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Synopsis
Alors que les scientifiques tirent la sirène d’alarme depuis plusieurs années sur les changements climatiques et que les mouvements sociaux s’intensifient pour réclamer une réponse politique, les pouvoirs publics peinent à se mettre en mouvement ? Pourquoi ? la cause est-elle dans l’organisation de notre démocratie ? Si oui, comment la repenser ?
Publié par UniverSud – Liège en aout 2018
Le changement climatique est bien présent. Ses effets et les modifications qu’il entraîne sur les écosystèmes et la société humaine (sécheresses, déplacements de populations, …) se font sentir. La cause principale de ces transformations est clairement liée à nos activités, qu’elles soient individuelles ou collectives. Cela fait quelques années que des alarmes ont été tirées mais rien n’y fait. Nous n’avons pas modifié notre modèle économique. Nous avons tenté de l’adapter mais cela ne change pas grand-chose ; les quantités de carbone rejetées dans l’atmosphère ne décroissent pas et la pollution ne diminue pas. Il est grand temps d’inventer et d’agir.
Nous, les étudiants du master en agroécologie, pensons que les processus pour prendre des décisions politiques liées à l’écologique sont trop lents par rapports aux enjeux climatiques. Ces processus fonctionnent sur les principes de la démocratie : chacun peut s’exprimer et c’est le consensus qui fera advenir la volonté générale. Mais, vu les projections des scientifiques sur l’état possible de la planète si nous ne changeons pas rapidement et radicalement nos façons de produire et de consommer, il est légitime de se poser la question de savoir si la démocratie est le logiciel politique adéquat pour répondre à ces transformations. Ou encore, quelle forme la démocratie doit-elle revêtir pour s’adapter elle-même à ces changements ? Faut-il opérer ces transformations dans l’urgence ? Comment se positionner en tant que citoyen face à l’urgence climatique ? C’est pour répondre à ces questions que nous avons organisé une conférence en avril 2018 sur le thème : « Enjeux environnementaux et démocratie : comment répondre à l’urgence ? ». Son objectif était de permettre aux citoyens de se rendre compte de l’importance du débat sur les modes de gouvernance dans la situation d’urgence actuelle, ainsi que de leur permettre de se positionner.
La conférence s’est organisée sur base de l’intervention et de la mise en débat de 4 intervenants, à savoir :
- Olivier de Schutter. Il est l’ancien rapporteur spécial pour l’ONU pour les questions de l’alimentation. Il est l’auteur d’un rapport essentiel qui met en avant une alternative à l’agriculture conventionnelle : l’agroécologie[1]. Pour lui, le système actuel ne peut perdurer dans sa façon de fonctionner. Il milite et agit activement pour un changement de paradigme socio-économique en se basant sur les mouvements de la transition, l’agroécologie et les nouvelles formes de gouvernance.
- Agnès Sinaï. Elle est directrice de l’institut Momentum qui est le premier centre de recherche interdisciplinaire sur la collapsologie[2]. Elle a coordonné l’écriture de plusieurs ouvrages dont Economie de la décroissance – Politiques de l’Anthropocène, avec différents scientifiques et politologues comme Yves Cochet, Pierre Bihouix, François Roddier, …
- Céline Parotte. Elle est docteure et chercheuse en sciences politiques et sociales. Elle s’est spécialisée dans les systèmes de gouvernance et de gestion de certains types de déchets dangereux comme les résidus hautement radioactifs.
- Patrick Steyaert. Il est professeur à l’Université de Liège et ingénieur de recherche à l’INRA. Ses travaux portent sur les processus d’accompagnement et de changement sociaux dans le domaine de l’action publique, en ce qui concerne la gestion durable des ressources naturelles.
La conférence a confirmé qu’il s’agit d’un débat important mais qu’il est nécessaire d’y apporter un regard sociologique. C’est-à-dire qu’il est indispensable de regarder qui sont les personnes derrière les discours, quel type de discours et de rhétorique est employé et pour quel(s) objectif(s), qu’ils soient avoué(s) ou caché(s). Seuls les faits sont neutres. C’est la façon dont les hommes vont les utiliser et les faire parler qui va influencer leur direction. Prenons l’exemple d’informations liées aux dérèglements climatiques et voyons comment elles sont récupérées et interprétées par différents groupes sociaux. Chaque groupe les interprète et propose ses solutions en fonction de son agenda. Le discours catastrophiste est donc utilisé par certains pour faire passer des idées et des façons d’agir. Le changement climatique peut aussi être exploité pour justifier une accélération des progrès technologiques, car certains groupes peuvent penser que la technologie est capable de régler tous les problèmes. Pour d’autres encore, les mêmes faits peuvent être employés pour justifier des changements de régime politique et de doctrine économique. La conférence a donc mis en lumière le fait que le citoyen se doit d’être critique vis-à-vis de l’information qu’on lui donne car celle-ci peut être délivrée par des personnes qui ont des intentions politiques.
Cela ne doit pas empêcher le citoyen de prendre ses propres décisions. Mais il semble important – dans ce monde rempli d’intérêts et de « fake news » – que le citoyen développe son sens critique. Les scientifiques nous apportent des informations factuelles qui ne peuvent être remises en question dès lors que la façon dont cette information a été collectée et vérifiée a été pensée pour être juste et vraie. Ainsi, la validité d’une information scientifique suppose à la fois un protocole scientifique clair et répétable, la reconnaissance des travaux par la communauté scientifique et le fait que l’utilisation des informations dans d’autres domaines amène de nouveaux résultats concordants. Par exemple, le fait que la Terre est ronde est un fait scientifique indiscutable car les expériences pour le prouver sont connues et peuvent être reproduites ; la communauté scientifique reconnaît la pertinence de ces expériences et leurs résultats ; enfin, l’utilisation de l’information selon laquelle la Terre est ronde dans d’autres secteurs d’activité (aérospatial, aéronautique, communication, …) a toujours corroboré la théorie scientifique. Si elle répond à ces critères, le citoyen doit accepter une information scientifique.
En ce qui concerne le réchauffement climatique et l’urgence de prendre des décisions, il est difficile de nier que cela est un fait scientifique vu les critères présentés ci-dessus. Par exemple, il est démontré que l’industrie éjecte de grandes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, notamment le dioxyde de carbone (CO2) ; ce dernier provoque une augmentation des températures du globe ; par ailleurs, on observe une accélération de la fonte des icebergs provoquée par un réchauffement ; cette fonte aura des répercussions sur les niveaux des mers, les courants marins, les masses d’air chaud et froid et leur mouvement ; et par conséquent, sur l’ensemble de nos activités. Ces faits sont basés sur des recherches scientifiques dont la véracité ne doit plus faire débat.
Comment s’en sortir dans ces conditions ? Comment doivent s’analyser les décisions que la société prend ? Il est nécessaire de penser le monde selon de nouvelles valeurs. Il s’agit de compléter les valeurs sociétales actuelles – liberté, égalité, collectivité – par des concepts comme la résilience[3] et la durabilité. Ceux-ci devraient s’intégrer dans les débats démocratiques et dans les prises de décisions. Par exemple, quand un responsable politique doit résoudre un problème, il devrait se poser la question de savoir si la solution envisagée est résiliente et durable. Ces concepts devraient bien-sûr faire l’objet d’un débat démocratique. Ce sont les citoyens, collectivement, pour la communauté, qui devraient définir ensemble ce qu’ils entendent par résilience et durabilité. Toute décision serait alors analysée selon ces critères.
En outre, la conférence a bien démontré que nous n’étions pas prêts à sacrifier la démocratie sur l’autel de l’écologie. Le monde de demain est incertain mais cela n’est pas une raison suffisante pour se perdre dans des « dictatures vertes » ou des « éco-fascismes ». Mais la démocratie doit peut-être se réinventer, se relocaliser, se ralentir. Il est paradoxal de parler de ralentir dans des temps d’urgence, mais faut-il traiter l’urgence dans l’urgence ? Est-ce qu’une décision prise rapidement, dans un état de stress, est la réponse la plus adéquate à une solution compliquée ? Notre société moderne va très vite. L’information est omniprésente et se réinvente à chaque instant. Des décisions prises à Tokyo ont des répercussions dans l’instantané à New-York ou à Londres. Sommes-nous adaptés et prêts à suivre un tel rythme ? Peut-être pas. La démocratie doit se réapproprier son propre temps. Le temps de la décision collective humaine. Il s’agit d’un chantier intéressant pour tout politologue de penser la forme de la démocratie de demain, dans un monde transformé et dont l’évolution est incertaine. En fait, la seule chose qui est certaine, c’est que le monde sera incertain.
En conclusion, la conférence a soulevé beaucoup de questions et peu de réponses. Mais nous espérons qu’elle permettra aux citoyens intéressés de s’engager dans ce chantier collectif et/ou de prendre des décisions avec un plus grand sentiment de responsabilité et de choix. L’éducation doit être le vecteur de ces adaptations de la société. C’est par ce biais qu’il est possible d’apprendre le sens critique, la responsabilité, l’importance de notions comme la résilience ou la durabilité. Avant de prendre une décision en raison et en émotion, il est bien de se renseigner (vérifier l’exactitude des faits, s’intéresser aux personnes et aux discours employés, …) et c’est aussi pour cela que ce type de conférence est important. Il n’y a pas de solution « clef-sur-porte », mais nous devons la créer ensemble, chacun à son niveau. C’est ça aussi la politique et la reprise en main de son destin.
Vincent Dauby
Master en agroécologie
[1]L’agroécologie est un ensemble de pratiques agricoles qui se veulent respectueuses de l’environnement. Elle se base sur des unités de production plus petites, ancrées dans leur territoire. Elle rejette l’utilisation de produits chimiques de synthèse dans ses processus de production. Elle se base sur une meilleure connaissance de l’écologie de la ferme pour produire efficacement. Par ailleurs, l’agroécologie est un mouvement social qui pose la question du système alimentaire global et promeut plus de respect des populations locales, des paysans, une économie locale basée sur des circuits-courts. L’agroécologie est également un domaine de recherche scientifique qui utilise les connaissances actuelles en écologie, en climatologie, en biologie, en agronomie pour produire en limitant les impacts négatifs pour l’environnement et les hommes. L’agroécologie scientifique étudie également les processus sociaux qui sont mis en place pour réussir cette transition agronomique et économique.
[2]La collapsologie est un domaine de recherche transdisciplinaire qui s’intéresse aux causes et aux raisons des effondrements des civilisations humaines, et utilise ses connaissances acquises pour projeter un regard critique sur les sociétés contemporaines.
[3] On entend la résilience comme la faculté d’un système à maintenir ses fonctions et processus après avoir subi des perturbations ou des chocs.