- Analyses et études
“Tout territoire social est un produit de l’imaginaire humain” Y. Barel
Table des matières
1.2. Dimensions du Territoire : Interactions et dynamiques de pouvoir
1.3. Les Piliers du Territoire : Matériel et Idéel
1.4. Une Grille de lecture Systémique
1.5. Des territoires multiscalaires.
1.6. Territorialité et pouvoir
1.7. Vers une approche inclusive
2.1.1. Gouvernance des terres : le droit foncier au prisme des règles coutumières
2.1.2. Colonisation et décolonisation : repenser les rapports à la terre
2.1.3. Femmes, terre et transition agroécologique
2.1.4. De quoi s’inspirer pour nos territoires
“Appren-tissages” à travers des projets de potagers
B. Le Pot’Ingé, un projet tout aussi inspirant !
3. Repenser les territoires à travers le prisme de l’inclusivité
3.1 En Belgique, les terres publiques comme piste d’action
3.2 Le budget participatif comme leviers d’action
Cette étude est une production collective Eclosio écrite par différentes auteures : Déborah Chantrie (Chapitre sur le Sénégal), Mariel Engels (Chapitre sur la Belgique). Leur travail a été enrichi et appuyé par Romane Marchal, Aliénor Pirlet et Claire Wiliquet sous la coordination de Déborah Chantrie et Olfa Chedli.
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1. Introduction
1.1. Territoires et pouvoirs
En janvier 2024, de fortes mobilisations agricoles éclatent, révélant les tensions profondes entre territoire et pouvoir. Ces mouvements mettent en lumière les difficultés croissantes pour les agriculteurs et agricultrices d’accéder aux terres qu’iels cultivent. À bout de souffle, ces derniers tirent la sonnette d’alarme face à un contexte néolibéral qui les étouffe : l’accès à la terre devient de plus en plus difficile, la pression sur les prix ne cesse d’augmenter, et les accords de libre-échange menacent à la fois leurs revenus et la qualité des produits.
Ces mobilisations soulignent un enjeu central : le lien intrinsèque entre le territoire – la terre cultivée par les agriculteur·ices – et le pouvoir qu’ils·elles peuvent encore exercer sur celle-ci. Cette situation remet en question le concept de souveraineté alimentaire, une thématique fondamentale pour Eclosio. Un point de tension majeur réside dans la dépossession progressive des terres et des savoir-faire agricoles : les agriculteur·ices perdent peu à peu le contrôle non seulement sur leurs terres, mais aussi sur les décisions qui concernent leur exploitation. Ces luttes résonnent avec les enjeux globaux que nous abordons dans d’autres régions, comme le Sénégal, où l’accès au foncier est souvent encadré par des droits coutumiers.
Face à ce constat, une question essentielle se pose : comment les acteurs et actrices d’un territoire peuvent-ils·elles accéder à leurs ressources et participer aux décisions qui les concernent ? À travers cette étude, nous analysons des exemples concrets appuyés par Eclosio, en identifiant des pistes pour renforcer l’inclusivité et la résilience dans les territoires.
En tant qu’ONG universitaire, Eclosio place les dynamiques de pouvoir au cœur de ses réflexions, en tenant compte des réalités propres aux territoires où elle agit. Nous avons pour vision un monde où les générations actuelles et futures exercent ensemble leurs droits à vivre dignement, en interaction harmonieuse avec leur environnement. Présente en Belgique, au Sénégal, au Cambodge, en Bolivie, et dans d’autres pays, Eclosio œuvre sur des thématiques variées. Avec la communauté universitaire et la société civile organisée, nous nous sommes fixés pour mission d’impulser la transition agroécologique, l’insertion socioéconomique de populations fragilisées par l’exclusion et les inégalités et l’engagement citoyen face aux enjeux sociétaux et climatiques actuels. Pour ce faire, nous mettons en œuvre des dynamiques d’inclusion, en créant ensemble des compétences, des savoirs et des solutions innovantes ainsi qu’en suscitant l’engagement des secteurs public et privé. Que ce soit dans les villages sénégalais, les montagnes boliviennes[1] ou les campus universitaires belges, nous collaborons avec des acteurs et actrices engagé·es à rendre le monde plus viable. Ces personnes, qu’elles plantent des arbres, préservent des semences locales ou participent à des actions collectives, contribuent toutes, à leur échelle, à construire un avenir durable. Nous travaillons également sur un territoire mental, en encourageant des changements de mentalité à travers des projets concrets et des méthodologies participatives. Ces initiatives invitent à repenser les rapports entre les humains et la Terre, à imaginer des alternatives et à se décentrer du modèle occidental dominant.
Pour ce faire, nous envisageons le territoire au-delà de sa dimension matérielle. En effet, le territoire n’est pas seulement un espace géographique délimité par des frontières ; il est également un espace mental et social. Il reflète les relations entre les humains et leur environnement, mais aussi entre les individus eux-mêmes, traversées par des logiques de pouvoir. Travailler sur les territoires implique donc de penser ces interactions complexes, qu’il s’agisse des liens avec la nature ou des rapports sociaux marqués par des inégalités.
Adopter une approche territoriale, c’est considérer les ressources naturelles, les cultures et les organisations sociales qui façonnent un lieu. Ce regard nous permet de mieux comprendre les enjeux locaux et globaux, tout en questionnant les relations de pouvoir qui s’y jouent.
Cette étude propose une exploration de la thématique “territoires/pouvoirs” à travers les continents et les échelles, mettant en perspective les relations qui se tissent au sein des territoires. Elle explore des concepts tels que la réappropriation de l’espace, la gouvernance locale et la souveraineté alimentaire. En passant de projets agroécologiques au Sénégal à des initiatives étudiantes sur le campus de Liège, nous cherchons à dégager des solutions inspirantes pour un avenir inclusif.
Comprendre les relations entre humains et territoire, c’est aussi s’ouvrir à d’autres manières de penser, de vivre et d’interagir avec la Terre. En nous intéressant aux pratiques d’autres cultures, nous pouvons sortir de nos cadres habituels, enrichir nos perspectives et imaginer des réponses collectives face aux défis actuels. Comme le souligne Hamant[2] (2024), pour passer du pouvoir à la puissance et bâtir une société plus robuste et solidaire, il faut savoir s’arrêter, réfléchir et rêver.
Par cette étude, nous invitons à rêver le territoire de demain. Mais avant de se plonger dans les analyses de cas, un détour théorique est important, afin de comprendre la méthodologie qui sous-tend cette étude.
1.2. Dimensions du Territoire : Interactions et dynamiques de pouvoir
Le territoire est un objet d’étude complexe, révélant des interactions profondes entre ses dimensions matérielles, sociales et idéelles, ainsi qu’avec les dynamiques de pouvoir qui les traversent. Alors que le territoire peut être envisagé comme un espace physique et symbolique, le pouvoir incarne les dynamiques d’autorégulation et de contrôle exercées sur cet espace. Ce lien est complexe entre territoire et pouvoir. La territorialité comme le souligne Georgia Kourtessi-Philippakis (2011), traduit la tentative par un individu ou un groupe d’affecter, d’influencer ou de contrôler d’autres personnes, phénomènes ou relations, et d’imposer leur contrôle sur une aire géographique donnée, un territoire.
Ainsi, le comportement territorial est un système cognitif et comportemental qui a pour objectif l’optimisation de l’accès d’un individu ou d’un groupe aux ressources de manière temporaire ou permanente (Kourtessi-Philippakis, 2011). Ainsi, le processus d’organisation territoriale doit s’analyser à deux niveaux distincts : celui de l’action des hommes sur les supports matériels de leur existence et celui des systèmes de représentations (P. Bonte, M. Izard, Dictionnaire de l’ethnologie). Le territoire est à la fois objectivement organisé et culturellement inventé. A ce propos, Georgia Kourtessi-Philippakis dit “C’est peut-être là, dans l’intersection des frontières physiques et mentales, que se trouve la difficulté de définir les territoires”.
1.3. Les Piliers du Territoire : Matériel et Idéel
Le territoire repose sur deux piliers fondamentaux – le matériel et l’idéel – qui forment ensemble un système complexe, à la fois objectif et culturellement inventé (P. Bonte, M. Izard). La dimension matérielle englobe les caractéristiques physiques et biophysiques de l’espace, telles que la propriété foncière et les infrastructures, tandis que la dimension idéelle concerne les représentations symboliques, philosophiques et politiques que les acteurs projettent sur le territoire.
Comme l’explique Alexandre Germain, ces deux dimensions sont interdépendantes : « Le rapport de l’homme à l’espace concret relève d’un processus culturel, d’une qualification de la matérialité du monde par le sens que produisent les sociétés. » Cette interaction est visible dans la manière dont les frontières matérielles – chemins, bâtiments, postes-frontières – sont investies d’une dimension idéelle pour structurer les relations sociales et politiques.
1.4. Une Grille de lecture Systémique
Pour appréhender le territoire dans toute sa complexité, il est utile de mobiliser une grille de lecture systémique qui articule trois dimensions distinctes mais complémentaires (Laganier et al., 2002 ; Moine, 2006) :
- Dimension matérielle Le territoire, conçu comme support physique, est doté de propriétés biophysiques qui définissent des opportunités ou des contraintes pour le développement des systèmes anthropiques. Par exemple, au Sénégal, l’accès à la terre pour les pratiques agroécologiques met en lumière des enjeux de propriété foncière et de gestion durable des ressources.
- Dimension organisationnelle Cette dimension concerne les interactions entre acteurs sociaux et institutionnels. Ces derniers se structurent en organisation pour orienter les stratégies de développement. Les collectivités territoriales et la société civile jouent un rôle clé dans l’inclusivité des processus décisionnels, notamment en garantissant une représentation équitable des groupes marginalisés dans la gestion des territoires.
- Dimension identitaire Le territoire reflète également l’identité collective des acteurs sociaux et institutionnels se représentent l’identité, se l’approprient et le font exister par la mise en œuvre d’action pour son développement. Cette dimension idéelle ou identitaire se manifeste dans les représentations culturelles, spirituelles et historiques que les communautés projettent sur leurs espaces de vie.
Pour chacun des cas que nous explorons dans cette étude, nous mobilisons cette grille de lecture.
La question du rapport au territoire peut être abordée sous plusieurs angles. La majorité des géographes s’accordent pour dire que le territoire est avant tout un espace. Cependant, cette notion dépasse largement la simple conception d’un espace clos et se rapproche davantage d’un système complexe et dynamique créé par les acteurs et actrices. Le territoire est donc un produit culturel basé sur la relation que les humains entretiennent avec l’espace physique dans lequel ils vivent (Germain, 2012). Cette dimension est cruciale pour comprendre un territoire à travers ses aspects matériels, c’est-à-dire physiques, et idéels, c’est-à-dire les perceptions et représentations associées au territoire. En d’autres termes, les humains habitent la Terre dans des espaces physiques, composés par exemple de frontières et de limites administratives, matérialisées par les entrées et sorties des territoires. Mais d’autres espaces existent et constituent d’autres territoires : ceux de la culture et du sacré, qui revêtent une dimension symbolique et spirituelle importante. Bien entendu, les liens entre territorialité idéelle et matérielle sont très forts, l’une influençant constamment l’autre. Pourtant, cette distinction est primordiale car il faut bien comprendre que très peu de sociétés ont été fondées sur des frontières fixes (Germain, 2012). Même si, nous sommes tous et toutes profondément attaché·es à l’espace physique qui nous apporte sécurité, et souvent, cet espace est aussi celui où l’on crée et conserver des liens (Moine, 2006). La territorialité est donc une pratique, car elle repose sur le sens que les humains attribuent à l’espace physique qu’iels habitent.
1.5. Des territoires multiscalaires.
En outre, les territoires existent à travers leurs dimensions matérielles et idéelles, mais ils sont aussi multiscalaires (Germain, 2012), ce qui signifie que le territoire peut être appréhendé à différentes échelles, allant de l’échelle locale à l’échelle globale. Il est assez intuitif de penser le territoire à l’échelle locale. D’ailleurs, comme nous allons le voir à travers l’exemple de deux potagers communautaires dans l’enceinte de l’université de Liège, les personnes ont tendance à s’impliquer facilement dans des espaces fréquentés quotidiennement. Pourtant, dans un monde globalisé, nous ne pouvons ignorer les dérèglements climatiques qui touchent de manière disproportionnée les populations vulnérables. Alors que les pays les plus pollueurs sont encore très peu touchés par les impacts du dérèglement climatique, les agriculteur·ices du Sahel, d’Inde ou du Pakistan sont touchés de plein fouet par les vagues de chaleur, dépassant parfois les 50°C, et les laissant dans l’impossibilité de cultiver. Il est donc nécessaire de conceptualiser le territoire à une échelle globale, en tenant compte des équilibres terrestres qui maintiennent la vie sur terre afin de comprendre les interdépendances entre les pays. Actuellement, tant au niveau global que local des relations de pouvoir et d’exclusion sont à l’œuvre.
1.6. Territorialité et pouvoir
Enfin, outre ses dimensions matérielle et idéelle, le territoire est caractérisé par son aspect social. En effet, les humains sont au cœur des territoires, car ce sont eux qui les créent à travers l’ensemble des interactions dynamiques entre les acteurs et l’environnement (Moine, 2006). Ces interactions ne se réalisent pas sans rapports de domination, car chaque acteur va chercher à exercer son pouvoir sur un territoire. Comme le rappelle Georgia Kourtessi-Philippakis, le territoire est un espace de domination où les acteurs cherchent à optimiser leur accès aux ressources. Ces dynamiques de pouvoir influencent la manière dont les décisions sont prises et les ressources partagées.
Le territoire a donc une dimension sociale importante car il est l’espace physique que les humains s’approprient à travers les systèmes de représentation. Il a donc un aspect culturel et historique, et le sentiment d’appartenance à un territoire est le résultat d’un vécu, mais il est ancré dans le présent car c’est le lieu de constitution de la société et de la possibilité de vivre ensemble.
Plusieurs catégories d’acteurs (Moine, 2006) gravitent autour d’un territoire et, comme nous le verrons, ont des logiques et des intérêts différents :
- L’État, en tant qu’État-nation,
- Les collectivités territoriales,
- La société civile et les multiples groupes existants,
- Les intercommunalités,
- Les entreprises.
1.7. Vers une approche inclusive
Ces groupes d’acteurs entretiennent des relations parfois inégalitaires.
C’est le cas, par exemple, au Sénégal, lorsque les entreprises privées accaparent les terres des paysans. Cette pensée, qui complexifie le territoire à travers les relations qu’entretiennent les personnes habitant ce territoire, rend cruciale la question de l’inclusivité afin que toutes les communautés, y compris les groupes marginalisés, aient la possibilité de participer aux processus décisionnels concernant la gestion des territoires. Pour cela, il est important d’adopter une représentation équitable des différents groupes dans les instances de décision.
Enfin, la dimension idéelle ou idéologique est importante car elle soulève une question existentielle : quel(s) rapport(s) souhaitons-nous entretenir avec le territoire et à quelles fins ? Réfléchir sur le territoire est aussi un terreau pour amorcer d’autres réflexions plus larges sur la démocratie, la justice et l’égalité. Une fois la multiplicité des relations au sein d’un territoire exposée, comment penser nos rapports à ce dernier pour favoriser l’inclusivité et la diversité ? Alors que le discours politique actuel tend vers une exclusion de l’Autre, et que les discours d’extrême droite visent à instrumentaliser les différences pour exclure, n’est-il pas temps d’appréhender la diversité à travers le prisme de la richesse plutôt que de celui de l’exclusion ? N’est-il pas temps de revoir nos rapports à la Terre, aux autres et à nous-mêmes à travers le paradigme du soin plutôt que celui de l’exploitation ? Finalement, comme se le demande Alexandre Germain, comment « gérer la concurrence des légitimités territoriales dans un même espace » ?
Réfléchir au territoire implique de dépasser les logiques exclusives et les rapports de domination. Comme le souligne Alexandre Germain, « penser le territoire comme un espace clos constitue un obstacle à la justice et à l’égalité. » Une approche inclusive requiert :
- Une participation équitable : garantir que toutes les voix, y compris celles des groupes marginalisés, soient entendues.
- Un accès aux ressources : notamment l’accès à la terre, indispensable pour les pratiques agricoles.
- Une reconnaissance des diversités : valoriser les représentations culturelles et les savoirs locaux dans la gestion des territoires.
Dans cette étude, Eclosio propose d’approfondir les réflexions sur les liens entre territoire et inclusivité à travers plusieurs études de cas dans différent pays. De cette manière nous allons revenir de manière concrète sur des exemples à travers le monde afin de questionner l’inclusivité au sein des territoires. L’accès équitable aux ressources, dont la ressource foncière nécessaire aux pratiques agricoles, ainsi que la reconnaissance et le respect des diversité au sein des territoires sera questionnée. Enfin les questions d’équité et de justice sociale, au cœur de notre travail quotidien seront abordée.
En somme, la territorialité, et l’inclusivité sont profondément interconnectées. Un territoire inclusif est celui qui reconnaît et valorise la diversité de ses habitants, qui garantit une participation équitable aux processus décisionnels et qui lutte activement contre les inégalités. En repensant nos rapports au territoire à travers le prisme de l’inclusion et de l’inclusivité, nous pouvons créer des espaces plus justes, équitables et harmonieux pour tous. En repensant nos rapports au territoire, nous pouvons créer des espaces plus équitables et durables, en résonance avec les enjeux globaux du XXIe siècle.
2. Territoires en transition
2.1. Sénégal
A. Gouvernance des terres : le droit foncier au prisme des règles coutumières
La question foncière, c’est-à-dire, « l’ensemble des rapports sociaux entre les humains à propos de l’accès à la terre et aux ressources naturelles qu’elle porte, et du contrôle de cet usage » (Colin J.Ph & Co, 2022) sont centrales parce qu’elles cristallisent des rapports de domination dans les sociétés. La terre et les ressources naturelles présentes sur un territoire sont liées au pouvoir économique, étant donné leur fonction productive. En effet, accéder à la terre c’est avoir les moyens de produire des denrées alimentaires pour nourrir sa famille et générer des revenus ; un accès sécurisé est donc primordial pour assureur sa propre subsistance, ou celle de sa population. En Afrique de l’Ouest, environ la moitié des habitant·es vivent des activités agricoles, et aujourd’hui face aux conséquences du dérèglement climatique (sècheresse, désertification, salinisation des sols, et autres), les conditions de vie des populations dépendantes de l’agriculture ne font que se dégrader. Mais, la terre ne se limite pas aux activités d’agriculture ou d’élevage, c’est aussi l’espace où se marquent les liens entre les générations et entre les communautés, entre les humains et les divinités. Elle revêt une importance sociale et culturelle très importante car elle abrite l’histoire et la mémoire des personnes qui y habitent. La terre est le lieu « d’enracinement » intrinsèquement lié à l’identité d’une personne : à l’instar d’un arbre dont les racines s’étendent profondément dans le sol, l’humain est aussi attaché au lieu, à la culture, aux coutumes, à sa langue et sa religion, à son groupe culturel.
Aujourd’hui, la gouvernance de la terre et des ressources naturelles est au cœur des politiques de développement des pays d’Afrique de l’Ouest qui actuellement font face à plusieurs phénomènes concomitants aggravant la pression sur les terres : la démographie galopante, le manque de fertilité des sols à cause de l’utilisation excessive des produits phytosanitaires dans l’agriculture, les stress climatiques, et la monétarisation des terres. Ce dernier phénomène est criant depuis la crise alimentaire et financière de 2008, où les entreprises privées se sont ruées sur les terres disponibles afin de les privatiser dans un but commercial ou pour la production de biocarburant (Sarr, 2014). Elles se sont donc accaparées à grande échelle des terres qui étaient auparavant gérées par des communautés locales. Cette expropriation est possible car la question de savoir à qui appartient la terre reste sans réponse à l’heure actuelle. Effectivement, il y a une majorité écrasante de producteur·ices qui ne disposent pas de droits fonciers sécurisés, c’est-à-dire, qu’ils·elles exploitent une terre, parfois depuis des années, mais sans reconnaissance par l’Etat du statut de propriétaire. Dans ce cas, ce sont les autorités coutumières villageoises qui sont garantes de la gestion des terres au niveau local, mais avec peu de légitimité au niveau étatique, et presque aucune face aux entreprises privées venues pour accaparer des terres à bas prix.
En effet, il existe un dualisme entre la régulation de l’Etat qui constitue un régime juridique souvent hérité de l’histoire coloniale, et les droits de propriété coutumiers régis par les autorités locales. La terre est donc, historiquement et traditionnellement gérée localement, sur base des coutumes. En Afrique de l’Ouest, la terre a toujours été une propriété collective et concrètement, cela signifie qu’elle ne se vend pas (Sarr, 2014). Ce mode de gouvernance du foncier repose donc sur le droit coutumier qui constitue l’ensemble des règles d’une communauté qui sont liées à la coutume, c’est-à-dire à leurs habitudes de vie. Les autorités coutumières, les chefs de village, les chefs religieux puisent leur légitimité de gouvernance dans leur lignage. Ces personnes sont issues de famille qui ont un lien avec des entités supranaturelles et qui sont chargées de préserver l’ordre social ainsi que les rapports entre les humains et la terre à travers des rituels (Colin J.-Ph & Co, 2022). Ce sont des principes fondamentaux d’organisation de la société, constitutifs de l’histoire des communautés et de l’organisation actuelle, souvent vivant et évoluant de manière autonome par rapport à l’état. Mais, aujourd’hui, les coutumes ne suffisent plus à réguler le foncier rural, face aux pressions sur les terres, les chefs coutumiers et autres leaders anciennement garant de l’ordre social ne sont plus en mesure de le garantir (Mingar, 2015).
B. Colonisation et décolonisation : repenser les rapports à la terre
Depuis les indépendances dans les années 60, les états africains croulent sous les défis liés à la gestion foncière car des années de domination coloniale ont laissé en héritage des structures complexes et inadaptées aux contextes locaux. Au XIXème siècle, les puissances européennes ont entamé une compétition pour conquérir les territoires africains. L’Afrique a été le théâtre de ces rivalités où les états européens ont établi des administrations coloniales, et imposé leurs lois, et surtout, ils ont revendiqué la propriété des terres en ignorant les droits coutumiers des populations locales. Enfin, ils ont exploité les terres pour leur propre intérêt, au détriment des populations locales. L’accaparement des terres qui a eu lieu pendant cette période a encore des conséquences sur l’économie et les sociétés africaines. En effet, les systèmes fonciers coloniaux, imposés par l’occident, ont privilégié la propriété individuelle et la vente des terres au détriment des droits fonciers collectifs.
Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, les Etats ont donc un rôle à jouer dans l’organisation du territoire avec, entre autres, un arsenal juridique qui encadre l’accès et l’utilisation des terres. Et, bien souvent, le droit, c’est-à-dire l’ensemble des règles imposées par le cadre législatif étatique, entre en contradiction avec le droit coutumier. En d’autres termes, les règles édictées par les Etats ne sont pas en adéquation avec les règles appliquées par les communautés locales. Cette pluralité de normes s’explique par l’histoire et l’imposition des normes issues de la colonisation qui ne reflètent pas la complexité de fonctionnement liés aux coutumes locales. Alors qu’en Europe, le droit est le fruit d’une lente incorporation des normes sociales, dans le droit, en Afrique c’est l’issue d’une domination violente à travers la colonisation. De plus, les Etats africains sont encouragés à réformer le droit foncier afin de favoriser l’investissement privé. Par exemple, le Sénégal, depuis quelques années s’est engagé dans des réformes foncières de taille, avec une volonté d’établir des règles claires qui encadrent l’accès au foncier. Le « Pacte avec l’Afrique » du G20 met l’accent sur l’importance de l’investissement du secteur privé (Lagarde, 2018) pour contribuer au développement économique du pays. Seulement, pour favoriser ces investissements privés, il serait nécessaire de réformer le foncier. Mais la réalité est plus complexe car les investisseurs privés pensent d’abord à leur profit. Alors qu’au Sénégal 95 % des terres appartiennent au « domaine national » donc à l’état, la population avec l’appui de la société civile plaide pour une gestion foncière qui se fasse au profit des exploitations familiales afin de promouvoir un développement rural intégré. Les organisations paysannes et la société civile veulent répondre à l’enjeu de souveraineté alimentaire par le développement d’une agriculture respectueuse de l’environnement.
Outre l’aspect de production agricole, ces processus de réforme foncière ignorent totalement l’importance sociale que constituent les terres. Elles revêtent aussi un caractère sacré et divin pour les populations locales. En effet, dans les cultures animistes[3], les divinités sont liées à un endroit. Au Bénin par exemple, les divinités locales ont des temples dans lesquels les personnes viennent réaliser des offrandes. Et, lors de la construction d’une route, le temple de la divinité n’est pas déplacé, c’est la route qui est déviée. Cela souligne la prégnance des croyances et leur place dans la société où la terre est beaucoup plus qu’un simple facteur de production. C’est un lieu sacré, qui constitue à la fois un lien avec les ancêtres, des espaces spirituels, une entité sacrée porteuse d’énergie vitale. C’est donc un rapport très complexe qu’entretiennent les populations locales avec la terre. Cela nous amène à penser qu’il est nécessaire de tenir compte des dynamiques coutumières, et de construire des réformes foncières qui prennent en considération les forces sociales locales mais aussi les inégalités structurelles existantes dans la société. Un bel exemple, en 2023, le droit collectif a été pris en compte dans le régime juridique foncier au Sénégal. Grâce au plaidoyer des organisations de la société civile, la terre peut appartenir à une collectivité, donc à plusieurs personnes, une famille ou encore un groupement d’intérêt économique. A l’opposé de la propriété individuelle, la propriété collective remet en cause l’option néo-libérale, traduite par une appropriation individuelle extrême des terres, afin de protéger les droits d’accès et d’usage des terres par les populations locales. Les terres peuvent alors être affectées à plusieurs personnes d’une même famille ou à un groupe de personnes. C’est un exemple de prise en compte des revendications des communautés rurales et des coutumes en application. Mais, le droit coutumier, loin d’être parfait, occulte complètement la place des femmes dans l’accès, l’usage, et la gestion des terres.
C. Femmes, terre et transition agroécologique
Dans le secteur agricole, les femmes représentent une grande part de la main d’œuvre. Pourtant, elles sont de simples usagères, et elles n’ont pas de pouvoir décisionnaire. Cela s’explique par plusieurs facteurs : les dispositifs coutumiers qui participent au maintien des relations patriarcales, l’analphabétisme et le manque de formation ou d’information sur leurs droits. Mais comment penser une évolution foncière favorable aux droits des femmes en adéquation avec les coutumes ? Les systèmes patriarcaux excluent les femmes de l’héritage. Les femmes n’existent que par leur appartenance à un homme, à travers le mariage, et ce sont eux qui gèrent les moyens d’existence. Les femmes accèdent donc à la terre par une faveur, ou une tolérance de leurs époux, frères, ou un autre homme, qui lui, possède la terre. La femme n’aura alors que la possibilité de l’exploiter, mais sans avoir un accès sécurisé à long terme. Pourtant, dans les milieux ruraux, les femmes exercent des responsabilités importantes concernant la sécurité alimentaire et la bonne nutrition du foyer. De même qu’elles sont des actrices du changement, elles participent activement à la reproduction de la société, ce qui signifie qu’elles sont centrales dans le développement d’un territoire.
Les femmes représentent la moitié de la population, et, même si elles ne constituent pas un groupe social homogène, et qu’il y a autant de réalités que de femmes, elles ont en commun, à échelle variable, de détenir moins de privilèges et de pouvoir que les hommes. C’est pourquoi les programmes de coopération au développement soulignent l’importance d’avoir une approche genre. Pour remédier à la répulsion du concept « genre » qui est souvent mal compris et associé à l’imposition des normes de l’occident, il est plus intéressant de parler d’approche Leave No One Behind (en français, ne laisser personne de côté) ainsi que de, cibler des actions spécifiques pour réduire les inégalités identifiées.
En Afrique de l’Ouest, même si les contextes sont différents en fonction des pays et des régions, il existe d’importantes inégalités en matière de droits fonciers entre les hommes et les femmes. Au Sénégal par exemple, le droits foncier, promulgué par l’état, est le même pour tous les citoyens et citoyennes. Mais dans la pratique, les femmes ne jouissent pas de leurs droits. Elles font l’usage des terres que les hommes veulent bien leur prêter. Souvent des plus petites parcelles, pas très bien situées (loin du village), et pour la plupart, peu fertiles. En somme, les hommes gardent les meilleures terres pour eux et ils y pratiquent des cultures de rente. Les femmes vont travailler dans le champ du mari, mais elles n’ont pas de contrôle sur la terre, encore moins sur le revenu issu de la vente des céréales produites dans le champ.
Pourtant, la terre est indispensable pour penser une transition agroécologique et promouvoir des systèmes alimentaires durables, et les femmes ont un rôle important à jouer dans cette transition qui doit contribuer au bien-être de tous et toutes. Il ne s’agit pas d’exclure les hommes, mais plutôt de chercher un équilibre en questionnant les rapports de pouvoir, et les privilèges dans une société, pour entrainer les hommes et les femmes, ensemble, dans un projet de société durable et inclusif. En pratique, dans les interventions des programmes de coopération internationale, il est possible d’utiliser plusieurs stratégies. D’abord, les femmes constituent souvent le public cible des interventions, la majorité des activités du programme visera donc directement les femmes. Au Sénégal par exemple, c’est le cas des activités de maraîchage, de transformation de produits et techniques culinaires et la promotion d’activités génératrices de revenus. Dans d’autres activités, il est plus compliqué de mobiliser les femmes, c’est le cas de l’apiculture, qui est traditionnellement une activité réservée aux hommes. Dans ces cas, il faut entamer d’abord un travail de sensibilisation et de déconstruction des stéréotypes pour garantir le succès de l’activité. Mais, en ce qui concerne les activités agricoles, l’accès à la terre est déterminant.
Comment alors optimiser le potentiel des femmes à renforcer la résilience de leur ménage et à accélérer la transition agroécologique ? Comment tendre à neutraliser ces rapports de domination ? Actuellement, c’est la méthodologie de l’empowerment (autonomisation) qui constitue une démarche de travail utile pour renforcer le pouvoir des femmes. En corolaire, les hommes privilégiés sont impliqués dans le processus à travers la notion de co-responsabilité car ils devront renoncer à leurs privilèges au profit du bien commun.
L’empowerment recouvre 3 dimensions : (1) le pouvoir intérieur qui est le socle, la base de notre identité. C’est la confiance que nous portons en nous même, la « confiance en soi », l’estime de soi. (2) acquérir des compétences et les connaissances. Et enfin c’est (3) créer des réseaux parce « qu’ensemble on est plus fortes » ! Finalement, l’ensemble de ce processus d’empowerment veut donner aux femmes la capacité de décider. Cette méthodologie émancipatrice est intéressante, mais pas toujours facile à appliquer. Car elle revêt des dimensions diverses, et il est compliqué d’agir sur les trois « pouvoirs ». Et, ce qu’il est important de comprendre, c’est que ce processus ne peut se faire sans intégrer les hommes, car sinon il risque de créer des décalages, et in fine, encore plus de violence envers les femmes. C’est pourquoi, il est important de travailler avec les organisations de la société civile locales, qui connaissent la culture, les normes et représentations des populations locales. Elles sont des actrices de choix pour dérouler une telle méthodologie en mettant en place diverses stratégies pour accompagner les communautés dans ce processus.
En effet, l’accès à la terre sécurisé est déterminant si on veut faire de l’agroécologie car c’est un processus à long terme. L’agroécologie, comme socle pour construire des systèmes alimentaires durables, implique un changement de pratiques agricoles, sur base de connaissances locales, mais aussi d’un renforcement de capacités des producteur·ices. C’est donc un processus graduel qui vise à renforcer la sécurité alimentaire des ménages.
Donc, notre choix est d’accompagner les femmes, ce qui nécessite un accès sécurisé et pérenne à la terre. Concrètement, cela implique que les hommes du village doivent accepter de mettre à disposition, sur une longue durée, des terres destinées exclusivement à l’exploitation et à la gestion par les femmes. Cette approche vise à éviter la reproduction des rapports de genre inégalitaires. De plus, ces terres doivent être situées à proximité du village pour réduire la pénibilité du travail des femmes. Cela nécessite que les hommes partagent leurs privilèges liés à la possession foncière en cédant ces terres aux femmes. Avant tout investissement ou aménagement en vue d’activités de maraîchage, il est crucial que ces terres soient sécurisées afin de garantir qu’elles ne puissent pas être reprises aux femmes une fois le site opérationnel.
En effet, les aménagements sur les sites sont conséquents. Sont nécessaires un accès à l’eau sécurisé tout au long de l’année avec des forages solaires, des bassins pour faciliter l’arrosage, des clôtures en fer pour éviter l’entrée des animaux dans le site, ainsi que la reforestation du site. C’est pourquoi il est important d’avoir l’aval des chefs coutumiers et des hommes du village, pour ensuite avoir une délibération au niveau des autorités étatiques. Selon le droit foncier sénégalais, ce sont les autorités communales, les mairies, qui délibèrent afin d’attribuer la terre aux personnes. La terre ne s’achète donc pas, elle appartient à l’état, mais les personnes peuvent l’utiliser pour autant qu’ils·elles la mettent en valeur.
Il y a donc plusieurs niveaux de pouvoir qu’il faut convaincre et pour cela, les OSC (organisations de la société civile) locales ont des stratégies qui se basent sur, une connaissance fine des us et coutumes locales et une capacité à s’entretenir et à convaincre les chefs villages où les propriétaires terrains.
Cela permet de développer un argumentaire pertinent et de les convaincre :
- L’importance pour les femmes de disposer d’une terre proche du village pour diminuer la pénibilité du travail et pouvoir assurer ses autres tâches ;
- L’autonomie économique des femmes, qui avec l’argent lié à la vente des légumes pourront moins dépendre de l’homme, qui verra la charge du ménage qui traditionnellement pèse sur lui diminuer ;
- Une meilleure alimentation du ménage et des enfants, avec les légumes disponibles toutes l’année assuré par l’accès à l’eau productive.
Les OSC vont donc entamer un processus de sensibilisation des hommes de pouvoir dans les villages. Cette sensibilisation peut prendre plusieurs formes. Elle peut être formalisée autour d’une activité, par exemple, l’horloge du temps. C’est une activité qui se fait avec les hommes et les femmes pour que les hommes se rendent compte de toutes les tâches que font les femmes pendant une journée. De cette manière, les hommes prennent conscience des réalités des femmes, et cela débouche sur des discussions sur les inégalités entre les hommes et femmes. Ou bien simplement de manière informelle, par un processus de négociation entre les autorités locales et les organisations de la société civile. Une fois que les chefs au niveau village ont accepté de céder une partie de leur terre, alors le processus continue mais cette fois au niveau des mairies. Il faut donc accentuer le plaidoyer auprès des mairies pour que les institutions communales délibèrent au nom des femmes. Aujourd’hui, il n’y a pas encore de délibération au nom d’une femme en tant qu’individu mais plutôt au nom de groupement de femmes qui exploitent une même parcelle. Un premier pas vers plus d’égalité…
D. De quoi s’inspirer pour nos territoires
Les éléments mentionnés ci-dessus révèlent divers points de tension et des enjeux de répartition du pouvoir. L’une des principales tensions réside entre les droits coutumiers et le système juridique hérité de la colonisation, une dualité qui persiste même après les indépendances. En effet, les États africains ont conservé en grande partie les structures juridiques et administratives coloniales. Rappelons que les frontières des pays africains ont été tracées au XXᵉ siècle par les puissances coloniales, sans tenir compte des cultures, des organisations sociales des populations locales et, bien sûr, sans consultation des habitant·es concerné·es. Ces frontières arbitraires constituent aujourd’hui les limites politiques des États. L’organisation et la répartition du pouvoir à l’intérieur des territoires sont aussi intimement liés à l’organisation du pouvoir colonisateur. Ce ne sont pas simplement des bribes du passé que nous retrouvons aujourd’hui, c’est tout un système qui a été imposé par la violence, et avec lequel les populations locales doivent composer aujourd’hui.
En plus de cela, les états africains doivent composer avec des politiques publiques néocoloniales qui offrent sur un plateau d’argent les terres aux grandes entreprises privées qui achètent à très bas prix des terres pour produire en grande quantité des produits d’exportation avec des méthodes destructrices pour l’environnement. Ce phénomène est une nouvelle forme de colonisation, souvent appelée, néocolonialisme, car cela entretient les rapports de domination mondiaux dans lesquels les peuples d’Afrique se voient arracher leur terre, sous prétexte de logique économique. Sortir de ce paradigme capitaliste, qui accentue les relations de pouvoir au détriment des plus pauvres est nécessaire pour actionner les changements vers une société solidaire.
Enfin, l’agroécologie en tant que mouvement sociopolitique amène les personnes à redéfinir leur relation à l’environnement, tout en tenant compte de l’importance des droits humains et de la dignité humaine. Identifier les logiques de domination dans la gouvernance foncière nous invite aussi à dépasser ces logiques et à identifier les possibles. C’est à travers le rêve et les utopies que les changements sont possibles. Rêvons notre territoire grâce aux organisations de la société civile qui se mobilisent pour être au cœur de la gouvernance des terres. Pour que les entreprises ne puissent pas accaparer des terres. Pour que la gestion foncière se fasse au profit des petites exploitations familiales, de la souveraineté alimentaire et de la transition agroécologique. Les terres sont aussi des lieux autant matériels qu’immatériels. Parce que la terre c’est le lien à sa culture et aux ancêtres. La terre et les ressources qui y sont présentes sont des lieux de culture. La sacralisation est importante et contribue à la reproduction des sociétés, au maintien de l’ordre social, mais aussi à la préservation de l’environnement.
Enfin, que cela soit en Afrique ou en Europe, il est urgent de remettre la Terre, les terres au centre des questions pour construire un monde plus juste et durable. Les exemples sénégalais nous le montrent, imaginer la terre comme un bien commun est possible et matérialiser cela dans le droit l’est également. Il est aussi possible de renoncer à ses privilèges, de redistribuer le pouvoir, de penser à la communauté au-delà des intérêts individuels. Nous devons nous nourrir des exemples des autres, qui montrent qu’un autre monde est possible. Nous devons visibiliser d’autres possibles, d’autres schémas de pensée pour créer un monde solidaire.
2.2. Belgique : Investir le territoire universitaire pour une sensibilisation collective à l’écologie
Après avoir zoomé sur les spécificités des territoires sénégalais, analysons deux initiatives étudiantes sur le territoire de l’Université de Liège. Cette section pose plus largement la question du rapport au territoire, dans ses dimensions matérielles – à qui appartient la terre, qui peut en jouir, avec quelles ressources, etc. – sociales – comment le rapport au groupe influence-t-il le rapport à la terre, comment engendre-t-il un sentiment d’appartenance tant à un territoire qu’à un groupe, quel(s) mode(s) organisationnel(s) se tisse(nt) et prospère(nt) au sein d’initiatives telles que celles présentées ici-, et enfin idéologiques – quel rapports souhaitons-nous entretenir au territoire et à quelles fins ?
“Appren-tissages” à travers des projets de potagers
Les enjeux liés aux changements climatiques et à la transition écologique ne sont pas nouveaux. Déjà en 1970, le rapport du club de Rome aussi appelé le Rapport Meadows[4] tire la sonnette d’alarme et invite les États à prendre des mesures pour qu’ils mettent en place des stratégies afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Quelques décennies plus tard, en 1988, le GIEC[5] fait le constat du rôle inédit de l’humain dans la transformation de notre planète, et en 1995 apparaît un organe suprême, au sein des Nations Unies, chargé de définir des mesures communes et d’acter la manière de mettre en œuvre ces solutions aux changements climatiques, la Conférence des Partis (COP). En 2015, avec la COP21 de Paris, la thématique environnementale semble plus importante dans les consciences citoyennes. En effet, 194 pays s’engagent en signant pour la première fois un accord universel sur le climat afin de maintenir le réchauffement climatique sous la barre de 2°C. Outre cet accord largement médiatisé, le film documentaire “Demain” bat des records d’audience et semble avoir contribué à donner aux citoyens et citoyennes envie de s’engager dans cette transition écologique. Ce dernier fait le pari de présenter des pistes d’actions réalisables à échelle individuelle et locale à partir d’une réflexion reposant sur cinq piliers constitutifs de la société : l’agriculture, l’énergie, l’économie, l’éducation et la gouvernance.
Le film “Demain” a engendré une vague de sensibilisation et de conscientisation, et a sans doute mis un coup de projecteur et amplifié des mouvements de transition locale. A Liège par exemple, en 2012, un congrès avait été organisé par des étudiant·es de HEC Liège pour réfléchir à la transition environnementale et rassemblait des entrepreneurs sociaux et des membres de Liège en Transition. De ces échanges naît officiellement la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL) dont l’un des objectifs est de contribuer à la souveraineté alimentaire liégeoise[6].
Des initiatives individuelles naissent, de nombreux citoyens et citoyennes commencent à modifier leurs habitudes alimentaires, tentent de diminuer leurs déchets, se lancent dans des ateliers « do it yourselves »[7] (DIY), entre autres choses. De nombreux·ses jeunes s’inspirent et se mobilisent, notamment à la suite des prises de parole de Greta Thunberg militante écologiste suédoise et de Adélaïde Charlier, une jeune namuroise. Iels participent à la marche pour le climat de 2019 et œuvrent à la création du mouvement Youth for Climate Change, organisant des manifestations régulières. En parallèle, émergent dans les médias d’autres figures de la lutte climatique de par le monde. Peu à peu, la jeunesse marque sa préoccupation pour son avenir, désire modifier son rapport à l’environnement, retrouver du sens et créer du lien autour d’un objectif commun : assurer un avenir résilient et respectueux du vivant en agissant face aux bouleversements des équilibres qui maintiennent la vie sur terre et à l’urgence d’un monde qui change.
C’est dans ce contexte que des jeunes décident d’investir le territoire du campus du Sart-Tilman de l’Université de Liège (autrement qu’en y étudiant ou en y travaillant), en créant des projets de potagers collectifs. A partir des exemples d’Uni-Vert et du Pot’Ingé, dont nous avons rencontré les membres, ce chapitre explore les dynamiques occasionnées sur ce territoire et les liens créés autour d’une co-sensibilisation à l’écologie. Ces différentes expériences permettent de souligner l’importance de l’ancrage à un territoire, les attachements qui y sont reliés, l’engagement qui en découle, ainsi que le rôle des rapports sociaux et du sentiment d’appartenance dans la pérennité dans ce type de projet.
Comment ces projets ont-ils été rêvés et continuent-ils de l’être ? Comment les personnes à l’origine de ces initiatives se sont-elles organisées ? Comment ont-elles mobilisé d’autres jeunes autour d’un territoire qui ne leur appartient pas mais qu’ils souhaitent investir?
A. Uni-Vert, un premier potager collectif au carrefour de plusieurs facultés du campus du Sart-Tilman
Le projet a été initié pendant l’année académique 2016-2017 par Kate[8], une ancienne étudiante de l’ULiège qui avait terminé ses études et qui s’était formée au sein de la ferme Larock, un établissement en biodynamie situé à Neupré, dans la province de Liège. Suite à cette formation, elle désire poursuivre son apprentissage tout en partageant le plaisir de cultiver avec d’autres personnes. Pour cela, elle se met en quête d’un terrain disponible. Elle apprend par l’intermédiaire de Marie, responsable de l’Administration des Ressources Immobilières (ARI) du département Planification stratégique : Energie – Environnement, que l’ULiège est favorable à accueillir des projets de potagers sur le campus du Sart-Tilman.
Rapidement deux ancien·nes étudiant·es de l’ULiège rejoignent Kate dans le projet. A la suite d’une rencontre avec Maurice et Léo, gestionnaire des espaces verts ULiège, le groupe choisit un terrain qui se situe au carrefour de plusieurs bâtiments et facultés de l’Université, dans l’allée du 6 août. Il est visible et ouvert à tout·e un·e chacun·e et se fait surnommer Uni-Vert. Le choix du nom se veut rassembleur : “uni” à la fois pour “université” et à la fois pour “union”, ouvert à toutes et tous. Il est créé autour d’un objectif commun : prendre soin de son environnement, apprendre à cultiver ensemble, à créer et tisser des liens en se nourrissant autrement au contact de la terre.
En plus de la mise à disposition du terrain, le collectif reçoit une aide financière pour l’achat de matériel ainsi que des aides logistiques telles que la mise à disposition de terre et de fumier de la faculté Vétérinaire, de même que du broyat et du soutien in situ – tonte par exemple – de la part du service des espaces verts.
Le groupe initialement constitué de trois personnes passe à dix grâce à l’organisation de journées portes ouvertes et est renforcé par la participation de certain·nes étudiant·es déjà investi·es par ailleurs dans un projet en agro-écologie (les Compagnons de la Terre situé à Blegny). Il est alors constitué d’étudiant·es issus de facultés différentes, de jeunes travailleurs·euses et est rejoint plus tard par Colette, une habitante retraitée du Sart-Tilman – que nous retrouverons plus tard investie également dans le projet du Pot’Ingé.
Les décisions concernant le terrain et son aménagement sont prises en intelligence collective, sous le mode d’une organisation autogérée et horizontale. Au cœur du projet, la volonté de participer à la création d’un écosystème, de favoriser la biodiversité d’un lieu, de tisser des liens avec des personnes tout en étant proches de la terre, de partager des moments de convivialité en apprenant, en découvrant et en expérimentant ensemble autour d’un projet concret. Au-delà du potager, lors de chantiers collectifs, iels plantent des haies, des arbres fruitiers, aménagent une mare, des espaces de détente, entre autres choses.
Au fil des années, les participant·es ont progressivement quitté le projet, principalement en raison de contraintes de temps et de distance. Ne fréquentant plus le campus, le territoire investi par le projet Uni-Vert est devenu géographiquement éloigné de leurs activités quotidiennes. En 2024, Colette continue néanmoins de prendre soin de cet espace et de sa biodiversité. La proximité apparaît donc comme un facteur déterminant pour l’investissement dans un territoire.
Les personnes à l’initiative de ce projet laissent derrière eux et elles un territoire de rêve, ou rêvé, conçu, aménagé en intelligence collective et autogérée pendant presque deux ans. Aujourd’hui, ce terrain continue de vivre grâce à Colette qui prend soin de conserver cette oasis de biodiversité (composée de haies fruitières, de chemins de passage, d’arbre, de zone de détente, d’une mare, d’un potager).
B. Le Pot’Ingé, un projet tout aussi inspirant !
Deux années plus tard, en 2019, se lance le Pot’Ingé dans le Quartier Polytech. Le projet provient de l’envie d’investir un lieu où l’on étudie, on vit, on travaille, un lieu qui soit au sein de l’Université bien que restant en dehors d’un cadre universitaire (cours, cercles, travail, recherche). Les personnes qui initient ce projet sont des doctorant·es issues du ReD (réseau des doctorants) et principalement des sciences appliquées (ingénieurs civils). La plupart sont déjà sensibilisé·es et touché·es par la dimension environnementale., et effectuent, pour une partie, leurs achats en circuit-court.
Leur envie ? Mener un projet concret et collectif pour (se) sensibiliser et (se) conscientiser aux thématiques environnementales, en apprenant à cultiver ensemble et en se rassemblant autour des questions liées à l’alimentation, le tout en se rapprochant de la terre et du vivant. Après une demande officielle, le groupe reçoit l’avis favorable du doyen pour occuper le terrain proposé par le service espaces verts de l’Université, proche de leur lieu de passage.
Ensemble, iels réfléchissent à l’aménagement de cette parcelle sur laquelle iels seront présent·es le temps de leur thèse. Iels cherchent à encourager la participation des étudiant·es en organisant notamment des descentes dans les amphis de la faculté de Sciences Appliquées. Dans le but de réaliser une application concrète pouvant servir à l’aménagement du territoire, iels proposent à des professeur·es de relier les cours qu’iels donnent avec le projet. C’est ainsi qu’ont été réalisés des panneaux solaires, ou encore un test pour créer du béton recyclé. Bref, de quoi allier une volonté de prendre soin de l’environnement avec ses études/recherches ; combiner sensibilisation et action au sein de la société civile.
De cette façon, iels investissent autrement ce territoire universitaire, le décloisonnent en (s’) invitant à sortir du cadre des cours et des connaissances uniquement liées à leur domaine d’expertise. Ensemble, tel un laboratoire expérimental, iels apprennent à cultiver une terre, se renseignent et font parfois appel à des connaissances, dont Maxime, le maraîcher de la ferme Beauregard (situé près de Boncelles). Certain·nes suivent la formation en maraîchage donnée par Stéphane, conseiller des Services Agricoles de la Province de Liège. Iels s’inspirent du modèle de la permaculture, ont envie de porter soin et attention au vivant tout en produisant de bons légumes et fruits qu’iels se répartissent selon leur temps d’implication, ou vendent en cas de surplus.
Au-delà de la mise à disposition de terrains, et d’une aide financière pour l’achat d’une serre et de matériaux, la faculté met également à disposition un local ainsi que certains espaces (par exemple, les appuis de fenêtres lors de la période des semis). De manière globale, les membres du Pot’Ingé ont des échanges fluides et avancent en confiance avec les responsables des bâtiments, les gestionnaires des espaces verts et le doyen de la faculté.
Outre le potager et l’organisation de chantiers participatifs qui se clôturent toujours par un apéro convivial, iels organisent parfois des ateliers de cuisine, et des événements pour sensibiliser un plus large public. A titre d’exemple, l’envie de présenter le rôle de l’Université dans la transition écologique les a mené·es à organiser l’Expot’Ingé en 2023. Cet événement grand public – accueillant marché de producteurs·rices locaux – visait à présenter le projet, inaugurer le second terrain caractérisé de “vitrine” pour sa visibilité et sa visée pédagogique, et informer les participant·es par le biais de séminaires thématiques et d’une conférence portant sur le rôle de l’Université dans la transition alimentaire.
Plus largement, le Pot’ingé a créé un partenariat avec la CATL, Ceinture Aliment-Terre Liégeoise en participant régulièrement au festival Nourrir Liège. Ce dernier s’ancre pleinement dans le tissu associatif liégeois par le biais d’une mise en réseau d’acteur·ices œuvrant à la transition écologique localement, et plus particulièrement, à la souveraineté alimentaire. Ainsi il n’est pas étonnant de les voir obtenir une reconnaissance en recevant, en 2021, le Prix des Acteurs de la Transition Écologique et Alimentaire de la Province de Liège.
C. Appren-tissages potagers
Pour Uni-Vert comme pour Pot’Ingé, l’initiative démarre d’une envie de s’investir concrètement et collectivement au sein de son environnement de vie. Il s’agit de cultiver un potager commun situé sur le territoire de l’Université de Liège, là où les participant·es passent une grande partie de leur temps quotidien pour des raisons multiples, bien que majoritairement liées à des cursus académiques. Quoique tous deux fondés sur une implication de groupe au sein d’un espace foncier prêté, les deux projets se distinguent sur différents plans et en particulier, leur pérennité. Alors que le Pot’Ingé se développe et se révèle particulièrement fécond, Uni-Vert s’est vu transformé par le départ de ses membres et assigné à l’état de “zone de biodiversité” désormais entretenue par Colette.
- Proximité, attachement et engagement
L’une des hypothèses envisagées dans ce chapitre est que la proximité géographique entretenue avec le lieu, son attachement, voire son ancrage[9], peut impliquer ou non l’investissement physique et moral des individus au sein de cet espace.
L’anthropologue Laura Centimeri (2015) définit l’attachement au lieu comme suit :
Une matérialité qui nous est familière, qui répond à des besoins physiologiques de base (se reposer, manger, dormir, etc.). Une matérialité qu’on adapte ou ajuste, mais aussi à laquelle on s’accommode, à partir de la répétition au quotidien des usages qui deviennent des habitudes. Ce sont les lieux de tous les jours, les lieux « ordinaires » de notre vie. Loin d’être un simple arrière-plan de notre agir, ces lieux participent de manière active au maintien de nos capacités de faire avec les autres et avec nous-mêmes. L’attachement est alors à comprendre comme la (inter)dépendance à une matérialité que l’on façonne autant qu’on en est façonnés, par les processus d’usage et de familiarisation s’inscrivant dans la durée.
Dans le cas du Pot’Ingé, le premier terrain se situe à proximité d’un bâtiment, attaché à la faculté des Sciences Appliquées et reçoit le soutien direct de son doyen, menant probablement à un sentiment d’appartenance pour les personnes faisant partie de cette faculté. Le lieu est visible – tout en étant caché des visiteurs externes et protégé par des clôtures – par celles et ceux qui y passent pour travailler, étudier, effectuer des recherches. Dès lors, il s’agit d’un espace fréquenté de manière répétitive et quotidienne par ses membres, qui s’y impliquent et le voient évoluer au cours du temps. Par cette dimension ordinaire de l’expérience du lieu, proche d’autres espaces d’usage et de familiarisation journaliers, on peut supposer que les membres du Pot’Ingé disposent d’un attachement au lieu particulier.
A l’inverse, le potager Uni-Vert, au carrefour de plusieurs facultés, n’est finalement attaché à “rien”, n’ayant aucun bâtiment en lien direct avec lui. Si le projet reçoit bien un soutien de l’Administration des Ressources Immobilières (ARI) et du service des espaces verts, il ne reçoit l’appui d’aucune faculté spécifique, il révèle une identité plus discrète. D’ailleurs, l’une des difficultés pointées par Kate était l’impossibilité d’aménager des infrastructures du type cabane ou abris en cas de pluie, ou encore le manque d’accès à l’eau. Cette difficulté n’a pas été rencontrée par le Pot’Ingé puisqu’iels ont pu installer des serres, des cabanes, entre autres choses. Ainsi, la présence du collectif Uni-Vert avait une dimension “précaire” et la possibilité de s’y sentir “chez soi” était sans doute amoindrie par le manque de potentialités et de libertés d’aménagement. De plus, selon Colette le terrain a pâti de plusieurs dégradations dues notamment au passage des sangliers ainsi que plusieurs vols de légumes. Ces éléments ont sans doute joué un rôle dans l’essoufflement du projet. Finalement, seule Colette, cette habitante du Sart Tilman, a maintenu son engagement sur le lieu et reçoit de temps à autre le soutien du Pot’Ingé, qui a permis notamment l’obtention d’une bâche neuve pour la mare d’Uni-Vert lors d’un appel à subventions.
Dans le même ordre d’idée, les étudiant·es qui se situent au centre-ville (et n’ayant pas cours au Sart-Tilman) s’impliquent rarement dans les projets de type potager. Si la mobilité est présentée comme frein à l’implication, le fait de ne pas être en lien avec le lieu pourrait également être évoqué. Pourquoi s’investir sur un terrain que l’on ne connaît pas, ou l’on ne passe pas, auquel on n’est pas attaché·es ni par proximité au lieu, ni par un sentiment d’appartenance à un groupe ?
- Temps ou sentiment d’appartenance à un groupe ?
De même que la notion de lieu et d’accès à celui-ci, un frein à la participation souligné par Kate d’Uni-Vert et par Evelyne du Pot’Ingé est le facteur temps dans les difficultés rencontrées. En effet, le temps se divise selon les cours, le blocus, les examens, les jobs étudiant·es, la famille, les relations sociales, les fêtes, le sport, etc. Il n’est pas si simple de consacrer du temps à soi dans un projet qui demande un investissement régulier et quotidien, notamment en été lors de la phase de récolte. Là aussi et à nouveau se pose la question de la présence et du rapport au territoire puisque c’est une période où les étudiant·es ne vont a priori pas sur leur campus (étant en vacances, de retour dans leur famille, ou travaillant pendant l’été, …). Iels ne sont ainsi plus en lien direct avec l’espace investi.
Néanmoins, la proximité au lieu (physique) ne peut pas être la seule source de réussite du maintien du projet Pot’Ingé puisque dans les deux cas, la majorité des personnes impliquées sont a priori de passage (temps des études, de la thèse, de la recherche), et n’ont par conséquent, pas d’attache au territoire dans le temps que cela soit en tant que propriétaire ou habitant·e. Il semble que la réussite du renouvellement de la participation et de l’implication de nouvelles personnes au sein du Pot’Ingé s’explique par une meilleure capacité à créer un sentiment d’appartenance et/ou à l’entretenir.
En effet, le fait d’être identifié et relié à une faculté, permet sans doute une fluidité dans les échanges, puisqu’il y a un partage de valeurs et de repères communs. Au sein du Pot’Ingé, on cultive la cohésion sociale du groupe, en prenant soin d’y apporter des moments conviviaux qui permettent d’aller un cran plus loin dans le tissage de liens sociaux. Même si le groupe est bien ouvert à toute personne le souhaitant, Evelyne interviewée dans le cadre de l’article, reconnaît le fait que des personnes issues d’autres facultés viennent une fois le temps d’un chantier sans pour autant s’y investir par après et rejoindre le groupe.
- Organisation et communication
Le mode organisationnel du Pot’Ingé est également à souligner dans les points qui pourraient expliquer un renouvellement des forces vives au sein du collectif. En effet, chaque année une Assemblée Générale est organisée pour élire des membres responsables. Chaque membre élu à la responsabilité d’une tâche bien définie pendant la durée de son mandat et approuve également la charte présentant les valeurs et les missions du Pot’Ingé. Le fait d’organiser des AG met en évidence leur attention et leur conscience de la nécessité de renouveler les membres et de (se) responsabiliser autour du projet pour le faire vivre et durer. A l’inverse, le projet Uni-Vert avait pour ambition d’être dans le mode de l’auto-gestion, visant à responsabiliser tout un chacun·e, mais dans les faits, Kate reconnaît que le collectif avait du mal à s’impliquer au même titre qu’elle, bien que ça ait été son intention et sa volonté dès le départ.
Enfin, le Pot’Ingé a également une communication efficace qui suscite une envie de s’engager et de se joindre à cette dynamique porteuse ; une capacité d’autonomie financière car iels répondent à des appels à projets en dehors du financement de l’Université, mais surtout iels tissent des liens au sein de l’Université et en dehors avec des acteurs et actrices investies dans la souveraineté alimentaire, parmi lesquels : la CATL, Eclosio au travers d’une implication dans les festivals Nourrir Liège qui leur confère une légitimité et une solidité.
D. Que retenir ?
Ce chapitre met en lumière deux initiatives étudiantes écologiques sur le campus de l’Université de Liège : Uni-Vert et Pot’Ingé, qui montrent différentes dynamiques d’engagement collectif et d’appropriation de l’espace universitaire dans une démarche de sensibilisation écologique.
A travers deux exemples similaires et pourtant très différents sur le campus de l’Université de Liège, ce chapitre a pu mettre en évidence des rapports au territoire particuliers, facilités ou non par la proximité géographique, l’attachement, la temporalité, l’appartenance sociale ou encore, l’organisation et la gestion d’un groupe. Ces projets, très ancrés localement, sur des portions de territoire souvent assez étroit, rassemblent souvent des personnes déjà engagées personnellement, et sensibilisées aux enjeux environnementaux. Pour répondre aux enjeux globaux, parfois inquiétant et déstabilisant, ces personnes ont décidé de se mettre en action, localement et concrètement. Les exemples Uni-Vert et Pot’Ingé se révèlent être des projets concrets qui partent d’une envie de rêver des territoires communs, en s’y investissant, en y repensant nos modes de consommation et d’organisation et enfin, en y tissant des liens de solidarité entre humain·es tout en se reliant avec le vivant. En prenant part à ces initiatives, les participant·es s’impliquent dans un espace local – le campus – où leur présence éphémère est attestée, et pourtant, où iels acquièrent des appren-tissages ensemble au sein d’un territoire incertain mais profondément vivant.
Les deux projets partagent une motivation commune : sensibiliser et agir concrètement pour la transition écologique dans un espace de vie quotidien. Ils montrent également que la proximité géographique, l’attachement au lieu, et le soutien institutionnel sont des facteurs cruciaux pour œuvrer à la pérennité de telles initiatives. Dans ces exemples, même si les personnes qui s’investissent dans le projet ne sont pas propriétaires, car la terre cultivée est prêtée par l’université, les personnes s’y investissent. La dimension collective prime donc sur la dimension privée, ce genre d’initiative inspirantes montrent que le tissu social, l’envie d’apprendre et de partager sont aussi des moteurs d’un engagement territorial qui grâce aux soutiens de l’université, s’est transformé en projet concret.
Au-delà de la pérennité des projets eux-mêmes, ce qui importe le plus – et qui résonne particulièrement avec notre travail chez Eclosio – c’est l’impact profond de ces expériences collectives sur les personnes impliquées. Ces projets génèrent un déclic, ou une succession de déclics, qui renforcent un engagement durable en faveur du climat et de la société. En participant aux projets Uni-Vert et Pot’Ingé, les participant·es s’approprient des valeurs essentielles telles que le vivre ensemble, fondé sur le collectif plutôt que sur l’individualisme, et le rapprochement avec le monde vivant. La nature est au cœur des préoccupations, incitant à en prendre soin plutôt qu’à la dominer ou à l’ignorer. Ces projets créent aussi un sentiment d’appartenance et forgent une identité commune. Les liens tissés au sein du groupe permettent l’émergence de visions partagées, qui, bien que modestes, contribuent significativement à la transformation sociale. Ce processus collectif s’inscrit dans un mouvement plus large, permettant aux participant·es de contribuer activement à la construction d’une société plus solidaire et respectueuse de l’environnement. Les transformations intérieures vécues laissent une trace durable dans les consciences individuelles et collectives, avec un impact qui dépasse la durée d’un projet. Comme une graine portée par le vent – une fois le territoire universitaire quitté -, ces transformations peuvent fleurir ailleurs et plus tard – dans d’autres espaces qu’ils soient liés au travail ou à leur propre quotidien.
Quant au rôle d’une ONG comme Eclosio dans ces projets, il s’agit avant tout de mettre en lumière ces expériences, de favoriser les collaborations et les partenariats[10], mais aussi d’accompagner les collectifs dans leur capacité à mobiliser de nouveaux·elles étudiant·es, tout en promouvant l’inclusion et la diversité des profils. Eclosio réfléchit à des moyens durables de maintenir une dynamique de participation collective, en s’appuyant sur les compétences uniques de chaque membre, afin que les étudiant·es puissent agir sur d’autres territoires. Nous explorons comment s’engager, s’approprier et s’investir dans un territoire, en le rêvant et en le questionnant. Nous encourageons notre public à imaginer ce territoire collectivement, et à créer des outils permettant de comprendre les rapports de pouvoir qui y existent, dans le but de passer à l’action. Ce qui nous importe, c’est de susciter un sens de l’engagement auprès de notre public qu’ils et elles pourront ensuite incarner dans leur vie et essaiment autour d’elles et eux !
3. Repenser les territoires à travers le prisme de l’inclusivité
Après avoir exploré les dimensions du territoire à travers des exemples concrets, nous poursuivons notre réflexion en mettant en avant des initiatives inspirantes. Dans les sections suivantes, nous examinons la question des terres publiques en Belgique ainsi que la gestion coopérative des terres agricoles, tout en interrogeant des actions d’occupation du territoire, comme les ZAD (zones à défendre). Nous mettons également en avant des pistes concrètes, telles que le budget participatif, déjà mis en place dans plusieurs communes belges.
L’échelle retenue sera locale, car il est primordial de relier les enjeux mondiaux à des leviers d’action concrets, directement au service des populations. Ces leviers se déploient au niveau des territoires de vie, ces espaces vécus au quotidien, où les expérimentations prennent tout leur sens.
3.1 En Belgique, les terres publiques comme piste d’action
Actuellement, en Belgique, le prix des terres agricoles connaît une hausse significative, passant de 27 205 €/ha en 2017 à 36 368 €/ha en 2022, soit une augmentation de 33,7 % en seulement six ans. Cette flambée des prix limite fortement l’accès à ce facteur de production essentiel pour de nombreux agriculteur·rices. Pourtant, comme évoqué dans le cas du Sénégal, l’accès à la terre constitue un enjeu crucial pour le secteur agricole.
Face à cette inflation, l’acquisition de nouvelles parcelles devient de plus en plus difficile, empêchant de nombreux jeunes de se lancer dans l’agriculture et freinant l’expansion des petites exploitations durables, qui peinent à se développer.
Un levier d’action prometteur réside dans les « terres publiques ». Ces terres, appartenant aux pouvoirs publics tels que les communes ou les Centres Publics d’Action Sociale (CPAS), offrent l’opportunité de repenser la notion de propriété privée. Elles peuvent être envisagées comme un support pour des projets bénéficiant à la collectivité, tout en répondant partiellement aux défis environnementaux et sociaux d’un territoire. Bien qu’il n’existe pas encore de cartographie précise, les terres publiques représenteraient entre 8 et 10 % des surfaces agricoles utiles.
Cependant, de nombreuses autorités préfèrent vendre ces terres, souvent perçues comme une source de financement pour renflouer les caisses de l’État. D’ailleurs, certains grands projets de vente de terres publiques ont suscité l’émoi et la mobilisation de plusieurs agriculteur·ices. Ces ventes suscitent parfois des controverses, comme en témoigne le cas de Gand. Le CPAS de la ville a vendu une parcelle de 450 hectares à un milliardaire, bien qu’elle aurait pu être utilisée pour des projets nourriciers. Cette décision s’explique par l’impossibilité de diviser ce terrain en plus petites parcelles, rendant son acquisition inaccessible aux petits exploitants dépourvus des ressources financières nécessaires. En conséquence, ces terres tombent souvent entre les mains de grandes entreprises agro-industrielles ou de spéculateurs fonciers.
Face à cet événement, une forte mobilisation citoyenne a émergé, aboutissant à l’adoption d’un moratoire par la ville de Gand sur la vente des terres de son CPAS. Ce moratoire, instauré pour réfléchir à une vision d’avenir pour ces terres, a été prolongé jusqu’en 2025 (Tchak, L’effet colibri, ça suffit ! Au boulot les politiques, 2024).
Et si on changeait de logique ? Et si ces surfaces de territoire étaient mises à disposition de projets nourriciers ? Cela permettrait d’assurer l’accès à la terre pour les plus petites exploitations, les collectifs citoyens, les personnes non issues du milieu agricole qui voudraient se lancer… pour contribuer à l’approvisionnement en nourriture pour la commune. Face à l’enjeu majeur d’accès à la terre pour les agriculteur·ices, la gestion des terres publiques autour de projets nourriciers est une piste d’action explorée par le mouvement « Terre-en-vue ». L’une des missions que s’est donnée cette organisation est de faciliter l’accès à la terre aux agriculteur·ices et porteur·euses de projets agroécologiques. Terre-en-vue va donc s’emparer de l’enjeu foncier en Belgique, en achetant des terres pour qu’elles ne soient plus sujettes à spéculation, et en impulsant des dynamiques pour protéger l’environnement et le vivant sur ces territoires. Cette coopérative insiste sur l’importance de préserver les terres agricoles en tant que ressource naturelle, pour réconcilier l’agriculture, l’environnement (Mémorandum pour les élections régionales, législatives, européennes et communales, 2024). Pour ce faire, l’organisation réfléchit le territoire en termes de bien commun. Dans cette optique, la terre est une ressource partagée, gérée en commun par plusieurs individus. La gestion collective et la notion de bien commun s’inscrivent dans un idéal politique qui consiste à réfléchir le monde hors de la logique de propriété, dans une perspective de partage et de collaboration. In fine, un groupe de coopérateur·ices gère les terres de manière collective, sur un socle de valeurs communes, à savoir la préservation du vivant et du monde paysan. C’est donc pour cela, et afin d’éviter une compétition grandissante entre les agriculteur·ices que Terre-en-vue propose dans son mémorandum, la mise à disposition des terres publiques pour soutenir des projets nourriciers. Dès lors, le lien à la terre ne serait plus inscrit dans une optique individualiste de propriété mais bien dans une optique collective et nourricière. Les terres publiques serviraient à nourrir le territoire en étant à disposition des agriculteur·ices de la commune qui y développeraient des projets agricoles durables et respectueux du vivant. Les bénéficies d’une approche en termes de bien commun et d’une approche de gestion collective sont nombreux, outres la problématique d’accès au foncier en raison des prix élevés, cela permet de renforcer la solidarité entre les agriculteur·ices et les citoyen·nes mais de contribuer à l’autonomie alimentaire de la commune et à l’économie sociale et circulaire.
Ces initiatives inspirantes ont débouché sur l’organisation d’une conférence, en avril 2024 par Eclosio, membre du comité d’animation de « Tchak, la revue paysanne et citoyenne qui tranche ! » en collaboration avec la coopérative. L’objectif de la conférence était de faire
- connaitre ce levier d’action que sont les terres publiques, et de proposer aux citoyen·nes des moyens d’action concrets pour habiter leur territoire. L’accès à la terre est un sujet politique, et comme nous l’avons vu les manières de le penser sont multiples. Nous l’avons vu à travers le cas du Sénégal, c’est l’Etat qui a la lourde responsabilité de gérer son territoire et donc les terres. Mais comment organiser un système de gestion inclusif et durable ? Aujourd’hui, des collectifs se créent autour de la gestion des biens communs pour réinventer, imaginer, et créer d’autres possibles, d’autres modes de gestion plus inclusifs justement. Ces collectifs, groupement de producteur·ices, association locales, coopératives, veulent répondre à un besoin urgent : l’accès au facteur de production terre, pour promouvoir un modèle de développement territorial durable basé sur une agriculture respectueuse du vivant. C’est dans ce cadre qu’un courrier d’interpellation des pouvoirs communaux a été rédigé par les étudiant·es de la faculté d’agronomie de Gembloux, co-organisateur.rice.s de la conférence et Françoise Ansay, employée dans la coopérative, pour que chaque citoyen·ne, à son échelle puisse se questionner sur l’usage des terres de sa commune.
« Par la présente, nous souhaiterions vous exprimer notre inquiétude face aux évolutions de l’agriculture en Wallonie et, plus précisément, vous soumettre des propositions sur la politique de gestion des terres publiques de votre commune […] Nous vous demandons dès lors d’inscrire la préservation de la fonction nourricière des terres publiques et l’aide à l’installation des jeunes agriculteur·rices comme objectif stratégique de votre politique de gestion des terres communales. »
Ce courrier d’interpellation politique des communes a été un moyen de réfléchir à la dimension idéelle du territoire et de nous poser la question : « Quel territoire pour l’avenir ? ». Et, il est important d’articuler ce travail de plaidoyer à l’échelle locale avec des actions concrètes. Au-delà du territoire rêvé et du travail de plaidoyer Terre-en-vue agit très concrètement du côté des petites exploitations en soutenant des projets paysans durables, en agriculture biologique. Par exemple, une de leur grande levée de fonds en 2023, a servi à financer le déploiement de la Ferme des Arondes dans la commune de Profondeville. C’est une ferme collective qui regroupe des producteur·ices et dont l’objectif est de nourrir les habitant·es de la région. Magasin à la ferme, accueil de bénévoles, production maraichère, pépinière d’arbres, transformation artisanale en bocaux, poule pondeuses, champignons, cultures céréalières et pain, les productions et les activités sont diversifiées mais complémentaires. Et ce, tournée vers la préservation de l’environnement : restauration de la biodiversité, préservation des sols mais aussi sur l’entraide.
Toutes ces actions nous amènent à repenser l’articulation entre le territoire et le pouvoir. En effet, cela nous questionne sur la notion de propriété privée, et l’importance que nous y attachons, tout en invitant les pouvoirs publics à se saisir de l’enjeu nourricier. Se nourrir à un prix abordable tout en garantissant un revenu juste pour les agriculteurs et agricultrices est une question publique et une problématique plus qu’urgente à régler. « Au-delà de l’agriculture, la façon dont on utilise et répartit les terres agricoles influence directement sur l’accès à une alimentation saine, nutritive et cultivée durablement, la protection des écosystèmes, la création d’emplois, une articulation équilibrée entre zones rurales et urbaines, le renforcement des communautés locales, et la lutte contre l’urgence climatique. Peser sur l’usage des terres est une question qui nous concerne tous et toutes, et affirmer la nature politique de cet usage est urgent » (Nyéléni, 2020). Terre-en-vue s’attèle à mettre en liens le public, le privé, des membres du secteur associatif, des syndicats agricoles, des universités pour réfléchir collectivement sur nos territoires. Les terres agricoles doivent pouvoir sortir de la marchandisation. Nous devons les considérer comme un patrimoine commun et non plus comme de simples capitaux privés.
3.2 Le budget participatif comme leviers d’action
Comment penser l’avenir d’un territoire et favoriser l’implication des citoyen·nes dans la gestion de celui-ci ? Certaines communes en Belgique ont testé un outil intéressant : le budget participatif. Inspiré de l’exemple de Porto Allegre au Brésil, la forme que peut prendre un budget participatif sur le continent européen est multiple, dépendant des réalités et contraintes du contexte politique au départ duquel il se situe.
En effet, il s’agit : « de faire participer les habitant·es volontaires aux discussions et aux décisions concernant l’allocation du budget communal, soit de manière globale, soit sur une thématique parti culière (l’aménagement d’un quartier, par exemple), soit sur les décisions d’investissement ». Néanmoins et dans tous les cas, l’initiative émane de l’envie des élu·es de partager une partie de leur pouvoir décisionnel en impliquant les citoyen·nes dans la réflexion et la prise de décision concernant la gestion du territoire.
À Liège, par exemple, le projet « Ville de Liège 2025 » lancé en 2019 a permis aux Liégois·es de soumettre des idées de projets, via une plateforme, des courriers, ou lors de soirées, et de voter pour leurs préférés. Cependant, iels n’ont pas été directement impliqué·es dans la mise en œuvre des projets. La commune a ensuite priorisé et intégré les propositions ayant recueilli le plus de voix dans un plan stratégique.
En revanche, à Namur la participation des citoyen·nes va plus loin, car ils et elles peuvent, non seulement proposer des projets mais aussi les porter et les réaliser eux-mêmes. Outre certains aménagements publics tels que des plaines de jeux, ou de grandes infrastructures, qui restent sous la responsabilité de la commune, les habitant·es peuvent proposer des initiatives liées à l’environnement, au cadre de vie, au social. Potager urbain, aménagements de l’espace public, de nombreux projets ont ainsi vu le jour. Le processus, est encadré par la commune qui accompagne la réflexion et s’assure de la faisabilité des projets. Une fois les projets validés par le collège et le conseil communal, les citoyen·nes votent pour ceux qu’ils souhaitent voir réaliser selon la disponibilité du budget communal alloué, puis ils les mettent en œuvre en signant une convention avec la Ville.
Le budget participatif repose sur l’idée d’une gestion partagée du territoire, où les citoyen·nes, bien que non propriétaires des espaces publics, participent activement à la définition et à la gestion des ressources collectives. Ce modèle de réappropriation s’inspire des communs, des ressources partagées qui échappent à la privatisation ou au contrôle exclusif de l’État ou d’acteurs privés, et qui sont co-gérées par la collectivité.
Ainsi, le budget participatif permet aux citoyen·nes de s’engager dans des décisions affectant leur quotidien : aménagement du territoire, choix d’investissements ou projets communautaires. À travers des initiatives comme les potagers urbains ou les réaménagements de l’espace public, elles et ils redéfinissent leur rapport à l’espace, non pas comme des propriétaires, mais comme des acteurs d’une gestion collective et éphémère des communs.
Cette participation dépasse la simple consommation d’espace public, comme étant un produit banal alors qu’il est le lieu d’activités mais aussi condition d’existence pour faire de chacun·e un acteur·ice conscient·e de son rôle dans l’entretien et l’évolution de l’environnement urbain. Elle invite aussi à repenser la place de l’individu dans l’espace public, au-delà de la propriété, en introduisant des liens de responsabilité et d’engagement envers les lieux fréquentés. Les citoyen·nes peuvent être motivé·es par l’envie de contribuer à une amélioration de la qualité de vie collective et de construire une société plus juste et solidaire.
Le modèle de Liège se distingue par un processus de participation simple : soumettre des idées, voter et laisser les autorités locales décider de leur intégration dans un plan stratégique. Sur le papier, ce processus garantit une large participation, accessible à tou·tes grâce à des canaux variés (plateformes en ligne, courriers, réunions publiques). Il semble particulièrement adapté aux personnes ayant des contraintes de temps ou familiales, car il permet de proposer des idées de manière flexible, à distance ou lors de soirées ponctuelles.
Cependant, bien qu’inclusif en apparence, ce modèle reste une participation symbolique, où la décision finale revient aux autorités locales. Si la participation est ouverte, les citoyen·nes n’ont cependant qu’un pouvoir limité sur la mise en œuvre des projets. Ce système consultatif peut donc donner l’illusion d’une ouverture démocratique, mais le véritable pouvoir décisionnel, et de mise en œuvre, demeure entre les mains des autorités. De plus, en filtrant les propositions, ce modèle risque d’éliminer des projets moins « mainstream », qui ne cadrent pas avec les orientations politiques, réduisant ainsi la diversité des initiatives.
En revanche, Namur propose un modèle plus engageant, où les citoyen·nes participent activement à la conception et à la mise en œuvre des projets, en signant des conventions avec la ville pour réaliser des projets collectifs. Ce modèle offre une participation plus profonde, car il permet de passer de l’idée à l’action.
Cependant, bien que ce processus soit plus impliquant, il présente également des limites subtiles en termes d’inclusivité. Participer activement à la conception et la réalisation des projets exige un investissement en temps et en compétences. Il faut pouvoir consacrer plusieurs heures à la réflexion, assister aux réunions et disposer des connaissances et compétences nécessaires pour structurer une proposition viable. Paradoxalement, ce modèle, qui semble plus démocratique, peut exclure les personnes les plus vulnérables, déjà privées de ressources personnelles (temps, compétences, réseaux). Ainsi, cette forme de participation peut créer une dynamique où les minorités sont laissées de côté, rendant la démocratie participative inaccessible à une partie de la population.
Ces deux modèles mettent en lumière deux pièges des processus participatifs. À Liège, bien que l’accessibilité soit assurée, l’implication réelle des citoyen·nes reste limitée. Les autorités gardent un contrôle étroit sur les projets, ce qui peut nuire à la prise en compte des préoccupations des citoyen·nes moins influents.
À Namur, le modèle plus direct peut au contraire exclure celles et ceux qui manquent de temps ou de ressources pour s’engager pleinement. La participation active, bien que plus concrète, peut devenir une forme d’inclusivité de façade.
Une solution pourrait résider dans un compromis entre ces deux modèles, qui concilie l’accessibilité de Liège avec la profondeur d’engagement de Namur. Pour cela, il serait nécessaire de prendre en compte les contraintes de chacun·e tout en offrant des moyens d’implication réels. Ce modèle pourrait allier flexibilité et engagement concret, tout en veillant à inclure les groupes marginalisés grâce à un accompagnement adapté, des formations ou des aménagements spécifiques.
Finalement, une véritable participation citoyenne doit permettre à tou·tes de s’engager dans la construction de leur territoire et de leur quotidien, indépendamment de leurs ressources.
Une autre dimension clé du budget participatif est la connexion sociale qu’il favorise. Participer à la gestion collective de l’espace public peut renforcer les liens communautaires, créer un sentiment d’appartenance et permettre la rencontre de citoyen·nes issus·es de différents horizons sociaux. Les citoyen·nes qui se sentent connectées à leur quartier ou à leur ville sont souvent plus enclins à s’investir pour améliorer leur cadre de vie. À travers la réflexion et la mise en œuvre de projets communs au service du bien collectif, une identité locale peut se construire, nourrissant la solidarité communautaire.
Pour certain·es, l’action collective sur l’espace urbain devient un moyen de réaffirmer une identité partagée et de renforcer la cohésion sociale. La participation à ces projets peut aussi être perçue comme une forme de reconnaissance sociale. Elle peut offrir une visibilité positive au sein de la communauté, ainsi qu’une légitimité ou une reconnaissance de la part des autorités locales ou des pairs. Pour d’autres, s’impliquer dans ces processus permet d’affirmer leur expertise dans des domaines tels que l’urbanisme, l’écologie ou la gestion des espaces publics.
Dans certains quartiers défavorisés, la participation à des projets collectifs peut constituer un moyen de lutter contre l’isolement social ou l’exclusion. En s’engageant, les individu·es tissent des liens, développent des réseaux et gagnent en visibilité, devenant ainsi des acteurs à part entière de leur territoire. Ces projets participatifs jouent alors un rôle essentiel dans l’inclusion sociale, permettant aux participant·es de sortir de l’isolement et de renforcer leur légitimité dans la société.
Enfin, les budgets participatifs tentent de répondre à la crise de la démocratie représentative en réinventant le lien entre les citoyen·nes et les institutions publiques. Plutôt que de se limiter à un vote tous les cinq ans, ils encouragent un engagement continu, en invitant les citoyen·nes à agir dans la gestion du bien commun.
Idéologiquement, ces dispositifs reposent sur l’idée d’une démocratie active et inclusive, où tous et toutes peuvent participer à la décision collective, indépendamment de leur classe sociale ou statut. Ils incarnent une forme de démocratie délibérative, où la gestion d’un espace public, d’un quartier ou d’un projet, est décidée par celles et ceux qui l’utilisent. Le budget participatif permet aussi une redistribution du pouvoir : en impliquant les citoyen·nes dans les décisions, il rapproche la politique de leur quotidien.
Ce processus redéfinit ce qu’est être citoyen·ne. Ce n’est pas seulement jouir de droits civiques ou voter, mais aussi penser et gérer son territoire comme un bien commun. Le citoyen devient un acteur de la transformation collective de l’espace, sans nécessairement en être le propriétaire. Le territoire appartient ainsi à ceux qui l’habitent et le façonnent.
Le budget participatif permet aux citoyens de rêver et de réinventer leur espace. Même sans en être propriétaire, chacun peut contribuer à l’imaginer et à le créer collectivement. C’est une manière de penser et de vivre ensemble un territoire, comme un commun à gérer de façon partagée.
Conclusion générale
Dans cette étude nous avons fait voyager le·a lecteur·ice à travers des frontières physiques et dans des territoires lointains, comme au Sénégal, ou plus proche, sur le Campus de l’université de Liège. Nous avons exploré les manières de penser le territoire, et comment les organisations de la société civile peuvent jouer un rôle de catalyseur pour déconstruire les rapports de domination construire l’inclusivité des territoires. La notion d’inclusivité a donc été centrale pour analyser les rapports entre les personnes ainsi que les processus de gouvernance à l’œuvre dans les territoires. Matérialité, idéologie et tissus social, ont été la grille d’analyse des territoires et dans chacun des trois axes, l’accent a été mis sur les rapports de pouvoir existant.
Il est enrichissant de se pencher sur les cas étudiés au Sénégal pour se décentrer et parvenir à imaginer nos territoires dans des cadres différents. Bien sûr, une nouvelle dynamique a peu de chance d’aboutir et d’être pérenne si elle n’est pas ancrée sur le territoire où elle prend pieds. A Liège aussi, car la place accordée aux projets de potagers sur le campus n’aurait probablement pas été telle si la société civile ne visibilisait pas tant l’importance des initiatives de transition sur la place publique liégeoise. A Liège par exemple, la CATL (Ceinture AlimenTerre Liégeoise) est un partenaire important du Pot’Ingé. En l’incluant dans des réflexions collectives et en renforçant sa présence et visibilité sur des évènements, la CATL accorde une reconnaissance et légitimité supplémentaire au Pot’Ingé, ce qui renforce le sentiment d’appartenance de ses membres et donc sa pérennité.
On ne peut outrepasser par ailleurs l’importance de la culture et des savoirs sur les territoires. Comme le chapitre sur le cas sénégalais le montre, c’est grâce à la reconnaissance des règles coutumières, à l’histoire et l’organisation des communautés locales que l’inadéquation avec les lois nationales a pu être admise. Sans cela, davantage de cas d’expulsions et d’exploitation au détriment de la population auraient lieu.
Il faut également tenir compte des défis auxquels ces projets font face. Offrir un espace d’engagement ne suffit pas pour inclure la population. Il faut que cet espace soit reconnu et bénéficie d’une certaine autonomie institutionnelle, politique et économico-financière pour permettre à ses membres de s’y projeter dans la longueur et de croire dans son succès. Ces membres ont également besoin de temps, de formation, d’informations, d’énergie et de moyens pour s’y investir, ainsi que de valeurs communes pour s’y sentir à leur place. Un système solide de gouvernance participative semble aussi nécessaire pour ne pas détourner le projet de son objectif et ses valeurs, pour assurer la représentativité de chacune et chacun, et pour porter justement les responsabilités. Une lutte continue, aux côtés de la société civile, contre les inégalités structurelles est complémentaire à la création de ces nouveaux mécanismes pour leur permettre d’évoluer et de durer dans un climat plus équitable. Par ailleurs, les coutumes et construction identitaires pouvant aussi être un frein à l’inclusion, par exemple des femmes ou des nouveaux membres, le dialogue ouvert à toutes et tous, l’invitation ciblée à participer et le renforcement du pouvoir des personnes dominées sont encore et toujours des éléments primordiaux pour une occupation et gestion inclusive du territoire.
En somme, la territorialité, et l’inclusivité sont profondément interconnectées. Un territoire inclusif est celui qui reconnaît et valorise la diversité de ses habitants, qui garantit une participation équitable aux processus décisionnels et qui lutte activement contre les inégalités. En repensant nos rapports au territoire à travers le prisme de l’inclusion et de l’inclusivité, nous pouvons créer des espaces plus justes, équitables et harmonieux pour tous. C’est la mission de travail que s’est donné Eclosio. Finalement, l’enjeu des territoires, de leur aménagement, des liens qui se tissent en son sien, des politiques qui encadrent sa gestion sont primordial car c’est un lieu de vie, de la reproduction de la vie et du rapport vivant. C’est le tissu social, lieu d’échange, de proximité, de création, de partage. C’est le lieu matériel, réel, physique, mais c’est aussi l’espace identitaire et rêvé. Le territoire est visible et invisible, il est concret et pensé. Il traduit notre rapport au monde, au vivant, aux autres. Il matérialise nos rêves et notre relation au vivant.
Notes de bas de page
- Comme première production d’éducation permanente sur la question Territoires/pouvoirs, découvrez l’analyse “Bolivie: une expérience de gouvernance territoriale autonome qui dynamise la démocratie” de Pierre Rouschop, Marco Antonio Herbas Justiniano et Walter Chamochumbi ici : Bolivie: une expérience de gouvernance territoriale autonome qui dynamise la démocratie | Eclosio
- https://www.thinkerview.com/olivier-hamant-survie-dans-le-chaos-la-robustesse-a-lepreuve/ consulté le 15 novembre 2024
- Animisme — Géoconfluences « C’est une forme de religiosité qui imprègne la vie quotidienne, transcende les appartenances religieuses, y compris musulmanes et chrétiennes, sous la forme d’une culture commune, d’un attachement aux traditions et sert de référent à l’identité collective. Il est difficile par conséquent de compter le nombre d’animistes. ». Au Sénégal, l’islam est la religion majoritaire, pratiquée par environ 95 % de la population, principalement sous des formes soufies comme les confréries tidjane et mouride. Le christianisme, notamment catholique, représente une minorité significative et coexiste harmonieusement avec d’autres croyances. L’animisme, bien que moins visible, reste présent dans certaines communautés, où les pratiques ancestrales et les cultes des esprits continuent d’influencer les traditions et les rites, souvent intégrés dans les autres religions dominantes. Cette cohabitation pacifique est un pilier de l’identité sénégalaise.
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- URL : https://www.catl.be/moments-cles/, consulté le 9 mai 2024.
- Tr. Faites-le-vous même
- Nous avons utilisé des prénoms fictifs pour anonymiser le texte
- Sur le concept d’ancrage et de désancrage, lire notamment l’ouvrage L’écologie pirate de Fatima Ouassak
- Dans le cadre du festival Rêve Général ayant eu lieu sur le campus du Sart Tilman en avril 2024, le Pot’Ingé prête main forte à Eclosio, à la CATL et à la ferme Larock en participant à la co-organisation des “ tables paysannes” qui visait à repenser le métier de paysan·ne autour d’une soirée repas sur le mode adapté du World Café. Cela n’était pas la première collaboration entre Pot’Ingé et Eclosio qui avaient déjà unis leur force en 2023 lors de L’ExPot’Ingé, évènement au cours duquel Eclosio animait le séminaire “ une ONG universitaire pour trouver des complémentarités et faciliter le dialogue entre des projets de terrain, les études et la recherche«
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