner une visibilité plus importante à la manifestation de la résilience de ces femmes sous toutes ces formes. En mettant en lumière la contribution active des femmes sans-papiers à la société, nous participerions à revaloriser leur existence et présence tout en déconstruisant certains stéréotypes associés. De plus, un facteur fondamental de cette dynamique de résilience est l’importance de la solidarité et de l’engagement citoyen au sein du tissu associatif. Dans ce sens, nous estimons que les citoyen·nes peuvent s’impliquer de multiples façons pour soutenir les associations. S’engager comme bénévole en aidant dans des démarches administratives, accompagner des femmes sans-papiers lors de rendez-vous, ou encore participer à des ateliers de formation pour les aider à acquérir de nouvelles compétences (ex. apprentissage des langues). Soutenir financièrement les associations en organisant ou en contribuant à des collectes de fonds pour financer des services d’aide juridique, psychologique ou médicale pour ces femmes. Participer à la sensibilisation et au plaidoyer en relayant les campagnes pour défendre les droits des migrants sans-papiers, et donner plus de visibilité à leur cause sur les réseaux sociaux. Enfin, l’hébergement solidaire (offrir un logement temporaire) peut être aussi considéré comme option pour aider les femmes sans-papier qui ont un risque élevé de se retrouver dans la rue.
Notons que notre positionnement ne s’inscrit toutefois pas dans l’optique d’idéaliser les récits de résilience. Même si ces femmes parviennent à trouver des mécanismes de survie et d’adaptation face à l’adversité, leur force est souvent le résultat d’un combat long et dur face à des systèmes d’oppression et de marginalisation qui les maintiennent dans une précarité prolongée. Par conséquent, parler de la résilience des femmes migrante sans-papiers doit s’accompagner d’une réflexion critique sur les structures qui les contraignent, afin de ne pas transformer cette capacité en une simple justification de l’inaction institutionnelle et politique.
Bibliographie
- Andersen, Margaret L. and Patricia Hill Collins. 2010. Race, Class and Gender: An Anthology. 7th ed. Belmont, CA: Wadsworth CENGAGE Learning.
- Bazzani, G. (2023). Agency as conversion process. Theory and Society, 52(3), 487-507. https://doi.org/10.1007/s11186-022-09487-z
- Cabieses, Baltica & Belo, Karoline & Carreño C, Alejandra & Rada, Isabel & Rojas, Karol & Araos, Candelaria & Knipper, Michael. (2024). The impact of stigma and discrimination-based narratives in the health of migrants in Latin America and the Caribbean: a scoping review. The Lancet Regional Health – Americas. 10.1016/j.lana.2023.100660.
- Crenshaw, K. (1991): Mapping the margins: Intersectionality, identity politics, and violence against women of color. Stanford Law Review, 43, 1241-1299.
- FRA (2011). Migrants in an Irregular Situation Employed in Domestic Work: Fundamental Rights Challenges for the European Union and Its Member States. Vienna: FRA.
- Human Rights Watch. (2012). “The law was against me Migrant”: Women’s Access to Protection for Family Violence in Belgium. In. https://www.hrw.org/report/2012/11/08/law-was-against-me/migrant-womens-access-protection-family-violence-belgium
- Khammoume, H. T. (2024). Master thesis: « Navigating Adversity and Uncertainty: A Qualitative Study on The Resilience Process Among Undocumented Migrant Women in Belgium ». (Unpublished master’s thesis). Université de Liège, Liège, Belgique. Retrieved from https://matheo.uliege.be/handle/2268.2/21131
- Lafaut, D., & Coene, G. (2023). Autonomy Without Borders? Understanding the Impact of Undocumented Residence Status on Healthcare Relationships in Belgium. International Journal of Feminist Approaches to Bioethics, 16(2), 1–25. https://doi.org/10.3138/ijfab-2023-03-20
- Qamar, A. H. (2023). Conceptualizing social resilience in the context of migrants’ lived experiences. Geoforum, 139, Article 103680. https://doi.org/10.1016/j.geoforum.2023.103680
- Rydzik, A., & Anitha, S. (2020). Conceptualising the Agency of Migrant Women Workers: Resilience, Reworking and Resistance. Work, Employment and Society, 34(5), 883-899. https://doi.org/10.1177/0950017019881939
- Seccombe, K. (2002), ‘Beating the odds versus changing the odds’, Journal of Marriage and the Family, 62: 4, 384–94.
- Southwick, S. M., Bonanno, G. A., Masten, A. S., Panter-Brick, C., & Yehuda, R. (2014). Resilience definitions, theory, and challenges: interdisciplinary perspectives. European journal of psychotraumatology, 5, 10.3402/ejpt. v5.25338. https://doi.org/10.3402/ejpt.v5.25338
- Toure, B., Hublau, C. (2023). Les femmes sans papiers : à l’intersection de plusieurs formes de violences et systèmes de domination. CIRÉ asbl. https://www.cire.be/publication/les-femmes-sans-papier-a-lintersection-de-plusieurs-formes-de-violences-et-systemes-de-domination/
Notes de bas de page
[1] Pour en savoir plus sur cette terminologie, découvrez le texte de KHAMMOUME Hasna ici.
[2] Un stigmate désigne une condition, une caractéristique, un trait ou un comportement qui place la personne concernée dans une catégorie sociale inférieure, car elle est perçue comme inacceptable ou inférieure. Les raisons de ce mépris ou de cette discrimination incluent des facteurs d’identité liés à la race, à la religion, au genre, au pays d’origine ou au statut migratoire (Cabieses et al, 2024)
[3] Kimberlé W. Crenshaw est une figure incontournable dans le domaine des droits civiques, de la théorie critique de la race et de la théorie juridique féministe noire. Professeure de droit à la Columbia Law School et à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), elle est fondatrice du concept d’intersectionnalité, qui analyse les discriminations croisées. Juriste engagée, Crenshaw co-fonde la Critical Race Theory : Key Documents That Shaped the Movement (« Théorie critique de la race : Documents clés ayant façonné le mouvement ») et a participé à des initiatives marquantes, comme l’intégration de la clause d’égalité dans la Constitution sud-africaine. Elle a également joué un rôle clé lors de la conférence mondiale contre le racisme de 2001, en rédigeant des rapports sur les discriminations de genre et de race. Très sollicitée, elle anime des ateliers internationaux, et dirige le podcast Intersectionality Matters ! (L’intersectionnalité, ça compte !) Son travail continue de transformer les politiques publiques et de renforcer les luttes contre les inégalités structurelles.( https://www.law.columbia.edu/faculty/kimberle-w-crenshaw. Consulté le 27/11/2024)
[4] L’Aide Médicale Urgente (AMU) est une prestation sociale fournie par le CPAS, visant à garantir l’accès aux soins médicaux pour les personnes qui ne disposent pas d’un séjour légal, mais elle s’applique aussi aux étudiants et demandeurs d’emploi qui n’ont pas de ressources pour prendre en charge leurs soins médicaux. Son objectif est de permettre à ces individus d’obtenir des soins de santé essentiels, indépendamment de leur statut administratif. Le droit à l’Aide Médicale Urgente (AMU) a été inscrit dans la législation relative au CPAS par l’article 57§2 de la loi du 8 juillet 1976. Ce droit a été précisé et détaillé par un Arrêté Royal du 12 décembre 1996, qui en fixe les modalités pratiques.
[5] Cet article est une production originale réalisée en collaboration avec Eclosio qui puise son inspiration du mémoire de l’auteure : https://matheo.uliege.be/handle/2268.2/21131
[6] https://www.rtl.be/actu/belgique/societe/des-femmes-et-enfants-sans-papiers-occupent-un-ancien-hotel-woluwe-saint-lambert/2024-01-20/article/628851, consulté le 18/11/2024
[7] https://www.axellemag.be/confection-masques-femmes-sans-papiers-solidaires/ consulté le 18/11/2024