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Synopsis
Les produits issu de l’agriculture biologique fleurissent dans les rayons des supermarchés répondant à une demande de consommateurs attentifs à leur santé et soucieux de l’environnement. Qu’y a t il derrière ces labels? Sont-ils à la hauteur de nos exigences? Mise au point pour une alimentation réellement saine et durable.
Publié par UniverSud-Liège avril 2019
Le début du 21ème siècle a été marqué par de nombreux scandales agro-alimentaire : épidémie de gastro-entérites dans toute l’Europe due à la bactérie Escherichia Coli en mai 2011, présence de viande chevaline dans des steaks hachés « pur bœuf » en janvier 2013, scandale des œufs contaminés au fipronil en 2017, préparations de viande avariée à destination du Kosovo et falsification d’étiquettes sur les produits congelés chez Véviba en mars 2018 en sont quelques exemples. Ces événements ont poussé les consommateurs à une plus grande vigilance envers ce qu’ils achètent. D’autre part, la prise de conscience des effets néfastes sur la santé et l’environnement de l’utilisation massive d’intrants chimiques dans l’agriculture, ont pour conséquence un intérêt accru pour les produits biologiques. BioWallonie note une progression de 6% des dépenses pour les aliments frais et boissons bio en Belgique pour l’année 2017, avec une part de marché de 3,4% en 2017, c’est plus du double du chiffre annoncé en 2008.
Les origines du bio
Les changements dans les pratiques agricoles du début du 20ème siècle, notamment avec l’arrivée des engrais chimiques et le début de l’agriculture industrielle, a fait émerger dès les années 1930 dans de nombreux pays d’Europe, en réaction, un attrait pour un système de production plus respectueux envers la terre et les producteurs. Nous pouvons citer par exemple l’allemand Rudolf Steiner et le Cours aux agriculteurs, qui enseigne un mode de production basé sur l’agriculture biodynamique, ou encore les travaux du Suisse, Rusch, gynécologue de formation qui relie la dégénération de la flore bactérienne des muqueuses au problème de la qualité de l’alimentation. Lien qui l’amènera à développer l’agriculture biologique aux côtés de Hans Müller, qui de son côté se battait pour l’indépendance économique des petits paysans.
Parmi les principes de l’agriculture biologique, il y a bien sûr l’absence de produits chimiques et d’organisme génétiquement modifiés (OGM) dans la production, mais aussi le respect du sol en maintenant la diversité et les équilibres naturels.
Plus qu’un “manger sain”, c’est aussi une consommation responsable qui est revendiquée.
On verra ainsi des cahiers de charge bio être créés dans différents pays par des organismes privés pour permettre aux consommateurs d’identifier les produits bios et d’assurer leur qualité en réglementant leur production.
Le label bio européen
En 1992, l’Union Européenne crée le règlement de l’agriculture biologique « définissant les principes, objectifs et règles générales applicables à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques »[1].
Le règlement européen actuel prévoit de réorienter le développement de l’agriculture biologique, afin de l’axer sur des systèmes de culture durables comprenant ;
- Des produits diversifiés et de qualité ;
- Une protection de l’environnement renforcée ;
- Une attention accrue portée à la biodiversité ;
- La confiance des consommateurs ;
- La protection des intérêts des consommateurs.
Le label européen garantit des produits sans OGM, ni pesticides. Le respect de l’environnement et la fertilité des sols y sont aussi encouragés. Les animaux d’élevages sont nourris avec des aliments écologiques, l’insémination artificielle est interdite. Cela dit, on ne trouve pas d’interdiction de certains exhausteurs de goûts, de colorants ou de produits de croissance et parmi les additifs autorisés dans les produits biologiques, 7 d’entre eux[2] sont considérés comme dangereux pour la santé selon « Le nouveau guide des additifs »[3]
Le 26 avril 2017, le Parlement européen a voté un règlement plus permissif en ce qui concerne l’alimentation bio pour faciliter le transport international. Autrefois, lorsque des produits bios étaient transportés, des mesures minutieuses étaient prises pour éviter qu’ils soient contaminés par des traces de pesticides ou autres. Avec cette nouvelle règlementation, les produits ayant été contaminés par des pesticides lors de leur voyage ne seront plus systématiquement retirés du marché. Le fait qu’un tiers de la consommation bio en Europe vient de l’importation de produits étrangers augmente donc le risque de nous retrouver avec des pesticides dans nos assiettes.
Le fait que le seuil de tolérance devienne plus laxiste au niveau européen démontre une volonté de favoriser le commerce international, en important directement les produits biologiques en provenance de pays tiers. Nous risquons de voir apparaître des produits ayant subis un contrôle moins important au niveau du taux de pesticide pour réduire les coûts de production et être plus compétitif au niveau du marché.
A noter que de nombreux pays hors UE possèdent des accords mettant leurs certifications bios nationales au même niveau que celles en vigueur en UE. Les systèmes de production locaux peuvent être différents et certains pesticides non autorisés en Europe peuvent être utilisés dans ces pays sur des produits bios qui se retrouvent ensuite dans nos magasins.
La Wallonie a toutefois mis en place un contrôle plus intensif sur ces taux afin de certifier le zéro pesticide. L’association « Nature & progrès » prône pour un alignement du seuil de tolérance européen sur celui de la Wallonie car les enjeux d’une telle décision impacteront d’une manière importante l’évolution du secteur.
L’apparition de bio dans les supermarchés
Avec l’attrait grandissant que ces produits ont sur les consommateurs, il n’a pas fallu attendre longtemps avant de voir apparaître des rayons de produits bios dans nos supermarchés. Aujourd’hui, 56% des produits biologiques achetés par les consommateurs proviennent des grandes surfaces. La différence avec les magasins spécialisés se fait surtout au niveau du prix, qui est parfois jusqu’à deux fois moins chers dans les supermarchés. S’ils respectent la réglementation européenne en matière de produits biologiques, le modèle de production reste dans la lignée des autres produits : la culture intensive, l’importation massive provenant de pays hors UE, et pour des coûts inférieurs à tout ce qu’on peut trouver dans nos pays.
Parmi les produits bios trouvables en supermarché, on y retrouve aussi des produits hors saison. Ces produits sont importés de zones comme la ville d’Almeria, en Espagne, où 40.000 hectares d’exploitations agricoles sont recouverts par des serres en plastique (dont plus ou moins 700 hectares consacrés au bio) qui sont constamment chauffées ce qui cause une dépense énergétique immense. Les produits qui y sont cultivés parcourront ensuite des milliers de kilomètres pour être vendus. On peut également y trouver environ 4000 travailleurs agricoles pour la plupart sans papiers logés dans des endroits précaire et payés entre 4 et 5 euros de l’heure pour travailler dans ces serres bios[4].
Au final, le bio de supermarché respecte les exigences en matière d’absence de pesticides et OGM mais paraît bien loin de l’esprit dans lequel le bio s’est développé, qui prônait une consommation responsable envers l’environnement et un respect des producteurs. Du point de vue des produits ajoutés, bien qu’ils soient bien moins nombreux que dans les produits classiques, la réglementation actuelle ne permet pas de nous garantir une alimentation aussi saine que l’on veut nous le vendre. En ajoutant les conditions de travail difficiles des agriculteurs, hérités des modes de productions classiques de la grande distribution, et l’importation d’environ 30% de produits consommés en Belgique, on est loin des produits frais achetés chez les petits producteurs locaux à un prix juste.
Quelles alternatives ?
En politique
Au niveau politique, la réglementation européenne semble bien insuffisante pour nous assurer des produits réellement biologiques, respectueux de l’environnement et des producteurs.
Malgré tout, des labels alternatifs s’engagent à plus de responsabilités, par exemple le label Biogarantie® s’engage à faire des efforts en termes de durabilité écologique, sociale ou économique en appliquant notamment une rémunération équitable pour les producteurs, une minimisation du transport, des emballages et des déchets et un circuit le plus court possible[5].
En 2017, de nouvelles réglementations ont été décidées au niveau européen pour l’horizon 2021, comprenant un contrôle physique plus strict sur les modes de production, une interdiction de l’usage des serres et des mesures de prévention contre la contamination des terrains réservés au bio par des pesticides venant des cultures traditionnelles proches. Cependant, les mesures exactes de ces réglementations devront être prises au niveau national et peuvent changer en termes d’efficacité.
Pour ces raisons la Belgique s’est abstenue de voter pour ces nouvelles règlementations, en raison d’un manque de clarté ce qui irait à l’encontre d’une harmonisation des pratiques européennes selon Isabelle Jaumotte, conseillère de la Fédération Wallonne de l’Agriculture.
Dans les supermarchés
Pour encourager les supermarchés à fournir des produits ayant des labels bio et équitables réellement écologiques et solidaires ou à se tourner vers des labels alternatifs, nous tourner vers ces produits afin de créer une demande. Nous pouvons également faire porter notre voix au sein des différentes associations de consommateurs, comme Test-achat ou le Centre Européen des Consommateurs (CEC) Belgique.
Pour nous assurer une production plus respectueuse envers l’environnement et les producteurs des produits que nous consommons, nous pouvons aussi porter une attention sur les produits que nous achetons, en privilégiant les aliments de saison et provenant des producteurs à proximité.
Des applications mobiles permettent notamment de tracer la provenance des produits que l’on retrouve en supermarché, ainsi que celle de leurs composants ! (ex: Open Food Fact).
Actuellement en perte de bénéfices à cause d’une fréquentation de moins en moins grande des supermarchés[6], le défi que les grandes enseignes comme Carrefour ont à relever pour regagner une attractivité et suivre les consommateurs dans une démarché éthique doit se traduire par des engagements forts, en proposant des produits équitables envers les producteurs locaux et issus d’un mode de production durable.
En favorisant les produits locaux, issus d’un mode de production équitable et durable il y a de forte chance que les supermarchés s’adaptent à la demande. Aux consommateurs à rester vigilant à ce qu’il ne s’agisse pas seulement d’une façon de dorer leur image mais d’une réelle démarche de soutient à une agriculture locale respectueuse de l’environnement et rémunératrice pour les producteurs.
Pour développer les engagements que pourraient prendre les supermarchés afin d’aller dans le sens d’une production et consommation durable, ils pourraient par exemple se tourner vers des labels plus exigeants, proposer de la vente en vrac et limiter un maximum les emballages plastiques.
Encore un pas plus loin
Ces pratiques sont courantes dans les coopératives alimentaires[7], qui sont des alternatives aux grandes enseignes pour les consommateurs. La ligne directrice de ces coopératives n’est pas le profit, mais plutôt de s’orienter vers une forme de production à la fois équitable et respectueuse de l’environnement.
les “Petits Producteurs”[8] est une coopérative alimentaire qui se rapproche plus de l’esprit original du bio. La force des coopératives se situe notamment dans la proximité avec les consommateurs, qui sont parfois eux-mêmes des actionnaires et employés de ces magasins.
« La coopérative Les Petits Producteurs se fonde sur un principe de soutien véritable aux agriculteurs, éleveurs et transformateurs :
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Enfin, pourquoi ne pas développer une certaine indépendance de ces systèmes de distribution en cultivant soi-même ?
La permaculture, par exemple, science et art de l’aménagement des écosystèmes humains, permet de cultiver soi-même ses propres produits en reproduisant des écosystèmes naturels et ça, aussi bien dans un potager, une ferme, que dans nos appartements ! Un peu de recherche peut vite amener à des sites, blogs et autres vidéos didactiques permettant de devenir chaque jour un peu plus responsable et indépendant.
Le partage de parcelle de terrain gagne également en intérêt depuis quelques temps. Pour un propriétaire d’une parcelle de terrain, il lui est possible de permettre à d’autres personnes de venir cultiver sur ses terres. En établissant un cadre qui permettra aux deux parties de tirer avantage de cette entraide, ces parcelles deviennent plus qu’un simple potager, en devenant des lieux d’échanges sociaux, et de valeurs communes sur le partage et l’entraide.
Il existe aussi notamment des systèmes de potagers collectifs, permettant de soi-même produire ses fruits et légumes dans des espaces aménagés depuis 2010 (voir : www.asblrcr.be/potager-collectif). Un autre exemple est celui de « Peas and love » espace dans la région de Woluwe-Saint-Lambert à Bruxelles, permettant de louer une petite parcelle de terre pour un coût réduit, où des “community farmer” viennent cultiver des fruits et légumes pour vous, et que vous pouvez récolter toute l’année.
Finalement, la situation actuelle du bio dans les supermarchés est clairement discutable, le label bio européen ne nous assure qu’une absence de pesticides et d’ogm, bien qu’une contamination des produits durant le transport est encore possible, ce qui est bien loin d’être suffisant. Les consommateurs doivent encore être vigilants envers les produits bios trouvables en magasin pour s’assurer une consommation responsable. Si la situation n’évolue pas dans le bon sens dans les supermarchés et pour le label bio européen, les coopératives resteront une alternative bien plus intéressante.
Patrick Janssen
Stagiaire Ecolsio
[1] Législation de l’UE sur la production biologique: présentation, source : ec.europa.eu
[2] Dioxyde de soufre, métabisulfite de potassium, nitrate de sodium, nitrate de potassium, phosphore monocalcique, carraghénanes et hydroxypropylméthylcellulose. Anne-Laure Denans, Le nouveau guide des additifs. Éditions Thierry Souccar, 2017
[3] Denant, Anne-Laure. (2017). Le nouveaux guide des additifs. Edition Thierry souccar
[4] Source : Labels bio : sont-ils vraiment fiables ? – Tout compte fait. France 2
[5] Pour plus d’informations sur de nombreux labels bios qui existent, vous pourrez les retrouver en ligne à l’adresse suivante : www.natpro.be/alimentation/leslabels/index.html.
[6] Source : Le chiffre d’affaires en baisse pour Carrefour Belgique. La Meuse 2019
[7] Voir article dans la revue Cultivons le futur ! du mois d’Avril 2018
[8] Voir site de la coopérative : https://lespetitsproducteurs.be/
[9] Repris de : www.lespetitsproducteurs.be/cooperative/