Comprendre la migration irrégulière : entre mécanismes systémiques et enjeux terminologiques – Analyse


Une analyse de Hasna TAOUS KHAMMOUME, titulaire d’un Master en sociologie, à finalité spécialisée en migration and ethnic studies, Université de Liège.

Lire l’analyse en version word

Lire l’analyse en version PDF


Au cœur des tensions et débats actuels, la migration irrégulière ne devrait pas être perçue comme une anomalie ou un dysfonctionnement social mais plutôt comme un phénomène structurel lié aux dynamiques des sociétés post-industrielles et aux inégalités de la mondialisation (Triandafyllidou & Bartolini, 2020). Elle découle de mécanismes systémiques où les contextes économiques et sociaux des pays d’origine et d’accueil façonnent les conditions qui favorisent cette forme de migration.

Les facteurs déclencheurs de cette migration sont multiples et incluent souvent la quête d’opportunités économiques, l’insécurité dans le pays d’origine, les besoins du marché du travail dans les pays de destination, ainsi que des politiques migratoires souvent restrictives et des voies de régularisation insuffisantes (Triandafyllidou, 2023). En conséquence, pour nombre de personnes, entrer ou rester dans un pays sans autorisation légale n’est pas un choix, mais une conséquence de circonstances spécifiques.

Pour celles et ceux qui vivent sans papiers, cette situation se traduit par une vie marquée par une absence d’existence administrative. Cette réalité implique d’évaluer les risques potentiels, de choisir les personnes à qui faire confiance, d’éviter les endroits où l’on pourrait être repéré, et composer avec l’exclusion et l’incertitude permanentes (Bloch et al, 2014).

Parler des sans-papiers : le défi des terminologies

Les termes que nous employons pour parler des migrants façonnent l’imaginaire collectif, orientent les politiques publiques et influencent la manière dont ces individus sont perçus, voire traités. Dans le contexte des migrations irrégulières, le choix des termes peut renforcer des stigmatisations ou, au contraire, ouvrir la voie à une approche plus humaine et respectueuse. Pourtant, les choix linguistique et terminologique sont loin d’être unanimes. Traditionnellement, des expressions comme “migrants illégaux”, ou “clandestins” ont été largement employées pour désigner les personnes en situation irrégulière. Ces termes, profondément péjoratifs, associent systématiquement le non-respect d’un statut légal à une menace pour la sécurité nationale ou l’intégrité des frontières (Jauhiainen & Tedeschi, 2021). En utilisant ces termes, cette forme de criminalisation verbale est non seulement infondée, mais elle enferme tout un groupe de personnes dans une réalité où leur identité se réduit à une infraction administrative.

En effet, l’idée même de qualifier une personne comme “illégale” a été largement critiquée, à la fois par les chercheur·es et les institutions internationales. Comme le souligne Schinkel (2009), une personne ne peut pas être “illégale” ; seul son statut ou son activité peut être juridiquement non conforme. Cette distinction est cruciale pour maintenir la dignité des individus. En 2010, Cecilia Malmström, alors commissaire européenne aux affaires intérieures, affirmait, elle aussi, sans ambiguïté : « Les migrants illégaux n’existent pas. Aucun être humain n’est illégal. » En ce sens, des termes comme « migrants sans papiers » ou « migrants en situation irrégulière » ont été davantage tolérés et approuvés par de nombreux acteurs et actrices académiques et associatifs. Ces expressions, bien qu’imparfaites ne contiennent pas une charge stigmatisante et soulignent juste une absence administrative.

Le terme « migrants en situation irrégulière » met en lumière la fluidité des trajectoires migratoires et reconnait le caractère évolutif du statut légal. Cette fluidité souligne que les parcours migratoires ne sont pas linéaires : un·e migrant·e peut devenir « irrégulier·ère » après l’expiration d’un visa, mais retrouver un statut légal grâce à une procédure de regroupement familial. En outre, un statut légal peut être perdu en cas de non-renouvellement d’un titre de séjour ou de changements dans les conditions administratives de l’obtention de ce dernier.

De plus, pour comprendre pleinement la complexité du phénomène de la migration qualifiée « d’irrégulière », il est essentiel d’examiner trois aspects fondamentaux du statut migratoire : l’entrée sur le territoire, le séjour et l’emploi. Chacun de ces éléments peut être régulier ou pas, ce qui peut créer une multitude de situations intermédiaires et combinées (Jauhiainen & Takeshi, 2021). Cependant, ces termes ne sont pas exempts de critiques. Certains chercheurs soulignent par exemple que le terme « sans-papiers » peut être ambigu : il suggère l’absence totale de documents, alors que beaucoup de migrant·es possèdent des papiers souvent en fin de validité ou qui ne sont pas conformes aux demandes administratives (Chauvin & Garcés-Mascareñas, 2012).

Par conséquent, il est important de relancer la réflexion sur le choix terminologique dans les cercles académiques mais aussi dans les sphères politiques et médiatiques, afin de déconstruire de façon durable un langage portant des connotations négatives et préjudiciables. Adopter une terminologie neutre et respectueuse constitue une étape essentielle pour humaniser le débat et promouvoir des politiques qui reconnaissent la dignité inhérente à chaque individu et plus particulièrement les migrant·es .

Migration irrégulière : un produit du système ?

Les migrant·es  sans papiers sont souvent pointé·es du doigt comme étant des personnes ayant délibérément enfreint les lois. Cependant, se retrouver dans une situation irrégulière n’est pas un choix pour beaucoup d’entre eux. Cette interprétation simpliste masque une réalité bien plus complexe. L’irrégularité est avant tout une construction sociale et institutionnelle, résultant des politiques migratoires et législations adoptés par les états. Par exemple, l’analyse de Chauvin et al (2023) du modèle français, similaire au modèle belge en ce qui concerne la criminalisation de la migration irrégulière met en lumière un paradoxe central. Alors que l’état français déploie des politiques visant à expulser les migrant·es sans papiers, l’économie nationale, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’agriculture, le service à la personne, le nettoyage ou le bâtiment repose en grande partie sur l’exploitation de cette main-d’œuvre. Ces migrant·es sans papiers constituent un réservoir de travailleurs précaires et exploitables, une situation également observable en Belgique. Ce cadre profite à certains secteurs économiques néolibéraux, qui recherchent une main-d’œuvre flexible et prête à accepter des conditions de travail dégradées. L’expulsabilité, soit la menace constante d’expulsion empêche ces travailleur·euses de revendiquer leurs droits. Dans cette logique, la construction de l’irrégularité se manifeste par une volonté implicite de maintenir un certain nombre de personnes en situation irrégulière, sans entreprendre d’efforts significatifs de régularisation, afin de répondre à la demande d’une main-d’œuvre bon marché.

Il est donc essentiel d’interroger ces mécanismes institutionnels pour mieux comprendre comment ils façonnent les parcours migratoires et contribuent potentiellement à la production du statut légal précaire.

Les chercheurs s’accordent pour dire que l’irrégularité n’est pas une condition naturelle. Selon González Enríquez (2010), ce qu’il nomme « l’irrégularité subie » découle des obstacles administratifs qui rendent difficile, voire impossible, le respect des critères nécessaires pour obtenir ou renouveler un statut légal. Les politiques qui conditionnent le renouvellement des permis de séjour à un emploi stable excluent automatiquement ceux qui, pour des raisons structurelles ou conjoncturelles, ne peuvent pas répondre à ces exigences.  En Belgique, par exemple, les migrant·es décrochant des contrats temporaires, comme les CDD (même avec possibilité de prolongation) ou l’intérim, se retrouvent souvent dans une situation où ils ne peuvent pas renouveler leur titre de séjour ou obtenir un statut légal permanent basé sur leur intégration dans le marché du travail. Ces formes de contrat sont jugées insuffisantes pour répondre aux critères de « stabilité » exigés pour un renouvellement de permis de séjour. Cette exigence administrative rend difficile, voire impossible, la régularisation de leur statut, même si leur travail peut potentiellement aboutir à un contrat futur plus stable.

 De plus, le basculement fréquent vers l’irrégularité, la semi-légalité ou ce que certains appellent la « légalité liminale » est le résultat direct de certaines politiques migratoires qui favorisent par exemple les statuts temporaires tout en restreignant l’accès à des formes de résidence permanente ou à la pleine citoyenneté (Calavita, 2005). En d’autres termes, la « légalité liminale » désigne un état intermédiaire entre régularité et irrégularité. Les individus concernés ne sont ni pleinement réguliers ni complètement irréguliers sur le plan légal. Ils se trouvent dans une zone grise, où leur statut administratif leur accorde certains droits, mais de manière partielle, instable ou temporaire. A titre d’exemple, un·e demandeur·euse d’asile en attente de décision d’obtention de statut de réfugié reçoit un statut temporaire qui lui permet de rester dans le pays et parfois de travailler ou d’accéder à des services de base. Cependant si sa demande est rejetée, il est dans l’obligation de quitter le territoire. On peut trouver aussi ce qui ont des visas de travail saisonnier. Ainsi, la production du statut légal précaire ou la perte de ce dernier est plus que probable quand les migrant·es se retrouvent dans ces situations.

Repenser les mots, les politiques, et les perspectives

La migration dite « irrégulière » est bien plus qu’une simple question de légalité administrative. Elle incarne les tensions profondes des sociétés contemporaines, où les politiques migratoires restrictives, les inégalités globales, et les discours publics façonnent les trajectoires de vies de nombreux migrant·es en quête de vie meilleure et de dignité. Ce constat nous impose une réflexion à la fois sur les éléments de langage que nous employons pour parler des migrations et les mécanismes institutionnels qui génèrent cette « irrégularité ».

Nous estimons essentiel de revoir les éléments de langage dans trois domaines clés : académique, politique et médiatique. Cela doit s’accompagner également d’un effort individuel pour utiliser les bons mots, se renseigner et sensibiliser son entourage proche.

Une telle transformation passe aussi par une présence renforcée du cercle académique et associatif dans les débats publics. Ce sont à travers leurs études de terrain et leurs récits d’expériences que nous pouvons apporter des réponses concrètes, loin des chiffres abstraits souvent utilisés pour justifier certains choix de politiques migratoires. De plus, il est important de dénoncer les discours politiques qui alimentent la peur et influencent négativement les citoyen·nes, notamment ceux qui mobilisent cette vague de peur à chaque élection pour légitimer certaines politiques migratoires. Par conséquent, nous considérons aussi que l’engagement citoyen est essentiel pour faire contrepoids à ces discours politiques alarmistes. Cet engagement peut se manifester par un soutien actif aux associations qui travaillent aux côtés des personnes migrantes, qu’il s’agisse de bénévolat, de soutien financier ou de participation à des campagnes de sensibilisation. De plus, les citoyen·nes peuvent prendre part à des formations et des ateliers sur les questions migratoires organisés par les associations. Cela constitue une étape essentielle pour mieux comprendre les réalités complexes des migrations et développer une capacité d’analyse critique face aux discours simplificateurs. Ceci dit, une question demeure ouverte et mériterait d’être explorée : que nous manque-t-il, en tant que société ? quels freins nous empêchent de transformer les récits et les systèmes qui perpétuent l’irrégularité, pour aller vers des politiques plus justes et inclusives ?  »

 

Bibliographie

  1. Bloch, A., Sigona, N., Zetter, R. (2014). Sans Papiers: the social and economic lives of young undocumented migrants. Pluto Press.
  2. Calavita, K. (2005). Immigrants at the Margins: Law, Race, and Exclusion in Southern Europe. Cambridge: Cambridge University Press.
  3. Chauvin, S., & Garcés-Mascareñas, B. (2012). Beyond informal citizenship: The new moral economy of migrant illegality. International Political Sociology, 6(3), 241–259? https://doi.org/10.1111/j.1749-5687.2012.00162.x
  4. González-Enríquez, C. (2010). Spain: Irregularity as a rule. In A. Tryandafyllidou (Ed.), Irregular Migration in Europe: Myths and Realities (pp. 247–266). Abingdon: Routledge
  5. Jauhiainen, J., and M. Tedeschi. 2021. Undocumented migrants and their everyday lives: The case of Finland. Cham, CH: Springer.
  6. Schinkel, W. (2009). ‘Illegal Aliens’ and the State, or: Bare Bodies vs the Zombie. International Sociology, 24(6), 779-806. https://doi.org/10.1177/0268580909343494
  7. Sébastien Chauvin, Stefan Le Courantet Lucie Tourette, « Le travail de l’irrégularité. Les migrant·e·s sans papiers et l’économie morale de l’emploi », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 37 – n°1 et 2 | 2021, mis en ligne le 03 janvier 2023, consulté le 26 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/remi/18344 ; DOI : https://doi.org/10.4000/remi.18344
  8. Triandafyllidou, A. (2023). « Chapter 1: Irregular migration and migration control policies ». In Research Handbook on Irregular Migration. Cheltenham, UK: Edward Elgar Publishing. https://doi.org/10.4337/9781800377509.00009
  9. Triandafyllidou, A., Bartolini, L. (2020). Understanding Irregularity. In: Spencer, S., Triandafyllidou, A. (eds) Migrants with Irregular Status in Europe (pp. 11–31). IMISCOE Research Series. Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-030-34324-8_2

 

Pour une justice sociale de l’eau : ce que les catastrophes naturelles ont à nous apprendre – Analyse

Inondation, sécheresse, vague de chaleur extrême, feux de forêt, cyclone et typhon, le nombre de catastrophes auxquelles font face les habitant·es de la planète ne cesse d’augmenter, entrainant des dégâts matériels et immatériels terribles. Des vies humaines perdues, ou complètement détruites, des habitations ravagées, des zones protégées ou zones agricoles polluées, des lieux de culte porteurs d’histoire disparus, les pertes et dommages sont énormes. Le cycle de l’eau est profondément menacé, entrainant des catastrophes sans précédent.  Mais comment s’adapter à ces événements ? Quelles en sont les causes et qu’est-ce que ces catastrophes révèlent ?  


Une analyse de Déborah Chantrie, chargée des programmes chez Eclosio

Lire l’analyse en version word

Lire l’analyse en version PDF


Réchauffement climatique, cycle de l’eau et inégalités  

La barre des 1,5°C de réchauffement climatique sera dépassée en 2024, la nouvelle est tombée en cette fin d’année. Ce chiffre est symbolique, en 2015, les états ont signé les accords de Paris visant explicitement à ne pas dépasser ce seuil critique. A cela s’ajoutent les données scientifiques qui montrent que 1,5°C représente une limite à ne pas franchir, sans quoi les catastrophes naturelles s’aggraveront. Alors, même si, pour valider officiellement le dépassement de la limite il faudra que l’observatoire européen Copernicus répète la mesure sur plusieurs décennies, cette augmentation reste inquiétante.  

Pourtant, ce réchauffement global, ses causes et ses conséquences sont documentés depuis déjà 1988 par le GIEC, le groupe d’expert·es intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont le dernier rapport date de 2023. La communauté scientifique mondiale est sans équivoque : les activités humaines en sont la cause. Si nous ne changeons pas rapidement nos modes de production et de consommation et que le globe continue de se réchauffer à la même vitesse, les catastrophes climatiques de plus en plus violentes se multiplieront. Effectivement, de plus en plus violentes, mais aussi, et de plus en plus fréquentes. 

Le constat est donc sans appel : l’ensemble de la planète se réchauffe et induit des dérèglements climatiques et des drames environnementaux sans précédent : perte de biodiversité, inondations, sécheresse, élévation du niveau des océans, et j’en passe, c’est donc une crise mondiale mais qui ne touche pas tout le monde de la même fréquence, ni à la même intensité. 

En outre, le dérèglement climatique n’est qu’une partie des bouleversements auxquels la planète doit faire face aujourd’hui. Depuis 2009, les scientifiques du Stockholm Resilience Center, ont conceptualisé neuf limites aux processus impliqués dans le fonctionnement du système Terre, c’est-à-dire neuf seuils au-delà desquels ce système ne fonctionne plus harmonieusement. A l’heure actuelle, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme : six des neuf limites planétaires ont été dépassées, et pour certaines de manière irréversible. C’est le cas de l’érosion de la biodiversité qui est arrivée à un point de non-retour, en 40 ans nous avons perdu 60 % des populations d’animaux présents sur la terre[1] ! 

Eclosio_Source : https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries.html

La sixième limite à avoir été franchie est celle de l’eau douce. Les précipitations, l’humidité des sols et l’évaporation, qui constituent ce cycle de l’eau est aussi appelé « eau verte », « eau invisible ». A différencier de l’eau bleue, ou encore « l’eau qu’on voit » : rivières, nappe phréatique, lacs, océans et autres. Les deux sont intimement liées car, l’eau verte alimente les nappes phréatiques, régule le climat et les écosystèmes. Néanmoins, les activités humaines ont fortement bouleversé le cycle de l’eau dont l’équilibre n’est plus garanti (ZERKI, 2023). Les conséquences sont déjà visibles : inondations et sécheresses sont les symptômes des dérèglements actuels.  

Il est donc urgent de prendre des mesures d’atténuation à court terme pour limiter le réchauffement à 1.5°C car si nous ne changeons pas nos modes de vie, le réchauffement sera tel que « les années actuellement les plus chaudes feront partie des plus froides dans 40 ans ».[2]  

Mais comment changer ? De quelles mesures parlons-nous ? Qui sont les principaux émetteurs de Gaz à Effet de Serre (GES)[3] – une des causes majeures du réchauffement de la planète ? Qui doit revoir son empreinte écologique ? 

Aujourd’hui, face à toutes ces questions, un lien de cause à effet qui est aussi un triste paradoxe se doit d’être pointé : il existe un lien intrinsèque entre dérèglement climatique et inégalités sociales. Ce déséquilibre se matérialise de différentes manières. D’une part, ce sont les modes de vie et de consommation des plus riches qui polluent le plus : aller-retours en jet privé, vacances sur un yacht, fruits rouges tous les matins au petit déjeuner, IPhone et autres matériels informatiques dernier cri sont quelques exemples. D’autre part, ce sont les personnes les plus pauvres, qui ont un mode de vie soutenable et durable et donc qui polluent peu, qui vont être impactées le plus violemment par les catastrophes climatiques, et vont avoir plus de mal à s’en remettre.  

Un rapport récent d’Oxfam montre qu’en Belgique, 10 % des plus riches émettent autant de GES que 45 % les plus pauvres. Les inégalités au sein d’un pays sont importantes. Mais alors que dire de ces inégalités entre les pays ! A titre d’exemple, en moyenne dans l’Union Européenne une personne produit huit tonnes de CO2 par an alors qu’au Sénégal ou au Burkina-Faso, nous sommes entre une et deux tonnes de CO2 par personne par an.  (Guivarch, C. et Taconet, N. 2020) 

A titre indicatif, un aller-retour jusqu’à New-York émet plus de deux tonnes de CO2, ce qui représente plus que la totalité des émissions auxquelles chaque humain devrait se soumettre pour limiter le réchauffement climatique.  

Le bilan est clair, chiffres à l’appui, les pays et personnes les plus riches contribuent plus fortement aux dérèglements climatiques et aux catastrophes qui en découlent, et les pays du Sud global sont plus impactés et demandent réparation. Pour ce faire, les COP,[4] c’est-à-dire les conférences de parties, sont le lieu par excellence au sein duquel se réunissent tous les Etats, et où s’examinent les progrès dans la réalisation des engagements pris par ceux-ci. En 2024, La COP 29 sur le climat, a été l’occasion de s’attarder sur la finance climatique. Des questions se posent : qui va payer pour les dégâts encourus ? Qui va financer les mesures d’adaptation aux dérèglements climatiques, causés principalement par le développement des pays riches ? Aujourd’hui, ces pays prennent la tangente et refusent de prendre leurs responsabilités :  

Le dernier jour officiel de la COP 29, le négociateur principal du Panama Juan Carlos Monterrey Gómez a même déclaré que “les 250 milliards de dollars offerts par les pays riches sont un crachat au visage des nations vulnérables. Ils offrent des miettes alors que nous portons les morts. C’est scandaleux, maléfique et sans remords“.[5]

 

Les inégalités se jouent entre les pays, mais aussi et surtout sur le terrain, au niveau local. C’est pourquoi il est intéressant de regarder et de mettre en lumière des situations spécifiques. Dans le cadre de cette analyse c’est le cycle de l’eau, qui, entre sécheresses et inondations, bouleverse des vies humaines et des écosystèmes entiers. Ces catastrophes affaiblissent lentement, dans le cas des sécheresses ou provoque des dégâts rapidement, dans le cas des inondations, mais elles ont en commun au moins deux choses : le manque de courage politique pour s’attaquer aux causes profondes qui les entrainent, qu’elles soient d’ordre climatiques, économiques, ou encore philosophiques. Dans l’urgence, il faut prendre le temps, pour comprendre profondément ce qui se joue, analyser certaines catastrophes, pour que les conséquences de l’inaction climatique se lisent au prisme des réalités vécues par les personnes.  

Effectivement, les inégalités sociales sont exacerbées et rendues visibles par les catastrophes climatiques, et pour comprendre ces situations, la notion de vulnérabilité est essentielle. Ce concept est dynamique, car il dépend des situations vécues et de la perception des personnes face à ces situations. Cela nous oblige à regarder l’impact de ces catastrophes en tenant compte des inégalités auxquelles les personnes font face, et en étudiant leur résilience, c’est-à-dire leur capacité à retrouver un état d’équilibre après un choc. Mettre le doigt sur les causes de cette vulnérabilité, et en comprendre les conséquences, devrait aussi encourager nos dirigeant·es à établir des politiques environnementales et climatiques qui tiennent compte de ces disparités, car de toutes façons, « en l’absence de remise en cause radicale de modèles de développement, l’intérêt d’une analyse sociologique de la vulnérabilité est alors sans doute moins de la réduire que de mieux comprendre comment « vivre avec » elle. » (Becerra, 2012). En d’autres termes, si aujourd’hui les éléments qui constituent la vulnérabilité sont liées à notre modèle d’organisation sociale basée sur le développement et la croissance économique, ces vulnérabilités ne disparaitront pas, donc en contribuant à les comprendre, nous pouvons au moins panser les plaies actuelles, et éventuellement, penser à des solutions pour l’avenir !   

Sécheresse et inégalités : le cas du Sénégal   

Le lac Tchad situé en Afrique du Nord, a perdu 90% de son volume d’eau.  A New York, aux Etats-Unis des pompiers ont éteint un feu de broussailles dans un parc urbain[6]. En cause ? l’absence de précipitation. Aujourd’hui, aucun pays n’est à l’abri, car ces phénomènes désastreux s’intensifient partout dans le monde. Les sécheresses n’épargnent aucun continent, et les conséquences sont nombreuses : impact sur l’agriculture, migration et déplacement de population, désertification, impact économique, ou encore perte de la biodiversité. 

Eclosio_Yessal Sunu Mbaye 11-05-2022 (Diossong)

L’eau est une ressource indispensable à la vie, elle est aussi un facteur de production dont l’accès et l’usage conditionnent les pratiques agricoles. En d’autres termes : sans eau, pas d’agriculture et pas de vie, et donc, pas de nourriture ni d’emploi agricole. Les sécheresses, qui sont d’abord des événements climatiques, dépassent uniquement la question environnementale et prennent aussi des dimensions sociales et économiques. La région du Sahel est l’une des régions les plus touchées par la sécheresse et la désertification, laissant les paysan·nes locaux en difficulté. Nous allons donc faire un détour par le Sénégal pour comprendre l’impact du réchauffement climatique sur les populations locales.  

Au Sénégal, depuis les années 70, le pays fait face à des vagues sècheresses intenses qui impactent l’agriculture et particulièrement les plus petites exploitations, souvent familiales, qui en vivent. L’eau, devenant une ressource rare et suscite beaucoup de compétition, avec des déséquilibres majeurs. La raréfaction d’une ressource essentielle à la vie devrait nous inquiéter : les pressions et les tensions sur les ressources en eau vont encore s’intensifier dans les années à venir. En conséquence, les inégalités d’accès vont s’accentuer au détriment des personnes les plus vulnérables.  

L’eau, un bien environnemental : l’exploitation des nappes phréatiques par les agrobusiness au Sénégal

L’eau n’est pas un bien économique qui peut être exploité à outrance. C’est aussi, et avant tout, un bien environnemental qui doit être protégé car elle rend une quantité de services écosystémiques inestimables. C’est le cas des nappes phréatiques, qui sont des réservoirs d’eau douce, enfouies sous la terre, elles fournissent de l’eau pour l’irrigation ainsi que la consommation humaine et animale. Essentielles à la préservation de la vie, ces nappes sont profondément menacées, à cause des sécheresses répétées, conséquences du réchauffement climatique, et avec l’exploitation à outrance de cette ressource par les agrobusiness, qui produisent des fruits et légumes destinés principalement à l’exportation, installés dans la région. 

Les conséquences sur les paysan·nes locaux sont désastreuses, les privant d’une ressource essentielle à leurs activités agricoles. Aujourd’hui, la compétition est de plus en plus rude, et elle est totalement inégale. De petit·es exploitant·es se retrouvent face à des entreprises agro-industrielles qui vident les nappes phréatiques, en utilisant des moyens très coûteux pour forer très profond dans le sol. Face aux sécheresses, les ressources en eau s’amoindrissent, les nappes phréatiques se vident, et, en ajoutant la surexploitation de ces nappes, les agriculteur·ices locaux n’ont plus accès à l’eau productive pour pratiquer leur activité de subsistance et dégager un revenu décent (Drique, M. & Lejeune, C, 2017).  

Un point de tension important doit être pointé, c’est cette ambivalence entre protection et exploitation des ressources et des écosystèmes. Les nappes phréatiques sont des ressources précieuses, et qui, étant donné la raréfaction des pluies, vont être de plus en plus source de convoitises. Les nappes phréatiques sont un exemple parmi tant d’autres qui montre qu’aujourd’hui, il est urgent de trouver un équilibre entre l’usage économique et la préservation de cette ressource environnementale dont la vie humaine dépend. 

Mais, comment réconcilier deux modalités d’usage ? Comment rassembler autour de l’eau pour gérer cette ressource en tant que bien commun qui doit être utilisé de manière durable et inclusive ?  

Il est crucial de garantir des mesures pour soutenir les petites agriculteur·ices et assurer une distribution équitable de l’eau productive (Allaverdian Céline& Al, 2012). Face aux sécheresses répétées, les conflits d’usage de l’eau sont fréquents entre les petits agriculteur·ices et les grandes entreprises. De plus, dans l’impossibilité d’exploiter plus de terre à cause du manque d’eau, les paysan·nes se retrouvent finalement dépossédé·es de leur terre et employé·es par les grandes entreprises agro-industrielles. 

C’est pourquoi l’ONG Eclosio travaille à la fois avec les communautés locales pour promouvoir une gestion intégrée des ressources en eau[7], mais aussi pour les renforcer sur le plaidoyer auprès des autorités locales. In fine, les actions menées avec les populations locales ont pour objectif de renforcer leur résilience, c’est-à-dire, leur capacité à absorber les chocs et à retrouver rapidement un équilibre face aux bouleversements climatiques.  

Injustice sociale et climatique, l’eau comme bien commun

Pour conclure, l’eau productive est un enjeu complexe, nécessitant une approche équilibrée entre exploitation économique et protection environnementale. Afin d’équilibrer l’accès entre les différents types d’acteur·ices et d’assurer une gestion inclusive de l’eau, en tenant compte de son caractère vital, donc l’importance de la considérer comme un bien à gérer collectivement pour que chacun·e puisse jouir de leur droit à une répartition équitable des ressources naturelles présentes sur un territoire. La justice sociale et environnementale doit dès lors guider les actions à prendre dans un territoire.  

L’exemple de la sécheresse a montré que les pays sahéliens sont durement impactés par les vagues de sécheresse, et que cela accentue les inégalités. Au phénomène climatique, s’ajoute la présence des agrobusiness, exportateurs de denrées alimentaires souvent destinées à la consommation en occident. Nos modes de vie ont un coût, celui de l’injustice sociale et climatique.  

Ce coût est ressenti par les paysan·nes sénégalais·es, mais il marque aussi l’Europe. Depuis quelques dizaines d’années, les événements météorologiques extrêmes d’accentuent aussi de notre côté du globe. Déjà depuis les premiers rapports du GIEC en 1990, la communauté scientifique alerte : le réchauffement climatique aggrave les évènements météorologiques extrêmes. Les sécheresses et vagues de chaleur ont leur pendant, inondations et périodes d’humidité grandissante. C’est le cas en Belgique, où l’année 2024 est la plus humide jamais enregistrée[8]. 

Il est pourtant urgent de réduire les inégalités sociales, et de s’attaquer au dérèglement climatique, sans quoi les populations déjà vulnérables le seront d’autant plus. Il est urgent d’assurer que les populations défavorisées soient protégées des impacts négatifs de la dégradation de l’environnement, étant donné, que ce sont le plus souvent les plus riches qui dégradent cet environnement.  

Les faits sont là, pourtant, les pays soi-disant « développés » ne semblent pas avoir intégré cela, comme s’ils étaient protégés contre ces bouleversement. Pourtant en 2019, des vagues de contestation et des mobilisations sont apparus en Europe, menant l’Union Européenne à prendre des engagements fort pour une Europe : être le premier continent neutre pour le climat[9] ! Aujourd’hui le vent a tourné, et déni et inaction climatique caractérisent les politiques publiques climatiques[10]. Alors que les effets des dérèglements sont encore minimisés et que les discours politiques portent vers la relance économique, l’Europe doit faire face à des catastrophes d’ampleur. Les récentes inondations à Valence, en Espagne en sont un triste exemple.  

Tout cela nous amène à remettre l’urgence climatique au centre du débat. Car il est plus que nécessaire, de mettre en place des mesures pour assurer à tout le monde, y compris, aux personnes à faible revenu, aux minorités ethniques, aux communautés marginalisées, aux personnes âgées, aux femmes, que les vagues de chaleur, que les sécheresses, ou encore les inondations n’aggraveront pas encore leur vie quotidienne. Et de garantir à tout un chacun·ne une vie digne.  

 

Notes de bas de page :

  1.  https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/rapport-planete-vivante-2018 . Consulté le 11 décembre 2024
  2. https://climat.be/changements-climatiques/changements-observes/rapports-du-giec/2023-rapport-de-synthese Date de consultation le 11 décembre 2024
  3. Ce sont les Gaz qui absorbent et ensuite réémettent une partie des rayons solaires et donc ils sont à l’origine de l’effet de serre. Les principaux GES sont le dioxide de carbone (CO2), le méthane (CH4), protoxyde d’azote (N20), hexafluorure de soufre (SF6), hydrocarbures (HFC) et perfluorocarbures (PFC). Pour plus d’informations : Définition – Gaz à effet de serre (émissions) | Insee 
  4.  Il existe actuellement trois COP qui traitent de sujets différents mais interconnectés relatif à la crise environnementale : la COP sur la biodiversité (COP 16 en 2024), la COP sur la lutte contre la désertification (COP 16 en 2024) et la COP sur les changements climatiques (COP 29 en 2024). Pour plus d’informations : Trois COP (Conférences des Parties) pour clôturer l’année | Programme De Développement Des Nations Unies
  5.  Synthèse de la COP29 : « un crachat aux visages des nations vulnérables » consulté : le 11 décembre 2024
  6. « Tueuse silencieuse à évolution lente », la  sécheresse décryptée | ONU Info consulté le 11 décembre 2024 
  7.  L’importance de l’inclusivité pour une Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) réussie – Analyse d’éducation permanente | Eclosio 
  8. L’année 2024 sera la plus humide jamais enregistrée dès mercredi, selon l’IRM – Le SoirConsulté le 13 décembre 2024
  9. Le pacte vert pour l’Europe – Commission européenne Consulté le 13 décembre 2024
  10. https://www.rtbf.be/article/le-moment-climat-est-il-passe-11430664 Consulté le 13 décembre 2024

Bibliographie

Allaverdian Céline, Apollin Frédéric, Issoufaly Hatim, Merlet Michel, Richard Yves (2012). Pour une justice sociale de l’eau : garantir l’accès à l’eau aux agricultures familiales du Sud, Paris, Coordination Sud, juillet 2012, 68 pages.  

Drique, M. & Lejeune, C. (2017). La justice sociale à l’épreuve de la crise écologique. Revue d’éthique et de théologie morale, 293, 111-124. https://doi.org/10.3917/retm.293.0111 

Guivarch, C. et Taconet, N. (2020). Inégalités mondiales et changement climatique. Revue de l’OFCE, N° 165(1), 35-70. https://doi.org/10.3917/reof.165.0035. 

Sylvia Becerra, 2012,« Vulnérabilité, risques et environnement : l’itinéraire chaotique d’un paradigme sociologique contemporain », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 12 Numéro 1 | mai 2012, mis en ligne le 29 mai 2012, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://vertigo.revues.org/11988 ; DOI : 10.4000/vertigo.11988 

Zekri Mari, 2023,La sixième limite planétaire a été franchie. Et maintenant ? | National Geographic 

Pour aller plus loin :

  • Documentaire : Notre planète a ses limites – documentaire disponible sur Netflix 
  • Podcast : Blast – L’écologie – Inondations meurtrières en Espagne : le pire est-il à venir ? 

D’une université multiculturelle à une université interculturelle – Analyse


Une analyse de Claire WILIQUET, Chargée d’éducation citoyenne Eclosio

Lire l’analyse en version Word

Lire l’analyse en version PDF


L’accueil des étudiant·es étranger·es est l’une des richesses de nos institutions d’enseignement supérieur. Ainsi l’université de Liège, avec laquelle Eclosio entretient des relations privilégiées, met en avant les 130 nationalités qu’elle héberge. Si  l’on s’en réfère aux chiffres de septembre 2024, 24% des étudiant·es seraient d’origines étrangères, le chiffre monte à 48% en ce qui concerne les doctorant·es. Par ailleurs, l’université est engagée dans 394 collaborations de recherche avec au moins un partenaire international[1]. Si cette diversité constitue indubitablement des opportunités d’ouverture et d’enrichissement tant pour les accueillants que pour les accueillis, elle soulève également des défis. La présente analyse a pour objectif d’attirer l’attention sur ceux-ci afin d’identifier les jalons pour des institutions d’enseignement supérieur réellement interculturels où  chacun·nes, étudiant·es, professeur·es, chercheur·euses,… puissent s’enrichir de cette diversité.

Des normes implicites

Lors des formations à l’interculturalité que dispense Eclosio, nous débutons le module par un tournoi de cartes un peu particulier : les participant·es sont réparti·es en quatre équipes, chacune à une table et les règles du jeu sont mises à disposition sur la table. Après quelques manches d’échauffement pour s’approprier les règles, le tournoi commence. Les règles sont retirées des tables et les participant·es ont pour consignes de jouer dans le silence le plus complet.  Le·la gagnant  passe à la table de gauche, le·la perdant·e  à la table de droite, ainsi de suite  pendant quatre ou cinq manches. Le ressort de l’exercice : les règles sont subtilement différentes d’une table à l’autre : les atouts ou la valeur de l’as etc. Très vite dans la salle silencieuse, de petits rires nerveux, des regards appuyés, des mines perplexes ou déconfites…

Cette expérience pédagogique n’est finalement pas si éloignée de ce qui se vit dans les groupes de travail mixte ou dans des relations encadrant·es-étudiant·es, par exemple. Le jeu illustre ce que les étudiant·es étranger·es peuvent vivre en étant confronté·es à des normes et des codes qu’iels  ne maitrisent pas et dont bien souvent, ni eux ni les locaux ne mesurent pleinement l’impact sur la relation.

En effet, lorsque l’on parle de culture, on mobilise souvent la métaphore de l’iceberg. La partie immergée, est tout ce qui est le plus visible, le plus évident dans une culture : coutumes, rites, cuisines, objets du quotidien etc. Lorsque l’on voyage, ces éléments sont attendus, voire  même recherchés. Ils sont sources tantôt de surprise, tantôt d’émerveillement, parfois d’inconfort.  Par contre, la confrontation avec la partie immergée de la culture est beaucoup moins anticipée. Il s’agit des normes, des valeurs, des visions du monde[2], éléments nettement moins visibles de prime abord, pas forcément attendus par les non-initiés et qui pourtant constituent les éléments les plus importants et les plus structurants d’une société. En effet, ces dimensions non-visibles sont à la base de l’organisation sociale et des interactions entre les personnes.

Concrètement, lorsque des étudiant·es s’inscrivent dans une université étrangère, iels  peuvent s’attendre à découvrir une cuisine différente dans le pays, iels s’attendront également à une organisation différente des cursus, des agendas etc. mais sont-iels  préparé·es à l’organisation hiérarchique particulière qui codifie les relations professeurs-étudiants ? Ont-ils été baignés dans une culture dans laquelle iels ont développé les mêmes structures et organisations de pensée que celles développées par les étudiant·es  scolarisé·es  depuis toujours dans le pays d’accueil ? Ont-iels  les mêmes codes relationnels, les mêmes traitements des connaissances, etc. pour partir d’une base commune dans les travaux de groupe ? Il ne s’agit ici que de quelques exemples qui mettent en lumière le fait que’un·e étudiant·e qui entre à l’université de son territoire a pré acquis, de manière généralement majoritairement inconsciente, un cadre de référence culturel qui est aussi d’application dans son université. Un·e étudiant·e étranger·e aura également développé son cadre culturel de référence en adéquation avec le lieu où iel  aura été sociabilisé·e, ce cadre aura probablement des décalages plus ou moins importants avec celui ayant cours dans le milieu d’accueil. Le problème est que les manifestations de ce décalage ne sont que très rarement interprétées comme un décalage culturel et deviennent la source de tensions voire  de conflits et peuvent déboucher sur des situations de rejets ou d’échec.

Ouvrons ici une parenthèse pour amener deux précautions importantes. La première est d’éviter de tomber dans le culturalisme qui tendrait à voir la culture comme un tout cohérent, fermé et figé ayant sa logique propre. La rencontre entre deux cultures serait comme le choc de deux blocs, sans pénétration ni mélange possible. Au contraire, la culture doit être considérée  comme poreuse et dynamique, se modifiant aux contacts d’autres cultures et étant traversée par différentes logiques parfois contradictoires. De même au sein de chaque culture, les individus ont des identités plurielles et dynamiques et sont traversés eux-mêmes de logiques multiples qui forment un tout somme toute peu cohérent. Ceci nous amène à une deuxième précaution : celle de ne pas sur-estimer la culture dans la compréhension des situations. Ainsi toutes difficultés, toutes tensions vécues par ou avec un étudiant·e étranger ne trouvent  pas obligatoirement ou uniquement sa source dans une lecture culturelle. La personnalité, la situation socio-économique, la santé mentale de l’étudiant·e peut-également rentrer en ligne de compte. Ainsi une situation où un·e étudiant·e qui se désengage d’un travail de groupe peut s’expliquer par des tensions   On le voit les sources de difficultés peuvent être nombreuses, le décalage culturel n’est que l’une d’entre elle.

La démarche interculturelle : une opportunité

Si nous avons insisté jusqu’à présent sur les risques en particulier pour ceux et celles qui sont accueilli·es, d’une université multiculturelle, nous voulons maintenant insister sur les opportunités que cela ouvre. Outre, l’ouverture à l’autre et l’enrichissement que constitue les rencontres, le partage de connaissances et d’expertises et le rayonnement pour l’université, la diversité amène une réelle plus-value dans ses missions de production de connaissances et de formation. Pour cela, il est nécessaire de développer des compétences interculturelles tant chez les étudiant·es  locaux·ales  et étranger·es que chez les encadrant·es. Ces compétences s’appuient sur une triple posture : la décentration, la compréhension de l’autre et la négociation ou construction d’un espace d’entente commun. Chacune de ses postures génèrent des bénéfices à la rencontre. Pour l’illustrer nous prendrons l’exemple de la citation des sources dans les travaux scientifiques. En effet, le fait de citer ses sources est considéré dans le système scientifique occidental comme un élément incontournable de la qualité d’un travail scientifique. Or nous constatons une difficulté chez nombre d’étudiant·es non occidentaux·ales  à se plier à cette exigence. Il y a certainement plusieurs raisons à cela, nous faisons ici l’hypothèque que l’une de ces raisons pourraient bien être culturelle.

Considérons le premier mouvement de la démarche interculturelle : la décentration. Il s’agit de prendre conscience de son cadre de référence, de ses normes, de ses valeurs en particulier celles mises en cause lors de la rencontre. Dans notre exemple, si citer nos sources semblent une évidence non partagée, c’est l’occasion de s’interroger : Pourquoi est-ce important pour nous ? Qu’est-ce que cela dit de notre système de mode de production et de diffusion de connaissance ? Quelle fonction la citation des sources remplit dans ce système ?  De manière plus générale, se confronter à des étudiant·es et  chercheur·euses étranger·es ayant des cadres de référence différents nous invite à réinterroger nos propres cadres, à se pencher sur ce que l’on considère comme évident, naturel et à y déceler les constructions sociales qui existent derrière. Ceci est d’autant plus intéressant que la science occidentale a longtemps estimé et estime encore souvent aujourd’hui produire une connaissance universelle sans considérer la composante située, géographiquement et temporellement, des savoirs. La décentration peut amener une nuance supplémentaire et affiner un peu plus la connaissance produite.

Ensuite, l’exercice de compréhension de l’autre peut amener à s’ouvrir à d’autres modes de compréhension, d’autres modes d’action. Cette démarche est d’autant plus nécessaire que les logiques et les valeurs sur lesquels a été construit le système occidental montre ses limites, s’intéresser à comprendre finement d’autres conceptions du monde ne peut qu’être inspirant. Pour reprendre notre exemple de citation des sources, la vision d’une production scientifique individuelle, la pression pour les citations montrent ses limites et ses dérives[3].  Nous pourrions faire l’hypothèse que le désintérêt pour la citation des sources vient d’une conception toute différente de la production et la diffusion de connaissances qui rend insensible à l’injonction de citer les sources. Dès lors comment est envisagée la production, la diffusion de connaissances ? Est-ce vu comme une démarche individuelle ? Y a-t-il une conception de la propriété des savoirs ?Y a-t-il une hiérarchie entre les différentes connaissances et leurs modes de production ?

Enfin, le troisième exercice, nommé dans la démarche interculturelle négociation, qui constitue la construction d’un espace d’entente commun qui intègre les éléments des différentes cultures en présence est, il nous semble l’objectif à atteindre pour que l’université et ses différents membres étrangers·ères ou locaux·ales  bénéficient pleinement de la diversité. Dans notre exemple, l’idée n’est évidemment pas d’abolir la citation des sources, cette norme a une fonction dans notre système et il ne s’agit pas de l’abandonner.  Certaines lignes pourraient néanmoins bouger, certains éléments jugés comme acquis pourraient être remis en question pour bonifier le système, endiguer les dérives et amener du sens à la démarche de citer ses sources pour qui vient d’ailleurs.

Pour que ces opportunités puissent être saisies, il importe de ne pas se satisfaire d’une université multiculturelle, simple juxtaposition de cultures, mais bien de travailler à une université interculturelle, ou en plus de la culture de chacun existe une culture commune. Une université dont les membres pratiquent cette triple démarche de décentration, compréhension et négociation et co-construction avec  l’autre de nouvelles connaissances qui tiennent compte des différentes cultures. Cela implique que la communauté universtaire ; étudiant·es et doctorant·es

En conclusion, s’il est légitime de s’attendre à ce qu’une personne nouvelle arrivante s’adapte au système dans lequel elle s’insère, n’oublions pas que le verbe s’intégrer n’est pas que pronominal : on s’intègre et on intègre. La responsabilité de la réussite de l’intégration  pèse tout autant sur l’institution qui accueille et ses membres. Et c’est bien dans cette dialectique que les universités – comme d’ailleurs toute organisation qui héberge la diversité- seront inclusives et s’enrichiront pleinement de la diversité.

Notes :

[1] https://www.uliege.be/cms/c_9038278/fr/chiffres-cles/#student, Date valeur : 2023-2024

[2] Pour aller plus loin sur ce qui constitue cette partie immergée de la culture : Sauquet M., Vielajus M., l’intelligence interculturelle, Edition Charles Léopold Mayer, Paris

[3] Ses limites et dérives ont été par exemple mises en avant par la controversée Camille Noûs, auteurice collective fictive qui cherche à questionner l’image d’un scientifique qui ferait ses trouvailles en solitaire et la bibliométrie. Elle affirme le caractère collaboratif et ouvert de la création et de la diffusion des savoirs. Pour en savoir davantage : https://fr.wikipedia.org/wiki/Camille_No%C3%BBs

De petits pouvoirs impliquent de petites responsabilités. Du pouvoir d’agir – Analyse


Une analyse de Claire WILIQUET, Chargée d’éducation citoyenne Eclosio

Lire l’analyse en version Word

Lire l’analyse en version PDF


De manière assez systématique, lors de nos animations les participant·es nous font part de leur sentiment d’impuissance par rapport à un système complexe qui les dépasse et dont iels se sentent généralement extérieurs. Sur base de ces expériences, nous avons voulu proposer, une réflexion aux animateur·trices afin de mener les groupes qu’iels accompagnent à retrouver leurs pouvoirs d’action. A l’heure où les dysfonctionnements du monde sont relativement bien connus des personnes, il nous semble que l’identification de ces pouvoirs d’action devient l’enjeu central des éducations à visée transformatrice[1].

Des constats écrasants

Généralement nous commençons nos animations par poser les constats des dysfonctionnements du système en lien avec la thématique que nous abordons : système alimentaire, filière textile, rapports à l’Autre et migration etc. Ces constats sont habituellement posés à l’aide d’outils pédagogiques ou d’objets culturels (jeux, pièces de théâtre, films etc.) qui mobilisent une pédagogie expérientielle, ce qui déclenche, et c’est l’objectif, une réaction émotionnelle forte : empathie avec les personnes qui subissent les violences du système, sentiments d’injustices etc. C’est sur ces émotions, qu’en tant qu’animateur·trice nous cherchons à nous appuyer pour donner à nos participant·es envie d’agir pour un monde plus juste et plus durable.  De la sorte, les séances se termineront systématiquement par une réflexion sur les leviers d’action et alternatives en lien avec la problématique.

 

C’est là que ça se corse. En effet, face à la complexité d’un système globalisé les personnes se sentent impuissantes. De la sorte, lorsque l’on demande aux participant·es Que peut-on faire pour changer cela ? La réponse est bien souvent “c’est le système, cela nous dépasse, on peut si peu, la responsabilité est entre les mains des décideurs politiques et économiques”. Les enjeux sont si grands et si urgents qu’en tant qu’animateur·trice qui a pour objectif de susciter l’engagement, la situation est délicate : nous savons que nous ne sommes pas des supers héros aux supers pouvoirs capables de régler les problèmes en enfilant un costume en latex, de là à se dédouaner du futur de la société, il n’y a qu’un pas. Et pourtant, si comme le disait l’oncle de Spiderman à ce dernier « de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités » nous pourrions considérer que « des petits pouvoirs amènent de petites responsabilités ». L’enjeu est alors de permettre aux participant·es d’identifier leur pouvoir en fonction de la place qu’iels occupent dans le système pour leur permettre de prendre pleinement leurs responsabilités dans la construction d’une société plus désirable pour tous et toutes.

Un précision d’emblée, nous distinguons la responsabilité de la culpabilité. Cette dernière est régulièrement exprimée par les participant·es soit pour se dédouaner : ce n’est pas notre faute, c’est le système, les dirigeants… soit une culpabilité de ne pas en faire assez. Or, l’idée n’est pas que les participant·es se sentent coupables, qu’iels se sentent fautif·ives face aux dysfonctionnements du système, ce n’est évidemment pas le cas. De même, l’animateur·trice doit aussi déjouer la culpabilité de celui qui a l’impression de ne pas en faire assez, de ne pas être totalement cohérent·e avec ses valeurs. Combien de fois n’avons-nous pas entendu une personne engagée dans l’écologie avouer, en rougissant, qu’elle a acheté telle chose non durable, qu’elle va dans tel magasin peu vertueux ou comble de la honte, qu’elle a pris l’avion ! En tant qu’animatreur·trice, il faut, nous semble-t-il, dédramatiser l’incohérence. Il est extrêmement difficile et épuisant d’aller à contre-courant d’un système qui pousse à la consommation, à la compétition, au plaisir immédiat, etc. L’idée est plutôt d’aider la personne à identifier ses pouvoirs d’action et de discerner avec elle ceux qui font le plus sens pour elle, qui seront le plus pertinents, les plus efficients en acceptant qu’on ne peut pas se battre entièrement et sur tous les fronts aux risques de burn out militant.

Pouvoir d’agir

Lors de la discussion sur les leviers d’action, c’est généralement les écogestes qui sont identifiés, aller vers des circuits-courts, la réduction de déchets, la mobilité douce[2]. Ces écogestes ont évidemment toutes leur valeur transformative, l’idée ici n’est pas de les disqualifier mais bien d’ouvrir les possibles de l’action en approfondissant le levier économique et en envisageant d’autres leviers. En voici un tour d’horizon non exhaustif.

Le pouvoir économique : Comme nous venons de le voir, en tant que consommateur·trice, nous pouvons choisir des produits et des services qui sont produits dans des filières justes et durables tout en étant attentifs aux déchets qu’ils produisent : choisir le circuit-court, le commerce équitable, le deuxième main, l’achat en vrac, le réutilisable etc. Cela dit, le pouvoir économique ne se limite pas à la consommation, il y a également le soutien aux associations qu’elles soient caritatives ou militantes. En termes de pouvoir économique, il y a également tout le pan de la finance et de l’investissement durable dans des filières économiques plus respectueuses de l’environnement et de l’humain. Enfin pour ceux et celles qui ont cette fibre, il est possible de créer une activité économique juste et soutenable.

Le pouvoir politique/ Lorsque l’on parle du pouvoir politique, le vote est souvent la première chose qui est citée, s’en suit généralement un petit flottement, où l’on sent bien les participant·es dubitatif·ives sur l’impact de celui-ci. Encore une fois, il n’est pas question de disqualifier le vote, les élections sont des moments essentiels de la vie démocratique, et le droit de vote universel, obtenu de haute lutte, est un incontournable plus l’implication de toutes et tous dans le vie politique. Cela étant dit, le vote n’est pas l’unique moyen pour les citoyen·nes de s’impliquer dans le vie politique. Les plus évidents sont la participation aux manifestations et la signature de pétition. Et puis, de manière plus engageante, il y a la participation aux organisations collectives. L’engagement actif dans un syndicat, dans une association qui réalise du plaidoyer ou propose des formes d’organisation sociale alternative qui ouvrent d’autres possibles[3], ou encore dans un parti politique. L’engagement politique c’est aussi de faire évoluer les structures auxquelles nous appartenons : entreprises, associations sportives, associations de parents, universités etc. Toutes ces institutions qui n’ont pas à l’origine une vocation de transformation sociale mais que nous pouvons travailler à rendre plus durables, justes et inclusives.

Le pouvoir social : il s’agit ici d’être source d’inspiration pour les personnes qui nous entourent, les enfants peuvent sensibiliser leurs parents, les parents éduquer leurs enfants, on peut influencer son groupe d’ami·es, ses collègues, … à des normes, des valeurs et des modes de vie plus souhaitables. C’est évidemment une dynamique à double tranchant : notre entourage a également une influence sur nous et si nous sommes entouré·es de personnes dont les valeurs et les préoccupations sont éloignées, voire contraires aux transformations souhaitées, il est tentant de “laisser tomber” et de s’aligner à eux. C’est notamment en outillant les personnes à faire face aux avis divergents sans tomber dans la rupture et en proposant des groupes d’appartenances qui défendent les projets de transformation sociale au sein desquels les personnes puissent se nourrir que nous pouvons les soutenir face à un entourage peu sensibilisé.

Le pouvoir technique et créatif, il s’agit ici de nos savoirs-faires et de nos compétences. Ainsi un ingénieur pourra inventer des objets d’usage plus robustes et moins gourmands en ressources, un artiste proposera une œuvre critique ou inspirante pour la société de demain, un enseignant mettra en œuvre une pédagogie transformatrice etc. Nous ne parlons pas cependant de pouvoir professionnel car toutes ces compétences peuvent être exercées en dehors du cadre de l’emploi où parfois les contraintes empêchent l’utilisation de ces compétences en vue d’une transformation sociale.

Cette liste n’est certainement pas exhaustive, elle élargit le spectre d’action. Elle peut servir de base dans une discussion sur les leviers d’action, en demandant par exemple à chaque participant·e d’identifier ses pouvoirs économiques, politiques, sociaux et techniques et pourquoi pas leur demander s’iels identifient d’autres types de pouvoirs.

Notons que ces pouvoirs sont évolutifs. En fonction de l’âge, de la période de la vie, de la situation professionnelle, ces pouvoirs changent. Nous travaillons aujourd’hui beaucoup avec des étudiant·es : certains vivent chez leur parents et/ou ont un pouvoir économique restreint mais à l’avenir, ils pourront faire eux-mêmes leur choix de consommation, auront de l’argent à investir, s’insèreront dans le monde professionnel où ils auront un pouvoir de décision, auront des enfants etc. Donner l’occasion aux participant·es d’identifier leur pouvoir futur, c’est leur donner l’occasion d’identifier les voies à emprunter pour faire des choix éclairés et s’inscrire dans le changement souhaité. Cela peut éviter ainsi de s’engager à l’aveugle et de se retrouver dans un phénomène de dépendance au sentier, où une fois engagé dans une voie il est difficile d’en changer. Notons également que ces pouvoirs sont inégalement répartis, le rôle de l’animateur·trice sera de soutenir le renforcement des pouvoirs d’uns et des autres dans une optique de capacitation [4]. L’idée également en miroir est que personne n’a tous les pouvoirs : un politique de haut vol, un chef d’entreprise aura aussi à son niveau des limitations dans son pouvoir d’action : parce qu’il y a des normes supranationales ou infranationales à respecter, la volonté des citoyen·nes et/ou des consommateur·trices à écouter etc. En tant qu’éléments du système, iels sont également interconnecté·es et donc limité·es aux autres et sujets à l’effet d’entrainement. Cette interdépendance invite à ne pas reporter toute la responsabilité du fonctionnement du système sur d’autres mais au contraire à chercher à évaluer la place que l’on a et les effets que l’on peut produire en fonction de celle-ci.

En conclusion, nous sommes aujourd’hui de nombreux animateur·trices à ressentir que l’on a dépassé le stade des constats. S’il est toujours utile de poser les problématiques et de proposer une analyse fine de celles-ci, nos publics sont déjà généralement bien au courant des dysfonctionnements du système, ils en sont parfois même déjà affectés directement et dans bien des cas les personnes sont anxieuses et déprimées par le contexte général – climat, guerre, pandémie, impasses politiques etc. En caricaturant, on pourrait considérer que le travail de sensibilisation est fait, il faut maintenant s’atteler plus intensément à la mise en action. Les questions qui se posent de manière aigue et que l’on retrouve chez nos publics sont « Peut-on quelque chose ? » « Si oui, quoi ? » et surtout « Comment ? Comment transformer le système ? comment enrailler ce qui déraille et construire autre chose ? ». Soutenir la prise de conscience que le système n’est pas quelque chose d’extérieur à nous qui nous surplombe et nous écrase mais que nous sommes partie prenante de celui, que là où nous sommes dans ce système, nous avons du pouvoir sur lui, petit ou grand en fonction de la position que nous occupons et que de là où nous sommes nous avons des leviers d’action politique, sociale, économique, technique est un premier pas nécessaire pour redonner espoir et s’engager dans la co-création d’un monde plus juste, égalitaire et durable.

Notes de bas de page

[1] Nous faisons référence ici à l’éducation permanente et à l’éducation à la citoyenneté mondiale dans lesquelles nous sommes actifs. La réflexion peut certainement être étendue à d’autres types d’éducation qui ont des objectifs de transformation sociale telle que l’éducation relative à l’environnement, l’éducation au développement durable etc.

[2] Notons que cette identification prioritaire des écogestes comme leviers d’action est assez éclairant sur notre culture sociale : il s’agit en effet d’actes individuels, qui mobilisent notre pouvoir économique et qui se réalisent dans le sphère domestique. Que les personnes y pensent en premier est révélateur une société ultra individualiste où les logiques économiques colonisent tous les aspects de la vie.

[3] Nous pensons ici à toutes les initiatives et modes de vie alternatifs (habitat partagé, coopératives, école à pédagogie alternative etc…) qui ne cherchent pas forcément à agir sur les cadres légaux mais construisent à côté pour faire la démonstration que d’autres modes d’organisation collective sont possibles et devenir sources d’inspiration pour d’autres fonctionnements socio-politiques.

[4] Capacitation: donner les compétences et capacité nécessaire aux individus pour qu’ils puissent se prendre eux-mêmes en charge.

Le commerce équitable Nord-Nord est-il la clé d’une consommation responsable ? – Analyse

Comment rivaliser avec la célèbre tarte aux fraises de votre maman tout en optant pour une consommation durable et responsable ? La réponse pourrait bien être à la fois sous vos yeux et à des kilomètres. Confrontés à de nombreux choix, nous sommes parfois perdus entre toutes les appellations, labels ou encore filières de production. Pourtant, opter pour une consommation durable et responsable peut s’avérer plus simple que ce qu’il n’y paraît… ce serait presque du gâteau !


Une analyse de Nathalie BLONDLET, diplômée du master en sciences de la population et du développement de l’Université de Liège

Lire l’analyse en version PDF

Lire l’analyse en version word


Le commerce équitable Nord-Nord est-il la clé d’une consommation responsable ?

Avant de présenter le commerce équitable Nord-Nord, parlons de ses racines, le commerce équitable Nord-Sud. Depuis quelques années, nous entendons souvent le terme « commerce équitable ». Nous le retrouvons sur de plus en plus de produits comme le café, les barres de chocolat, du thé… Mais quelles sont les valeurs et objectifs défendus par ce concept ?

Le commerce équitable comporte trois dimensions du développement (Favreau, 2005). La dimension économique avec des petits producteurs des pays du Sud vendant leurs produits à des pays du Nord à un prix équitable. La dimension sociale via le respect des conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) en matière de normes de travail et environnementales. La dimension environnementale par une orientation vers une certification « organique » provenant à l’origine des associations écologiques du Nord.

Autrement dit, le commerce équitable est un partenariat commercial réglementé qui s’inscrit dans les logiques du développement durable de manière à être un modèle d’économie éthique et responsable. Historiquement, le commerce équitable s’est d’abord développé via l’axe Nord-Sud. Ce terme signifie l’importation des produits des pays du Sud dans les marchés des pays du Nord afin d’y être vendus.

Le commerce équitable a vu le jour le lendemain de la seconde guerre mondiale. A cette époque, le commerce équitable solidaire est tourné vers des projets d’aide aux populations vulnérables victimes de la guerre ou de catastrophes. Entre 1960 et 1990, le commerce équitable représentait un commerce alternatif en lien avec l’idéologie du tiers-mondisme[1]. Au début des années 1990, est apparu ce qu’on peut appeler « le commerce équitable labelisé » avec tous les labels qu’on lui associe aujourd’hui (Blanchet & al, 2023). Ce concept a parcouru les décennies tout en s’adaptant au monde changeant de notre époque contemporaine.

Eclosio_image fraises

L’émergence du commerce équitable Nord-Nord

Vous souvenez-vous des faits marquants des années 2000 ? Le passage du Franc à l’Euro en 2002, les débuts de Facebook et de Twitter en 2006, le premier IPhone d’Apple en 2007 et la crise laitière de 2009… Pour rappel, ce dernier évènement a particulièrement secoué l’Europe. Les prix du lait ont chuté en-dessous des coûts de production. En Belgique, les agriculteurs et agricultrices ont déversé des millions de litres de lait sur les prairies (Enabel, 2023). Face à la crise, une série d’acteurs se sont mobilisés pour sauver des milliers d’agriculteurs menacés de faillite.

La crise laitière a permis l’installation et le développement du commerce équitable Nord-Nord en Europe. Celui-ci se veut être plus centré sur le caractère local des produits. La Belgique devient le terrain de nouvelles organisations comme Belgian Fair Trade Federation (BFTF), ainsi que des initiatives émanant de producteurs agricoles, de fédérations de producteurs comme Fairebel ou encore le Lait de la Baraque (Enabel, 2023). Par exemple, pour chaque litre de lait « Fairebel » vendu, la coopérative Faircoop rémunère de 10 cents supplémentaires ses producteurs (Oxfam-Magasins du Monde, 2013).

Depuis 2009, le commerce équitable Nord-Nord n’a cessé de s’étendre en termes d’acteurs mais aussi en termes de gammes de produits vendus. Et pour cause, les pays de l’hémisphère Nord continuent de traverser des crises telles que les crises économiques, énergétiques, sanitaires ou encore environnementales dues aux changements climatiques. Ces évènements ont créé un terrain favorable au commerce de proximité, aux produits dits « locaux ». Remémorez-vous, lors de la pandémie Covid-19, le boom qu’il y a eu pour les producteurs locaux. Selon l’étude de la Commission européenne sur l’impact de la Covid-19 sur le comportement des consommateurs, 81% des répondants ont acheté plus près de chez eux et ont soutenu les entreprises locales. 67% des consommateurs en 2020 ont déclaré qu’ils achetaient des produits plus respectueux de l’environnement même s’ils sont plus onéreux (Commission européenne, 2021).

Selon une étude d’Enabel, les ventes de produits équitables en Belgique en 2022 étaient de 34,6€ par personne, dont 27,8€ pour le commerce équitable Nord-Sud et 6,8€ pour le commerce équitable local belge (Enabel, 2023).

Local ? Délimite-moi si tu peux !

Le commerce équitable Nord-Nord reprend les principes du commerce équitable Nord-Sud. La différence se situe au niveau de la zone géographique. Comme son appellation l’indique, le commerce équitable Nord-Nord est un commerce entre les pays du Nord. Celui-ci porte l’étiquette d’un commerce de solidarité locale.

Toutefois, il est important de noter l’ambiguïté de la notion de “local”. Celle-ci définit un espace élastique qui s’étire en fonction des pratiques des acteurs. De plus, le local est soumis à des effets de dilatation et de contraction qui évoluent dans le temps (Consalès et al, 2022).

Imaginons que vous devez réaliser une tarte aux fraises et vous mettez un point d’honneur à consommer local. Vous regardez les ingrédients de la recette et vous vous rendez compte qu’il va vous falloir acheter trois produits : une demi-douzaine d’œufs, un ravier de fraises et de la farine. Pour les œufs, vous connaissez un agriculteur dans un village voisin. Il n’y a pas de doute pour vous, ces œufs sont plus locaux que ceux qui proviennent d’élevages aux quatre coins de la Belgique. Ensuite, pour les fraises vous choisissez celles qui viennent de Flandre car c’est quand même plus local que les fraises venant de France. Enfin, il vous reste la farine. Vous connaissez un moulin, il est au nord du Grand-Duché du Luxembourg et en plus, sa farine est certifié Bio, ce sera parfait pour votre délicieuse tarte aux fraises ! Vous pouvez désormais démontrer vos talents de grand chef pâtissier.

Cependant, si nous nous penchons sur ces produits locaux, nous pouvons percevoir différentes dimensions locales. Nous avons des œufs du village voisin, des fraises de Flandre et de la farine d’un autre pays. Nous sommes sur des aires géographiques différentes, pourtant, selon vous, vous avez consommé local. La notion de local est difficilement arrêtable.

De plus, d’autres facteurs peuvent faire varier la notion de local. Comme par exemple, les moyens techniques tels que les transports ou encore les échelles administratives (Consalès et al, 2022). C’est pourquoi la notion de « local » reprend différentes échelles de valeurs, qui peuvent se compter en kilomètres, en échelle régionale, nationale ou encore entre des pays du Nord.

En bref,  les territoires dits locaux mettent en jeu toutes sortes de ressources et d’interactions à moyenne, grande ou très grande distance. En ce sens, comme le dit Pierre Veltz : « le local n’est souvent guère plus qu’une illusion d’optique » (Veltz, 2020, p. 44). Ce qui complexifie la possibilité d’en tirer une définition unique et partagée.

Pourquoi le local a tellement de swipes à droite[2] ?

Le local est la star du moment ! En 2021, le commerce équitable international (vendu en France) avait dépassé 1 300 millions d’euros tandis que le commerce équitable origine France atteignait 700 millions d’euros (Commerce Equitable France, 2022). Au total, sur les 2 millions d’euros, le commerce équitable local représente 35%. Cette proportion augmente d’année en année.

La succession de crises au Nord est un facteur important dans cette évolution du « local ». Le commerce équitable Nord-Nord semble accompagner l’évolution des souhaits de nombreux citoyens et de consommateurs autour d’un désir identitaire local et/ou national en opposition à une mondialisation perçue comme menaçante (Salliou, 2018). Ce qui est local est considéré comme bon par principe, tandis que ce qui ne l’est pas suscite une défiance par principe (Veltz, 2020).

Si le commerce équitable Nord-Sud est ouvert avec la mondialisation, le commerce équitable Nord-Nord, quant à lui, résonne avec le localisme (Salliou, 2018).

Les circuits courts sont également vus comme une manière de rouvrir des commerces de proximité, d’embaucher ou favoriser l’installation des jeunes de la région. Les acteurs agissants dans les circuits opèrent en faveur d’un développement local, dont ils bénéficieront (Le Velly, 2011). Le local peut être ainsi saisi comme une protection, un refuge ou encore un refus opposé à ce qui est apparu de plus en plus comme une menace pour les identités historiques (Veltz, 2020). Le Localisme est une forme de protection contre « l’extérieur ».

Le localisme fait écho à l’émergence d’une nouvelle phase historique marquée par les priorités nationales plutôt qu’internationales (Salliou, 2018). La caractéristique locale d’un produit est devenue tellement importante, qu’elle est de loin la principale priorité des répondants (Enabel, 2021). Et même les entreprises s’y mettent, par exemple, l’entreprise Danone considère que l’origine locale des produits a une importance plus élevée que le tournant vers le bio (Veltz, 2020).

Le commerce équitable Nord-Nord a émergé en tant que réaction aux multiples crises rencontrées dans les pays du Nord. Un enjeu majeur pour le commerce équitable Nord-Nord est de s’adapter aux changements des attentes des consommateurs influencées par les crises qui redéfinissent leurs priorités, leurs préoccupations et leurs demandes (Blondlet, 2024).

Le bazar des labels : où la confusion devient tendance

Nous ne vous apprenons rien en écrivant que le label est un repère visuel permettant à chacun de comprendre rapidement si le produit est bio, éthique, écologique, venant du commerce équitable, local, etc…

Cette labélisation a été très bénéfique pour le commerce équitable car ça lui a permis de passer d’une activité associative à une filière agroalimentaire comparable à celle de l’agriculture biologique (Poret, 2007). Cependant, la multiplication des labels a entraîné une grande confusion chez les consommateurs (Oxfam-Magasins du Monde, 2013). En effet, cette prolifération pose un problème de visibilité et de cohérence des informations transmises aux consommateurs (Ballet & Carimentrand, 2006). De plus, des labels du commerce durable ont émergé en profitant de leur flou identitaire, notamment grâce à leur proximité avec les labels du commerce équitable (Oxfam-Magasins du Monde, 2013). Pour simplifier la distinction entre ces deux termes très semblables, le commerce durable est moins exigeant au niveau des critères sociaux que le commerce équitable et ce dernier est moins focalisé sur les impacts environnementaux que le commerce durable.

Ajoutez à ça ces labels spécialisés dans le commerce équitable Nord-Nord, par exemple avec le label Bio Equitable en France… et voilà, nous, consommateurs, nous perdons le nord.

Eclosio_logos commerce équitable

Dans cette myriade de labels (belges, européens ou non) choisis pour l’exemple, nous pouvons y retrouver des labels tels que le bio, le local, l’appellation d’origine protégée, le commerce équitable, de programmes de durabilité. Des labels assez courants et qui sont parfois cumulés avec d’autres. Sur les quatorze ici proposés, combien en avez-vous reconnus ? Vous pouvez tous les retrouver sur le site infolabel.be[3] pour vérifier votre score !

De plus, dans ce désordre de labels, certains ont été créé par les entreprises elles-mêmes, sans nécessairement une vérification du respect des critères par des organismes indépendants. Le label est devenu au fil du temps un argument de vente. Si vous souhaitez un coup de pouce pour les reconnaitre, Belgian Fair Trade Federation propose un guide [4] . Le site infolabel.be également.

Une cohabitation idéale entre produits presque jumeaux

Si d’un côté nous percevons l’importation de produits pouvant être disponibles localement comme écologiquement questionnable (Le Velly, 2011), nous devons nous rendre à une évidence : certains produits ne pourront pas être produits en Belgique ou dans nos pays voisins. Le café est un exemple.

De ce fait, une voie choisie par les acteurs du commerce équitable est celui de vendre des produits provenant des deux types de commerces et d’effectuer ainsi une cohabitation entre les gammes de produits (produits Nord-Nord et produits Nord-Sud). Leur offre se décline comme suit. Le commerce équitable Nord-Nord s’articule autour des marchandises pouvant être produites dans nos contrés. Tandis que le commerce équitable Nord-Sud se concentre davantage sur les produits ne pouvant pas être cultivés chez nous. Grâce à cette répartition des gammes de produits nous pouvons éviter de mettre en concurrence directe des pommes de la région Liégeoise avec des pommes d’Afrique.

Le commerce équitable Nord-Nord est perçu comme une expansion du commerce équitable pour les acteurs de ce domaine. Un produit Nord-Nord n’est pas meilleur qu’un produit Nord-Sud et vice versa. Les acteurs veulent permettre aux deux commerces équitables de se développer et veillent à ce que la cohabitation se passe sereinement.

Et c’est ainsi que les deux commerces équitables vécurent côte à côte et eurent beaucoup de succès.

Pas tout à fait ! Si le discours se veut égalitaire, la pratique montre une différenciation entre les gammes de produits Nord-Nord et Nord-Sud. Comme expliqué dans le point ci-dessus, la zone géographique est une caractéristique centrale dans la répartition des produits dans les gammes. Cependant, le caractère local est une demande en constante augmentation au sein de la population.

Des trois organismes interviewés[5] tous effectuent une distinction entre les produits en fonction de la zone géographique de provenance. Par exemple, dans une boutique, vous pourriez retrouver tous les produits locaux sur une étagère bien précise, sur le E-shop d’une ONG une classification des produits qui comprend la division « fournisseur du Nord » et « partenaires-producteurs du Sud » . Ou encore, un organisme possède deux marques distinctes dont une qui regroupe tous les produits Nord-Nord de cet organisme.

Sortons une minute du monde des acteurs de la coopération au développement et regardons nos grandes surfaces. Vous avez déjà sûrement vu cette séparation, entre les sites en ligne qui mettent un onglet pour les produits locaux, les supermarchés qui créent des visuels pour montrer les produits belges ou encore la campagne de Delhaize qui change son nom en Belhaize pour soutenir l’agriculture belge. Le caractère local est devenu bien plus qu’une caractéristique, c’est désormais un argument de vente.

En plus de cette différence entre les gammes (Nord-Nord et Nord Sud) et leurs labels, une autre s’est également développée ces dernières années : des labels spécifiques au commerce équitable local. Ces nouveaux labels propres au commerce équitable Nord-Nord posent également un problème de visibilité pour le consommateur. Une pluralité de labels cause ainsi des difficultés au consommateur pour comprendre et identifier correctement le label.

En résumé, les acteurs du commerce équitable soutiennent une cohabitation complémentaire des produits, n’en mettant pas en avant les uns plus que les autres. Cependant, la différenciation se trouve dans la structuration des gammes et dans la pluralité des labels apposés sur les produits.

Comment faire son choix dans cette myriade d’options ?

Vous ne savez quels produits choisir entre les produits locaux, bio et du commerce équitable ? Vous pourriez être tenté par choisir le produit local car il ne doit pas faire le tour du monde pour parvenir jusqu’à votre assiette et vous connaissez même peut-être les cultivateurs. Cependant, local ne veut pas forcément dire « meilleur choix ». Qu’en est-il des pesticides utilisés sur les fraises ? Nous ne savons pas toujours ce qu’il peut se cacher derrière la belle image du produit local.

Vous serez tenté de jeter votre dévolu sur les produits bio. Là, vous êtes sûr qu’il y a des normes pour que les produits soient bons pour votre santé. Certes, mais savez-vous comment ceux-ci sont transportés ? Des fraises du sud de la France acheminées en Belgique par camions seront plus polluantes que des fraises ayant voyagées en avion. Pour l’écologie, nous avons déjà vu mieux.

Vous vous tournez alors vers les produits du commerce équitable Nord-Sud. Au moins, il y a des normes au niveau économique, environnemental et social. Donc, par logique, le produit devrait être meilleur que les autres même s’il vient de l’autre bout du monde. Une confiture de fraises venant du commerce équitable Nord-Sud pourrait coûter deux fois moins chère que celle d’une ferme de nos régions. Attirez par la différence de prix, vous seriez peut-être tenté de faire une bonne affaire. Toutefois, souvenez-vous qu’il n’y a pas le même coût de production entre ces différentes parties du globe. Achetez un produit d’ailleurs c’est également prendre un risque de déforcer les entreprises locales et avant cela, nos producteurs locaux.

Et si la solution était de consommer des produits du commerce équitable Nord-Nord ? Il peut combiner plusieurs aspects intéressants si nous souhaitons nous orienter vers une consommation responsable. Notons que les gammes se développent progressivement mais restent encore limitées. De plus, pour certains produits, il faut être prêt à débourser plus d’argent que leurs homologues en supermarchés, ce qui n’est pas forcément possible pour tout le monde. Finalement, si le commerce équitable Nord-Nord ne représente pas la solution tant attendue, il mérite néanmoins d’être soutenu afin qu’il puisse se développer et pouvoir concurrencer les produits des supermarchés.

 Il est l’heure de mettre la main à la pâte !

Avant de vous lancer directement dans la création d’un potager maison pour cultiver, en autres, des fraises, il existe des pistes pour consommer responsablement et durablement. Si vous cherchez The solution miracle, sachez qu’elle n’existe pas. Car consommer c’est réaliser un choix. S’il est facile de s’y perdre parmi tous les choix de produits, pas de panique, nous pouvons commencer pas après pas !

Portez votre attention sur vos achats, renseignez-vous de la provenance, des conditions d’exploitations, … Soyez attentif à ce dont vous achetez, c’est le premier pas d’une consommation responsable et durable. En attendant d’avoir des possibilités de consommation qui rempliraient l’ensemble des critères de durabilité, consommer en fonction de ce que vous trouvez le plus important au regard de vos idéaux, de vos valeurs, choisissez les éléments qui vous aideront à prendre vos décisions en tant que consommateur. Vous êtes maitre de votre consommation et responsable de celle-ci.

De plus en plus d’initiatives naissent et permettent aux consommateurs un choix alternatif aux supermarchés. Des agriculteurs décident de créer une petite boutique avec leurs produits, des marchés locaux et bio se développent, des évènements rassemblant des producteurs issus du commerce équitable s’organisent, … La vie communautaire regorge de plus en plus de possibilités de consommation.

Enfin, sur le plan international, il reste encore des actions à mener. Certains labels, certaines ONG mettent en place des structures permettant de respecter des critères de durabilité sur le plan économique, environnemental et social. Le commerce équitable se développe d’année en année mais ne couvre pas encore la plupart des produits.

Le futur est en pleine construction et nos modes de consommation pourront être modifiés par de nombreux facteurs. Est-ce que le dérèglement climatique permettra l’agriculture de produits de type « exotique » dans nos contrés ? Est-ce que le commerce équitable Nord-Nord mettra à mal le commerce équitable Nord-Sud ? Est-ce que la situation politique donnera des coups d’accélérateurs aux évolutions positives et durables des marchés ?

Parmi toutes ses questions sur notre avenir, gardons en tête ceci : si les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain, nos choix de consommation d’aujourd’hui sont leurs possibilités de consommation de demain. Ainsi, chaque geste compte, car il dessine les contours du monde que nous leur laisserons en héritage.

 

Bibliographie 

Ballet J., & Carimentrand A., (2006). La consommation engagée et l’institutionnalisation économique du commerce équitable. Économie et Solidarités, n° 2, p. 42‑56. https://ciriec.ca/pdf/numeros_parus_articles/3702/ES-3702-04.pdf

Blanchet, V., Coulibaly-Ballet, M., Fournier, S. & Righi, L. (2023). Les nouveaux périmètres du commerce équitable. Revue de l’organisation responsable, 18, 6-22. https://doi.org/10.54695/ror.182.0006

Blondlet, N. (2024). Stage et mémoire : « Comment l’adoption du commerce équitable Nord-Nord transforme-t-il le commerce équitable au niveau de ses stratégies de vente ainsi que de son identité ? ». (Unpublished master’s thesis). Université de Liège, Liège, Belgique. Retrieved from https://matheo.uliege.be/handle/2268.2/21265

Commerce Equitable France (2022). Observatoire du commerce équitable 2021. https://www.commercequitable.org/wp-content/uploads/cef-observatoire-commerce-equitable-2021.pdf

Commission européenne (2021). Données clés sur les consommateurs en 2020. Consulté le 24 juin à l’adresse https://commission.europa.eu/document/download/f9ad98fe-c8b9-422a-8f95-0179bc969147_fr?filename=120321_key_consumer_data_factsheet_fr.pdf

Consalès, J., Guiraud, N. & Siniscalchi, V. (2022). Les expériences du « local ». Variations et tensions autour de l’alimentation locale dans la région marseillaise. Natures Sciences Sociétés, 30, 58-71. https://doi.org/10.1051/nss/2022019

Enabel (2021). Enquête d’opinion consommation responsable. Rapport complet. https://www.tdc-enabel.be/wp-content/uploads/2021/09/Rapport-complet_enquete_consommation-res_2021.pdf

Enabel (2023). Le commerce équitable local belge et européen. 2ème édition. https://usercontent.one/wp/www.tdc-enabel.be/wp-content/uploads/2023/03/Le-commerce-equitable-belge-et-europeen-2e-Ed.pdf?media=1639485290

Favreau, L. (2005). Commerce équitable, économie sociale et coopération internationale : les nouveaux croisements. Revue Interventions économiques [En ligne], 32 | 2005, https://doi.org/10.4000/interventionseconomiques.878

Le Velly, R. (2011). Si loin, si proches : la difficile association entre circuits courts et commerce équitable. Revue Tiers Monde, 207, 133-149. https://doi.org/10.3917/rtm.207.0133

Oxfam-Magasins du Monde (2023). Rapport annuel 2023. Consulté le 22 juin 2024 à l’adresse https://oxfammagasinsdumonde.be/content/uploads/2024/06/Rapport-Annuel-2023-1.pdf?_gl=1*a32yve*_gcl_au*NTk5MjI4OTEuMTcxNjk4MTA1NQ..*_ga*ODA2NTE2MDgwLjE3MDg4NzE5OTE.*_ga_4TFCC4HR49*MTcxOTA1NTIzNy45LjEuMTcxOTA1NjA4Mi41MS4wLjA

Poret, S. (2007). Les défis du commerce équitable dans l’hémisphère Nord. Économie rurale, 302, 56-70. https://doi.org/10.4000/economierurale.2083

Salliou, N. (2018). Le commerce équitable : d’un projet alternatif à l’accompagnement de la mondialisation. Pour, 234-235, 135-141. https://doi.org/10.3917/pour.234.0135

Veltz, P. (2020). Le tournant local : puissant et ambivalent. Constructif, 55, 39-45. https://doi.org/10.3917/const.055.0039

 

Notes de bas de page

[1] Le tiers-mondisme est un courant de pensée et un mouvement politique, idéologique et militant qui a émergé dans les années 1950-60. Il s’agit d’une vision solidaire envers les pays du « tiers-monde » (terme désignant les nations en développement).

[2] Faire un swipe à droite fait référence aux applications de rencontre comme Tinder.  Quand le  profil d’un potentiel partenaire vous plait, vous glissez sa photo de profil vers la droite de l’écran. Ensuite, vous espérez qu’il fera de même avec votre photo afin que l’application vous permette de discuter ensemble.

[3] https://www.labelinfo.be/fr

[4] http://www.bftf.be/IMG/pdf/guide_des_labels_bftf_internet-compresse.pdf

[5] Cette analyse est une production originale inspirée du mémoire « Comment l’adoption du commerce équitable Nord-Nord transforme-t-il le commerce équitable au niveau de ses stratégies de vente ainsi que de son identité ? » , mémoire réalisé par Nathalie Blondlet dans le cadre du master en sciences de la population et du développement en 2024 de ULIEGE. https://matheo.uliege.be/handle/2268.2/21265

Fabriek Paysanne : construire la souveraineté technologique dans l’ère du « tout numérique » – Analyse


Une analyse de Coline PREVOST, diplômée du master en agroécologie (ULiège/ULB)

Lire l’analyse en version PDF

Lire l’analyse en version Word


Alors que l’agriculture numérique s’impose comme une voie unique pour répondre aux crises agricoles et écologiques, des collectifs paysans militants dessinent d’autres chemins d’innovation, en marge des logiques capitalistes et au plus près des communautés paysannes. 

À la fin de l’été 2023, la faculté de Gembloux (ULiège) clôturait le projet AGreenSmart Erasmus+ avec plusieurs conférences sur l’agroécologie et l’agriculture numérique : Smart technology to support Agro-ecological transition | Opportunity or obstacle ?1 Si l’agroécologie dénonce et lutte en son sein contre l’agriculture industrielle, la technologie n’a pas d’antonymes. Pourtant le mariage des deux termes fait souvent débat. Bien que certains objectifs soient semblables entre la Smart Agriculture et l’agroécologie (alimentation saine et durable, amélioration des conditions de travail et de vie), ces deux paradigmes mobilisent des narratifs, des acteur·rices, et des stratégies parfois contrastées qui auront des conséquences sociotechniques radicalement différentes sur nos façons d’innover – dans quelles infrastructures, avec quel·les acteur·rices et quels moyens, etc. – et plus largement sur nos sociétés – les formes de travail, les modèles économiques, la justice sociale, les modes de gouvernance, la distribution des ressources. 

L’agriculture 4.0

L’agriculture numérique est un « ensemble d’outils, de pratiques et de plateformes « high-tech » pouvant être appliqués à l’agriculture, des drones et robots de récolte jusqu’aux sites d’e-commerce en passant par les cultures génétiquement modifiées » (L’autonomie confrontée à l’AgTech, 2023)

Les systèmes agricoles ont toujours été source et terrain d’innovations et d’améliorations. Si les objectifs recherchés ont sensiblement toujours été les mêmes – optimiser les systèmes de production, améliorer la qualité et la productivité des semences, améliorer les conditions de travail des humains –, la méthodologie employée pour innover a beaucoup changé. Les communautés agricoles, pendant des milliers d’années protagonistes des nouvelles techniques agricoles, ont progressivement disparu du processus d’innovation en agriculture qui s’est déplacé dans les universités et centres de recherche, mais aussi dans les entreprises privées. Cette privatisation du savoir a transformé l’innovation en un lieu de spéculation et de promesses spectaculaires, l’agriculture numérique étant la dernière en date. 

L’agriculture numérique, ou AG 4.0 se matérialise via diverses technologies numériques, lesquelles reposent de manière générale sur un système économique globalisé (de l’extraction des ressources premières à la commercialisation en passant par leur utilisation), et une lourde infrastructure sociale, réunissant différents acteurs de l’agro-industrie, de l’industrie numérique, des biotechnologies et de la finance (A growing culture et al., 2023). Les orientations technico-économiques en agriculture sont donc le fruit d’un consortium de personnes et d’organisations éloignées des réalités socio-matérielles de l’agriculture, produisant ainsi des solutions techniques standardisées, parfois coûteuses, et souvent déconnectées des besoins agricoles. Or, c’est à celles et ceux qui subissent la transformation de leurs conditions de travail et de vie engendrée par les nouvelles technologies agricoles d’en déterminer l’horizon2. 

Si l’agriculture numérique paraît parfois futuriste3, elle est la continuité logique du modèle corporatiste et dirigiste qui oriente les décisions technico-économiques en agriculture depuis une soixantaine d’années. En d’autres termes, les entreprises (semences, produits phytosanitaires, engrais, machines agricoles) et les Etats (via les subventions, les régulations, etc.) jouent un rôle central dans les orientations agricoles. Aujourd’hui, les entreprises qui investissent dans le Big Data4 agricole sont les mêmes que celles qui contrôlent le marché des semences, des OGM5 et des intrants chimiques, et l’on peut craindre un contrôle des systèmes alimentaires par quelques grandes corporations.   

 

Eclosio_ Fabriek Paysanne : construire la souveraineté technologique dans l’ère du « tout numérique »_Par Coline PREVOST, diplômée du master en agroécologie (ULiège/ULB)

Clarote for Coding Rights (Numéro de licence CC BY-NC-ND)

 

Bien qu’elle promette des solutions révolutionnaires, l’agriculture numérique ne modifie pas, ou superficiellement, les structures de pouvoir actuelles telles que la mainmise de quelques grands groupes sur le marché des semences, des engrais, de l’irrigation, ou encore la faible rémunération des agriculteur·rices quand les grandes surfaces réalisent de grands profits6. Le développement technologique est pensé dans les mêmes structures qu’à la seconde moitié du XXe siècle (entreprises, start-ups, centres de recherche, gouvernements) et motivé par des impératifs similaires : perspectives de profit, impératif de productivité, nécessité de nourrir une population grandissante, compétitivité internationale. Il n’y aurait donc « rien de neuf sous le soleil avec l’agriculture numérique » (Martin & Schnebelin, 2023), avec un discours sensiblement similaire à celui d’après-guerre. L’agriculture numérique, ou de précision, incorpore cependant les critiques historiques qui sont faites à la modernisation agricole au travers de nouvelles promesses : diminution des émissions de gaz à effet de serre, stockage de carbone, réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires en les appliquant juste là où c’est nécessaire. Elle est par ailleurs marquée par l’arrivée de nouveaux acteurs importants, notamment des technologies numériques et du Big Data : Microsoft, Amazon, Google, etc. En effet, le numérique alimente d’une façon nouvelle le capitalisme via les nombreuses données qui sont générées sur les fermes, et qui permettent aux entreprises du Big Tech de s’enrichir en se les appropriant. Il y a donc un double mouvement de reproduction de discours et de technologies dominantes présumées plus « vertes » ; et de renouvellement des formes d’accumulation capitalistes via la génération et l’appropriation des données numériques7 

« Au-delà d’une transition effective des pratiques, les technologies numériques en agriculture se sont imposées avant tout comme un secteur d’investissement public et privé dans l’innovation. » (Oui, 2023) 

Gouvernance technologique

Dans les pays du Nord, les programmes d’innovation pour l’agriculture8 s’orientent vers la promotion des technologies numériques et y voient un moyen de lier écologie et compétitivité. L’agriculture numérique remplit le vide laissé par les gouvernements et leur permet de repousser certaines décisions politiques, renforçant ainsi des situations d’oppression injustes. Par exemple, aux Etats-Unis, où les élevages laitiers font intervenir beaucoup de main d’œuvre immigrée, le robot de traite permet d’automatiser cette activité sans répondre à la demande de reconnaissance des droits sociaux des travailleur·ses migrant·es (Nelson et al., 2024). L‘agriculture numérique joue la carte de la promesse auprès des agriculteur·rices ; celle de produire plus, de travailler moins, de vivre mieux en somme. Elle propose des solutions concrètes et rapides à mettre en place pour répondre à des problèmes urgents : le manque de rémunération, les dettes, la charge de travail, etc. L’effet d’annonce est grand et les technologies numériques sont promettantes. Oui, mais à quel prix ? (Carolan, 2023). 

L’accélération de la numérisation empêche d’appréhender les incertitudes qui l’accompagnent : le coût environnemental de cette transition, le renforcement des inégalités, le risque de laisser de côté les agriculteur·rices qui n’adoptent pas ces technologies, le renforcement de la séparation nature/culture du fait de l’abstraction liée à ces outils9, la perte de savoir-faire et de compétences laissés aux technologies (par exemple la traite, l’observation des cultures, ou encore la prise de décision). La numérisation agricole n’est pas neutre : elle transforme durablement nos façons de travailler et de communiquer, nos territoires et nos corps. On peut par exemple voir que les circuits sur lesquels reposent le développement et le fonctionnement des technologies numériques reproduit une géographie coloniale10: d’apparence verte chez nous, elle est source de pollution et d’oppression ailleurs11. L’agriculture numérique est une des façons de répondre à l’urgence écologique et sociale mais elle a tendance – de par la vision unique du progrès qu’elle transporte, du pouvoir décisionnel et opérationnel des acteurs et des structures qui la soutiennent – à effacer les autres manières d’y faire face (Arora et al., 2020) 

L’agroécologie paysanne est une de ces alternatives. Elle propose des balises intéressantes pour penser d’autres façons d’innover et de faire société – justice sociale ; déconstruction des dominations de genre, de race et de classe ; ancrage sur le terrain ; valorisation des connaissances et des savoir-faire des paysan·nes et agriculteur·rices – réinventant le rapport entre technologie et agriculture. On dit aussi que l’agroécologie paysanne est une agroécologie « forte » car elle intègre les questions politiques et sociales inhérente à la transition des systèmes alimentaires (vision des mouvements sociaux, tels que La Via Campesina), à l’inverse d’une agroécologie « faible » qui s’intéresse surtout aux questions techniques, agronomiques et de biodiversité (souvent la vision des gouvernements).

A ce propos, Growing Culture et ETC Group proposent un guide méthodologique pour décoder les récits que les entreprises développent autour de l’AgTech, ou agriculture numérique (A growing culture et al., 2023) :

  • Qui propose ces solutions ? Pour qui ?
  • Quelle vision de l’agriculture soutiennent ces solutions ?
  • À qui profitent-elles ? Qui est laissé de côté ?
  • Qui peut refuser ces technologies ?
  • Quelle est la place des agriculteur.rices dans le développement de la technologie et dans sa maintenance ?
  • Sur quels types de liens sociaux et économiques reposent ces technologies ?
  • Est-ce que le dispositif est reproductible ? Par qui ?

Méthodiquement posées et pensées comme des boussoles, ces questions permettent de garantir les conditions d’un développement technologique au service de l’autonomie paysanne.

Pensée dans la continuité de la souveraineté alimentaire12 et d’une agroécologie « forte », la souveraineté technologique s’inscrit dans une démarche d’autonomisation des paysan·nes vis-à-vis des espaces de décision et de développement usuels. Il y a donc une dimension contestataire et technocritique13 au sein de ce mouvement. 

Fabriek Paysanne14

Fabriek Paysanne est un collectif paysan basé à Bruxelles qui accompagne les paysan·nes dans leur souveraineté technique. Au départ de Fabriek Paysanne, il y a une volonté collective de contribuer au changement écologique et social, et de réfléchir à une façon de travailler qui a du sens et qui s’articule autour de valeurs partagées – autogestion, travail des mains, anticapitalisme, horizontalité – et d’un constat : « la question agricole et paysanne est au cœur des luttes écologiques, sociales, antipatriarcales, décoloniales » (Ol de Fabriek Paysanne, 2024). Le militantisme de Fabriek Paysanne se matérialise à travers des outils, et ces derniers sont envisagés au-delà de leur dimension fonctionnelle ; ils sont la démonstration concrète d’une alternative aux chemins classiques d’innovations en agriculture. 

Le collectif accompagne les paysan·nes dans leur autonomie technique via la co-conception d’outils agricoles, la réalisation de réparations ou de chantiers sur ferme et la formation à l’autoconstruction (travail du métal et prise en main d’outils). Ces espaces sont tous des lieux de construction collective, d’échanges de savoirs et de connaissances, mais diffèrent dans leur mécanique et le type d’autonomisation qu’ils permettent. Par autonomisation on entend le fait, pour un groupe social donné, de disposer de ressources matérielles, cognitives, et de savoir-faire dans un milieu donné, afin de répondre à des besoins définis collectivement. Par exemple les outils agricoles développés en co-conception sont réparables à la ferme, avec peu de matériel, et les formations permettent d’acquérir les compétences nécessaires pour faire ces réparations. Les différents espaces d’accompagnement technique dialoguent et construisent ensemble un terrain d’autonomie technique pour les paysan·nes. 

Pourquoi « paysan·ne » ?

Le terme paysan·ne a connu de nombreuses variations historiques et géographiques mais il est aujourd’hui utilisé pour se démarquer politiquement de l’agriculteur·trice, et par extension de l’agriculture conventionnelle. Auparavant terme d’oppression, plusieurs organisations syndicales et/ ou associatives qui luttent pour la reconnaissance et la défense de ce mode d’agir paysan se sont réapproprié le terme afin d’inspirer l’action collective des mouvements ruraux (Edelman, 2013). C’est un terme qui diffère de l’agriculteur·trice et qui met en avant d’autres valeurs et façons de travailler. Dans Que ma joie demeure, Giono (1998) raconte les paysans qui « sèment pour eux » tandis que les ouvriers agricoles « sèment contre eux ». Van der Ploeg identifie plusieurs caractéristiques de la condition paysanne : la recherche de minimisation des coûts et des intrants, la diversification des cultures, la préférence pour les relations coopératives aux relations monétaires, la quête d’autonomie (Van der Ploeg, 2009, cité dans Edelman, 2013).

Des outils par et pour les paysan·nes

J’ai choisi d’explorer15 le dispositif de co-conception afin de comprendre la particularité du processus d’innovation de Fabriek Paysanne, et de mettre en évidence la méthodologie employée par le collectif en retraçant le parcours de développement d’un outil réalisé en co-conception : la Kabalèze. Cette démarche permet de mettre à jour comment sont négociés les choix techniques, comment sont prises les décisions, qui intervient dans le processus, et constitue un moyen intéressant pour développer une réflexion critique sur les objets qui nous entourent car oui, les objets sont politiques (Winner, 1980). 

Prenons l’exemple de la faux et de la moissonneuse. Ces deux outils ont la même fonction, celle de faucher, mais se distinguent par les environnements sociotechniques et les imaginaires auxquels ils renvoient car ils s’adressent à des échelles de production, des usager·es, des pratiques culturales et des rythmes de travail différents (les moissonneuses sont par exemple équipées de lumières et permettent ainsi de travailler la nuit). Ils incluent certain·es usager·es et leurs pratiques, en excluent d’autres, et reposent sur des ressources sociales et matérielles différentes. La faux pourrait être qualifiée d’ « outil paysan » en ce qu’elle permet une « maîtrise intellectuelle et pratique du fonctionnement des outils » (Sallustio, 2020), tandis que la moissonneuse suggère de plus grandes échelles de production, quoique pas nécessairement industrielles. 

Ainsi, la Kabalèze, un des outils développés en co-conception par Fabriek Paysanne, semblait être un point de départ intéressant pour développer ce type d’analyse politique de l’outillage. La co-conception a été pensée par le collectif dès le début comme une façon de produire des outils en partant des besoins du terrain et des pratiques des paysan·nes. Plusieurs idées et besoins convergeaient vers l’idée d’une charrette de récolte qui serait plus stable et plus grande qu’une brouette.  

« J’avais envie de développer l’équipement le plus léger possible et non motorisé. Donc c’était l’idée d’avoir un outil qui permettait de repiquer, de récolter de manière non motorisée et qui optimisait un petit peu le fonctionnement qu’on avait de base. » (Sébastien, maraîcher, 2024)

Image d'une kabalèze

Photo personnelle, ferme de la Grange Cocotte, juin 2024

 

Si l’idée paraît simple au départ, il s’agit d’un parcours non-linéaire qui fait montre d’un réel arbitrage collectif et de mises en débat. La Kabalèze traverse des épreuves successives sur le terrain (pratiques des maraîcher·es, topographie) et à l’atelier (contraintes et capacités techniques), qui permettent un réajustement continu des besoins auxquels répond l’outil. Il ne s’agit pas ici de décrire en détail le parcours de cet outil, mais certains exemples illustrent bien les compromis qui sont faits pendant son parcours. 

Les premières Kabalèze sont construites avec des roues de vélo réemployées. Le recyclage n’est pas envisagé comme une pratique vertueuse en soi, mais comme un moyen de permettre aux maraîcher·es de changer facilement une roue qui viendrait à se casser. Le recyclage est donc un moyen pour rendre la charrette réparable à la ferme. C’est en produisant huit prototypes de Kabalèze à la chaîne que la Fabriek s’est rendu compte des inconvénients de ce choix technique : le recyclage prend du temps. L’un des objectifs de Fabriek Paysanne est cependant de produire les outils les moins chers possibles afin qu’ils restent économiquement accessibles. Tout au long du processus d’innovation, des valeurs sont ainsi négociées – ici entre l’accessibilité et la réparabilité.  

Par ailleurs, certain·es maraîcher·es ne sont pas présent·es au départ des discussions collectives mais nourrissent l’évolution de la Kabalèze autrement, notamment en la testant sur leur champ et en proposant des ajouts/modifications. Ainsi, la mise à l’épreuve de la Kabalèze dans plusieurs fermes met à jour de nouveaux besoins, qui seront intégrés ou pas dans l’outil selon qu’ils sont complexes et chronophages à réaliser, mais qui feront en tout cas l’objet d’une discussion collective au sein de la Fabriek et avec les maraîcher·es.  

« Dans toutes nos options on avait besoin de savoir si les changements qu’on allait faire qui allaient influencer la Kabalèze est-ce que c’était un vrai problème pour les gens qui l’utilisent maintenant » (Vic de Fabriek Paysanne, 2024) 

Les valeurs et priorités négociées – accessibilité, réparabilité, inclusivité – sont engagées vers une démarche de rupture avec les logiques capitalistes de production standardisée et de diffusion à grande échelle. La co-conception est un moyen de socialiser la production d’outils agricoles et d’en faire une activité créatrice, collective et politique au service d’intérêts collectifs plutôt que privés. 

Renouveler la culture technique…et les imaginaires

Les adaptations et les réglages sont inhérents aux outils paysans. C’est leur propre que de s’adapter aux conditions pédoclimatiques et au projet cultural de la ferme (Clerc, 2020). Des chercheuses parlent de « technologie fluide » pour décrire l’objet technique dont « les frontières ne sont pas trop rigoureusement fermées, qui ne s’impose pas mais sert, qui est adaptable, flexible et répondant » (de Laet & Mol, 2000, p. 252). Fabriek Paysanne, en ouvrant la porte aux adaptations, et ce même dans la phase de mise en production de plusieurs modèles en série, démontre sa capacité à intégrer la diversité, plutôt qu’exclure les spécificités. Si le collectif s’adapte aux conditions de terrain, aux paysan·nes et à leurs pratiques, c’est parce qu’il est pensé dans une volonté de mise au service des paysan·nes plutôt que dans une recherche de profit et de mise à l’échelle. 

La structure-même de Fabriek Paysanne est donc une innovation socio-technique en ce qu’elle rend possible un développement technologique en agriculture désintéressé et en dehors des espaces d’innovation habituels. C’est en quelque sorte une contre méthodologie qui répond Fabriek Paysanne met en place une gouvernance qui intègre les usager·es dans le processus, leur permettant ainsi d’être actif·ves dans la définition des équipements qui leurs sont utiles et légitimes à proposer des améliorations selon leurs pratiques culturales et leurs préférences. On parle aussi de pratique du care16 pour qualifier ce mode d’action au plus près des paysan·nes, accompagnant les pratiques situées et s’y adaptant sans projeter de conceptions dominantes, ou « top-down », sur l’évolution des outils et les pratiques agricoles qu’ils soutiennent. 

« En fait la charrette finalement on utilisait pas uniquement pour la récolte, mais plutôt comme table roulante, multi-usage en fait. Pour rincer les légumes par exemple […] ou pour faire un marché, ou… Finalement c’est assez multi-usage. (Anna, maraîchère, 2024)

 

Ainsi, au regard des nombreuses questions – sociales, économiques, éthiques, épistémiques – que soulève le développement de l’agriculture numérique, on peut légitimement s’y arrêter un peu afin de porter une analyse critique et d’imaginer d’autres modèles d’innovation en agriculture, au service d’une agroécologie paysanne et collaborative plutôt qu’au nom du progrès et de la modernité. Cela passe notamment par le développement d’organisations décentralisées, capables d’accompagner politiquement et techniquement les agriculteur·rices vers plus d’autonomie vis-à-vis des structures dominantes de l’outillage agricole. 

Si ce sont principalement des « paysan·nes », et plus particulièrement des maraîcher·es, qui participent à la co-conception, Fabriek Paysanne pourrait aussi travailler avec des agriculteur·rices plus « conventionnel·les », ou « historiques », afin d’accompagner toutes les fermes vers plus d’autonomie technique. Si la question de l’équipement en agriculture paraît apolitique, la réappropriation de nos outils de travail via la réflexion collective et l’échange d’expériences de terrain est l’amorce d’une réflexion plus globale sur ce que l’on produit, pour qui, comment ; ainsi que sur nos besoins et les moyens appropriés d’y répondre. 

Le manque que la société industrielle entretient avec soin ne survit pas à la découverte que les personnes et les communautés peuvent elles-mêmes satisfaire leurs besoins (Illich, 1973) 

Notes

1 Voir ici : https://www.gembloux.uliege.be/cms/c_11140475/fr/agreensmart-symposium 

2 Voir le site internet du Mouton Numérique : https://mouton-numerique.org/association/raison-detre/ 

3 Voir l’Agriculture du Futur sur le site web de Digital Wallonia :  https://www.digitalwallonia.be/agriculture/ 

4 Le Big Data « désigne des ensembles de données si volumineux et variés qu’ils dépassent les capacités des systèmes traditionnels de gestion de bases de données.  https://www.lebigdata.fr/definition-big-data 

5 Organismes génétiquement modifiés 

6 Pour aller plus loin, voir : https://beyondthegreen.media 

7 Pour en savoir plus sur ce nouvel ordre économique qu’est la propriété de la donnée, aussi appelé « techno-féodalisme », voir :  https://open.spotify.com/show/1AE4pciq0WlLQc2PKEKM36?si=d6de85102d6c4940&nd=1&dlsi=b196a031ff0f4f4f 

8 Voir par exemple le rapport #AgricultureInnovation2025, 30 projets pour une agriculture compétitive & respectueuse de l’environnement de Bournigal et al. (2015)  

9 Les agriculteur·rices/travailleur·ses agricoles ont moins de contact avec le vivant et passent plus de temps sur les écrans pour lire des données, programmer des outils, etc.  

10 Voir la carte de Clarote : INTERNET CARTOGRAPHIES | clarote. Le travail de Clarote rend visible les rapports de pouvoir qui imprègnent l’ensemble du fonctionnement du web, de la couche d’infrastructure physique à la sphère des décisions algorithmiques. « De quels territoires sont extraits les ressources minérales pour ce développement technologique ? Où vont les déchets électroniques ? Quels sont les valeurs intégrées dans les algorithmes des réseaux sociaux ? Qui bénéficie de la connectivité, et qui est laissé de côté ? […] Internet est un territoire en conflit qui affecte l’avenir de nos démocraties et les voies vers la justice climatique et socio-environnementale. » 

11 Amnesty International alerte quant aux conséquences dramatiques de l’extraction des minerais au Congo : République démocratique du Congo. L’extraction industrielle de cobalt et de cuivre pour les batteries rechargeables entraîne de graves atteintes aux droits humains – Amnesty International 

12 La souveraineté alimentaire est « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement respectueuses et durables, et leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ». Pour en savoir plus : https://viacampesina.org/fr/la-souverainete-alimentaire-un-manifeste-pour-lavenir-de-notre-planete/ 

13  La technocritique désigne la « critique du progrès technique et de ses implications sociales, morales, philosophiques ». https://maisouvaleweb.fr/technocritique-starter-kit/#La_technocritique_en_tres_bref. Pour mieux comprendre cette notion on peut notamment se tourner vers Jacques Ellul ou Ivan Illich. 

14 Voir leur site Fabriek Paysanneet leur adresse mail : contact@fabriekpaysanne.org 

15 Bien qu’inspirée de son travail de fin d’étude, cette analyse est une production originale réalisée par l‘auteure en collaboration avec Eclosio. 

16 Arora et al. (2020) définissent la pratiques du care comme l’ « adaptation décentralisée […] et la réparation de leurs processus et produits à travers des pratiques situées d’utilisation et d’élimination ». À l’inverse, une pratique orientée vers des perspectives de profit recherche davantage la diffusion à grande échelle de produits finis.  

Bibliographie

A growing culture, ETC Group, & La Via Campesina. (2023). L’autonomie confrontée à l’AgTech (p. 73). https://viacampesina.org/fr/wp-content/uploads/sites/4/2024/01/Autonomy-in-the-Face-of-Agtech-FR.pdf 

Arora, S., Van Dyck, B., Sharma, D., & Stirling, A. (2020). Control, care, and conviviality in the politics of technology for sustainability. Sustainability: Science, Practice and Policy, 16(1), 247262. https://doi.org/10.1080/15487733.2020.1816687 

Bournigal, J.-M., Houllier, F., Lecouvey, P., & Pringuet, P. (2015). #AgricultureInnovation2025. 30 projets pour une agriculture compétitive & respectueuse de l’environnement. 

Carolan, M. (2023). Digital agriculture killjoy: Happy objects and cruel quests for the good life. Sociologia Ruralis, 63(S1), 3756. https://doi.org/10.1111/soru.12398 

Clerc, F. (2020). L’Atelier Paysan ou les Low-Tech au service de la souveraineté technologique des paysans. La Pensée écologique, 5(1), 33. https://doi.org/10.3917/lpe.005.0003 

de Laet, M., & Mol, A. (2000). The Zimbabwe Bush Pump: Mechanics of a Fluid Technology. Social Studies of Science, 30(2), 225263. 

Illich, I. (1973). La convivialité (Editions du Seuil). https://ia801705.us.archive.org/18/items/illich-convivialite/Illich_Convivialite.pdf 

Martin, T., & Schnebelin, É. (2023). Agriculture numérique: Une promesse au service d’un nouvel esprit du productivisme. Natures Sciences Sociétés, 31(3), 281298. https://doi.org/10.1051/nss/2023046 

Nelson, I. L., Faxon, H. O., & Ehlers, M.-H. (2024). Feminist political ecologies of agrarian technologies: Knowing the digital differently. The Journal of Peasant Studies, 51(6), 13031330. https://doi.org/10.1080/03066150.2024.2308637 

Oui, J. (2023). L’agriculture rêve-t-elle de moutons électriques ?Paradoxes des technologies numériques pour la transition environnementale de l’agriculture. Multitudes, 92(3), 6672. https://doi.org/10.3917/mult.092.0066 

Prévost, C. (2024). Faire paysan autour de la co-conception d’outils agricoles en collectif. Le cas d’une charrette maraîchère. Matheo. https://matheo.uliege.be/handle/2268.2/21106?locale=fr 

Winner, L. (1980). Do Artifacts Have Politics? Daedalus, 109(1), 121136. 

 

Touchy or safe ? La langue, un outil démocratique pour lutter contre les inégalités – Analyse

Une analyse de Kévin Dupont, chargé de communication éducative chez Eclosio


 

En avril 2022, vingt-quatre étudiant·es de Liège et Bruxelles se rassemblent à l’Auberge Simenon de Liège dans le cadre du projet « Students Mindchangers ». Leur objectif ? Se mobiliser pour une société qui défend des valeurs de non-discrimination et d’inclusion de façon visible et affirmée en sensibilisant la communauté académique et la population liégeoise et belge. Les étudiant·es sont enthousiastes, beaucoup se rencontrent pour la première fois, ce qui n’est pas banal, après deux années de restrictions covid. Ce week-end est en effet proposé en résidentiel, grâce à une collaboration entre Eclosio, l’ONG de l’Université de Liège, A’ccord d’Ebène, une asbl liégeoise œuvrant pour l’interculturalité, et Diasmecom, une association bruxelloise qui renforce les personnes afro-descendantes dans leur communication, cette rencontre étant soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles (i). L’animation commence par un brise-glace pour apprendre à mieux se connaitre, avant de rentrer dans le vif du sujet : la question migratoire, et le racisme persistant. Autant dire que l’enjeu est de taille et l’actualité morose, alors que des étudiant·es africain·es et indien·nes ont récemment été discriminé·es aux frontières alors qu’ils et elles tentaient de fuir l’Ukraine en guerre (ii).

 

Premiers échanges avec le groupe Students Mindchangers 2022

Premiers échanges avec le groupe Students Mindchangers 2022

Une mise au diapason indispensable

D’emblée, un point d’attention est donné à la décentration : pour construire une vision commune, il est important de comprendre que notre perception de la migration est avant tout subjective et culturelle. Une animation est proposée, afin d’échanger autour du vocabulaire migratoire « touchy » (sensible) ou « safe » (sûr), animation qui sera à postériori renommée « Touchy or safe ? ». Cet espace bienveillant sert à évaluer le « poids des mots » qu’on utilisera pendant le week-end, avec l’intention de réduire le risque de heurter les sensibilités dans ce groupe hétérogène. En effet, même si les participant·es sont engagé·es sur une même thématique, tout le monde n’a pas le même bagage ou point de départ, certains stéréotypes ou biais culturels étant plus ou moins déconstruits chez chacun·e. Le risque est donc que des sous-groupes se forment par affinités socio-culturelles (iii), ainsi l’animation permet de lancer un débat balisé destiné à créer une réelle cohésion dans le groupe.

« Cela peut toucher à notre identité et à comment on parle depuis qu’on est né. Mais c’est OK de déconstruire et c’est très bien de déconstruire. Ce n’est pas parce que l’on donne plus de droits à quelqu’un qu’on en a moins nous. » Alicia Léonard (2022) extrait du podcast “Cultivons le futur : Students Mindchangers !” (iv)

Des mots comme « personnes de couleur », « exotique », ou simplement « migrant » sont identifiés comme sources de tension. Il n’est évidemment pas interdit de les utiliser, mais ceux-ci méritent une attention particulière, une bonne définition, contextualisation, ou parfois même, une dose d’humilité. Pour s’exprimer, il faut accepter de parfois commettre des erreurs, solliciter le groupe en cas de doutes, éviter un maximum les mots fourre-tout, ou, si on les utilise, veiller à les (re)définir collectivement. En revanche, de nouvelles terminologies, comme celle de “personne racisée”, sont transmises et acceptées par le groupe. Les discussions sont animées et l’heure avance, ainsi la matinée se clôture sur ce constat : de nombreux stéréotypes et discriminations trouvent leur origine dans des discours politiques problématiques véhiculés par les médias.

 

« Touchy or safe ? » en grand groupe

L’animation est relativement simple à mettre en place : un simple tableau en deux colonnes est proposé, où chaque participant·e peut venir poser un ou plusieurs post-its avec un mot considéré comme « sensible », après un temps de réflexion individuel. S’en suit alors un partage en plénière autour de chaque mot, pour croiser les visions, susciter le débat et proposer des alternatives, ou des bonnes pratiques pour aborder la thématique choisie (ex : contextualiser, définir les termes qu’on utilise, parler en je, etc.).

La facilitateurice veille à une communication bienveillante, à éviter le jugement, à préciser voir (re)définir les idées et termes utilisés pour construire une vision commune.

Touchy or safe - brise glace de Students Mindchangers

Animation “Touchy or safe” au week-end Students Mindchangers, Liège 2022

 

« Touchy or safe ? » en individuel (ou petits groupes)

Ici, le public est invité à proposer d’emblée un mot « sensible » avec une alternative « sure » via de post-its de différentes couleurs, placés en vis-à-vis. Le débat est stimulé entre le/la participant·e et l’animateurice, animateurice qui restitue aussi les propositions d’autres participant·es, qui peuvent être amendées, affinées. Cette version est idéale en itinérance, par exemple dans un festival.

Touchy or safe - animation à Esperanzah

Animation “Touchy or safe” au festival Esperanzah, Floreffe 2022

D’une animation interne vers une sensibilisation grand public

Trois mois plus tard, Clara, Roberto et Hugo, du groupe « Students Mindchangers », se retrouvent avec Eclosio au festival Espéranzah, invité·es pour partager leur outil de sensibilisation au grand public. Equipée d’un simple panneau en liège et de post-its de couleur, Clara interpelle un festivalier : voulez-vous rajouter un mot « touchy » sur notre tableau ? Le festivalier est intrigué, commence à lire les mots présents, et tente de comprendre le fonctionnement du jeu. Le voilà qui inscrit « misère du monde » dans la colonne « touchy », et expliquant ses motivations, propose le mot « richesse du monde » comme alternative « safe ». Une manière de déconstruire à sa façon l’expression tristement célèbre « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Au total, 57 mots sensibles et 48 alternatives sures sont proposées par les festivaliers. Certains mots se retrouvent parfois dans les deux colonnes, une opportunité pour les animateurs ou animatrices de lancer un débat, de restituer les propositions et positionnements des différents festivaliers et d’amener une réflexion en intelligence collective différée. En se réappropriant le langage, les participants et participantes de l’animation proposent d’autres visions du monde, d’autres lectures de l’actualité et des inégalités dans la société, et tentent de visibiliser certaines injustices, cristallisées dans le langage commun. Force est de constater qu’en proposant aux gens de se réapproprier le langage, les langues se délient !

Un petit tour de mots « Touchy or safe » proposés par nos publics et analysés avec Eclosio

 

 Expression problématique 

  

Analyse
  
Touchy :  

On ne peut pas accueillir toute la « misère du monde »  

  

Safe :  

On ne peut pas accueillir toute la « richesse du monde » 

Cette phrase, prononcée à l’origine par le premier ministre français Michel Rocard (1989 à 2009), est utilisée pour justifier une politique « anti-immigration », dans l’idée que la France est généreuse d’accueillir les personnes migrant·es mais que cette générosité doit être limitée.  

Cette image est simpliste, tout d’abord parce qu’elle ne prend pas en compte l’histoire, la colonisation, le pillage des ressources à l’origine de certaine situation de pauvreté dans des pays colonisés (par la France notamment), les migrations utiles au pays d’accueil, avec d’un côté des personnes immigré·es qui effectuent des travaux que les autochtones ne souhaitent pas faire et qui sont généralement dévalués, et d’un autre côté l’élite intellectuelle étrangère qui vient renforcer les espaces de savoirs et de recherches occidentaux. De plus, cette expression occulte un élément important : ce sont les personnes les plus riches dans leur pays qui migrent, car cela coûte cher de migrer, donc des personnes qui à la base ne sont pas forcément en situation de misère dans leur pays, que du contraire. Enfin, la pauvreté serait évaluée seulement sur le point de vue économique, ce qui renvoie également à une vision occidentale du monde qui arrive à ses limites : celle qui évalue le succès d’un pays selon son PIB, et sa croissance économique, sans prendre en compte d’autres indicateurs tels que la santé mentale, la biodiversité, etc. Notons que le stéréotype du « migrant pauvre », outre le fait qu’il réduit des populations entières à certaines situations de pauvreté qui peuvent exister dans leur pays, renvoie de manière plus large à la pauvrophobie : la peur et le rejet de la pauvreté, qui serait une menace à notre présupposé bien-être. Peur bien souvent instrumentalisée dans des discours populistes.  

  
Touchy : 

Crise migratoire  

Safe :  

Crise de l’accueil 

La majorité des migrant·es en exil ou en recherche d’opportunités ne sont pas accueillis en Europe mais dans des pays limitrophes. L’accueil des Ukrainien·nes nous prouve que la crise est plutôt liée à « l’accueil », car l’afflux des migrant·es Ukrainien· nes n’a pas été qualifié de crise migratoire. Les enjeux sont en réalité plutôt politiques que migratoires.     
Touchy : 

Racisme ordinaire 

Safe :  

Racisme banalisé, racisme 

Qualifier d’« ordinaire » le racisme pourrait contribuer à minimaliser son impact     . Notons que ce terme a justement été créé pour isoler certains comportements ou expressions de langage usuel qui transportent des idées racistes, mais sont généralement banalisés dans la société, et donc considérés comme un racisme « tolérable », ou à moindre impact. Généralement ce terme est utilisé pour prouver le contraire. La tension autour de ce mot pouvant dès lors être questionnable.  

  

  
Touchy : 

Profiteurs  

Safe :  

Parler de l’histoire 

  

Il est intéressant d’aborder et de comprendre les flux migratoires en prenant en compte le passé colonial des pays européens. Ces pays sont en réalité ceux qui ont « envahi » et « profité » d’autres pays par le passé, et qui d’ailleurs en profitent encore aujourd’hui via des mécanismes économiques et politiques complexes. L’histoire de l’Europe s’est aussi construite autour des migrations, par la sollicitation de mains œuvres étrangère bon marché pour remplir des tâches ingrates, comme le travail dans les mines par exemple.  

  

Touchy : 

Envahir 

Safe :   

Parler de l’histoire 

  

Touchy :  

Migrant clandestin, 

Migrant irrégulier 

  

Safe :  

Personne migrante sans autorisation de séjour,  

Personne migrante non-documentée, 

Personne migrante en situation d’irrégularité administrative 

Quand on évoque un migrant clandestin ou irrégulier, rarement est évoqué la question de l’accès à la régularité, de l’égalité des chances. Quand un européen voyage, il ne lui faut pas toujours de visa ou celui-ci est relativement facile à obtenir, dans l’autre cas, c’est beaucoup plus complexe. De nombreux·ses migrant·es choisissent la clandestinité car leurs demandes de visa sont refusées ou parce que le contexte politique ne leur permet pas une migration légale. Souvent la régularisation, une fois en Europe, est complexe voir impossible, ce qui oblige des personnes migrantes à rester dans une situation d’irrégularité administrative pendant plusieurs années, qui est source de précarité financière, de stress psychologique, et signifie pour ces personnes de dépendre et donc d’être à la merci de potentiels trafiquants d’êtres humains, sorte d’esclavagisme moderne. Il est donc important de spécifier tant que possible que cette irrégularité est avant tout administrative, temporaire, et laissée au bon vouloir des administrations nationales. 

 

Notons aussi qu’il faut veiller à ne pas essentialiser une personne à sa situation temporaire de transit et/ou d’irrégularité administrative. Des personnes donc, avant tout, à placer dans un contexte et face à des lois, qu’il faudra décoder pour bien en cerner tous les enjeux politiques, économiques, culturels, voir historiques.  

La langue et le langage, vecteurs d’exclusion et d’inégalités

Pourquoi choisir la langue comme outil pour visibiliser les inégalités dans la société ? De tous les vecteurs de sensibilisation, les portes d’entrée de la langue et du langage sont intéressantes, car elles touchent à l’identité de celui ou celle qui les utilise. La langue (v), ensemble de signes vocaux ou graphiques définis par un groupe d’individu, est le support via lequel nous communiquons notre pensée. Le langage est la manière dont nous utilisons la langue, la manière dont nous communiquons notre pensée, il nous permet d’exprimer nos valeurs, sentiments et idées, nos appartenances culturelles ainsi que notre représentation du monde.

Notre utilisation de la langue et notre langage véhiculent de nombreuses informations, telles que notre milieu social, notre niveau d’éducation, notamment via notre maitrise des conventions orthographiques, notre degré d’engagement ou de militantisme sur certaines causes, nos références culturelles et politiques, etc. La langue et le langage deviennent vecteurs d’inégalités, dès lors qu’ils permettent rapidement de discriminer des personnes en les associant ou les dissociant de certaines communautés, de certaines classes sociales. Ils deviennent un frein ou un levier pour leur accès à certaines ressources, opportunités, ou au respect de leurs droits fondamentaux. Ainsi, dans un cadre institutionnel, une personne qui commet des erreurs orthographiques sera souvent moins bien prise en compte. Dans un cadre légal, quelqu’un qui maitrise les codes du langage juridique, pourra plus facilement faire respecter ses droits, dans le cas d’une relation propriétaire-locataire par exemple.

« On emploie aussi l’orthographe pour disqualifier une pensée. Sur Internet, par exemple, on voit souvent des commentaires du genre : « Va d’abord soigner cette orthographe et après, tu te permettras de donner ton avis. » Donc on empêche quelqu’un de s’exprimer, à cause de son orthographe. » Arnaud Hoedt et Jérôme Piron «  La faute de l’orthographe » TEDx Rennes (2019)

La question de l’orthographe – le code graphique qui permet de retranscrire la langue orale – est d’ailleurs très significative en français. Arnaud Hoedt, et Jérôme Piron, dans leur conférence « La faute de l’orthographe », qualifient l’orthographe française, avec sa complexité « incontestable et sacrée », de dogmatique. « Quand vous faites une faute, on ne juge pas votre orthographe, on vous juge, vous, sur base de votre orthographe ». Dans les cahiers préparatoires du premier dictionnaire de l’Académie française, rédigé en 1694, il serait d’ailleurs écrit « L’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes ». L’orthographe, en 1835, aurait été volontairement complexifiée pour en faire un enjeu de distinction entre le peuple et la bourgeoisie montante, mais aussi un enjeu identitaire : « l’orthographe comme ciment de la nation ». S’attaquer à l’orthographe, reviendrait donc à s’attaquer au patrimoine de la langue française, à son histoire, et donc en soit, à l’identité de la nation. Le culte de la complexité de l’orthographe serait d’ailleurs une spécificité propre à la langue française et à son histoire, aux enjeux de pouvoir derrière sa construction : la langue pour fédérer la nation, et pour hiérarchiser les personnes entre elles. Ceux et celles s’exprimant en dialectes et patois, ou ne maitrisant pas son orthographe, descendent dans la hiérarchie.

A l’inverse, le langage peut aussi être utilisé pour flatter les masses pour gagner et exploiter leur adhésion, ce qu’on appelle la « démagogie ». Cette technique politique populiste s’appuie principalement sur la rhétorique et le discours pour véhiculer des idéologies et mobiliser un électorat en attisant les passions. Le ou la leader populiste fédère les masses en clivant les communautés par renforcement de stéréotypes et de sentiments d’appartenance. Par des tournures de phrases suggérant l’idée de « eux contre nous » (vi), il ou elle stigmatise les minorités en les associant aux maux et malaises de la société. Le langage populiste s’adresse directement au peuple, sans intermédiaire, parle en son nom et cherche à créer une identification du public aux émotions partagées par l’orateur ou l’oratrice.

« L’argumentation démagogique doit être simple, voire simpliste, afin de pouvoir être comprise et reprise par le public auquel elle est adressée. Elle fait fréquemment appel à la facilité voire à la paresse intellectuelle en proposant des analyses et des solutions qui semblent évidentes, sans une dose (nécessaire, et suffisante) d’imagination. » https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9magogie, (2024)

La langue comme instrument politique d’influence

La langue est aussi une arme utilisée lors de conflits géopolitiques, pour justifier l’une ou l’autre action. Avec la guerre en Ukraine, qualifiée tantôt d’« invasion russe » ou tantôt de « défense contre des ukro-nazis » par les russes eux-mêmes, ou de la « riposte israélienne» mise en porte-à-faux avec la qualification de « génocide de Gaza», la langue apparait comme un instrument crucial d’influence pour positionner la communauté internationale, pour influencer l’opinion publique.

« La langue est vraiment le lieu d’un enjeu de pouvoir. Celui ou celle qui maitrise la langue ne se laisse pas avoir, maitrise la manière dont il présente les choses ou dont les choses lui sont présentées. Il est donc capable de participer à la mise en scène de la société » Dan Van Raemdonck, professeur de linguistique française à l’ULB. Magazine Médor n°32 p.49

Quand on aborde la question migratoire, les formulations utilisées sont de véritables miroirs des idéologies politiques en place et un terrain d’analyse intéressant pour identifier des rapports de domination dans la société. Notons par exemple la notion de « migration irrégulière » : la lutte contre la « migration irrégulière » – telle que financée par l’Union européenne – ou la lutte contre la « migration clandestine » serait par proximité sémantique associée à la lutte contre une forme de criminalité, avec comme biais que les « migrants irréguliers » seraient des criminels et donc représentent un danger.

Il n’existe aucune définition universellement acceptée du terme « migration irrégulière ». L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) la définit comme un « mouvement contrevenant à la réglementation des pays d’origine, de transit et de destination » (OIM, 2011). « Migration irrégulière » (2022) https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/migration-irreguliere

Ce biais justifie notamment l’investissement de milliards d’euro dans des organisations comme Frontex pour « protéger » les frontières de manière assez violente. Or la lutte contre l’irrégularité pourrait être aussi réalisée en changeant les cadres législatifs (vii), en régularisant des personnes en attente d’une autorisation de séjour pour pouvoir travailler, pour intégrer durablement leur pays d’accueil, leur permettant de s’émanciper de réseaux d’exploitation et de traite humaine, eux criminels. D’ailleurs la terminologie « migrant irrégulier », telle qu’utilisée dans les médias et par les politiques, est vraiment problématique car, par la langue, elle essentialise des personnes à leur situation temporaire de transit et d’irrégularité administrative. A contrario, la formulation « en situation irrégulière » implique une notion de temporalité, et suggère donc que la personne peut à tout moment sortir de sa situation d’irrégularité administrative.

L’expression « en situation irrégulière » ne caractérise pas les individus mais leur statut à un moment donné. À la suite d’un changement dans les lois et les politiques nationales, des migrations régulières peuvent devenir irrégulières et vice-versa. Le statut des migrants peut changer au cours de leur voyage et de leur séjour dans le pays de transit ou de destination, de sorte qu’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble de la migration irrégulière et du profil des migrants en situation irrégulière. « Migration irrégulière » (2022) https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/migration-irreguliere

La langue, Le Droit, et les conséquences de l’interprétation du langage

Avec ladite « crise migratoire » très médiatisée, que l’on qualifiera plutôt de « crise de l’accueil », certains actes de solidarité aux personnes en transit et en situation irrégulière se sont vus criminalisés par les même acteurs politiques qui instaurent les règles de cette irrégularité. Un acte solidaire envers des personnes en transit sans autorisation de séjour pourra être décrit, via des instruments juridiques, afin d’être associé ou non au trafic d’être humain. Précisons d’abord que dans un cadre juridique, la question du langage devient primordiale.

«  (…) le fait d’aider autrui pour des raisons humanitaires « devrait a priori exclure toute confusion avec les réseaux criminels » (Donnarumma, 2019, 55). » Mathilde Du Jardin (2022) « Solidarité en Europe : état de l’art sur la criminalisation de l’aide aux personnes en situation irrégulière », https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2022-4-page-519.htm

Amnesty international défini, sur son site web, la notion de « délit de solidarité », qui ne constitue pas un concept juridique, mais permet bien de poser le paradoxe entre le crime et l’acte solidaire. Par une analyse des formulations juridiques, Amnesty différencie par exemple le texte du Protocole contre le trafic illicite de migrants, par terre, mer et air, issu du droit international, qui criminalise des actes d’aide à l’entrée au séjour irrégulier à condition qu’ils aient été « commis intentionnellement et pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel » avec celui de la législation française qui utilise les termes « contrepartie directe ou indirecte ». Cette formulation est beaucoup plus vague, et permet différentes interprétations possibles, et donc une forme de subjectivité de la justice.

« En posant la condition d’en retirer « un avantage financier » ou un « autre avantage matériel », les auteurs de ce texte ont manifestement souhaité être précis. Ils ont clairement exclu les activités des personnes apportant une aide aux migrants pour de seuls motifs humanitaires ou en raison de liens familiaux étroits. L’intention n’était pas, dans le Protocole, d’incriminer les activités de membres des familles ou de groupes de soutien tels que les organisations religieuses ou non gouvernementales. » Amnesty, « Qu’est-ce que le délit de solidarité ? » (2024), https://www.amnesty.fr/focus/delit-de-solidarite

La zone floue et subjective laissée dans le texte de la loi française, qui permettrait de criminaliser un acte de solidarité, pourrait avoir un effet dissuasif sur l’acte engagé en tant que tel, et servir pour décrédibiliser tout acteur s’opposant par solidarité aux décisions politiques prises, le rendant passible de poursuites judiciaires. En Belgique, le texte de la loi prévoit qu’aider ou assister une personne à pénétrer ou à séjourner sur le territoire de l’Union européenne, n’est pas considéré comme un délit « si l’aide est offerte pour des raisons principalement humanitaires » (article 77 alinéa 2). Ici la notion de « principalement » est subjective et laissée à l’interprétation de la justice. Elle implique néanmoins la possibilité d’une aide offerte pour d’autres raisons que celles humanitaires. Ces subtilités entre les formulations juridiques et l’impact qu’elles peuvent avoir sur l’acte solidaire sont la raison pour laquelle Amnesty International se positionne en ces termes : « nous considérons que les personnes qui défendent et agissent pour le respect et la protection des droits des personnes migrantes et réfugiées sont des défenseurs des droits humains. A ce titre, leur action est couverte par la Déclaration sur les défenseurs des droits humains adoptée en décembre 1998. ». Ce positionnement prouve que le langage, permet, symboliquement, politiquement, culturellement mais aussi juridiquement, de renforcer des rapports de force ou de les contrebalancer, de protéger ou incriminer des personnes.

Notons enfin la notion de « désobéissance civile » utilisée en philosophie, bien que ne détenant pas de valeur juridique, répond également aux mêmes enjeux. Elle permet de qualifier une infraction à la loi commise publiquement, consciemment, pacifiquement, et souvent collectivement, comme acte politique pour mettre en lumière une injustice. Cette terminologie permet de distinguer, par la langue, une infraction classique à la loi d’une infraction à vocation « noble », car altruiste. Cette expression est pour cela populaire et d’usage commun dans le secteur associatif et dans le monde militant belge. Les formations en désobéissance civile, qui proposent l’apprentissage de techniques pour faciliter la réalisation d’actes illégaux contestataires, sont d’ailleurs diffusées publiquement sur le net et les réseaux sociaux, sans apparentes conséquences pour les associations qui les dispensent.

Retenons que l’usage du Droit est un effort d’interprétation individuelle ou collective de textes de loi, interprétation pouvant entraîner des conséquences lourdes sur la vie d’une personne jugée. Rappelons que les lois sont des textes, rédigés dans une langue par des acteurs politiques au pouvoir et que, même si les juges sont supposés être impartiaux, les outils qu’ils et elles utilisent ont été pensés de manière subjective par des personnes exerçant un rapport de domination sur d’autres.

La langue, les colonies et l’émancipation culturelle

Si l’on remonte à la période coloniale, en s’appuyant sur la pensée de Frantz Fanon, nous pouvons voir comment dans des pays colonisés, ou même dans des anciennes colonies, la langue demeure un instrument de pouvoir, ou de « soft power » (pouvoir culturel), la maitrise de la langue du pays dominant demeurant toujours un atout considérable pour la personne originaire du pays dominé, lui donnant accès à plus de ressources et plus d’opportunités. Frantz Fanon a d’ailleurs utilisé le langage comme outil politique d’émancipation.

« Tout peuple colonisé – c’est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité, du fait de la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale – se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est-à-dire de la culture métropolitaine. Le colonisé se sera d’autant plus échappé de sa brousse qu’il aura fait siennes les valeurs culturelles de la métropole. Il sera d’autant plus blanc qu’il aura rejeté sa noirceur, sa brousse. Dans l’armée coloniale, et plus spécialement dans les régiments de tirailleurs sénégalais, les officiers indigènes sont avant tout les interprètes. Ils servent à transmettre à leurs congénères les ordres du maître, et ils jouissent eux aussi d’une certaine honorabilité. (…) La bourgeoisie aux Antilles n’emploie pas le créole, sauf dans ses rapports avec les domestiques. A l’école, le jeune martiniquais apprend à mépriser le patois. On parle de créolismes. Certaines familles interdisent l’usage du créole et les mamans traitent leurs enfants de « tibandes » quand ils l’emploient. » Fanon Frantz (1952) « Peau noire, masques blancs » p. 14.

Les expressions du langage héritée de l’époque coloniale sont d’ailleurs un sujet de discorde dans la société belge. Revenons à nos étudiants et étudiantes du projet Students Mindchangers, qui souhaitent déconstruire le racisme, se questionnent sur leurs biais culturels et souhaitent décoloniser leur pensée. A titre d’exemple, l’étudiant Robin Legrand a identifié dans un article (viii) différentes expressions usuelles problématiques, car vectrices d’exclusion. Une expression usuelle mise en lumière par Robin est celle de « couleur chair », car elle ne prendrait pas en compte la diversité des couleurs de peau, et donc renvoie la personne non-caucasienne à sa différence. Un autre exemple mentionné dans son article est celui du mot « race » : lors de l’époque coloniale la notion de « race », initialement scientifique, a été détournée pour servir la classification et la hiérarchisation des êtres humains entre eux, et justifier l’esclavage. Son utilisation aujourd’hui, par des occidentaux, est donc très problématique, alors qu’elle semble d’usage commun pour d’autres, par exemple pour des personnes africaines en séjour en Belgique. Le concept de ”personnes racisées” est apparu, en réponse à cette problématique, terminologie plus politiquement correcte qui est reprise et acceptée par les personnes concernées, c’est-à-dire par les personnes confrontées au racisme. Cette introspection sur le vocabulaire et leurs associations culturelles ou historiques est un processus important en cours dans la société belge et particulièrement chez les jeunes à l’université,

L’attention portée au langage et à ce qu’il transmet ne se limite heureusement pas aux milieux estudiantins. Dans le secteur associatif, l’association Interra, une association qui promeut l’interculturalité, est très sensible à la question et aborde sur son site web la notion de « poids des mots ». Elle propose d’ailleurs un lexique inclusif personnalisé qui définit l’appellation des personnes rejoignant leurs activités. Une personne primo-arrivante sera tantôt nommée « personne nouvellement arrivée », « volontaire » ou « membre de la communauté », en fonction de son implication dans les projets de l’association. La réappropriation du langage servant ici la mission de l’association et étant un outil pour amener plus d’inclusivité à Liège, en se délestant d’un vocabulaire politisé et transmettant une charge négative consciente ou inconsciente. De nouveaux mots pour repartir sur une base neutre et saine, donc !

« Les mots ne font pas que décrire une réalité sociale : ils la construisent, ils font vivre ce qu’ils semblent uniquement décrire. Dans un contexte de rapidité d’information et de communication, les termes choisis dans le champ des migrations véhiculent une charge positive ou négative ─ rarement neutre ─ qui se déduit moins de leur signification que de ceux·celles qui les utilisent. » Interra asbl (2024) page web « Notre ADN », https://www.interra-asbl.be/decouvrir-interra/#adn

Le langage, véritable chantier interne pour les ONG de la coopération belge

Si le secteur associatif et la jeunesse se sont emparés de la question, qu’en est-il dans le secteur des ONG de coopération internationale ? Un secteur en pleine mutation au cœur de relations internationales inégalitaires dans un contexte post-colonial.

En 2020, Notre ONG Eclosio répond à une invitation du CNCD, la coupole des ONG de coopération internationale belge, et nous assistons à un webinaire sur le poids des mots et le rôle du langage comme catalyseur de transformation sociale. Il s’articule autour de cette question : « changer le vocabulaire et donc visibiliser des rapports de force permet-il réellement de diminuer les inégalités en place ? ». Des intervenant·es extérieur·es, issu·es de milieux militants, sont sollicité·es pour amener leur expertise sur la question, et ils et elles n’y vont pas avec le dos de la cuillère.

« Les mots ont des histoires et des conséquences, ainsi que des impacts psychosociaux sur les personnes. Ces mots exercent également des rapports de force sur d’autres mots qui émergent, enferment et assignent, car le langage, selon Frantz Fanon, est une technologie de pouvoir. C’est donc évident que des acteurs de la coopération au développement, des ONG, acteurs institutionnels, se posent des questions sur les mots utilisés et comment les revoir afin de changer les courants de pensée. » Webinaire CNCD (2020) « Impacts psycho-sociaux des mots sur les personnes » (ix).

Dans la ligne de mire, des terminologies problématiques régulièrement utilisées structurellement par les ONG et leurs bailleurs de fond dans le secteur du développement, terminologies vectrices de stéréotypes racistes ou d’idéologies qualifiées de néocoloniales par des activistes belges. Un lexique est publié en 2020 par le CNCD et recense différents termes et concepts généraux liés à la décolonisation et à la lutte contre le racisme. Le webinaire souhaite débattre autour du pouvoir transformateur du langage.

« Les mots ne sont jamais anodins. Ils permettent de révéler des structures de domination ou au contraire, les renforcent et les instituent. Une réflexion sur les mots que l’on utilise, ainsi que sur les images que les organisations véhiculent, est centrale pour ne pas reproduire des stéréotypes et être un allié structurel des organisations qui en Belgique luttent contre le racisme. » CNCD (2020) « Lexique des termes décoloniaux » p.4

La terminologie « Nord-Sud » est particulièrement contestée, car elle ne repose pas sur une réalité purement géographique. Elle perpétue de manière euphémistique (x) une vision du monde post-coloniale en remplaçant les termes problématiques « tiers-monde » et « pays développés/sous-développés ». Cette terminologie « Nord-Sud » – aussi collante qu’un vieux chewing-gum sur un banc d’école – persiste particulièrement dans le secteur, sans doute par inertie, incompréhension, ou banalisation.

« On a tiré le rideau [sur les colonies] sans déconstruire les mythes massivement martelés par la propagande coloniale. Les gens continuent donc de penser ce qu’on leur a dit de penser » Julien Truddaiu, cité dans l’article de Sarah Frères (2021) « Stéréotypes racistes : les ONG en introspection », Imagine Demain le Monde (Les confluents)

Fait est que cette expression est soudée au socle de pensée même à la base de la « coopération internationale », nouveau nom politiquement correct institué pour remplacer l’ancienne version maintenant mal aimée « d’aide au développement ». Une aide au développement offerte en parallèle d’une exploitation économique des ressources et des richesses des pays colonisés ou anciennement colonisés. Ces fonds ne seraient-ils pas des instruments politiques permettant de contrebalancer les impacts sociaux et environnementaux négatifs d’exploitations passées ou en cours ? L’aide au développement serait-elle le socialwashing ou le greenwashing des états enrichis ? Une forme d’anesthésiant anti-révolte pour masquer une domination économique persistante et injuste ? L’ancien concept unidirectionnel de solidarité envers des pays appauvris, basé sur une logique de développement à mettre en place pour amener les pays ”à développer » au même standard que des pays soi-disant ”développés” semble aujourd’hui désuet, surtout au regard des multiples crises politiques, sociales et environnementales en cours et à venir.

« Le développement est entendu comme le processus conduisant une population à sortir de la pauvreté, le terme lui-même contenant ses propres limites. Il relève d’une vision historiquement datée qui faisait du progrès humain une droite linéaire offrant une trajectoire unique à tous les pays, certains étant « avancés » et d’autre « en retard », dans le cadre conceptuel d’une croissance infinie des richesses. Il n’est plus possible d’utiliser le mot aujourd’hui sans questionner, d’une part, le lien entre la richesse d’un pays et le bonheur de ses habitants, et d’autre part la durabilité du modèle de développement au regard des crises environnementales globales. » https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/inegalites/articles/decoupage-economique-mondial

Ces critiques semblent acerbes, tant elles poussent à une remise en cause du bien-fondé de la coopération internationale, tout en jetant sans distinctions toutes les ONG financées par la coopération belge dans un grand sac. Ce sont pourtant des critiques bien réelles adressées par des militantes décoloniales, telles que Betel Mabille : « Ce n’est pas un débat évident, les personnes impliquées sont persuadées du bien-fondé de leur action. Ça remet en question leur vision du monde et leur identité, liée à leur travail. Tout ça est blessant. Mais nous disons depuis des années que l’aide au développement reste dans le registre néo-colonial. Quand notre parole sera-t-elle entendue ? » (xi). Ce débat dépasse ici le cadre strict de notre réflexion sur le langage, bien ce dernier n’en reste pas moins une porte d’entrée évidente.

Il est toutefois important de noter que ce secteur est en pleine mutation, les pratiques de terrain variant grandement d’une association à l’autre, avec différents degrés de remise en question. Nombreuses sont les ONG qui travaillent ardument pour plus d’horizontalité, pour un partage équitable des ressources, pour des projets centrés sur les besoins et pratiques locales et du public cible, projets portés par des locaux, sollicitant des expertises et associations locales. Il est donc essentiel de garder en tête que les mots ne sont parfois aussi que l’inertie d’habitudes prises au fil des années, ou de conventions culturelles scellées par des bailleurs de fonds via leurs appels à projets. Dès lors, une analyse du vocabulaire utilisé par une association ne pourrait à elle seule permettre de poser un jugement éclairé sur son positionnement et ses pratiques, pratiques qui peuvent quant à elles cristalliser une véritable volonté de déconstruction de rapports de domination. Néanmoins, si le changement des actions précède au changement de vocabulaire, il ne faudrait pas trop tarder pour aligner ce dernier, pour éviter de générer la confusion d’un public toujours plus attentif, méfiant ou critique sur les pratiques des ONG. Et inversement, une maitrise de vocabulaire qui ne refléterait pas de réels questionnements internes suivis de changements concrets sur le terrain, serait bien vite reléguée au rang de tromperie.

« Puisque la décolonisation signifie que nous voulons redistribuer le pouvoir, la langue peut être un mécanisme pour y parvenir. La vision du monde est en évolution constante, la langue aussi. D’où la perception différente qu’on a des mots qui autrefois n’étaient pas considérés comme « négatifs ». Webinaire CNCD (2020). « Décolonisation : le poids des mots, le choix des termes. » (xii)

Transformer la langue ou le langage permet-il réellement de lutter contre les inégalités ?

Le simple acte de changer des terminologies problématiques suffit-il à déconstruire des rapports de domination et donc à réduire des discriminations ? Dans la plupart des cas, probablement que non, mais il demeure un premier pas vers une prise de conscience, ou inversement, son aboutissement. Elle reflète l’appropriation par une personne d’un nouveau cadre de pensée, influant directement sur ses actes quotidiens.

Notons également que l’usage des mots est une affaire de contexte. Le poids des mots n’est pas le même d’une culture à l’autre, d’un lieu à un autre. Les mots et leurs usages sont liés à l’histoire, mais aussi à l’éducation des personnes en présence, qui en maitrisent plus ou moins les codes. Abuser d’effets de langage pourrait dès lors aussi parfois créer une distance avec des personnes avec lesquelles nous souhaitons en réalité créer du lien et une relation équilibrée. D’où l’importance de ne pas oublier que le langage n’est qu’un moyen d’arriver à une situation désirable, moyen à mobiliser en toute conscience des enjeux, des attentes et sensibilités locales. Chercher un langage commun, donc, collectivement et à tâtons.

L’animation « Touchy or safe ?», décrite en début d’article, avait pour humble vocation de susciter un débat inclusif sur des questions de société, et ce sans levée immédiate de boucliers identitaires. Toutefois, elle s’est avérée aussi être un bon baromètre pour mesurer collectivement le poids des mots qui nous entourent et leurs impacts sur le monde, notamment sur des minorités discriminées. Un bon point de départ donc, pour mobiliser des étudiant·es contre des inégalités, mais évidemment pas une fin en soi.

« Les mots ont un potentiel de changement, mais en soi ils ne sont pas le changement. Changer des mots ou des terminologies peut simplement être un phénomène neutre et normatif d’où la nécessité de passer à une phase de discussion et de lever le voile sur des postures positives ou sur des rapports de force. » Webinaire CNCD (2020) « Décolonisation : le poids des mots, le choix des termes »

En 2024, le groupe d’étudiant·es du projet “Demain est à nous” (xiii) a pris le relais sur celui de Students Mindchangers, pour questionner les discours médiatiques, au sein d’ateliers pour une presse sans racisme. Le groupe s’est penché sur le rôle et la responsabilité de la presse dans la lutte contre le racisme. Nous avons imaginé des médias qui déconstruisent des stéréotypes autour des migrations, des migrations qui ne font pas forcément de « vagues », des migrations qui sont avant tout des expériences humaines, des migrations libres ou forcées, tantôt positives ou difficiles, des récits emprunts d’humanité à partager, représentatifs de la diversité des expériences vécues. Au départ d’écriture de slogans et d’articles, ainsi que de rencontres avec des professionnel·les de la presse, notamment Vers l‘Avenir et RTC Télé Liège, les étudiant·es ont pu prendre conscience d’une diversité de points de vue sur le partage des expériences et vécus des personnes en transit, des biais et impacts de certains mots utilisés, mais aussi de certaines réalités de la presse à prendre en compte, afin qu‘il soit possible de construire ensemble des futures désirables.

Ateliers pour une presse sans racisme dans le cadre du projet “Demain est à nous”

Ateliers pour une presse sans racisme dans le cadre du projet “Demain est à nous”

En conclusion, tout jeune, mais aussi tout citoyen ou citoyenne, est donc légitime de se réapproprier la langue et le langage pour transformer des cadres de pensée problématiques. Changer la langue est bel et bien un acte politique. La somme des résistances ou des rejets manifestés par la société, en réponse à cette réappropriation, sera d’ailleurs souvent proportionnelle à l’importance des enjeux que cet acte met en lumière. Il n’est donc pas étonnant que des institutions et des ONG du secteur de la coopération internationale soient prises à défaut dès lors qu’elles sont financées pour les valeurs morales qu’elles défendent et revendiquent publiquement. Les acteurs et actrices de la coopération internationale se doivent d’assumer leur part de responsabilité dans le maintien et la diffusion de cadres de pensée qui perpétuent des inégalités. Ajuster leur langage en cohérence avec leur vision institutionnelle, ou utiliser leur influence sur le grand public à bon escient, semblent être des requêtes raisonnables pour des organisations qui bénéficient de fonds publics. Il demeure néanmoins que ces organisations sont en réalité la somme d’individualités, un ensemble hétérogène de personnes nécessitant plus ou moins de temps pour acquérir les connaissances nécessaires afin d’entrevoir d’autres mondes possibles.

Toutefois il faut s’attendre à ce que les changements de paradigme s’imposent aux acteurs et actrices des ONG du « développement », que ce soit réactivement – par suite de gestion de crises dues à la dénonciation de pratiques problématiques par des activistes externes, ou par des individus au sein même de ces structures – ou proactivement – grâce à des formations commandées par ces organisations pour pallier le manque d’expertise de leurs équipes.

Alors votre association est-elle plutôt suiveuse ou force motrice de changement ? Ne serait-ce pas le bon moment pour lancer un petit « Touchy or safe» en équipe ?

Kévin Dupont

Chargé de communication éducative, Eclosio Belgique

 

 

Echange avec la presse sur la communication autour de la migration - projet “Demain est à nous”

Echange avec la presse sur la communication autour de la migration – projet “Demain est à nous”

Pour aller plus loin

Notes de bas de page

(i) Le projet Students Minchangers a été soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans le cadre de « Mindchangers Project », un projet financé par le programme DEAR de l’Union Européenne – https://www.eclosio.ong/project/students-mindchangers/ 

(ii) Coumba Kane , Jean-Baptiste Chastand (Vienne, correspondant régional) et nos correspondants en Afrique (2022) « Guerre en Ukraine : le difficile exode des étudiants africains » – https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/03/01/guerre-en-ukraine-le-difficile-exode-des-etudiants-africains_6115635_3212.html 

(iii) par affinités socio-culturelles, on entendra ici l’ensemble des sentiments d’appartenance liés à des groupes sociaux, idéologiques ou ethniques, certains de ces sentiments d’appartenance pouvant dominer sur d‘autres. On prendra en compte l’ensemble des mécanismes identitaires qui poussent une personne à se rapprocher ou se distancier d’une autre, ou d’un groupe d’individu.  

(iv) Podcast « Cultivons le futur : Students Mindchangers ! »(2022) https://www.eclosio.ong/news/nouveau-podcast-cultivons-le-futur-students-mindchangers/

(v) « La langue et langage » (2023) – https://www.espacefrancais.com/la-langue-le-langage/ 

(vi) Robert Feustel « Le langage démagogue et populiste : comprendre pour mieux déconstruire », progressivepost.eu (2018) 

(vii) Kévin Dupont (2022) article « Comment déconstruire l’idée et la pratique de la migration « irrégulière » ? », p. 10, Cultivons le futur 08 « Migrations », édition Eclosio Belgiquehttps://www.eclosio.ong/publication/cultivons-le-futur-08-migrations/

(viii) Robin Legrand (2022) article « La langue, les générations et le racisme », p. 27, Cultivons le futur 08 « Migrations », édition Eclosio Belgique  – https://www.eclosio.ong/publication/cultivons-le-futur-08-migrations/

(ix) Webinaire CNCD (2020) « Impacts psycho-sociaux des mots sur les personnes », avec Naïma Charkaoui (11.11.11 et auteure de Racisme : over wonden en veerkracht), Leslie Hodge (psychologue, fondatrice de Strong Mind) et Sorana Munsya psychologue et curatrice, TBC). https://www.cncd.be/Decolonisation-Le-poids-des-mots 

(x) Euphémistique, qui relève de l’euphémisme. Expression atténuée d’une notion dont l’expression directe aurait quelque chose de déplaisant, de choquant. (2023) Le Robert, dico en ligne.   

(xi) Betel Mabille citée par Sarah Frères  (2021). « Stéréotypes racistes : les ONG en introspection », Imagine Demain le Monde, Les confluents

(xii) Webinaire CNCD (2020) « Décolonisation : Le poids des mots, le choix des termes »
Avec Laura Calabrese (Professeure de sociolinguistique, ULB ; et auteure de Penser les mots, dire la migration), Sibo Kanobana (Chercheur et Language Policy Advisor, UGent), Betel Mabille et Stella Nyanchama Okemwa (Hand in hand tegen racism vzw). https://www.cncd.be/Decolonisation-Le-poids-des-mots 

(xiii) Le projet « Demain est à nous ! » est une initiative d’Eclosio, soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le cadre de son programme de Promotion de la citoyenneté et de l’interculturalité (PCI) 

Vers la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées et un engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques